Hostname: page-component-cd9895bd7-jn8rn Total loading time: 0 Render date: 2024-12-27T22:11:14.869Z Has data issue: false hasContentIssue false

Ce que Freud fait de l'histoire. A propos de « Une névrose démoniaque au XVIIe siècle »

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

Extract

Ce que nous appelons d'abord l'histoire n'est qu'un récit. Tout commence avec la devanture d'une légende, qui dispose des objets « curieux » dans l'ordre où il faut les lire. C'est l'imaginaire dont nous avons besoin pour que Y ailleurs répète seulement Y ici. Un sens reçu est imposé, dans une organisation tautologique qui ne dit rien d'autre que le présent. Quand nous recevons le texte, une opération a déjà été effectuée : elle a éliminé l'altérité et son danger, pour ne garder du passé, intégrés dans les histoires qu'une société entière se raconte à la veillée, que des fragments encastrés dans le puzzle d'un présent.

Ces signes arrangés en légende restent pourtant susceptibles d'une autre analyse. Alors commence une autre histoire. Elle tend à instaurer l'hétéronomie (« cela s'est passé ») dans l'homogénéité du langage (« cela se dit », « cela se ht »). Elle produit de l'historique dans l'élément d'un texte. A proprement parler, c'est faire de l'histoire.

Type
Frontières Nouvelles
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1970

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1. Freud, Sigmund, Gesammelte Werke, Imago Publishing, Londres, t. 13, pp. 315353 Google Scholar : Eine Teuflesneurose im siebzehnten Jahrhundert. Cette édition sera désignée par le sigle GW, suivi du numéro de la page. Du texte, on a la traduction anglaise dans la Standard Edition, vol. 19, pp. 69-105; la traduction française (pas très satisfaisante), dans Essais de psychanalyse appliquée, Gallimard, 1952, pp. 213254 Google Scholar.

page 656 note 1. L'information est en effet constituée par les documents sur la possession ou la sorcellerie (textes juridiques, médicaux, religieux, etc.); elle ne provient pas des sorciers ou des possédés, sinon pris dans le réseau des interrogatoires qui les accusent ou des récits qui les jugent.

page 656 note 2. Foucault, Ainsi Michel, Histoire de la folie à Page classique, Pion, 1961, préface, pp. vvi Google Scholar, sur cette structure de limite ou « structure de refus » : « L'histoire n'est possible que sur fond d'une absence d'histoire ». De l'étude que M. Foucault annonçait sur « l'expérience du démoniaque et la réduction qui en a été faite du XVIe au XVIIIe siècle » (ibid., p. 34, n° 1), on a un aperçu avec son article « Médecins, juges et sorciers au XVIIe siècle », dans Médecine de France, n° 200, 1969, pp. 121-128.

page 658 note 1. En même temps qu'au livre, déjà classique, de Mandrou, Robert, Magistrats et sorciers en France au XVIIe siècle, Pion, 1968 Google Scholar, je me permets de renvoyer à la documentation réunie dans J.-J. Surin, Correspondance, éd. M. de Certeau, DDB, 1966, et à une étude sur le sujet : « Une mutation culturelle et religieuse. Les magistrats devant les sorciers du XVIIe siècle », dans Revue d'histoire de VÉglise de France, 54, 1969, n° 2.

page 658 note 2. Ida Macalpine et Richard A. Hunter, Schizophrenia 1677, A Psychiatrie Study of anillustrated Autobiographical Record of Demoniacal Possession. W. Dawson, Londres, 1956, 197 p., avec la reproduction des peintures de Haitzmann.

page 658 note 3. Ibid., p. 103.

page 658 note 4. Ethnologue aussi et psychanalyste, Géza Rôheim adopte une perspective plus freudienne lorsqu'il replace cet élément (le diable femelle) dans l'organisation des indices fournis par Haitzmann. Il accepte l'interprétation proposée par Une névrose démoniaque ﹛Psychanalyse et anthropologie, Gallimard, 1967, pp. 523-525). Mais il en préfère une autre, qui serait freudienne au conditionnel passé (ce que Freud aurait dû ou pu dire) : « Si Freud avait écrit son article plus tard, je suis convaincu qu'il aurait interprété le Diable comme le surmoi. Les troubles commencent par de la mélancolie, c'est-à-dire des attaques violentes du surmoi contre le moi. Cela survient après la mort du père, et le sujet se sent coupable à cause de ses désirs de mort. Comme peintre, il se sent inférieur (complexe de culpabilité et d'infériorité) et promet d'être un bon fils du substitut paternel si celui-ci (le substitut du père ou surmoi) adoucit la pression qu'il fait peser sur lui et cesse d'inhiber l'activité de son moi. La lutte entre le moi et le surmoi prend fin quand les murs du monastère se referment sur lui. Désormais, il est en sécurité… » (ibid., p. 524, c'est moi qui souligne). Quoi qu'il en soit de la « lutte entre le moi et le surmoi » (qui a si souvent l'allure d'une guerre des dieux), l'évocation de cette « fin » ne semble pas conforme à la pensée de Freud, peu porté, nous le verrons, à clore l'histoire comme les légendes, avec une heureuse réconciliation. L'exégèse de Géza Rôheim laisse échapper le problème, essentiel, de « substitutions » ou de « placements » (cf. infrd), qui excluent, comme le dit J. Lacan, « la promesse d'une résolution ».

page 659 note 1. Cf. par exemple, l'étude d'Etienne Thuau, Raison d'État et pensée politique à l'époque de Richelieu, A. Colin, 1966, 478 p.

page 659 note 2. Je n'envisage ici que la signification théorique de cette position. Que Freud attribue aux manifestations plus distantes (qui sont aussi plus « isolées » de lui), et par-là, peut-être, aux traces désaf-fectées et « mortes » du sujet, le caractère d'être plus claires et plus abordables, cela pourrait être rapproché de son goût pour l'archéologie et ouvrir un jour sur sa propre psychologie.

page 661 note 1. S. Freud et W. C. Bullitt, Le Président Thomas Woodrow Wilson. Portrait psychologique, A. Michel, 1967. Préface de W. Bullitt, p. 8. C'est justement l'abondante et précise documentation réunie par Bullitt qui séduisit Freud : « Il désirait depuis longtemps faire l'étude psychologique d'un contemporain au sujet duquel des milliers de faits avaient été établis » (ibid.).

page 661 note 2. S. Freud, Totem et Tabou, Préface (trad. S. Jankélévitch).

page 661 note 3. Ibid.

page 661 note 4. Payer-Thurn, R., « Faust in Mariazell », dans Chronik des Wiener Goethe-Vereins, 1924, 3 Google Scholar.

page 661 note 5. Ainsi, Géza Rôheim (op. cit., pp. 20-21) considère trop vite les « événements primordiaux » évoqués par Freud comme purement mythiques et fantasmatiques. C'est en juger d'après un point de vue exclusivement historiographique et ne pas assez voir leur fonction dans le traitement freudien de l'histoire.

page 662 note 1. Claude Lévi-Strauss nous a écrit sur ce sujet une histoire policière qui démystifie le totémisme d'antan : Le Totémisme aujourd'hui, PUF, 1962, 155 p.

page 662 note 2. Freud renvoie lui-même (GW. 331) à Totem et Tabou. Dans ce livre, en soulignant le caractère « énigmatique » du totémisme, il se réfère incessamment aux deux schémas conceptuels de son interprétation : le parallélisme entre le « primitif » et l'enfant; le passage de l'ambivalence représentée à ses déploiements religieux (cf. surtout chap. 2 et 4; GW. t. IX, pp. 26-92 et 122-194).

page 662 note 3. Totem et Tabou, chap. 2; GW. t. IX, p. 27. C'est moi qui souligne.

page 663 note 1. Je laisse de côté l'argumentation de Freud à ce sujet.

page 665 note 1. On se souvient que Nietzsche trouvait « impudique » et « indécente », autant qu'illusoire, la prétention de trouver « la vérité » comme ça, immédiatement. Cf. Le Gai Savoir, Avant-propos.

page 666 note 1. Par « moments » (Momente) —ici, la dépression, l'inhibition au travail, le deuil du père, etc., constatables pendant la période viennoise située entre le premier et le second pèlerinage de Haitzmann à Mariazell —, Freud entend des facteurs dont la signification est simultanément temporelle et logique. Le terme implique une série de faits et une cohérence de ces faits.

page 666 note 2. Lacan, Jacques, Écrits, Seuil, 1966, p. 357 Google Scholar.

page 667 note 1. GW. 330. Freud reprend le mot à bien des reprises : cf. Selbstdarstellung, IV (GW. XIV, p. 66); Die Frage der Laienanalyse, V (GW. XIV, p. 250 : « Sache eines Taktes… »); etc.

page 667 note 2. Lacan, J., op. cit., pp. 355 Google Scholar et 362, page où est commenté un texte étonnant de Freud dans ses Conseils au médecin pour le traitement psychanalytique (GW., t. VIII, p. 376).