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Les Corporations, Les « Faux Ouvriers » et Le Faubourg Saint-Antoine au XVIIIe Siècle

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Steven Kaplan*
Affiliation:
Cornell University

Extract

L'histoire du travail sous l'Ancien Régime n'est pas synonyme de celle des organisations dites communautés d'arts et métiers (ou corporations). Il y a infiniment plus de travailleurs de toutes sortes au dehors du monde incorporé qu'au dedans, à Paris comme en province. Mais la signification sociale, économique et politique du travail « en jurande » dépasse de loin le territoire réel qu'il recouvre. Le travail dit « libre », surtout dans les villes, est en fait presque toujours réglé, voire organisé, le plus souvent par rapport à des critères établis par ou pour les corporations. A l'intérieur de leur domaine, les communautés jouissent directement d'un pouvoir fort étendu, démesuré aux yeux de ceux qui ne le partagent pas. Le système de classification des « communautés d'arts et métiers » implique un monde sans la moindre ambiguïté. Les frontières sont tracées avec précision et les règles clairement formulées. En principe, il n'existe aucun recoin, aucun interstice à l'intérieur duquel puissent se glisser des individus réfractaires.

Summary

Summary

Operating outside the norms and controls of the corporate world, “false workers” were viewed by the guilds as socially illicit, politically seditious, morally cankered, and technically inept. Located in “hidden rooms” throughout Paris and concentrated especially in the so-called “privileged places” governed by seigneurial and religious jurisdictions, the “false workers” created a parallel world of work, seriously compromising corporate domination of the labor market (both by subverting and segmenting it) and the System of discipline that guaranteed social classification and stability. This study focuses on the genesis and development of “false work” in the largest privileged place, the faubourg St.-Antoine, which was a laboratory of socioeconomic experimentation long before it became the revolutionary quarter par excellence. This article examines the impact of the faubourg on the organization of work, the structures of production, the governance of the guilds, and the political history of the capital.

Type
Corps et Communautés D'Ancien Régime
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1988

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References

Notes

Pour leurs critiques et suggestions, je remercie vivement Louis Bergeron, Haim Burstin, Gilles Postel-Vinay, Jacques Revel et Michaël Sonenscher.

1. Maintes communautés se servent de la formule « faux ouvriers » : Archives nationales (ensuite AN), T 14904 (orfèvres) ; Y 15363, 7 avril 1748 (tailleurs d'habits) ; Y 15364, 21 avril 1758 (chaudronniers) ; délibération, 23 octobre 1741, Statuts et règlements de la communauté des maîtres imprimeurs en taille douce (Paris, 1754), pp. 66, 72, Bibliothèque nationale (ensuite BN), 8° Z Le Senne 4464.

2. AN, Y 15364, 14 juin 1752 (plombiers) ; arrêt du conseil, 10 novembre 1750, BN, Inv. F 22466 (bourreliers).

3. Sentence de police 11 décembre 1733, AN, AD XI 16 ; arrêt de la Cour des monnaies, 24 avril 1717, BN, ms. fr. 21794, ff. 203-204 ; arrêt de la Cour des monnaies, 10 décembre 1703, AN, T 145010, f. 360.

4. Voir, par exemple, ordonnance de police, 7 août 1671 et sentence de police, 30 septembre 1732, AN, T 149010, ff. 252-253.

5. Mémoire des maçons, 1720, BN, coll. Joly 1422, f. 226 ; arrêt du Parlement, 29 mai 1756, dans Statuts en l'art de serrurerie (Paris, 1761), BN, 8° Z Le Senne 8399 ; Pary, Guide des corps des marchands et des communautés des arts et métiers (Paris, 1766), p. 350, BN, 8° Z Le Senne 4485 ; Statut des charpentiers, 1763, AN, AD XI 16.

6. Bien sûr, la signification de la sanction varie avec le caractère du métier. Un colporteur qui perd un ou deux objets se rétablit beaucoup plus vite que l'ouvrier horloger qui perd son laboratoire et ses pièces de montage et de décoration, ou le boulanger sans qualité dont on démolit le four.

7. Nouveau recueil des statuts et règlements du corps et communauté des maîtres et marchands tapissiers (Paris, 1756), p. 191, AN, AD XI 27 ; Recueil des statuts des fondeurs-mouleurs, pp. 82-97 ; statuts de 1694, article 16, dans Statuts et règlements de la communauté des imprimeurs en taille douce (Paris, 1754), BN, 8° Z Le Senne 4464 ; Paul Lacroix et alii, Histoire des cordonniers, Paris, Séré, 1851, p. 461. Cf. AN, Y 9465A, 29 avril 1763.

8. Vidal, Pierre et Durin, Léon, Histoire de la corporation des marchands merciers, Paris, H. Champion, 1911, pp. 104105 Google Scholar ; Bourgeon, J.-L., « Colbert et les corporations », dans Un nouveau Colbert, Mousnier, Roland éd., Paris, SEDES/CDU, 1985, pp. 242244.Google Scholar Sur l'appui que les seigneurs des lieux privilégiés donnent à leurs clients-ouvriers, voir « La requête du seigneur de Loursine » (1682), BN, 4° Fm 8553. Sur les profits que le prince de Conti tire de l'enclos du Temple, voir Faure, Edgar, La disgrâce de Turgot, Paris, Gallimard, 1961, p. 439.Google Scholar

9. L'édit du mois d'août 1776 continue de distinguer les régimes du faubourg et d'autres lieux privilégiés, tout en essayant de les rapprocher dans la pratique. Voir les articles 47 et 48.

10. Voir l'arrêt du conseil du 5 août 1710 cassant la saisie des menuisiers. « État des dossiers concernant les privilèges », AN, F12 781c.

11. « Mémoire sur les privilèges et franchises exercés par les dames abbesse et religieuses de l'abbaye Saint-Antoine par rapport aux arts et métiers », AN, F12 781c ; « Extrait général contenant l'état où se trouve l'affaire des privilèges », H 2102.

12. « Mémoire sur les privilèges par les dames abbesse et religieuses », AN, F12 781c.

13. Les sursis accordent un ou deux mois aux parties pour produire leurs titres ou perdre tous leurs prétendus droits. Voir, par exemple, les arrêts du conseil du 9 août 1717, 28 juillet 1725, et 11 mars 1727, AN, AD XI 10.

14. « Mémoire pour la communauté des maîtres fabricants de bas au métier », AN, F12 781E.

15. Les maîtres chaudronniers se plaignent en 1724 qu'on paie les compagnons au faubourg entre un tiers et une moitié plus qu'on ne leur donne en ville — un défi contre les corporations mais aussi contre la politique déflationniste du ministère. Sentence de police, 16 novembre 1724, Recueil des statuts des maîtres chaudronniers, p. 28, BN, 8° Z Le Senne 4281.

16. Toute la discussion précédente est basée sur des mémoires de diverses communautés qui se trouvent aux AN, F12 781D, et 781E. Sur la préoccupation des corporations au sujet des privilèges du faubourg, voir également AN, F*12207, f. 130.

17. Tous les mémoires et requêtes sur lesquels la discussion suivante repose se trouvent aux AN, F12 781c.

18. Dans une des versions des défenseurs du faubourg, c'est un édit d'avril 1597 qui « interprète » définitivement celui de 1581 en faveur de l'exemption du faubourg. Mais ici, comme ailleurs, la lecture faubourienne est certainement tendancieuse aux yeux de la commission de 1716.

19. Pourtant, selon Bourgeon, en 1637 le faubourg ne compte encore que 150 maisons et 200 contribuables — peut-être 1 000 personnes en tout, « Colbert et les corporations », art. cit. p. 245.

20. « Aux esprits généreux, le faubourg Saint-Antoine a pu apparaître comme un gigantesque atelier de charité », écrit Bourgeon, mais « les esprits prudents s'accordent sans doute pour lui faire jouer le rôle d'abcès de fixation à la périphérie de la ville », « Colbert et les corporations », art. cit. p. 246.

21. Bourgeon, « Colbert et les corporations », art. cit. pp. 246-247. L'article de Bourgeon fourmille d'hypothèses stimulantes qu'il faudra tester aux archives.

22. Voir par exemple, les arrêts du Parlement du 18 juin 1672, 23 août 1697, 26 juin 1699, et 2 septembre 1709, et l'arrêt du Conseil, 5 août 1710. La lutte persiste au cours du siècle (voir, par exemple, l'arrêt du Parlement du 22 février 1759). Il semble que l'abbaye agisse normalement par procuration des faubouriens qui font appel. Un examen des comptes de l'abbaye pour le xvmc siècle dans la série S des AN ne révèle pas de lourds frais de litiges.

23. Dans une autre requête : « Aussi les Maîtres de Paris sont si persuadez de l'habileté et de la bonne foy de ces Ouvriers, que tout ce qu'ils ont de plus beaux & de meilleurs Ouvrages, ils les font faire par eux, et s'en attribuent ensuite l'honneur dans le Public, avec lequel en les revendant, ils profitent considérablement de toutes les manières ».

24. Il n'y a aucune trace dans leurs discours de l'idée selon laquelle il s'agit au fond non pas d'un privilège mais d'un droit naturel, notion profondément subversive qui triomphera fugitivement en 1776.

25. On ne connaît pas le profit, direct ou indirect, que l'abbaye tire de ce privilège, mais il est certainement considérable.

26. Pour défendre leurs intérêts, les « propriétaires du fauxbourg » avancent des arguments plus conventionnels : le gouvernement nous a encouragé à bâtir, pour ce faire nous avons emprunté, toute une pyramide de crédit risque d'éclater si le privilège du faubourg disparaît. En plus, directement ou indirectement (lods et ventes), nos immeubles contribuent pour des sommes considérables au trésor royal.

27. Sur la croissance physique et juridique du faubourg, voir Delamare, N., Traité de la police, Paris, J. et P. Cot, 1713,1, 81.Google Scholar

28. AN, Y 15365, 12 octobre 1750 ; Y 12575, 4 juillet 1730 ; Y 10995, 24 mai 1753 ; Y 10993A, 11 mai 1750. Ces auberges existent également en ville (chez Tourtault et Etard pour les boulangers, chez Rousseau pour les cordiers), mais elles sont généralement plus surveillées par la police et elles se trouvent en territoire corporatif ; Y 15373, 4 mars 1770 et 7 mai 1775.

29. AN, Y 95233B, 22 novembre 1749. AN, Y 11004, 6 avril 1763. AN, Y 12575, 30 mai 1730. AN, Y 15177, 24 juin 1783.

30. AN, Y 15363, 19 octobre 1757 ; Y 14084, 19 avril 1762.

31. AN, Y 9525, 16 avril 1766 ; Y 10995, 11 octobre 1754 ; Y 10997, 26 janvier 1756.

32. AN, Y 14088, 3 février 1761 ; Y 10994, 27 mars, 10 juin et 17 juillet 1752.

33. Monnier, Raymonde, Le faubourg Saint-Antoine (1789-1817), Paris Google Scholar, Société des Études robespierristes, « Bibliothèque d'histoire révolutionnaire », 3e série, n° 121, 1981, p. 76 ; AN, Y 14435, 6 février 1787.

34. AN, Y 14109, 12 janvier 1780.

35. Voir S. L. Kaplan, The Bakers of Paris and the Bread Question during the Eighteenth- Century, à paraître.

36. Ordonnance de règlement pour le corps de la bonneterie, 17 août 1726, BN, Coll. Joly 1732, ff. 183-185. La situation des bonnetiers s'est compliquée à cause de la réunion à leur communauté des maîtres fabricants de bas, largement implantés dans le faubourg.

37. AN, Y 14435, 31 octobre 1787.

38. AN, Y 14109, 17 octobre 1780.

39. AN, Y 9525, 26 juin 1766.

40. AN, Y 10995, 21 mai 1753. On ne sait pas ce qui se passe, sociologiquement et psychologiquement, à partir du mois d'août 1776 quand la maîtrise est mise à la portée d'un très grand nombre de faubouriens.

41. AN, Y 10997, 9 mai 1756.

42. AN, Y 14109, 12 janvier 1780.

43. Le marchand-boulanger se trouve communément dans le faubourg. Voir Kaplan, Bakers of Paris. Pour le cas d'un marchand chaudronnier, voir AN, Y 14435, 10 octobre 1787.

44. AN, Y 15365, 19 avril 1755, 13 septembre 1756 et 9 juillet 1759.

45. AN, Y 15378, 10 septembre 1769.

46. AN, Y 15375, 22 septembre 1772.

47. AN, Y 15365, 5 mai 1750.

48. AN, Y 15365, 27 août 1755.

49. AN, Y 9486B, 30 juillet 1783. Le débat concernant l'intervention corporative dans les lieux privilégiés reste très chaud jusqu'à la Révolution. Voir, par exemple, « Mémoire sur les communautés d'arts et métiers », BN, Coll. Joly 1729, f. 136.

50. AN, Y 9525, avril et 26 juin 1766.

51. AN, Y 15364, 15 février 1751.

52. AN, Y 10995, 15 septembre 1753.

53. AN, Y 15365, 22 septembre 1755.

54. AN, Y 15364, 15 février 1751.

55. AN, Y 9525, 17 avril 1766.

56. AN, Y 9465A, 3 juin 1763.

57. AN, Y 11085, 24 octobre 1769.

58. AN, Y 15364, 16 juin 1752 ; Y 12576A, 10 mai 1733.

59. AN, Y 12567, 4 octobre 1721.

60. « Remontrances au conseil pour la communauté des maîtres fabricants de bas au métier », AN, F12 781c.

61. BN, Coll. Joly 1729, ff. 174, 177.

62. Édit portant modification de l'édit de février 1776 sur la suppression des jurandes, août 1776, BHVP, fichier législatif.

63. Journal de Hardy, BN, ms. fr. 6682, pp. 301-302 (3 décembre 1776) ; déclaration du roi, 19 décembre 1776, AN, AD XI 11.

64. Raymonde Monnier croit que de nombreux faubouriens sont devenus maîtres à partir de l'automne de 1776, Le faubourg Saint-Antoine (pp. 69-70).

65. Chassin, C.-L., Les élections et les cahiers de Paris en 1789, Paris, Jouast et Sigaux, 1888-1889, II, 513 Google Scholar, 521, 525, 529-532 ; « Mémoire pour les marchands amidonniers » et « Cahier des voeux et doléances de la communauté des marchandes de modes-plumassières-fleuristes », AN, B III, pp. 602, 624.

66. Smith, Adam, An Inquiry into the Nature and Course of the Wealth of Nations, Canaan, Edwin éd., Chicago, 1976, pp. 144145.Google Scholar Il est intéressant de remarquer que ce texte est repris dans une « Pétition du corps de l'orfèvrerie » à l'Assemblée nationale en septembre 1790 (” A Londres, dit M. Smith, c'est dans les fauxbourgs, affranchis des privilèges des corporations, qu'on trouve les meilleurs ouvriers », AN, T 14902.

67. Édit du mois de février 1776, BN, Coll. Joly 462, f. 258.

68. Kaplan, S. L., « Social Classification and Représentation in theCorporate World of Eighteenth- Century France : Turgot's “Carnival” », dans Work in France : Représentations, Meaning, Organization and Practice, Kaplan, S. L., et Koepp, C. J. éds, Ithaca, Cornell University Press, 1986, pp. 190191.Google Scholar

69. Communauté des maîtres boutonniers, « Observations sur le projet de supprimer les maîtrises », BN, Coll. Joly 462, f. 111.

70. Rémi Gossez éd., Un ouvrier en 1820, manuscrit inédit de Jacques Etienne Bédé, Centre de Recherche d'Étude et d'Édition de Correspondances du XIXe siècle de l'Université Paris- Sorbonne (Paris IV), PUF, 1984, pp. 38-42.

71. Voir Bergeron, Louis, « Paris dans l'organisation des échanges intérieurs français à la fin du xvme siècle », dans LÉON, Pierre éd., Aires et structures du commerce français au XVIIIe siècle, Lyon, Centre d'Histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1975, pp. 345– 246.Google Scholar

72. « Représentations pour le corps de l'orfèvrerie », circa 1780, AN, T 14904 ; délibérations, 6 novembre 1786, KK 1354, f. 28.

73. Ce texte appartient à Louis Bergeron, communication personnelle, 23 juillet 1986.

74. Voir Ben-porath, Yoram, « The F-Connection : Families, Friends and Firms and the Organization of Exchange », Population and Development Review, 6 mars 1980, pp. 130.CrossRefGoogle Scholar

75. Voir, par exemple, le rôle que joue la corporation des chapeliers dans l'acquisition et la distribution des matières premières, Sonenscher, Michaël, The Hatters of Eighteenth-Century France, Berkeley, University of California Press, 1987.Google Scholar

76. Arrêt de la Cour des monnaies, 18 août 1698, AN, T 149010, f. 63 ; sentence de police, 1 août 1691, BN, ms. fr. 21797, f. 380.

77. L'Ami du peuple, n° 401 (16 mars 1791), p. 5n.

78. Rude, George, The Crowd in the French Révolution, Oxford, Clarendon Press, 1959, p. 16.Google Scholar Sur la mission « révolutionnaire » du faubourg, voir Rude, aussi, The Crowd in History (1730-1848), New York, J. Wiley and Sons, 1964, pp. 106107 Google Scholar, 115, 174 et Paris and London in the 18th Century : Studies in Popular Protest, Londres, Collins, Fontana Library, 1970, p. 84. Cf. l'appréciation dégrisante de R. Andrews au sujet du rôle du faubourg comme axe permanent de l'agitation au sein de la Révolution, « Réflexions sur la Conjuration des Égaux », Annales ESC, 1974, l, pp. 73-106.

79. Voir Kaplan, S. L., « The Paris Bread Riot of 1725 », French Historical Studies, XIV (Spring 1985), pp. 2356.Google Scholar

80. Levacher-duplessis, , Réponse des délégués des marchands en détail et des maîtres artisans de la ville de Paris aux rapports et délibérations des conseils généraux du commerce et des manufactures (Paris, 1817), p. 23.Google Scholar