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2. A propos de l'alimentation des marins

Published online by Cambridge University Press:  23 April 2018

Jean-Jacques Hémardinquer
Affiliation:
École des Hautes Études

Extract

L'étude des rations obligatoires intéresse peut-être l'histoire de la diététique davantage que celle des conditions de vie réelles; elle aura, plus d'une fois, servi la « légende rose ». Versons tout de même au dossier quelques données de l'Archivio di Stato de Florence relatives aux galères de la seconde moitié du xvie siècle. Voici les provisions prévues pour 450 hommes pendant sept mois, soit a priori 95 000 rations environ:

Suivent des « rations diverses » : en tête, 35 000 livres (12 tonnes) de fromage salé; 12 000 livres seulement de viande salée; de la morue sèche ou bacaliau: 300 cantares (15 tonnes); des sardines : 300 barils (représentant 51 500 rations de quatre sardines); tonnine, ou dos de thon salé: 32 barils; harengs : 8 barils… Remarquons des vermicelles, cette « sorte de viande de pâte en forme de vermisseaux » spécifiquement italienne. (Voir tableau ci-contre.)

Type
Enquêtes Ouvertes
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1963

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References

1. Medicei del Principato, filza 2077, f° 42 : Istruzioni per tenere le galère (1574); f° 144-145 : Ratione che si danno in di grasso et magro a capitani, officiali et mariiiiri d'un galera con il ristretto di quel che ni porta il mese; 391; f° 447-448 : Calcolo ck lie razioni délie galère l'anno 1572; f° 483-484 : autre compte simulé pour l'équipage d'une galère a galochie par an; f° 996 : Nota di vettovaglie per 450 huomini per mesi sette; l'il/.a 2131 : Ordini da osservari nelle galère del granduco di Toscana.

1. A. Oudin, Dictionnaire Italien et François (1663), éd. Veneroni, Lyon, 1701, t. I, p. 721. C'est dans la Nota citée ci-dessus que nous rencontrons cette tonne de vermicelles, contre environ cinq tonnes de légumes secs et 700 kg de riz, le tout, sans doute, destiné à la minestra.

2. Kil/.a 2077, c. 391 r°. Au verso : l'écrivain de chaque galère prend les provisions au magasin contre reçu, et fait signer chaque semaine l'état des consommations par le capitaine. C'est ce manuscrit qui omet l'huile, le vinaigre, le sel, les légumes, dépenses évidemment mineures. Quant à la viande, dans la liste précédente, on peut sousentendre la possibilité de razzier des bestiaux à terre.

1. Au taux de nos pain complet (à 98 %), vin rouge de 6° à 10°, huile d'olive, viande parée (moyenne b oeuf-mou ton-veau-porc maigre), poisson gras frais et salé (sardine, thon, hareng salé) et morue (salée), elle abaisserait cette première moyenne qui était de 230 calories, sèche, elle la relèverait, bien entendu déchets déduits. Attirons l'attention sur les points suivants : 1° 400 calories viniques seraient, en toute hypothèse, un maximum, si l'on admet qu'il existe un plafond d'utilisation normale des calories d'origine alcoolique : 1 g d'alcool par kg de poids corporel, soit un peu plus de 400 calories pour un homme de 60 kg, ou 10 % de la recette calorique totale, soit ici 250 calories, normalement 300 à 400 (dans la bière, près de la moitié du pouvoir calorifique n'est pas d'origine alcoolique); 2° il ne saurait être question d'additionner les menus gras et maigres, comme on l'a fait parfois, mais à la rigueur d'en faire la moyenne. * Sources : L. Randoin et coll., Tables de composition des aliments I.S.H.A., 3e éd., 1961, cf. TBÉMoliÈRes et Vinit, « Table abrégée », Bulletin de VI.N.II. t. IX, janvier-mars 1954.

2. Cent quatre-vingts jours par an, avec les fêtes, dans filza 2077, f° 483 v° (contre cent quatre jours de sardines, soixante de « poisson ») — c'est la tradition du Consolato del Mare ( l r e trad. it., Rome, 1519). Cf. Consolât de Mar vol. I, Establinwnts éd. F. Valls i Taverner, Barcelone, 1930 (” Els nostres classics », coll. A, 27), p. 102, § 31 (CXLV de l'éd. Moiliné Brasés, 1914). — Encara es tengut lo senyor de la nau o del leny que sia cubert, que deu donar a menjar a tots los mariners très jorns de la setmana carn, ço es a saber, en lo diumenge, lo dimarts e.l dijous, e en los altres jorns de la setmana cuynat, e quascun vespre de quada dia lur companatge [ce qu'on mange avec le pain]… E lo companatge deu ésse ta] : formatge, o ceba, o sardina o altre peix. ». Mais les calculs figurant aux f08 144-145 et 447-448 sont faits sur la base de vingt jours gras et dix jours maigres par mois.

1. Ou moins de 10 %, si l'on tient compte de la chiourme.

2. Seuls les Ordini et la filza 2077, c. 483 v°, distinguent « carne sottile » et « carne grossa » (à 4 sous et à 2 1 /2 sous la livre, respectivement, alors que les autres calculs utilisent uniformément le prix le plus bas). Sur les galères d'Espagne qui font le voyage d'Italie, sous Charles Quint, d'après l'historien officiel Fray Antonio Guevaea, les soldats ont de la viande fraîche volée — moutons, vaches, chevreaux — et ils en vendent aux passagers sous réserve du cuir, des issues et d'un quart, à l'écorcheur; quant à la viande salée « comme la rage » — bouc, brebis, buffle, porc rance — elle est servie brûlée, dure et « indigeste comme des pierres » (extrait de « La Vida de la galera » dans Confercncias sobre Lepanto II, p. 122, Museo naval, Madrid, 1948). -— Frutte e minestra du capitaine coûtent aussi six fois plus (4 sols) que celles du comité, peut-être en partie par substitution des pois chiches et haricots aux fèves, etc.

3. Guevara, op. cit. à propos de la rareté et de la cherté du vin, même mouillé et aigri, écrivait : « avec le vin qu'on boit en mer, on pourrait manger des laitues à terre. »

4. Phingle, Observations sur les maladies des armées part. II, chap. III, 1761 (cf. VÉGÈCE, De Re militari lib. III, cap. III) et Traité sur les substances septiques et antiseptiques mémoire VII, ibid. sur les matelots (p. 99 et 388 de l'éd. fr., 1793). Tout en identifiant scorbut et putréfaction, « sans examiner si cette putréfaction est occasionnée par les aliments corrompus dont on se nourrit sur mer, ou par le défaut d'un régime convenable (acide) », ce médecin anglais fait de très intéressantes observations sur les progrès de la consommation d’ « herbages »; nous espérons y revenir. Mais au xvie siècle, au siège de Metz, par exemple, le scorbut était « traité » par remèdes, même par le mercure. En Italie, le fromage sera aussi considéré comme antiscorbutique, cf. M. Gioia, Discussione economica sul dipartimento oVOlona 1803, p. 148.

1. Leyes de Partidas Partida II, Ley II, vers 1280. Cf. encore, au xvie siècle, « Os mantimentos que sâo necessarios para a gente que ordinariamente leva huma nâo da India de 550 toneladas », dans Livro en que contém toda a fazenda… dos reinos de Portugal ordenado por L. de Figueiredo Falcào, secretario de el rei Filippe II, Lisbonne, 1859, p. 200 : deux glanes d'oignons et autant d'ail par soldat ou marin (les galériens n'ont que du riz, du poisson et… de l'opium). L'eau vinaigrée devait remplacer les boissons alcooliques : « le cidre et le vin, bien que les hommes 1’ (les) aiment beaucoup, sont choses qui troublent le sens, ce qui ne convient en aucune manière à ceux qui ont à guerroyer sur mer. » (Leyes cit.).

2. Cf. M. A. Mac Cance et Widdowson, E. M., Breads tvhite and brotvn, their place in thought and social history, Pitman, Londres, 1956, p. 19 Google Scholar. Le poète anonyme dit « le Galérien de Séville » écrit dans sa Vida de la Galera : « on nous donne du pain [vieux] de dix ans, bluté avec un crible (” cernido con una criva »); ce pourrait être avec plus de soin, car dans la croûte du pain, nous trouvons la punaise vivante » (nombreux extraits dans les Conferencias sobre Lepanto cité, v. p. 120). Guevaha atteste que « tous ceux qui y entrent (sur les galères), doivent manger le pain ordinaire de biscuit : il faut qu'il soit couvert de toiles d'araignées, noir véreux… ». Jal, Glossaire nautique art. « Biscuit » (1847) parle de « froment épuré » sans préciser le taux de blutage, et il doit s'agir de son propre temps. Nous avons adopté l'hypothèse commode du froment pur avec un taux d'extraction de 98 %; mais ici il se pourrait que la farine ait été mêlée en particulier en Toscane, de sorgho (cf. P. Bembo, Prose 1549,1, 46 : « non si fa mcglior il pan di grano, per mescolarvi la saggina »), ce qui l'aurait rendue plus riche en lipides.

3. Jal ne connaît le terme a galoche (sic) que comme espagnol; il aurait désigné les grandes rames, du type courant, maniées chacune par quatre rameurs.

4. « Un sacchetto per biscocto, 5 [soldi] », dans filza 2077, f ° 484 r°.

1. Nous suivons l'indication de Piceione : ration double et non triple pour la viande, etc.; (niant au vin, il est donc possible qu'il soit coupé d'eau comme pour les matelots (rappelons le problème que pose son abondance).

2. Eu adoptant un taux un peu supérieur à celui de la farine de froment (complète), et inférieur à celui des pâtes (blanches), soit 350 cal./lOO g. L'équivalence avec le pain frais dans les Ordini : 2 livres 1/2 = 3 livres de pain seulement (on attendrait 3 livres 1 /2 cf. en France, 550 g = 750 g) est sans doute déterminée par le prix (cf. en Espagne

2. ( oz biscuit = 11 oz de pain blanc).

3. Le budget de la galère a galochie (f° 484 v°) ne comprend même pas du tout de viande pour la chiourme, seulement le « riso, o grano dindia », « blé d'Inde »; est-ce à dire, déjà, du maïs importé (le nom employé orienterait plutôt vers l'Espagne que vers Venise, ce qui correspond bien aux frontières dessinées par les travaux de A. TenenÏI notamment) ?

1. Ibid. : « per medicine ogni anno 448 [lire] », pour 210 forçats.

2. Nos textes emploient tantôt « esclaves » et tantôt « forçats ». On sait que l'utilisation d'esclaves comme rameurs n'a pas été pratiquée d'une manière continue. Du côté chrétien, les premiers forçats seraient mentionnés en 1500 en Castille. Ex. d'achats de Turcs d'Alger ou de Salé pour les galères de France : Arch. des A fi'. Étr., Correspondance politique, Portugal 2, fo» 400, 432 v° (1647), 3 (1049)… Cf. la remarque d' Léonard, E. G., dans Mélanges P.-G. Martin (Mém. et Doc. p. p. Société d'Hist. et d'Archéologie, Genève, XL, 1961), p. 11 Google Scholar.

3. G. Marabon Posadillo, « La medicina en las galeras en tiempos de Lepanto », conférence prononcée en mars 1936 et imprimée dans le recueil cité, II, p. 127-161 (l'auteur s'excusait déjà d'apparaître, comme un trouble-fête dans la célébration d'une victoire de la « civilisaciôn cristiana »).

4. Depuis 1936, des expériences précises ont confirmé la richesse du son en éléments essentiels, et l'équivalence pratique du pain blanc et du pain noir; dans ce dernier, l'excès d'acide phytique est susceptible de limiter l'assimilation du calcium par l'organisme (Mac Canck et Widdowson). L'abondance de cellulose abaisserait le coefficient d'utilisation digestive des protides (R. Guillemet). De plus, la chaleur peut affaiblir la valeur biologique des protides, comme elle détruit des vitamines : cas du biscuit, des fèves aussi, qu'on passait au four pour les conserver. Or la sudation, qui devait être abondante, élimine des acides aminés indispensables, indépendamment de l'alimentation (Hier, Cornbleet, Bergheim, in Journal of Biological Chcmistry 1940, 166, p. 327), ainsi d'ailleurs que de l'acide ascorbique (F. Saucent, Rouinson, Johnson, ibid. 1944, 153, p. 285; cf. R. Lemaire, « Physiologie de la sudation », Archives de Biologie thermo-climatique t. I, n° 1, 1956, p. 7-56), augmentant les besoins de l'organisme !

1. Cf. filza 2077, f° 391 v° : les es lavines (couvertures) se font tous les deux ans, et pour le moment, on en manque (hora se ne scarsità). Sur la mâchemoure, commune à tous les marins d'ailleurs, le Galérien de Séville : « Jésus-Christ me secourt // de faveurs souveraines // quand dans la croûte du pain il y a des vers // car ce sera dans la mazamorra // que nous mangeons [nous] les chrétiens. »

2. Ordres du Roi XII, 268, cités par Jal, art. « Biscuit ». Il ne s'agit pas des galères; sur celles-ci, cf. G. Tournier, Les galrres de France et les galériens protestants Musée du Désert, 1943-1949. Le biscuit nYpportait évidemment pas d'acide ascorbique (vitamine C), seulement de la thiamii: (vit. B 1) préservant du béri-béri. Maranon croit à l'existence du béri-béri sur les ualères de Castille.

3. Outre des châtiments corporels dont Maranon souligne l'atrocité. Cf. le « Galérien » : « parfois des demi rations », et le î ‘iaje de Turquia : quand on ne peut se ravitailler à terre, les 26 oz de biscuit se réduisent à 20 avec une jointée de mâchemoure, puis à la seule mâchemoure.

4. A rencontre, le Viaje prétend que certains galériens sont plus riches qu'aucun capitaine d'Italie, qu'ils peuvent gagner au jeu, la nuit, contre des « caballeros ».

1. « Casa de pesar viciosa // casa de hambrr abundosa » (le choix de termes antithétiques, dans chaque vers, semble plus savant que populaire).

2. Cf. Zabinski, Z., « L'indice biologique du pouvoir d'achat de l'argent : le trophé (irpacp)», Roczniki Djiejàw Spolecznych i Gospadarczych, XX, 1959 Google Scholar; Dr E. Jeanselme, « La ration alimentaire des malades, des anachorètes et des moines byzantins » (deux communications au I I e Congrès d'Histoire de ia Médecine, tir. à part, Évreux, 1922). V. C. Lane, « Salaires et régimes alimentaires des marins au début du xive s. », Annales 1963,1, p. 133-138, se réfère à un régime plus « confortable » de 3.915 cal., mais d'autres taux de conversion le ramèneraient à une moyenne de 3.000 cal.

3. Salaires des deux classes de marins : 14 l. et 17 L 10 s par mois; coût officiel de leurs rations alimentaires : 12 L 11 s. 6 d. L 15 L 7 s 8 1 /2 d. (pour moins de 3 000 calories). Frutte e minestra de la ration double : 1 L. Chandelle et savon du comité : 12 s. Vêtements du forçat : 38 L par an, soit par mois : 3 L 3 s. 4 d (le forçat doit les enlever pour ramer, donc use moins).

4. Question largement évoquée dans l'exposé « Le médecin et la mer » aux Entretiens de Bichat 1961. De P. Huakd, auteur de l'avant-propos du catalogue, cf. « Lalluyeaux d'Ormay et les débuts de la m decine occidentale à Saigon », Actes du 87e Congrès des Sociétés savantes, Section d'jfistoire des Sciences Poitiers, 1962 (la ration de citron et de sucre ne date que du 10 décembre 1874).