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Esclavage et prix de la fiancée La société thrace au risqué de l'ethnographie comparée

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Alain Testart
Affiliation:
CNRS
Jean-Louis Brunaux
Affiliation:
CNRS

Résumé

Dans cet article, nous nous proposons de relire les sources ethnographiques antiques, surtout grecques, à propos des Thraces, qui habitaient l’actuelle Bulgarie. Les auteurs proposent de nouvelles traductions et s’appuient sur quelques recherches nouvelles en anthropologie comparée pour étudier les coutumes relatives aux prestations matrimoniales (prix de la fiancée) et à l’esclavage interne (vente des enfants en esclavage, esclavage pour dettes). Ils montrent le lien entre elles et en dégagent les implications, en particulier politiques.

Abstract

Abstract

Ancient ethnographical sources, mainly Greek ones, about the Thraces are examined. New translations are provided and new hypothesis are used to interpret these texts in the light of comparative anthropology. Two sets of institutions are considered. First, the bridewealth, so different from the Greek dowry; second, the sale in slavery of children and slavery for debts. These two sets of institutions are linked together and concur to produce strong political effects.

Type
La valeur des femmes
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2004

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References

1 - Nous songeons ici à celle des Amazones sur laquelle l’un de nous ( Testart, Alain, « Les Amazones, entre mythe et réalité », L’Homme, 163, 2002, pp. 185194 Google Scholar) a montré qu’elle contenait selon toute vraisemblance un noyau de vérité.

2 - Les plus notables étant Hubert, Henri, Les Celtes depuis l’époque de La Tène et la civilisation celtique, Paris, La Renaissance du Livre, 1932 Google Scholar, et Mauss, Marcel, « Une forme ancienne de contrat chez les Thraces », Revue des études grecques, 36, 1921, pp. 388397 CrossRefGoogle Scholar (reproduit dans ID., OEuvres, III, Paris, Éditions de Minuit, 1969). On trouvera également, mais dispersés dans les oeuvres monumentales de Edward Westermarck et James

3 - Voir Testart, Alain, « Le prix de la fiancée et autres prestations destinées aux George Frazer, quelques brefs commentaires, non sans pertinence. Mais ce ne sont là, de toutes façons, que des travaux très anciens. parents de l’épouse dans quelques sociétés primitives », Annales de la faculté de droit de Clermont-Ferrand, 32, 1996, pp. 235267 Google Scholar ; ID., « Pourquoi ici la dot et là son contraire ? Exercice de sociologie comparative », Droit et cultures, 32, 1996, pp. 7-36, 33, 1996, pp. 117-138, et 34, 1997, pp. 99-134 ; Testart, Alain, Govoroff, Nicolas et Lécrivain, Valérie, «Les prestations matrimoniales », L’Homme, 161, 2002, pp. 165196 Google Scholar.

4 - Testart, Alain, « Nouvelles hypothèses sur la dot », Droit et culture, 42, 2001, pp. 183210 Google Scholar, ici p. 190 sq.

5 - Traduction : Jean-Louis Brunaux, comme infra, sauf mention contraire.

6 - HÉrodote, , Histoires, trad. de Legrand, P.-E., Paris, Les Belles Lettres, 1960 Google Scholar ; HÉrodote, , L’Enquête, trad. d’Andrée Barguet, dans le volume des Œuvres complètes d’HÉrodote, et de Thucydide, , Paris, Gallimard, «La Pleïade », 1964 Google Scholar.

7 - C’est le mari qui emmène l’épouse chez lui. Nous n’avons aucune indication comme quoi il n’en irait pas ainsi chez les Thraces.

8 - Rien ne justifie la traduction anglaise qu’en donne Charles Burton Gulick (” and the groom […] received as dower […] ») qui entend que ce serait le gendre qui prendrait la dot : dans tout le texte qui précède ce passage, il n’est en effet question que des Thraces et de Cotys ( Athenaeus, , The Deipnosophists, Cambridge-Londres, Harvard University Press, « The Loeb classical library », vol. 2, 1928 Google Scholar). En fait cette traduction repose sur un contre-sens : C. Gulick ne connaît que la dot dans sa version grecque (ou la nôtre) et ne peut imaginer que c’est au contraire le père de la fiancée qui reçoit ces biens. M. MAUSS, « Une forme ancienne… », art. cit., p. 396, n. 28, avait vu le problème.

9 - Il s’agit en fait d’un prix de la fiancée, mais les Grecs, qui n’ont pas de terme pour qualifier cette institution, ne peuvent employer que des expressions telles que dot, ce que fait Anaxandride quand il utilise ici .

10 - L’expression esse in pretio se fonde sur le premier sens de pretium : prix (d’un objet qu’on vend), argent (donné ou reçu) ; voir Quicherat, Louis et Daveluy, André, Dictionnaire latin-français, Paris, Hachette, 1923 Google Scholar (52e éd.), p. 1085. Elle ne peut être alors traduite que par le français « être du plus haut prix », « estimer au plus haut prix ». C’est en ce sens que Cicéron l’emploie dans Pro Sex. Roscio Amerino, 77, à propos de deux esclaves : « sunt in honore et in pretio ». Ici le contexte (vente en place publique) et l’opposition au mot mercede excluent un sens figuré à pretium.

11 - Chorographie, II, 2, 21.

12 - STRABON, Géographie, VII, 3, 4.

13 - Le fait que Tacite dise que les biens sont remis à l’épouse (Dotem non uxor marito, sed uxori maritus offert) a paru curieux, et on a nié qu’il ait pu s’agir d’un prix de la fiancée, quand on n’a pas rapproché ce trait du Morgengab. Il est effectivement assez rare que ces biens soient remis à l’épouse elle-même. Toutefois, le fait se rencontre, par exemple chez les Pomo de l’Est, Indiens de Californie où l’institution du prix de la fiancée prédomine sans conteste : les longs colliers de perles de coquillage, qui représentent la monnaie locale, donnés par le mari, sont portés par l’épouse et admirés pendant une demi-heure avant que sa mère ne les prenne pour les partager entre elle et son mari ( Mclendon, Sally et Lowy, Michael J., « Eastern Pomo and Southeastern Pomo», in Sturtevant, W. C. (éd.), Handbook of North American Indians, vol. 8, California, Washington, Smithsonian Institution, 1978, pp. 306-323, ici p. 315Google Scholar). Il fait peu de doute que la fonction d’une telle exhibition, sur le corps même de la femme, de perles (dont le nombre est soigneusement compté chez les Pomo) ou d’autres biens, est de faire savoir à tous combien on a payé pour elle – mais pas à elle.

14 - César, d’ailleurs, mentionne l’existence d’une véritable dot (en provenance de la femme), mais qui est censée posséder certaines particularités dont l’explication excède le cadre de cet article (CÉSAR, Bellum Gallicum, VI, 19).

15 - HÉRODOTE, Histoires, IV, 114.

16 - L’auteur de l’article sur les Amazones (A. TESTART, « Les Amazones… », art. cit., pp. 188-189) en profite pour corriger son erreur lorsqu’il y soutenait qu’il n’existait qu’une interprétation possible : en fait, il y en a deux. Tous les arguments présentés dans cet article en faveur du mari doté peuvent également s’appliquer au prix de la fiancée, en particulier depuis que l’on sait (A. TESTART, « Nouvelles hypothèses sur la dot », art. cit., p. 190 sq.) que le prix de la fiancée peut aussi, dans certaines sociétés, être considéré comme un héritage pre mortem.

17 - Vue générale dans Hughes, Diane Owen, «From brideprice to dowry inMediterranean Europe », Journal of family history, 3, 1978, pp. 262296, ici pp. 267-268CrossRefGoogle Scholar ; pour les Francs Saliens, voir Petot, Pierre, Histoire du droit privé français, I, La famille, Paris, Loysel, 1992, pp. 144148 Google Scholar, etc. On trouvera un résumé de la question dans ALAIN TESTART « Pourquoi ici la dot et là son contraire ? », art. cit., pp. 129-130.

18 - Nombreuses recherches ethnographiques anciennes, auxquelles on préférera celle très précise de Gossiaux, Jean-FranÇois, Le groupe domestique dans la Yougoslavie rurale, Paris, Centre d’ethnologie française, 1984, pp. 279 et 290-296Google Scholar. Le folklore des peuples de l’Europe orientale, Grands Russes, Lithuaniens, etc., contient nombre d’indications suggérant que la fiancée aurait été achetée : nous ne connaissons néanmoins pas de description, dans sa dimension juridique et économique, de prix de la fiancée dans ces régions et restons réticents vis-à-vis des méthodes de l’ancienne ethnologie – lesquelles perdurent largement dans les études folkloriques – comme quoi des traits linguistiques ou coutumiers pourraient être interprétés comme autant de survivances d’une ancienne institution.

19 - Synthèse déjà ancienne dans Luzbetak, Louis J., Marriage and the family in Caucasia: a contribution to the study of North Caucasian ethnology and customary law, Vienne-Möding, St. Gabriel’s Mission Press, 1951, p. 12 sq Google Scholar. L’étude, classique, de Kovalewsky, Maxime Maximovitch, Coutume contemporaine et loi ancienne. Droit coutumier ossétien, Paris, Larose, 1893, sur le droit ossète reste un modèle du genreGoogle Scholar.

20 - Garlan, Yvon, Les esclaves en Grève ancienne, Paris, Éditions La Découverte, 1984, p. 60 Google Scholar.

21 - HENRI WALLON, Histoire de l’esclavage dans l’Antiquité, Paris, Laffont, [1847] 1988, p. 185.

22 - Finley, MOSES I., « Le commerce des esclaves dans l’Antiquité : la mer Noire et les pays du Danube », in ID., Économie et société en Grèce ancienne, Paris, Éditions La Découverte, [1981] 1994, pp. 220233, ici p. 222 sq Google Scholar.

23 - Dans sa Vie d’Apollonius (VIII, 7, 12), passage cité et commenté par M. I. FINLEY, «Le commerce des esclaves… », art. cit., pp. 224 et 231.

24 - Sur l’importance de l’esclavage interne, nous nous permettons de renvoyer à ALAIN TESTART, L’esclave, la dette et le pouvoir : études de sociologie comparative, Paris, Errance, 2001.

25 - Ayalon, David, « Mamluk », in Encyclopédie de l’Islam, Leyde-Paris, E. J. Brill/Maisonneuve et Larose, 1991, p. 299 Google Scholar.

26 - M.M. KOVALEWSKY, Coutume contemporaine…, op. cit., p. 189 ; L. J. LUZBETAK, Marriage and the family…, op. cit., pp. 183-184 ; Allen, William Edward David, A history of the Georgian people from the beginning down to the Russian conquest in the nineteenth century, Londres, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co, 1932, p. 283 Google Scholar.

27 - Testart, Alain et Brunaux, Jean-Louis, « Don, banquet et funérailles chez les Thraces », L’Homme, 170, 2004, pp. 165180 Google Scholar.

28 - Les principales données sur l’esclavage pour dettes ou pour d’autres raisons financières ont été exposées dans plusieurs articles repris dans A. TESTART, L’esclave, la dette…, op. cit., pp. 137-175 et 182-185.

29 - Il en va peut-être de même sous les Mérovingiens, mais pas dans l’État catalonaisaragonais, ni à Majorque au XIIIe siècle, ni d’après Verlinden, Charles, L’esclavage dans l’Europe médiévale, I, Péninsule Ibérique-France, Bruges, De Temple, 1955, pp. 7778, 275, 425, 677 et 719Google Scholar ; P. D. KING, Law and society in the Visigothic kingdom, Cambridge, Cambridge University Press, 1972, pp. 162, mais il convient de noter, pour les Wisigoths, l’obligation faite aux parents de racheter l’enfant exposé ou vendu (ibid., p. 239).

30 - A. TESTART, L’esclave, la dette…, op. cit., pp. 176-194.

31 - Cette dernière section résume A. TESTART, L’esclave, la dette…, op. cit., pp. 165-167 ; ID., La servitude volontaire, t. II, L’origine de l’État, Paris, Errance, 2004, p. 92 sq.

32 - Les aspects politiques de la société thrace sont explorés dans A. TESTART et J.-L. BRUNAUX, «Don, banquet et funérailles… », art. cit.