Published online by Cambridge University Press: 11 October 2017
Il y a longtemps que l'histoire, en même temps qu'un genre familier est une discipline scientifique, assurée, féconde; on l'enseigne, on lui demande de servir à fonder notre compréhension du monde. Mais c'est l'histoire de l'Occident.
L'histoire de l'Afrique existe à peine : les études de valeur sont rares et dispersées; elles ne constituent pas les éléments d'une vue générale et cohérente du passé africain. C'est que si l'histoire s'est faite science en Occident, son milieu l'a marquée, limitant sa curiosité dans l'espace. Le bagage de jugements de valeur des « bourgeois conquérants » ne faisait nulle place au passé des Noirs. La situation coloniale s'opposa à toute vie intellectuelle spécifiquement africaine, à tout culte réel des valeurs africaines.
Ce texte reproduit un exposé fait à l'Ecole des Hautes Etudes, 6e section, le 28 avril 1960. Quelques références postérieures ont été ajoutées entre crochets.
page 46 note 1. Elles peuvent être très anciennes : l'historiographie africaine eut, elle aussi, ses érudits au XVIIIe siècle; cf. l'Histoire de Loango, Kakongo et autres Royaumes d'Afrique, de l'abbé Proyart, parue en 1776. Plus près de nous, mais remarquablement tôt, la grande œuvre de Delafosse.
page 46 note 2. L'œuvre de quelques pionniers (souvent administrateurs, militaires ou missionnaires) n'est pas méconnue ici, mais ne dément pas cette constatation globale. Comment le système colonial eût-il permis, en Afrique ou en Europe, l'évocation de valeurs africaines dangereuses comme celles du passé î L'ethnologie, sans doute parce qu'au niveau du grand public elle se résolvait en un exotisme débonnaire, et parce que la connaissance des dominés pouvait servir le dominateur, ne rencontra pas tant d'obstacles, même si elle paya parfois le prix de son conditionnement mental.
page 47 note 1. Lévi-Strauss, Cf., « La notion d'archaïsme en ethnologie », Cahiers Internationaux de Sociologie , XII, 1952, pp. 3–25 Google Scholar, repris dans Anthropologie structurale, 1958, pp. 113-132.
page 47 note 2. Nous voulons suggérer ici la gamme des ressources possibles, non pas dresser un inventaire. On trouvera une recension détaillée et suggestive dans History and Archeology in Africa, Londres, 1955 (rapports de la Conférence internationale d'histoire africaine tenue à Londres en 1953).
page 48 note 1. Travail d'arabisant. Les rares historiens de l'Afrique ne le sont pas toujours; pour les islamisants historiens, qui ne sont pas trop nombreux, l'Afrique noire est un domaine marginal. La formation des historiens futurs de l'Afrique devra faire souvent sa place à la connaissance de l'arabe.
page 48 note 2. On cite communément en France les découvertes faites à la Bibliothèque Nationale (cf. Vajda, dans Journal de la Société des Africanistes, 1950, pp. 229-237; et les manuscrits rapportés par les missions de Gironcourt) et l'existence connue de documents non encore étudiés.
page 48 note 3. Ainsi les publications du Centra de Estudos da Guiné Portuguesa.
page 48 note 4. Il n'y a pas que Mungo Park ou Barth… Cf., par exemple, la relation de la traversée de l'Afrique centrale par deux mulâtres pour le compte du Portugal au début du XIXe siècle ( Verbeken et Walraet, La première traversée du Katanga…, Publications de l'Institut royal colonial belge, 1953).
page 49 note 1. Signalons simplement, sans méconnaître les autres nations, la richesse portugaise. Des publications de textes la rendent lentement accessible; cf. tout ce que suggère la note de José-Gentil da Silva, « L'Angola au XVIIIe siècle, » Annales E.S.C., juillet-septembre 1959, pp. 571-580.
page 49 note 2. Brasio, P. A., Monumenta missionnaria africana, Lisbonne Google Scholar; Mgr Cuveliek et Jadin, L'ancien Congo d'après les archives romaines (1518-1640), Mém. de l'Acad. royale belge, t. XXXVI, 1954.
page 49 note 3. Les spécialistes existent, qui connaissent bien ces archives (le P. Rinchon, Debien, Veblinden, Abdoulaye L Y … ) . Le pessimisme est justifié, puisque le prélèvement numérique global effectué par la traite à destination de l'Amérique n'a pas encore pu être évalué d'une façon qui réalise un accord approché, et que le déjà vieux livre du P. Rinchon reste le plus précieux sur ce sujet.
page 49 note 4. Cet ensemble hétéroclite de documents est à chercher dans les dépôts les plus variés… ou hors des dépôts; il n'est pas toujours accessible encore. Nous indiquons plus loin sa nature et son grand intérêt.
page 50 note 1. Cf. Verger, dans « Les Afro-Américains », Mémoires de VI.F.A.N., n° 27, 1953.
page 50 note 2. L'échantillonnage présenté ici ne prétend pas être complet; on devrait dire, par exemple, tout l'intérêt des cartes anciennes, arabes et européennes; reconnaître la variété des archives missionnaires, etc…
page 50 note 3. Par une transmission libre dans son initiative, une génération peut recevoir de la précédente souvenirs et enseignements, au hasard des circonstances et des personnalités. Nous ne nions pas la valeur documentaire d'une telle information, qu'elle soit rendue publique spontanément par un de ses bénéficiaires, ou qu'une enquête orale préparée fasse livrer par les personnes âgées leurs souvenirs vécus et ce qu'elles ont entendu dire par leurs parents; c'est au contraire un moyen précieux sur la profondeur de deux générations. Mais cette transmission est trop fortuite ou trop sollicitée de l'extérieur pour être assimilée à la tradition. Celle-ci n'est pas libre parce qu'elle est le produit d'une société et non d'un individu : une œuvre n'est rien sans le public qui la reçoit et sans les mémoires qui la conservent, tout genre est élaboré dans le groupe et pour le groupe.
page 50 note 4. Vansina, « Recording the oral history of the Bakuba », The Journal of Africun History, I, 1960.
page 50 note 5. Genre est pris ici dans un sens vague de simple commodité. Peut-être faut-il distinguer tradition et « littérature orale », qui se recouvrent très largement. On a tendance à nommer littérature toute la production intellectuelle d'une ethnie, donc sa tradition entière; mais pour qu'il y ait littérature, sans doute faut-il qu'il y ait « effort pour bien dire » ( Mauss, cité par Balandier) OU obéissance aux lois d'un genre reconnu, ce qui n'est pas nécessairement le cas de toute tradition; inversement une bonne part de la création littéraire ne se survit pas ou se perd, précisément par absence ou par rupture de tradition. A la littérature orale africaine, deux introductions claires et commodes : G. Balandier, « La littérature des Afrique et Amérique noires », dans Histoire des littératures, t. I, 1955, pp. 1536-1566 (Encyclopédie de La Pléiade). P. Alexandre, « Littératures négro-africaines », 18 p., dans Encyclopédie Clartés, vol. 15, 1959.
page 51 note 1. Djibril Tamsir Niane, « Recherches sur le Mali au Moyen Age », Etudes Africaines, I, n° 1, 1958, donne en introduction des notations intéressantes sur la « tradition- archives » des griots (opposée à la tradition populaire qui transmet la légende lùstorique), sur le griot, jadis « livre vivant » du souverain, sur le griot qui tient « la chaire d'histoire » du village, sur les villages de griots de certaines provinces, l'apprentissage du métier, le contenu de son savoir, l'existence d'un vocabulaire propre à la langue historique…
page 51 note 2. et
page 51 note 3. Vansina, art. cité.
page 51 note 4. L'enregistrement sur bande magnétique aide au recueil (et au travail ultérieur), la récitation de la tradition se faisant parfois dans des circonstances déterminées ou selon des rythmes nécessaires; cf. D. J. Niane, art. cité, rapporte le cas des griots qui perdent le fil des listes généalogiques et les déforment si on leur impose, pour prendre note, de réciter sur un rythme plus lent que leur rythme habituel.
Autres problèmes, ceux de l'enquête : savoir qui interroger, quand, distinguer les bons témoins des mauvais, repérer une tradition qui ne se signale pas toujours; déterminer si le climat de l'enquête n'altère pas la révélation obtenue… Problème de la publication écrite : transcrire ce qui avait vie orale, savoir le traduire dans une langue de grande diffusion, mettre au point un appareil critique
page 52 note 1. Vansina, art. cité.
page 52 note 2. Certaines traditions ont été publiées depuis longtemps, à part ou par fragments insérés dans des études, par Houdas, Delafosse, Gaden, Aubert… Exemple récent: BA et Daget, « L'empire peul du Macina », t . I, Etudes soudanaises, I.F.A.N., 1955, où les auteurs transposent en français et cousent en un récit continu les traditions recueillies.
page 52 note 3. Par exemple, P. Mercier, « Histoires et légendes. La bataille d'Ilorin », Notes africaines, n° 47, juillet 1950.
page 52 note 4. Le très beau livre de P. Verger, Notes sur le culte des Orisa et Vodun à Bahia, la Baie de tous les saints, au Brésil, et à l'ancienne côte des esclaves en Afrique, 1957, Mémoires de l'I.F.A.N., n° 51, rend disponible, dans une édition en tous points remarquable, une masse de légendes et de rituels (chants, prières, invocations, cérémonies…) des groupes yoruba et djédjé du Brésil et d'Afrique. Dans son introduction, P. Vergek suggère qu'une étude minutieuse et systématique de tous les rituels des mêmes cérémonies partout où elles sont pratiquées, (et plus généralement de toutes les traditions religieuses dans l'aire qu'il a définie) pourrait être menée, qui tenterait de séparer les influences locales et les éléments de l'histoire des diverses familles régnantes d'une part, le vieux mythe sacré qu'elles ont pénétré et remanié d'autre part; qui saurait peut-être lire, dans l'état actuel des divers panthéons, les structures politiques et sociales récentes qui ont présidé à la transformation du « panthéon » ancien en un monde assez foisonnant de dieux et de héros divinisés; qui parviendrait peut-être à discerner dans ces luttes de préséance un autre témoignage, celui des diverses couches ethniques qui se sont opposées, puis fondues…
page 53 note 1. Vansina : 1. Op. cit.; 2. A la recherche des traditions orales, ronéotypé; 3. Communication à la 2e conférence d'histoire africaine de Londres, 1957 (connue par compte rendu); 4. Articles dans Zaïre, Kongo Overzee… que nous n'avons pu consulter. Le travail principal de l'auteur (thèse) est à paraître [fin 1981] : le moment viendra, alors, d'une présentation de ses travaux. [Le n° 2, 1960, du Journal of African History, a publié la seconde partie de l'art, cité.]
page 53 note 2. Vansina, art. cité, donne en exemple de la supériorité du témoignage oral africain sur le témoignage extérieur écrit la révolte kuba de 1904, qu'on ne peut comprendre par le second; mais qui s'éclaire par le premier.
page 53 note 3. G. P. Murdock, Africa, Its peoples and their culture history, New York, 1959, p. 43, dénie toute valeur documentaire à la tradition, dont les données relatives à l'origine des ethnies ne se seraient accordées que dans 20 à 25 % des cas (soit le chiffre du hasard) avec les conclusions auxquelles il est parvenu par l'emploi de ses six procédés de reconstruction historique (cf. infra); sauf dans deux cas limités, la tradition ne serait pas digne de crédit au delà des souvenirs personnels de l'informateur. Le jugement est expéditif, et repose sur une confiance dans les reconstructions historiques de l'auteur que le lecteur ne partage pas toujours ! La démarche critique de Murdock est aussi trop générale et systématique; on ne doit pas juger en bloc la tradition, mais faire la critique interne et externe de chaque tradition; l'une d'elles peut être intègre bien que vénérable, et mauvaise la mémoire de l'informateur. Enfin, le jugement fondamental sur la valeur de la tradition ne doit-il pas reposer, d'une ethnie à l'autre, sur le rôle social qu'elle joue et sur la « philosophie de l'histoire » de cette ethnie ?
page 54 note 1. On ne présentera pas ici les procédés de prospection, les principes de la fouille, les moyens de datation, les techniques physico-chimiques de protection et d'étude des vestiges, l'apport de connaissances géologiques, botaniques, zoologiques… — Etonnant réseau de moyens d'investigations ! L'archéologue sait aussi l'intérêt puissant du traitement statistique des combinaisons d'éléments… On peut consulter : S. J. de Laet, L'archéologie et ses problèmes, (Latomus), Bruxelles 1954; Leroi- Gourhan et A. Laming, Les fouilles préhistoriques, 1950; A. Laming et divers, La découverte du passé, 1952; plus simplement le cours polycopié (F.G.E.L.) de Leroi- Gourhan, « Les méthodes de la préhistoire »; du même, « La fonction des signes dans les sanctuaires paléolithiques », trois articles du Bulletin de la S.P.F., 1958.
page 54 note 2. Nok et Ifé, en Nigeria; fouilles de P. Thomassey et R. Mauny à Koumbi Saleh (la capitale du Ghana?); études du fameux Zimbabwe en Rhodésie; travaux de Freeman- Grenville, du P. Mathew e t c . . sur le littoral oriental, recherches de Leclant, Doresse, de Contanson, en Ethiopie, e t c . . Il vaut mieux rompre, ici, les catégories « histoire », « protohistoire », « préhistoire ». R. Mauny, Tableau géographique de l'Ouest africain au Moyen Age, thèse [imprimée en 1961, Mémoires de l'I.F.A.N., n° 61] donne une recension complète des travaux archéologiques en Afrique de l'Ouest jusqu'à 1958.
page 54 note 3. Un site important, souvent donné en exemple de l'activité archéologique africaine, celui de Koumbi Saleh, n'a été qu'à peine entamé. C'est par hasard (l'exploitation de mines d'étain) que la civilisation de Nok a été découverte, alors que rien ne la faisait soupçonner. Des aires très vastes n'ont pratiquement pas encore été prospectées.
page 54 note 4. Les applications de la palynologie en Afrique sont, à notre connaissance, rares et récentes. Quant à la dendrochronologie, Mauny (thèse citée) rapporte les premières observations, encore peu encourageantes, faites à Dakar… Nous n'avons pas pu faire le point, à la date de cet exposé, de l'emploi de toutes les techniques archéologiques en Afrique. Cf. Fagan, B. M., « Radiocarbon dates for sub-saharian Africa », Tht Journal of African History , 1961, I, pp. 137–139.CrossRefGoogle Scholar
page 55 note 1. Le témoignage des vestiges matériels (qui ne ment pas) est multiple, et d'intérêt fondamental : du milieu naturel à l'organisation de l'espace, des techniques à l'art, de l'économie à la religion. Et la quantité des vestiges encore enfouis dans le sol africain est sûrement très grande relativement à ce qui est déjà connu, aussi pessimiste que soit le pronostic sur l'importance passée des civilisations noires et sur la conservation de leurs productions; l'archéologie par ailleurs, ne cesse de multiplier ses techniques et d'affiner ses méthodes.
page 55 note 2. Dans la mesure où elle s'adonne à ce travail. Il vaudrait mieux en effet séparer deux démarches : d'une part celle qui cherche dans la réalité présente des témoignages directs sur le passé; d'autre part, les hypothèses formulées sur le passé à partir de l'étude d'éléments actuels, par exemple à partir de la répartition de certains traits culturels. Pour la réflexion plus que pour un enseignement précis, cf. Herskovits,
Anthropology and Africa. A wider Perspective », Africa, juillet 1959, pp. 225-238. Le vocable d'ethno-histoire n'est pas justifié. L'histoire n'est pas l'ethnologie; elle ne s'improvise pas plus que l'ethnologie. L'histoire de l'Afrique doit s'enraciner dans l'ethnologie, et celle-ci se nourrir d'histoire, mais pour mieux être elles-mêmes.
page 55 note 3. Op. cit. Sur 420 pages, plus de 370 présentent successivement les peuples africains. C'est la première partie (Orientation), qui retient notre attention, plus précisément le chap. 7 (History), essentiellement les pp. 40-43, très denses. Après des critiques sensées contre certains raisonnements historiques simplistes et erronés, l'auteur présente six moyens éprouvés de retrouver le passé : 1. Documents écrits; 2. Matériaux archéologiques; 3. Parentés linguistiques; 4. Etude des complexes botaniques (répartition des plantes cultivées); 5. « inférer les formes antérieures d'organisation sociale… », cf le texte ci-dessus; 6. Etude de la distribution des traits ethnographiques très prudemment sollicités… Le recoupement de deux de ces moyens peut à ses yeux fonder la conviction. Notons que 3 paraît d'un secours encore précaire; 4 peut être considéré comme une application particulière, très utile, de 6 qui, comme fondement d'hypothèse plutôt que comme source, est recevable si la « prudence » y préside réellement. L'énoncé tranquille de l'ensemble, donne l'impression d'une méthode abstraite et mécanique.
page 56 note 1. « Les études visant à l'examen et à l'explication des changements modifiant les sociétés traditionnelles ne nous éclairent pas seulement sur le devenir de celles-ci, mais aussi sur leurs structures et leur organisation antérieure », G. Balandier, « Structures sociales traditionnelles et changements économiques », Revue de l'Institut de sociologie Solvay, I, 1959.
page 56 note 2. L'article cité à la note précédente condense les idées de l'auteur sous une forme très ramassée, « programmatique ». Cf. surtout sa thèse, Sociologie actuelle de l'Afrique noire, 1955, qui, sous ce titre-devise, étudie la « dynamique des changements sociaux » dans le cas des Fang et dans celui des Ba-Kongo, après un chapitre méthodologique général. G. Balandier souligne la valeur, dans la même perspective, des travaux de M. Gluckman et de V. W. Turner (de celui-ci, cf. Schism and Continuity in an African Society, Manchester, 1957, traitant des Ndembou de Rhodésie).
page 57 note 1. Cf. en français, les travaux de Metraux, Bastide, Verger… Nous ne parlons ici que des cas où les migrations humaines sont historiquement suivies, et non de reconstitutions hypothétiques à partir du comparatisme des traits culturels. [R. Bastide, « A propos de quelques livres récents sur les Afro-Américains », Cahiers d'Etudes Africaines, n° 4, décembre 1960, souligne fortement : « Un des effets de la résistance culturelle contre la pression assimilatrice des Blancs en Amérique a été le durcissement de cette culture… C'est-à-dire que l'Amérique nous présente ce que les sociologues appellent des « conserves culturelles », qui datent d'époques diverses, s'échelonnent de la fin du XVIIIe au début du XXe . Au contraire, en Afrique, au contact des Blancs, la civilisation… a été touchée par les influences occidentales et s'est modifiée plus ou moins profondément… Ce qui fait que, par un étrange paradoxe, l'africaniste qui veut remonter vers le fameux « point zéro » doit le chercher en Amérique bien plus qu'en Afrique ». Ce que l'article développe et précise avec une grande densité. Autre référence, toute récente, à faire au même auteur, Les religions africaines au Brésil, 1960].
page 58 note 1. Parce que les travaux déjà consacrés à l'histoire africaine, œuvres d'ethnologues ou d'autodidactes, témoignent parfois d'une absence de culture historique ou de sens historique. Cette critique n'est pas faite en mauvaise part; le monde des historiens a sa part de culpabilité, en l'affaire.
page 58 note 2. Voici, par exemple, l'emploi abusif des termes de féodalité, vassalité… pour signaler des relations sociales, des types politiques et des concepts souvent très variés. La connaissance de l'historiographie de la féodalité européenne d'une part, une volonté de comparaison critique à tous les niveaux d'autre part, forceraient l'étude à plus de précision et de profondeur (analyser les rapports de production, dégager l'originalité des conceptions juridiques). Le beau livre de J.-J. Maquet, Le système des relations sociales dans le Ruanda ancien, Tervuren, 1954, ne mérite sûrement pas ces reproches élémentaires, mais son point de vue — typologie des systèmes politiques — ne peut contenter l'historien.
page 58 note 3. Cf. à titre d'exemple, jouant à la fois du présent et du passé, l'article passionnant et suggestif, même si ses conclusions sont trop appuyées, de J. Hurault, « Etude démographique comparée des Indiens Oayana et des Noirs réfugiés Boni du Haut Maroni », Population, 1959, 3. Plus généralement, la connaissance de ce fait historique énorme qu'est la déportation des Noirs en Amérique est nécessairement « triangulaire », comme le commerce colonial.
page 59 note 1. Cf. par exemple Dujvendak, China's discovery of Africa, Londres, 1949, que nous connaissons par un compte rendu de Mauny (Bulletin de VI.F.A.N.), qui écrit : « L'Asiafrique, réalité millénaire »; « … du Xe siècle à la fin du Moyen Age, l'histoire du Tanganyika est, sous nos pieds, écrite en porcelaine de Chine », dit Sir Mortimer Wheeler, cité par B. Davidson, dans le Courrier de l'U.N.E.S.C.O., oct. 1959 (heureuse occasion de citer ce numéro spécial, qui, à son niveau — vulgarisation et révélation au très grand public — est fort bien venu).
page 59 note 2. Trop souvent des hypothèses ont systématiquement fait venir de Nubie, d'Egypte ou de plus loin les faits de civilisation africains. Face à ce parti-pris, celui, inverse, de Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture, 1955. Tout cela ne convainc guère.
page 59 note 3. Sans préjuger de l'organisation future de l'enseignement supérieur en Afrique, on doit penser qu'après l'histoire du continent lui-même, ces histoires voisines y auront une place de choix, au dépens (légitime) de l'histoire détaillée de l'Europe.
page 59 note 4. A. Leroi- Gourhan, Evolution et Techniques, t. I, L'homme et la matière, 1948, t. II, Milieu et techniques, 1945, en particulier, t. II, pp. 321-472.
page 60 note 1. Nous ne parlons pas ici de la géographie comme culture nécessaire de l'historien : le fait vaut pour toute histoire et, en France au moins, il n'a pas besoin d'être souligné. Pour l'Afrique, les plus fortes hypothèses explicatives sont souvent venues des géographes (qu'elles privilégient ou non la part du milieu) : Gourou en premier lieu, mais aussi Richard- Molard, Dresoh, naguère E.-F. Gautier; Urvoy était des leurs, en même temps qu'historien ou ethnographe.
page 60 note 2. Ainsi l'article de Bastide, R., « La causalité externe et la causalité interne dans l'explication sociologique », Cahiers internationaux de sociologie , XXI, 1956 Google Scholar, ne concerne apparemment pas l'historien en raison de la perspective systématique et « doctrinale » dans laquelle il aborde son problème, et dans la mesure où il passe une revue de divers courants sociologiques; mais le problème posé est bien un de ceux que l'historien rencontre très souvent. Un des thèmes de prédilection du même auteur — l'interpénétration des civilisations — est aussi un thème capital de la recherche historique.
page 60 note 3. Nous n'ignorons pas que le bilan laisserait souvent l'historien sur sa faim. Les divers courants de l'ethnologie anglo-saxonne ont fait une place variable à l'histoire, niant ou méconnaissant sa valeur explicative, la séparant de l'étude statique mise en position prééminante… Plus anciennement, l'évolutionnisme avait été une vue gratuite et dérisoirement simplifiée de l'histoire. Le point de vue diffusionniste, ou cycloculturel, qui s'est voulu « historico-culturel », présente beaucoup plus d'intérêt, par son souci de réagir contre l'évolutionnisme en s'appuyant sur des faits, et par la récolte de matériaux qu'il a provoquée; mais il ne s'est pas gardé des schémas théoriques, et la valeur critique de ses reconstitutions est souvent trop fragile; il est vrai qu'il vaudrait mieux parler de courants apparentés plutôt que d'une école; certains de leurs développements contemporains ne sont pas sans valeur.
page 60 note 4. A. Leroi- Gourhan, op. cit. Du même, Archéologie du Pacifique Nord, thèse, 1946, pratiquement ignorée dans le monde des historiens; la durée et le terrain envisagés ne rentrent évidemment pas dans les cadres habituels, et l'étude par « thèmes techniques » a pu être jugée, superficiellement, comme non-historique; mais sa valeur méthodologique et critique est grande
page 61 note 1. G. Balandier, thèse citée, dont les historiens, dans leurs compte rendus, n'ont pas mesuré la portée. Avec les mêmes qualités, P. Mercier, « L'affaiblissement des processus d'intégration dans les sociétés en changement », Bulletin de l'I.F.A.N., série B, 1954, et « Contacts de civilisation en Afrique et en Océanie au XIXe siècle », Cahiers d'histoire mondiale, III, 3, 1957, vue synthétique très dense d'une histoire des colonisés.
page 61 note 2. Il y aurait d'autres fréquentations fructueuses pour l'historien de ce nouveau domaine : celle de J. Guiart, celle de certaines études de J. Berque, dont l'article « Les Mez'uda. Style historique d'une tribu marocaine », Revue historique, oct.-déc. 1954, montre les voies et les difficultés d'une histoire aux sources hétérogènes : tout l'article est à méditer… L'histoire de l'Afrique, dont le retard n'est pas dû à des raisons d'ordre scientifique, trouve une compensation dans le fait qu'elle va se développer à un moment où les progrès de chacune des sciences de l'homme et la faveur heureuse des échanges interdisciplinaires étendent ses possibilités.
page 62 note 1. Cf. Philip D. Cortin, « The archives of tropical Africa : a reconnaissance », The Jounal of African History, I, 1960, I, et aussi le recueil déjà cité, History and Archeology in Africa, 1955.
page 62 note 2. On peut souhaiter que cette œuvre générale de publication bénéficie d'une certaine standardisation (méthodes, présentation…).
page 62 note 3. Ecrits européens d'origines administrative, commerciale, missionnaire…, souvenirs de campagnes et rapports privés, correspondance, voire enquêtes du B.I.Ï., anciennes études ethnographiques, éléments d'enquêtes démographiques et économiques… Du côté africain, témoignages matériels, archives de chefferies, souvenirs des gens âgés (très utiles), indications indirectes des crises et des mouvements religieux.
page 63 note 1. H. I. Marrou, De la connaissance historique, 1954, p. 64.
page 63 note 2. Cf. à titre d'exemple la réflexion de Binet, dans Marchés africains, « Cahiers de l'I.S.E.A. », série Humanités, vol. I : des marchés très vivants, que l'observateur pouvait croire enracinés profondément dans une région, n'existaient pas il y a quelques décennies; et l'auteur propose une étude fouillée, région par région, de la date et des conditions d'apparition du marché, et, pour ceux qui sont traditionnels, de leurs liens avec le contexte géographique, économique, politique.