Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
L'histoire juridique, institutionnelle et administrative de l' Hôpital des Enfants- Trouvés de Paris depuis sa création en 1670 jusqu'à la Révolution a déjà été faite et il ne peut être question ici de résumer les travaux essentiels parus sur ce sujet. Par contre, si le dévouement inépuisable des Dames de la Charité et des administrateurs, si les difficultés matérielles énormes dans lesquelles ils se sont débattus, devant le flot sans cesse montant des enfants à secourir, sont bien connus maintenant, nous savons encore bien peu de choses sur les enfants abandonnés eux-mêmes. On sait ce qu'ils sont devenus après avoir été recueillis à l'hôpital, on n'ignore plus rien des efforts qui ont été déployés pour leur assurer survie, nourriture et éducation, ni de la terrifiante mortalité qui les frappait et faisait du service des Enfants-Trouvés un gouffre où disparaissait rapidement la plus grande partie des enfants recueillis. Mais on ne savait pas au xviiie siècle et on ne sait toujours pas avec précision d'où venaient ces enfants, ni de quels milieux sociaux ils étaient issus, ni pourquoi enfin ils étaient si nombreux à se voir rejetés par leurs parents.
1. Nous renvoyons le lecteur aux ouvrages suivants : Lallemand, Léon, Histoire des enfants abandonnés et délaissés, Paris, 1885 Google Scholar ; L. Parturier, L'assistance à Paris sous l'Ancien Régime et pendant la Révolution, 1897 ; J. Dehaussy, L'Assistance publique à l'enfance. Les enfants abandonnés, 1951 ; A. Dupoux, Sur les pas de Monsieur Vincent, 300 ans d'histoire parisienne de l'enfance abandonnée, 1958.
2. Cf. J. Dehaussy, L'Assistance publique à l'enfance. Les enfants abandonnés, Introduction p. 4.
3. La réglementation concernant le placement des enfants a varié au cours de la période étudiée, Cf. L. Lallemand, chap. u de son Histoire des enfants abandonnés et délaissés.
4. Il existe plusieurs séries statistiques concernant les effectifs d'enfants admis à l'Hôpital des Enfants-Trouvés. Ces diverses séries présentent de nombreuses discordances entre elles, mais généralement de faible importance. Nous nous sommes basés pour cette étude sur la série de l'Hôpital des Enfants-Trouvés (actuellement Hospice Saint-Vincent-de-Paul de Paris), complétée pour les années manquantes par celle de VAnnuaire statistique de la Ville de Paris, 1880.
5. L'étude précise de l'origine géographique et sociale des enfants abandonnés n'est possible que grâce au dépouillement des renseignements inscrits sur les procès-verbaux d'admission dressés par les commissaires des quartiers de Paris où les enfants ont été abandonnés (quel que soit le mode de leur abandon). Ces procès-verbaux indiquent le sexe, l'âge (évalué approximativement) de l'enfant, le lieu de l'abandon. Suivent la description de ses vêtements, éventuellement le texte du billet qui est assez souvent joint, la mention des marques diverses qui ont pu être attachées aux vêtements. De plus, lorsque l'extrait baptismal de l'enfant est placé dans ses habits, le procès-verbal de l'enfant indique le nom des parents, leur domicile, leur profession. Avec le procès-verbal de chaque enfant sont conservés les marques, billets, extraits baptismaux, etc., trouvés sur l'enfant.
6. Ces données sont tirées d'une part de l'ouvrage de Tenon, Mémoire sur les hôpitaux de Paris, 1788, p. 272 et, d'autre part, de deux dépouillements de procès-verbaux portant sur les années 1772 et 1778.
7. Se reporter au graphique 3 (courbe détaillée des admissions de 1772 à 1778).
8. Encyclopédie méthodique, article «Enfant-Trouvé», p. 281. Il faut noter au passage que Desbois de Rochefort, curé de la paroisse Saint-André-des-Arts, semble être l'un des hommes les mieux informés de l'époque sur les problèmes des enfants abandonnés.
9. Parce qu'ils sont rares et qu'il faudrait d'autres études précises portant sur des années différentes pour savoir s'il s'agit d'un flux régulier ou d'exceptions.
10. Montunot, Observations sur les Enfants-Trouvés de la généralité de Soissons, p. 10, signale qu'un grand nombre d'enfants nés à Liège sont apportés dans les hôpitaux de la généralité de Soissons pour y être abandonnés.
11. Voir à ce sujet, J. Dehaussy, ouvr. cit., chap. i, section 1, p. 12.
12. Avec (en principe) une contribution financière pour aider cet hôpital à assurer l'entretien des enfants abandonnés.
13. Les meneurs et meneuses sont des personnes payées par l'Hôpital des Enfants-Trouvés de Paris pour recruter des nourrices en province, les accompagner à Paris où elles prendront en charge un enfant abandonné et les raccompagner en province. Mais ces meneurs pratiquent également parfois le transport d'enfants abandonnés vers Paris.
14. Le Tableau de Paris, t. III, chap. CCLXXI, p. 234.
15. Ouvr. cit., p. 283. Desbois de Rochefort ne fait d'ailleurs que reprendre la proportion indiquée dans l'arrêt du Conseil d'État du 10 janvier 1779. De même le Comité de Mendicité de la Constituante (Cf. Bloch et Tuetey, Procès-verbaux et rapport du Comité de Mendicité, 1911).
16. N'oublions pas que les survivants à Paris sont renvoyés quelques jours après en province, soit avec une nourrice, soit parfois « en commission », c'est-à-dire par un voiturier, à la recherche d'une nourrice.
17. Par contre les hôpitaux qui confient des enfants à des voituriers ne leur paient leurs gages que contre production d'un certificat d'arrivée délivré par le commissaire qui reçoit les enfants à Paris.
18. Il faudrait bien sûr pouvoir contrôler cette affirmation. Il est sans doute possible de retrouver trace des trajets des voituriers et de préciser l'ampleur de la mortalité pendant les voyages en examinant les registres paroissiaux des localités traversées (mais ces enfants, étrangers à la paroisse et souvent méprisés, ont-ils toujours été inscrits ?).
19. Le Tableau de Paris, t. III, chap. CCLXXI, p. 234.
20. Pourtant Montlinot signale l'exemple d'une meneuse accusée d'avoir tué et enterré clandestinement plusieurs enfants d'hôpitaux et dénonce « l'infanticide des meneurs ».
21. L'arrêt du 10 janvier 1779 interdit à tous voituriers de prendre des enfants abandonnés sinon pour les porter à l'Hôpital des Enfants-Trouvés le plus proche ou les remettre à des nourrices, sous peine d'une amende de 1 000 livres.
22. C'est le cas par exemple de l'hôpital d'Auxerre où seuls les enfants abandonnés malades ou infirmes sont envoyés à Paris après 1779 : 31 au total de 1779 à 1796, alors que dans la seule année 1778, 30 enfants avaient été expédiés par cet établissement.
23. Certains enfants sont apportés également de La Salpêtrière (enfants abandonnés par des détenus de cette prison).
24. En suivant les précisions fournies par Tenon, ouvr. cit.
25. Cf. encore Tenon sur ce point.
26. A ne pas confondre avec le lieu de l'accouchement qui n'est pas, en général, le domicile de la mère, mais celui d'une sage-femme ou d'un chirurgien-accoucheur et qui peut être situé dans une toute autre paroisse.
27. Carte 2 et tableau II.
28. Carte 3 ; les chiffres de population par paroisse sont tirés de l'abbé Expilly, Dictionnaire historique, géographique et politique des Gaules et de la France, ils valent ce que vaut Expilly mais rien d'autre n'est disponible.
29. Une partie de ces mères est certainement venue de province, mais combien ? 30. Mais pas en province, où elle est encore largement pratiquée à la fin de l'Ancien Régime.
31. Il faut y ajouter les femmes qui chassées avec leur famille de leur province par une famine exceptionnelle, lors des violentes crises de la fin du règne de Louis XIV, sont venues chercher des secours à Paris, y ont accouché et ont abandonné leur enfant dont elles ne pouvaient assurer la subsistance. Voir plus loin l'analyse des graphiques concernant les années 1693-1694 et 1709.
32. Rappelons que les taux de masculinité varient en général entre 1,04 et 1,06, c'est-à-dire que 4 à 6 % de naissances masculines en plus sont la règle : nous ne les retrouvons pas ici.
33. Si pour tous les enfants de Paris l'entrée à la Couche correspond, à quelques heures près, au moment de leur abandon, ce n'est pas le cas pour ceux qui viennent de province : la durée du voyage, mais surtout l'envoi différé par les hôpitaux font que l'âge à l'entrée n'est pas le même que l'âge à l'abandon : les deux pourcentages n'ont donc pas la même signification.
34. Nous distinguons ici les enfants exposés (légitimement ou non), les enfants légitimes, les enfants illégitimes, c'est-à-dire tous ceux pour lesquels la légitimité n'est pas attestée de façon certaine par un extrait baptismal (cf. plus loin le problème de la légitimité).
35. Il existe cependant une quantité notable d'enfants abandonnés par exposition et âgés de plus d'un an : il doit s'agir alors d'orphelins recueillis par l'Hôpital des Enfants-Trouvés, ou d'enfants égarés (volontairement ?).
36. Ce chiffre correspond assez bien avec celui qui est donné dans l'Annuaire Statistique de la Ville de Paris (1880, rubrique Assistance Publique) et repris par Lallemand : 14,6 % d'enfants légitimes en 1760.
37. On pourrait imaginer que les parents mariés qui abandonnent leur enfant à cause de leur misère sont soucieux de faire baptiser leur progéniture avant de l'abandonner et de placer dans les langes tous les renseignements susceptibles de favoriser les recherches en vue d'un retrait ultérieur de l'enfant : c'est vrai sans doute pour la grande majorité. Mais il y a aussi des parents qui redoutent d'être poursuivis pour avoir exposé ou simplement abandonné leurs enfants et qui omettent volontairement de joindre aux vêtements de l'enfant les pièces susceptibles de les faire identifier. On pourrait craindre aussi que les commissaires qui établissent les procès-verbaux ne transcrivent pas toujours complètement les renseignements placés sur les enfants.
38. Bloch et Tuktey, ouvr. cit., p. 700.
39. Association bienfaisante de dames, créée en 1788, pour secourir les femmes pauvres de Paris et prévenir l'abandon de leurs enfants (cf. Bloc H et Tuetey, ouvr. cit., p. 693).
40. Nous avons utilisé ici (en l'adaptant un peu pour les provinciaux) la répartition socioprofessionnelle définie par Mlle A. Daumard et F. Furet dans leur ouvrage, Structures et relations sociales à Paris au XVIIIe siècle, pp. 18 et 19.
41. Voir le détail de ces résultats dans le tableau III.
42. D'où une prudence particulière dans ce cas précis : seul le titrera été retenu comme critère de la noblesse, et non la particule ou tout autre signe présomptif de la qualité noble.
43. Ces objections sont bien entendu aussi valables pour les enfants de province, encore plus pourrait-on dire, puisque nous savons que l'arrivée de ces enfants à Paris est soumise à toutes sortes d'aléas qui dénaturent complètement la physionomie exacte de l'abandon en province.
44. Notamment l'étude de Mlle A. Daumard et F. Furet, déjà citée. En particulier, l'importance quantitative des couches les plus humbles de la population parisienne est bien difficile à saisir et à préciser.
45. Cf. graphique 2.
46. Cf. graphique 3.
47. Le Tableau de Paris, t. III, chap. cci.xxi.
48. Encyclopédie méthodique, article « Enfants-Trouvés ».
49. Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle (d'où sont extraits les chiffres et les graphiques utilisés ici) et la Crise de l'économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution.
50. Graphique 9.
51. Cette discordance peut s'expliquer, nous l'avons vu, par la création de la « Charité Maternelle », dont le but est de secourir les mères nécessiteuses et ainsi prévenir l'abandon. Selon le Comité de Mendicité, dès 1789, cette société est responsable d'une baisse importante du nombre des abandons à Paris (300 à 400 par an). Quant aux enfants de province, il faut penser que la législation interdisant leur transport à Paris est mieux appliqué à cette date.
52. Graphique 5. Le prix du froment à Paris est tiré de l'ouvrage de Micheline Baulant et Jean Meuvret, Prix des céréales extraits de la Mercuriale de Paris 1520-1698.
53. En voici un exemple : « les père et mère de cette enfant sont des infortunés accablés de malheurs et hors d'état de la faire nourrir à présent. L'espérance qu'ils ont que la fortune leur sera plus favorable dans quelque temps leur fait demander par grâce singulière qu'ils obtiennent au moment qu'elle sera à la Couche des Enfants-Trouvés une lettre, de pouvoir la retirer lorsqu'ils seront en état de la nourrir et d'exercer envers elle leur tendresse paternelle et maternelle ».
54. Ouvr. cil., p 46.
55. Nous avons trouvé le cas d'un enfant placé aux Enfants-Trouvés en 1772 parce que son père avait été fusillé comme déserteur.
56. Cf. les analyses contenues dans A. Daumard et F. Furet, ouvr. cit., \” partie, chap. u.
57. Cf. Léon Cahen, Le Grand Bureau des Pauvres à Paris au milieu du XVIIIe siècle.
58. Carte extraite de l'ouvrage d'A. Soboul, Les sans-culottes parisiens en l'an II.
59. Les chiffres concernant les domestiques ont été tirés du Dictionnaire historique, géographique et politique des Gaules et de la France de l'abbé Expilly, et reportés sur une carte des quartiers de Paris au XVIIIe siècle. La comparaison est délicate car leurs limites sont souvent assez différentes de celles des paroisses.
60. Louis Sébastien Mercier, Le Tableau de Paris, t. III, chap. CCLXXI.
61. Les Confessions, livre vm.
62. Cf. Desbois DE Rochefort, ouvr. cit., p. 283 : «Les mères ont actuellement l'idée que leur enfant sera au moins aussi bien traité à l'Hôpital que dans leur obscur réduit ; elles ont la certitude de pouvoir le retirer quand elles voudront, elles ont l'espérance de le faire, quand leur fortune ne changerait pas, et à une époque où il cessera de leur être coûteux ». De même Necker, De l'administration des finances, 1784, dénonce les inconvénients de la pratique du dépôt provisoire.
63. Nous ne pouvons traiter ici en détail la question de la mortalité des enfants abandonnés, que l'on trouvera abordée dans les ouvrages déjà cités de Tenon, Lallemand, Dupoux en particulier. Bornons-nous à marquer quelques points de repère : les chiffres publiés par Tenon dans son Mémoire sur les hôpitaux de Paris montrent qu'au 1er septembre 1778, 85 % des enfants admis à la Couche depuis le 1er janvier 1773 sont morts. Les mêmes chiffres prouvent que 73 % des enfants de moins d'un an admis à la Couche sont morts dans le premier mois suivant leur admission. Ces données sont confirmées par les études de Lallemand. En définitive, on peut estimer, en appliquant les taux de la table de Duvillard aux enfants survivants après 5 ans, que le pourcentage des survivants à l'âge adulte ne devait pas excéder 5 %.
64. Confessions, livre vu.
65. Montlinot, ouvr. cit., p. 14.
66. C'est ce que démontre Montlinot avec l'exemple de la Fère.
67. Montlinot, p. 15.
68. Ajoutons encore les pressions et sollicitations des sages-femmes et des accoucheurs : ceux-ci ont grand intérêt, selon Desbois de Rochefort, à montrer aux mères « les embarras que leur causera la nourriture de cet enfant, les avantages exagérés de l'Hôpital des Enfants-Trouvés, la facilité de les en retirer un jour et l'usage général d'y cacher, pendant quelques années, les produits de l'amour », car les mères leur remettent, alors, en vue de l'abandon, de l'argent ainsi que les vêtements de l'enfant. De plus, il arrive fréquemment que des sages-femmes poussent des filles-mères à se jeter dans la prostitution.