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Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
Quand, comment et pourquoi, hors situation de guerre ouverte, la police d’un État républicain se sent-elle en mesure de conduire sa mission de maintien de l’ordre jusqu’à laisser une manifestation se conclure par la mort de manifestants? Pour répondre à cette question, qui prolonge ses interrogations antérieures sur les modes de légitimation par l’État de pratiques d’espionnage et d’action secrète, Alain Dewerpe nous propose une étude de cas, particulièrement fouillée, de la manifestation parisienne qui, le 8 février 1962, vit huit personnes trouver la mort dans la station de métro Charonne. Largement fondée sur l’instruction très serrée conduite par la justice aux lendemains du drame, son analyse met en évidence la fermeté de la chaîne d’autorité qui, au sein de l’appareil d’État, anticipe, valide puis innocente la violence meurtrière; pour l’auteur, le pouvoir gaullien signe bien là un véritable massacre d’État.
How and why may – out of the case of declared war – the police of a republican State feel allowed to fulfil its mission of keeping law and order to the point of having a demonstration ending by the death of numerous demonstrators? To answer this question, Alain Dewerpe proposes us a thorough study of the Charonne manifestation that took place in Paris on February 8th 1962. Based on the tight instruction led by the French justice in the days following the drama, which prolongs its previous questioning on the modes of legitimization by the State of practices of espionage, Dewerpe’s analysis highlights the toughness of the highest French political power and police administration, which anticipated, validated and then innocented fatal violence. In Dewerpe’s eyes, it makes no doubt that de Gaulle’s government, and de Gaulle himself, let a genuine massacre d’État occur.
Á propos de l’ouvrage Dewerped’Alain, Charonne 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, « Anthropologie historique d’un massacre d’État* », 2006, 897 p.
1 - Dewerpe, Alain, « La République a-t-elle besoin d’espions? », in Baruch, M. O. et Duclert, V. (dir.), Serviteurs de l’État: une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 143-156 Google Scholar.
2 - Pérec, Georges, « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien », Cause commune, « Le pourrissement des sociétés », 1, 1975, p. 59-108, ici p. 60 Google Scholar.
3 - A. DEWERPE, Charonne 8 février 1962..., op. cit., p. 15 et p. 19.
4 - Ibid., p. 24.
5 - Toutes ces citations sont reprises par A. DEWERPE, Charonne 8 février 1962..., op. cit., p. 456.
6 - Cassou, Jean, La mémoire courte, Paris, Mille et une nuits, [1953] 2001, p. 60 Google Scholar.
7 - Rioux, Jean-Pierre (dir.), La guerre d’Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990 Google Scholar.
8 - Il s’agit des travaux de Vincent Robert, Pierre Favre, Olivier Fillieule et Danielle Tartakowsky, tels qu’ils sont cités par A. DEWERPE, Charonne 8 février 1962..., op. cit., p. 678, n. 2.
9 - On se souvient de la prédiction de Pierre Nora annonçant au début des années 1970, dans le livre collectif qu’il dirigea avec Jacques Le Goff, le « retour de l’événement » ( Le Goff, Jacques et Nora, Pierre (dir.), Faire de l’histoire, vol. 1, Nouveaux problèmes, Paris, Gallimard, « Folio », 1974, p. 285-308 Google Scholar); une première version de ce texte avait été publiée en 1972 dans la revue Communications). Cette prédiction était pour partie autoprescriptive, dans la mesure où cet éditeur avait alors déjà programmé la publication du Dimanche de Bouvines de Georges Duby, qui contribua à donner un nouveau souffle à la vénérable collection des « Trente journées qui ont fait la France », née à la fin des années 1950.
10 - A. DEWERPE, Charonne 8 février 1962..., op. cit., p. 606.
11 - Voir à ce sujet les analyses de Ginzburg, Carlo, Le juge et l’historien. Considérations en marge du procès Sofri, Lagrasse, Verdier, 1997, p. 16-24 Google Scholar.
12 - Pour reprendre l’expression Farge, d’Arlette, Des lieux pour l’histoire, Paris, Le Seuil, 1997, p. 70 Google Scholar.
13 - A. DEWERPE, Charonne 8 février 1962..., op. cit., p. 88.
14 - Comme l’écrit Dewerpe, A., « les mondes de la manifestation et du métropolitain, de la surface et du souterrain se croisent ainsi sans se rencontrer », p. 60 Google Scholar.
15 - Celui qui était en poste lors des événements du 6 février 1934 place de la Concorde, Paul Guichard, fut cependant largement présenté comme l’un des responsables du bain de sang qui s’y déroula. Il avait en effet prétexté une indisposition pour ne pas prendre les mesures nécessaires lui incombant. Léon Blum ne se fit pas faute de dénoncer cette attitude lors du procès de Riom.
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19 - En 1949, pour les alors célèbres duettistes Patrice et Mario, L. Amade composa une chanson intitulée Si vous connaissiez mon passé. Faut-il y voir un signe, conscient ou inconscient?
20 - A. DEWERPE, Charonne 8 février 1962..., op. cit., p. 74-192.
21 - En 1952 le ministre de l’Intérieur, le radical Charles Brune en avait autorisé la création en déclarant: « Si les manifestants sont durs, nous le serons davantage; je ne laisserai pas tuer mes hommes », cité par Angeli, Claude et Gillet, Paul, La police dans la politique (1944-1954), Paris, Grasset, 1967, p. 21 Google Scholar.
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27 - A. DEWERPE, Charonne 8 février 1962..., op. cit., p. 626.
28 - Tout en réaffirmant son soutien au général de Gaulle, François Mauriac estima que la «prétendue équivalence entre les extrêmes» évoquée par Roger Frey était une « contre-vérité si flagrante que nous en étions gênés en l’écoutant et en le regardant » et qu’elle « bafou[ait] l’humble réalité vécue », Mauriac, François, Le nouveau blocnotes, 1961-1964, Paris, Flammarion, 1968, p. 105-106 Google Scholar.
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32 - J. CASSOU, La mémoire courte, op. cit., p. 65.
33 - A. DEWERPE, Charonne 8 février 1962..., op. cit., p. 597.