Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Dans la première décennie du 6e siècle, Jacob de Sarug, dans un de ses memre, de ses sermons poétiques, a décrit la façon dont le paroissien moyen écoutait un sermon:
Quand le prédicateur parle sur le thème de la perfection, ça le laisse indifférent ; quand il raconte des histoires sur ceux qui ont excellé par leur zèle pour la justice, notre paroissien perd sa concentration, il est dans la lune ; si un sermon commence sur le sujet de la continence, il s'assoupit ; s'il continue en parlant de la sainteté, le voilà endormi. Mais si le prédicateur parle de la rémission des péchés, c'est alors que votre chrétien moyen se redresse. Ça, c'est parler de sa propre condition. Il se reconnaît. Son cœur se réjouit ; il ouvre la bouche ; il gesticule ; il prodigue des louanges sur le sermon : parce que le prédicateur traite, à ce moment, un thème qui lui tient à cœur.
The article considers the shift front an emphasis on the ultimate amnesty of God (modelled upon the prerogative of mercy ascribed to a late Roman emperor) as, in itself, sufficient reason for the acceptance into heaven of the average sinner, to a greater emphasis on the need for spécifie penitential satisfaction, by the sinner, in this world and in the next. The change is related to the change in the imaginative power of certain models of mercy and reconciliation, based on specific forms of state-system, some of which forms weakened in the West — or had always been absent, in the case of Ireland. Elsewhere, in Byzantium and the Near East, they continued largely unchanged, and even, in the case of Islam, were heightened in intensity.
The weakening of the sense of the amnesty of God was accompanied by a more intense sense of the individual. The individual believer was now seen as the bearer of specific sins, which must be atoned for by penance in this world and the next. The increased interest in “purgation ” in the other world would lead, eventually, to a notion of Purgatory.
* Cet article est le texte d'une présentation que j'ai faite dans le cadre du séminaire de Jean-Claude Schmitt à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, le 8 mars 1997. Je dois remercier Brigitte Bedoz-Rezak, Hagith Sivan et Jean-Claude Schmitt d'avoir lu une première version de ce texte. Quant à l'assistance au séminaire, il faudra attendre des années pour que j'arrive à faire miennes toutes les suggestions fertiles qui m'ont été prodiguées à cette occasion. Les traductions françaises des textes sont de moi.
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