Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
L'attitude à l'égard de la pauvreté et des pauvres révèle toujours certains traits fondamentaux du caractère individuel ou collectif. Dans leur comportement à ce sujet, l'individu et la société découvrent une partie de leurs certitudes, de leur subconscient et de leurs angoisses. De la pitié au dégoût, du mépris à l'envie, du sadomasochisme au millénarisme, toutes les nuances de la psychologie ou de l'analyse freudienne peuvent s'y refléter. Cela vaut naturellement pour une société chrétienne, puisque le Christ a vécu parmi les pauvres, puisque le Christ a célébré l'indigence, et exhorté ses disciples à l'aumône. Il serait donc intéressant de considérer plus attentivement les attitudes du xviie siècle français à l'égard du paupérisme. De 1620 à 1660, la réforme catholique anima dans le Royaume un vaste effort d'assistance. Sous l'impulsion de saint Vincent de Paul et de la Compagnie du Saint Sacrement, elle multiplia les fondations charitables et réussit un moment à émouvoir profondément l'opinion urbaine.
1. Saint Francois de Sales, Introduction à la vie dévote, 3e partie, chapitre 15.
2. Saint Vincent de Paul, Correspondance, entretiens, documents, édit. Coste 1924, t. XI, p. 392.
3. lbid., t. XIII, p. 716 : « Ainsi ressembleront-ils davantage au fils de Dieu, qui a tant aimé le mépris et la pauvreté. » Voir aussi : Conférence du 14 novembre 1659, De la pauvreté, t. XII , p. 377 et suiv. Un procès-verbal du Conseil des filles de la Charité du 31 juillet 1659 rapporte : « … toutes les voix s'accordèrent qu'il ne fallait pas souhaiter qu'il entrât de personne riche en la compagnie… le diable dit un jour à saint François, je renverserai ton ordre, je mettrai des hommes riches et savants parmi tes religieux, et par ce moyen je le ruinerai… c'est l'exemple que notre très honoré Père nous rapporta », ibid., t. XIII, p. 752.
4. Saint Matthieu, XXV, 40.
5. Rijksmuseum, Amsterdam, Le maître d'Alkmaar, «Nourrir les affamés », tableau de 1504.
6. Bonnefous, P., Le chrétien véritable… Paris, 1653 Google Scholar ; et M. Hermant, Discours chrétien sur l'établissement du Bureau des pauvres de Beauvais, 1655 ; on y lit : « Ils découvrent le visage de leur Sauveur au travers des plus vils haillons, dont les pauvres sont revêtus. Les yeux de la foi leur font apercevoir à tous moments ce grand mystère et cette merveilleuse transfiguration de la gloire et de la majesté du Sauveur, en l'indigence et ignominie de ses membres… »
page 140 note 1. Lemaistre, A., L'aumóne chrétienne ou la tradition de l'église touchant la charité envers les pauvres, Paris, 1651 Google Scholar, introduction.
page 140 note 2. de Paul, Saint Vincent, Correspondance…, t. XII, p, 270 Google Scholar, conférence du 30 mai 1659, De la Charité. Bonnefous, P., op. cit., p. 58.Google Scholar
page 140 note 3. Annales de la Compagnie du saint sacrement, rédigées par René Voyer d'Argenson, publiées par Dom H. Beauchet, Marseille, 1900.
page 140 note 4. de Paul, Saint Vincent, Correspondance…, op. cit., t. XIII, p. 156 Google Scholar, Instruction donnée aux pauvres du nom de Jésus, été 1653
page 141 note 1. Ibid., t. XIII, documents, pp. 423, 446 et 504.
page 141 note 2. Pigler, A. en cite quelques-uns dans son livre, Barokthémen, Budapest, 1956 Google Scholar.
page 141 note 3. Ces deux derniers étant de profession calviniste, ce serait un autre sujet que d'étudier la charité protestante. On y suivrait l'influence de la persécution et de l'exil et on y relèverait, dans le Refuge des Provinces Unies, l'accent très moderne et déjà philanthropique de Jacques Saurin dans ses Sermons sur l'aumône et la charité et dans son Traité de Vamour du prochain.
page 141 note 4. Les frères Le Nain auraient cependant traité ce thème : Champfleury, , Les peintres de la réalité sous Louis XIII, les frères Le Nain, Paris, 1862, p. 178 Google Scholar.
page 142 note 1. Pariset, F. G., Georges de la Tour, Paris, 1948, pp. 322 et 323.Google Scholar
page 142 note 2. Félibien, A., Entretien sur les vies et les ouvrages des plus excellents peintres, Paris, 1688, t. 4, p. 215.Google Scholar
page 142 note 3. J. Thuillier, art. cit., pp. 239 et 240 et notes ; et de Montgolfier, B., « Nouveaux documents sur les frères Le Nain », Gazette des Beaux-Arts, 1958, p. 267.Google Scholar
page 142 note 4. Rien de plus significatif à cet égard que la comparaison entre les deux adorations des bergers de Nicolas Poussin et de Louis Le Nain, qui se font face dans la salle XX de la National Gallery.
page 142 note 5. Louis et Mathieu (?) Le Nain, « Les lazzaroni », collection Lord Leconfield, Petworth, publié par P. Fierens, Les Le Nain, 1933.
page 143 note 1. La silhouette féminine, qui dans le fond de la cour tient sur ses genoux un enfant, ne constitue-t-elle pas une allusion à l'œuvre des enfants trouvés que saint Vincent était en train d'organiser ? Les spécialistes cependant ne sont pas d'accord sur l'attribution de ce tableau, alors que Fiereus et Isarlo le donnaient aux Le Nain ; plus récemment Ch. Sterling dans Catalogue of french paintings du Metropolitan Museum of art., 1955, croit reconnaître la main du peintre de l'école des Le Nain ou d'un imitateur.
page 143 note 2. Thuillier, J., art. cit., n. 3, p. 239 Google Scholar : « le sujet a souvent été traité par eux ».
page 143 note 3. Saint Jean, VI, 22 à 59.
page 144 note 1. « Le fruit du pain bénit doit être une charité plus grande qui unit tous ceux qui le mangent… de même est-il dit dans la Didaché IX qu'ainsi soit rassemblée ton église des extrémités de la terre… fais la l'église une vivante et catholique. » (Dictionnaire de théologie catholique, A. Vacant, E. Mangenot, E. Amann, Paris, 1932). La même source cite en référence, L'ancienne et nouvelle discipline de l'Église de Thomassin dans son édition de 1725, et rappelle la formule naïve et populaire : « pain bénit je te prends, en mon c œur je t'attends, si je meurs subitement, sers-moi de divin sacrement. »
page 144 note 2. Ce symbolisme n'est évidemment pas apparent dans tous leurs tableaux, ni à fortiori dans tous les tableaux qu'on leur a parfois attribués. Mais il s'impose à un moment privilégié de leur création artistique. Rappelons à propos du vin le texte où François de la Rochefoucauld demande à ses curés de veiller « à ce que les calices ne soient employés pour donner le vin au peuple après la communion, mais d'utiliser des coupes ou des verres », cité par P. Broutin, , La Réforme pastorale, 1955, tome I, p. 49 Google Scholar.
page 144 note 3. Monier, F., Vie de J. J. Olier, Paris, 1914 Google Scholar ; et Letourneau, G., Le ministère pastoral de J.-J. Olier, Paris, 1905 Google Scholar.
page 145 note 1. « Si dans la Cour où tout le monde est riche, il paraissait un pauvre, il y serait odieux et en serait chassé. De même dans le royaume de Jésus où tous les courtisans sont pauvres, un richard n'y peut entrer, ni se présenter à la porte sans en être chassé ou rebuté honteusement…, le richard dont il est parlé dans l'Évangile n'y peut être admis, mais les pauvres y sont reçus avec le Lazare : car à eux appartient le royaume des cieux ». Introduction à la vie et aux vertus chrétiennes, Paris, 1961, 2e édition, p. 297.
page 145 note 2. Olier, J. J., La journée chrétienne, Paris, 1657, p. 36.Google Scholar
page 145 note 3. Ibid., pp. 49, 50, 51 : « … et y aller ainsi avec tout respect et révérence, dans le même esprit et dans les mêmes intentions que Notre Seigneur ».
page 145 note 4. Ibid., p. 53.
page 145 note 5. Ibid., p. 54 : « … toutes les victimes devant leur immolation doivent être retirées de l'usage profane pour être appliquées à Notre Seigneur, jusqu'à leur consommation, c'est là le sujet de la bénédiction qui se donne avant les repas… il faut avoir Dieu présent avec son fils intérieurement présent en notre âme, comme souverain prêtre et sacrificateur universel et tout unique de Dieu son père, qui est en nous immolant et anéantissant les viandes par l'organe de notre bouche, à la gloire de la très sainte Trinité…, … quand on prend le couteau (à table) pour s'en servir, ce doit être en esprit de sacrifice… quand on prend le verre ou la cuillère ce doit être encore dans ce même esprit de sacrifice à Dieu qui autrefois dans la Loi avait instituê deux sortes de sacrifice, l'un de substance liquide et coulante, l'autre de substance solide ».
page 146 note 1. Letourneau, G., op. cit., p. 58.Google Scholar
page 146 note 2. Déjà un document cité par J. Thuillier laisse supposer que Fr. Et. de Caulet, ami et disciple d'Olier avait dès 1637 pleinement confiance en la moralité et la piété des Thuillier, Le Nain. J., « Documents pour servir à l'étude des frères Le Nain », Bull. soc. hist. de l'art français, 1963, p. 175 Google Scholar.
page 146 note 3. Ternois, D., L'Art de Jacques Callot, Paris, 1962, p. 43 Google Scholar : « le thème des gueux, des joueurs de vielle, des rixes de mendiants est fréquent en Lorraine, de Bellange à Honzelet, à Callot et à La Tour ».
page 146 note 4. Les mendiants de Sébastien Bourdon, tableau que, dans le Catalogue de l'exposition des peintres de la réalité au XVIIe siècle, Ch. Sterling a décrit en ces termes : « derrière l'abside d'une chapelle gothique en ruines, à l'entrée d'une ville, de nombreux mendiants sont arrêtés… un petit garçon suit en mendiant un carosse qui s'éloigne. Au fond, à gauche, un seigneur qui passe sous le porche observe les mendiants ».
page 147 note 1. On doit encore à son atelier et probablement à un de ses élèves, l'horrible tableau de Chambéry où l'aveugle au couteau menaçant rappelle le premier patron en gueuserie du Lazarille de Tormès.
page 147 note 2. R. Doucet, Les institutions de la France au XVIe siècle, chap. XI ; et Paultre, G., La répression de la mendicité, Paris, 1906.Google Scholar
page 147 note 3. Règlement du Bureau des paumes de 1555 : « ordonné de faire édifier un nouvel hôpital pour y loger, enfermer et nourrir sobrement les dits hommes et femmes et autres pauvres incorrigibles ou invalides et impotents… lesquels on pourra céans faire travailler et employer à quelque manufacture », publié par Coyecque, M. E. dans le Bulletin de la Société de l'histoire de Paris, 1888, p. 105 Google Scholar et suiv. En 1586, un nouveau règlement précise : « outre le dit atelier des valides où travaillent journellement et en tous temps les pauvres gens valides, y aura un atelier à part où seront rais tous gens fainéants gens oisifs, vagabonds cagnardiers et coupeurs de bourse… ». Bibl. nat., Imprimés, Thoisy 318 (25).
page 148 note 1. Mémoire concernant les pauvres que l'on appelle enfermés, 1612, Archives curieuses de l'histoire de France, 1re série, t. XV, avec un projet de Statuts pour les hôpitaux des pauvres enfermés. Le mandement contre le vagabondage des mendiants valides de Paris, du 27 août 1612 se trouve dans Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, t. XVI.
page 148 note 2. Arrêt du Parlement cité par Paultre, , op. cit., p. 147 Google Scholar : « néanmoins par leur malice et corruption ils ont forcé les dits hôpitax, pour continuer de mendier par la ville, fait plusieurs émotions, battu et excédé les sergents qui les ont voulu prendre pour les enfermer ».
page 148 note 3. Paultre, op. cit., 3e partie, chap. I et suiv. ; le texte de l'édit de 1656 dans Isambert, t. XVII, p. 326.
page 149 note 1. Coste, P., Monsieur Vincent, Paris, 1932, t. 2, pp. 499 Google Scholar et 502 ; voir aussi dans le tome 6 de la correspondance, trois lettres de mars 1657, pp. 245, 250, 256. Elles sont citées par E. Chili, « Religion and mendicity in XVII th century France », International Review of social history, 1962.
page 149 note 2. Godeau, A., Discours sur l'établissement de l'Hópital général, 1657, p. 51.Google Scholar
page 149 note 3. Godeau, A., Ibid., p. 36 Google Scholar ; Hermant dans son Discours chrétien sur l'établissement du Bureau des pauvres ajoute le reproche d'imprévoyance : « Les chefs de ces petites familles qui n'ont rien de commun avec la prévoyance de la fourmi, et ayant les vivres à vil prix sont tombés d'un excès de confiance dans un excès d'oisiveté ou dans la débauche qui en est la suite ordinaire. »
page 149 note 4. Ibid., p. 36. Mêmes accusations de la part de J. B. Thiers, l'auteur d'un Avocat des pauvres (?), paru à Paris en 1676 ; « il s'en rencontre encore de fainéants… ils crient nous sommes les pauvres de Jésus-Christ, comme si Jésus-Christ reconnaissait pour ses pauvres, des gens qui sont si éloignés de sa sainteté, de sa vie et de ses mœurs… Us voudraient qu'on vengeât leur ressentiment non avec des paroles, mais avec le fer et le sang. Ce qui paraît par tant de crimes qu'ils commettent tous les jours en cachette. S'il arrive quelque sédition populaire, il n'y a personne qui fasse tant de désordre qu'eux ».
page 150 note 1. « Quantité de gens fainéants et vagabonds passent des nuits entières à fumer, prendre du tabac et jouer, ce qui a beaucoup contribué à entretenir la peste par la communication de toutes ces personnes, et qui est la principale cause de la pauvreté où se trouvent presque tous les ouvriers et gens de métier… » Arch. mun., Amiens, échevinage, 27 janvier 1670.
page 151 note 1. de Sales, Saint Francois, Introduction…, op. cit., édit. Florissone, pp. 29 et 32Google Scholar. Reconnaissons qu'aucun progrès matériel n'est compatible avec une interprétation littérale du message évangélique sur la pauvreté et les richesses.
page 151 note 2. Godeau, A., Discours sur l'établissement…, op. cit., pp. 73 et 88.Google Scholar
page 152 note 1. A l'article pauvre du Dictionnaire de Furetière, on peut lire : « qui n'a pas de bien, qui n'a pas les choses nécessaires à sustenter sa vie. Le sage a dit qu'il ne trouvait rien de plus insupportable qu'un pauvre superbe ». Puis viennent des allusions au Bureau des pauvres et à l'Hôpital général ; enfin ces deux dernières phrases : « auparavant, on était assass né de pauvres, qui demandaient l'aumône. Les mendiants, les pauvres sont appelés les membres de Jésus-Christ ». L'article mendiant est plus laconique : « gueux qui demande l'aumône, on a fait un Hôpital général pour y renfermer tous les pauvres ». Le Dictionnaire de Trévoux reprend cette rédaction et ajoute deux citations caractéristiques de Flécher : « On voyait des troupes errantes de mendiants, demander avec plus d'obstination que d'humilité, et importuner le monde du récit indiscret de leurs besoins… que de peine à contenir ces mendiants renfermés qui regardent leur asile comme une prison et qui croient n'avoir rien à ménager parce qu'ils n'ont rien à perdre. »
page 152 note 2. Paultre, , op. cit., p. 195.Google Scholar L'ordonnance du 10 octobre 1669 attribue l'insuccès partiel à la difficulté d'arrêter les mendiants et à l'animosité du peuple contre les archers de l'Hôpital général.
page 152 note 3. Ibid., pp. 161, 199, 312. Règlement du 23 mars 1680, Déclarations du 15 avril 1685, 28 janvier 1687 et 25 juillet 1700. Celle de 1687 prévoit les galères à perpétuité « pour ceux qui auront été trouvés mendiants et seront vagabonds sans domicile… les emmes seront fustigées, flétries et bannies ».
page 153 note 1. Sans doute on entendait encore des prédicateurs (Bossuet en 1659 et 1662, Cheminais dans ses sermons sur l'aumône, Fénelon) exalter avec les mêmes images la charité chrétienne, sans doute célébrait-on encore de beaux dévouements, mais l'intervention de l'État avait tari les sources de la générosité privée, tandis que les querelles doctrinales et le gallicanisme de cour avait affaibli le militantisme catholique.