Hostname: page-component-cd9895bd7-gbm5v Total loading time: 0 Render date: 2024-12-26T03:37:18.130Z Has data issue: false hasContentIssue false

« Citoyens et amis ! » Esclavage, citoyenneté et République dans les Antilles françaises à l’époque révolutionnaire

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Laurent Dubois*
Affiliation:
Laurent DuboisMichigan State UniversityTraduit par Aurélien Berra

Résumés

Cet essai examine l’insurrection des esclaves, l’abolition et le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe pendant l’époque révolutionnaire. Il propose de comprendre la résistance des esclaves durant cette période comme un projet politique à part entière, qui créa sa propre culture politique, fut suscitée tout à la fois par le langage des droits et la signification nouvelle de la citoyenneté, et les transforma. On y interprète ensuite le retour en arrière qui eut lieu au début du XIXe siècle comme une conséquence de l’imagination politique défaillante des administrateurs de la métropole, qui, bien que les dirigeants antillais eussent été tout disposés à maintenir des régimes conservateurs, n’ont, en fin de compte, pas su accepter les conséquences radicales d’une citoyenneté républicaine sans distinction de race. Ce moment de l’histoire des Caraïbes fournit une occasion exceptionnelle d’apercevoir le sens réel de la culture politique élaborée par le républicanisme, ses possibilités et ses limites, ses éléments visionnaires et ses flagrantes contradictions.

Summary

Summary

This paper examines the process of slave insurrection, emancipation, and re-enslavement in Guadeloupe during the revolutionary period. It argues that the slave resistance of this period should be understood as the expression of a political project which created its own political culture, one that both responded to and transformed the language of rights and the meaning of citizenship. It interprets the reversal of emancipation of the early 19th century as the result of the failure of the political imagination of metropolitan administrators, who, despite the willingness of Antillean leaders to maintain fairly conservative regimes involving labor coercion, ultimately were unable to accept the radical implications of a raceless Republican citizenship. The history of the Caribbean during this period provides us with an exceptional window into the meaning of the political culture of Republicanism, into its possibilities and limits, its visionary elements and its contradictions.

Type
Révolutions dans l’aire caraïbe
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2003

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1 Voir le rapport du général Ménard : Archives nationales, Section outre-mer [ANSOM], C7A, 57, 21-37, p. 18 ; sur la carrière de Palerme, voir l’« État des Officiers », 29 fructidor an VI (15 septembre 1798) : Archives historiques de l’armée de Terre 2 8 2 [AHAT], Xi 80.

2 J’ai examiné la révolte de Trois-Rivières dans Les esclaves de la République : l’histoireoubliée de la première émancipation, 1789-1794, Paris, Calmann-Lévy, 1998. Le récit que l’on cite ici est tiré du Journal Républicain de la Guadeloupe, XIII (24 avril 1793) : ANSOM, C7A, 47, p. 124. Deux nouveaux travaux importants sur la Guadeloupe révolutionnaire : FRÉDÉRIC RÉGENT, Entre esclavage et liberté : esclaves, libres et citoyens de couleur en Guadeloupe, une population en Révolution (1789-1802), Thèse de doctorat, Université de Paris-I, 2002, et ANNE PÉROTIN-DUMON, La ville auxÎles, la ville dans l’Île : Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, 1650-1820, Paris, Karthala, 2000 ; voir aussi ID., Êtrepatriote sous les Tropiques : la Guadeloupe, la colonisation et la Révolution, 1789-1794, Basse- Terre, Société d’histoire de la Guadeloupe, 1985.

3 Les processus d’émancipation des esclaves ont contribué àredéfinir la signification de la race, de la liberté et du nationalisme, autant que la forme et le contenu des idéologies économiques et politiques, dans les Amériques comme en Europe. Pour un recueil d’essais récent qui constitue le meilleur travail sur l’impact de l’émancipation, voir Cooper, Frederick, Holt, Thomas et Scott, Rebecca, Beyond Slavery: Explorationsin Race, Labor and Citizenship, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2000 Google Scholar ; voir aussi Thomasholt, , The Problem of Freedom Race, Labor and Politics in Jamaicaand Britain, 1832-1938, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1992 Google Scholar.

4 Sur le Code Noir, voir Antoinegisler, , L’esclavage aux Antilles françaises XVIIe-XIXe siècle, Fribourg, Éditions universitaires, 1965, pp. 2526 Google Scholar, et Sala-Moulins, Louis, Le Code Noir,ou le calvaire de Canaan, Paris, PUF, 1988, pp. 192202 Google Scholar. Sur les gens de couleur et les restrictions légales àleur encontre, voir LÉO ELISABETH, « The French Antilles », in Cohen, D. et Green, J. (éds), Neither Slave Nor Free: The Freedman of African Descent in theSlave Societies of the New World, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1972, pp. 135171 Google Scholar.

5 Seeber, Edward, Anti-Slavery Opinion in France during the Second Half of the EighteenthCentury, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1937 Google Scholar. Sur la Société, voir Marceldorigny, et Gainot, Bernard, La Société des amis des Noirs, 1788-1799 : contributionà l’histoire de l’abolition de l’esclavage, Paris, Éditions de l’UNESCO, 1998 Google Scholar, ouvrage qui contient la liste complète des réunions de la Société. D’une manière plus générale, voir aussi l’ouvrage classique de Davis, David Brion, The Problem of Slavery in the Ageof Revolution, Ithaca, Cornell University Press, 1975 Google Scholar.

6 Raynal, Guillaume Thomas, Histoire philosophique et politique des établissements et ducommerce des Européens dans les Deux Indes, Genève, Pellet, 1780, vol. 3, pp. 204205 Google Scholar ; sur les liens avec Louis Sébastien Mercier, voir M. Dorigny et B. GAINOT, La Société desamis des Noirs…, op. cit., p. 18. Pour un point de vue critique sur la participation de Diderot àl’ouvrage de Raynal, voir Duchet, MichÈLe, Diderot et l’Histoire des Deux Indes, ou l’écriture fragmentaire, Paris, Nizet, 1978 Google Scholar.

7 Voir la description que donne James, Cyril Lionel Robert de la rencontre de Louverture et de Raynal dans The Black Jacobins, New York, Vintage, 1963, p. 25 Google Scholar. Voir égalementMICHÈ Leduchet, , Anthropologie et histoire au Siècle des lumières, Paris, François Maspero, 1971, pp. 137180 Google Scholar. Sur les procès en France, voir Peabody, Sue, « There Are NoSlaves in France »: The Political Culture of Race and Slavery in the Ancien Régime, New York, Oxford University Press, 1996 Google Scholar.

8 Weston, Helen, « Representing the Right to Represent: The Portrait of Citizen Belley, ex-Representative of the Colonies by A. L. Girodet », Res, 26, 1994, pp. 83109 Google Scholar.

9 Polverel, FranÇOis, Coup d’oeil impartial sur Saint-Domingue, ou notions sur les événementsqui ont eu lieu dans cette île depuis le commencement de la révolution… adressés au comitédu salut public, le 19 messidor an II (7 juillet 1794), Paris, An III, pp. 910 Google Scholar.

10 « Lettre de M. de Laumoy au ministre des Colonies » (ANSOM, C8A, p. 62), reproduite dansMARIE-HÉLÈNE LÉOTIN (éd.), La Martinique au temps de la Révolution française,1789-1794, Fort-de-France, Archives départementales, 1989, p. 43. Pour d’autres exemples de ce type d’argumentation, voir FLORENCE GAUTHIER, «Qu’est-ce que c’est la Terreur ? Terreur et abolition de l’esclavage, 1793-1794 », in Sicard, G. (éd.), Justice etpolitique : la Terreur dans la Révolution française, Toulouse, Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 1997, pp. 4758, ici pp. 48-52Google Scholar.

11 Blackburn, Robin, The Overthrow of Colonial Slavery, 1776-1848, Londres, Verso, 1988, pp. 169170 Google Scholar.

12 Geggus, David Patrick, « The Slaves and Free Coloreds of Martinique during the Age of the French and Haitian Revolutions: Three Moments of Resistance », in Paquette, R. et Engerman, S. (éds), The Lesser Antilles in the Age of European Expansion, Gainesville, University Press of Florida, 1996, pp. 280301 Google Scholar, ici pp. 282-283 ; « Lettre du gouverneur Vioménil au ministre de la Marine et des Colonies, 14 septembre 1789 » (ANSOM, C8A, p. 57), reproduit dans M.-H. LÉOTIN (éd.), La Martinique…, op. cit., p. 27.

13 D. P. GEGGUS, « The Slaves and Free-Coloreds of Martinique… », art. cit., pp. 284- 285 ; « Lettre du gouverneur Vioménil au ministre de la Marine et des Colonies, 14 septembre 1789 » (ANSOM, C8A, fol 57), reproduite dans M.-H. LÉOTIN (éd.), LaMartinique…, op. cit., p. 27.

14 « Copie d’une lettre anonyme adressée àB. M. Mollerat, de Saint-Pierre, le 28 août 1789 » (ANSOM, C8A, p. 68), reproduite dans ibid., pp. 19-20.

15 « Copie de la lettre des esclaves de la Martinique, 29 août 1789 » (ANSOM, C8A, p. 69), reproduite dans ibid., pp. 20-21.

16 Voir Thornton, John, Africa and Africans in the Making of the Atlantic World, New York, Cambridge University Press, 1998, pp. 320332 Google Scholar. Sur la Martinique, voir JOSETTE FALLOPE, « Contribution de Grand Lahou au peuplement afro-caribéen », in S. DAGET (éd.), De la traite à l’esclavage (Actes du colloque international sur la traite des Noirs, Nantes,1985), Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 1988, pp. 9-24, ici p. 17. Sur la conspiration d’Antigua, voir Gaspar, David Barry, Bondsmen and Rebels: A Study ofMaster-Slave Relations in Antigua, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1985 Google Scholar.

17 « Le gouverneur Clugny au ministre, 21 mai 1791 » (ANSOM, C7A, 45, p. 5).

18 VICTOR COLLOT, « Insurrection de Sainte-Anne », dans Précis d’événements qui se sontpassés à la Guadeloupe pendant l’administration de Georges Henri Victor Collot (ANSOM, C7A, 46, pp. 15-40) ; « Procès-verbal dressé par la municipalité de Sainte-Anne du soulèvement d’esclaves survenu sur son territoire le 26 août 1793 », Archives nationales [AN], DXXV 121, dossier 959, reproduit dans A. PÉROTIN-DUMON, É tre patriote sous lesTropiques…, op. cit., pp. 278-282 ; « État des esclaves jugés et exécutés depuis le 31 août 1792 au 12 septembre courant » (AN, DXXV 121, dossier 958).

19 Une bonne description de ce processus se trouve dans Fick, Carolyn E., The Makingof Haiti: The Saint-Domingue Revolution from Below, Knoxville, University of Tennessee Press, 1990, chap. VIIGoogle Scholar. Sur les gens de couleur, voir Garrigus, John, notamment « Redra wing the Colour Line: Gender and the Social Construction of Race in Pre-Revolutionary Haiti », Journal of Caribbean History, 30-1/2, 1996, pp. 2850 Google Scholar.

20 Á propos de la séance de la Convention nationale, voir Reinhard, Marcel, Lefebvre, Georges et Bouloiseau, Marc (éds), Archives parlementaires de 1787 à 1860, premièresérie (1787-1799), Paris, CNRS, 1962, t. 84, pp. 276285 Google Scholar ; sur la déclaration de Sonthonax, voir « Sonthonax, ci-devant commissaire civil, délégué de Saint-Domingue, àla Convention nationale, 2 fructidor an II » (AN, ADVII, 20A).

21 Voir Gainot, Bernard, « La constitutionnalisation de la liberté générale sous le Directoire », in Dorigny, M. (éd.), Les abolitions de l’esclavage de L. F. Sonthonax àV. Schoelcher, 1793, 1794, 1848, Paris, Presses universitaires de Vincennes, 1995, pp. 213 229 Google Scholar. Á propos de la loi, voir « Loi concernant l’organisation constitutionnelle des colonies, 12 nivôse an VI (1er janvier 1798) », AN, ADVII, 20A. Il n’y a pas de preuve directe que d’anciens esclaves votèrent en Guadeloupe – il n’existe aucune liste électorale –, mais on constate que le nombre total des votants de 1799, calculé d’après le nombre d’électeurs, paraît dépasser d’environ 6 000 voix la population des Blancs et libres de couleur de l’île. Même si le nombre réel des gens de couleur libres vivant sur l’île était plus important que celui donné par les recensements, une différence de cette ampleur fait penser que certains des votants étaient bien d’anciens esclaves (voir « Procès-verbal de l’assemblée électorale du département de la Guadeloupe, 20 germinal an VII (9 avril 1799) », AN, C577, 102).

22 « Discours prononcé par Laveaux, sur l’anniversaire du 16 pluviôse an II », Corps Législatif, Conseil des Anciens ; « Motion d’ordre, faite par P. Thomany, Député du Département du Nord, sur l’anniversaire de la liberté des Noirs dans les colonies Françaises », Corps Législatif, Conseil des Cinq Cents, tous deux du 16 pluviôse an VII (4 février 1799), documents conservés àla BNF (Département des Imprimés).

23 « Motion d’ordre faite par Mentor » (AN, ADVII, 21A, 52) ; la loi contre laquelle réagissait Mentor, datée du 3 prairial an VI (22 mai 1798), est aux AN, ADVII, 20B.

24 Voir Gauthier, Florence, « La Convention thermidorienne et le problème colonial, septembre 1794-septembre 1795 », in Vovelle, M. (éd.), Le tournant de l’an III : réactionet terreur blanche dans la France révolutionnaire, Paris, Éditions du CTHS, 1997, pp. 109119 Google Scholar. Voir aussi C. E. FICK, The Making of Haiti, op. cit., pp. 196-203. Sur l’océan Indien, voir CLAUDE WANQUET, La France et la première abolition de l’esclavage, 1794-1802 : le casdes colonies orientales, Paris, Karthala, 1998. Pour une analyse des politiques mises en oeuvre par Bonaparte et des forces qui les sous-tendent, voir Benot, Yves, La démence colonialesous Napoléon, Paris, La Découverte, 1992 Google Scholar. Sur la politique de Louverture, voir Lundahl, Mats, «Toussaint Louverture and the War Economy of Saint-Domingue, 1796- 1802 », Slavery and Abolition, 6-2, 1985, pp. 122138 CrossRefGoogle Scholar. Sur Daniel Lescallier, voir la transformation qui se produit entre les Réflexions sur le sort des Noirs dans nos colonies, Paris, 1789, et les Notions sur la culture des terres basses dans la Guiane, Paris, 1799.

25 Voir Y. BENOT, La démence coloniale…, op. cit., p. 62, et MARCEL BONAPARTE AUGUSTE et CLAUDE BONAPARTE AUGUSTE, La participation étrangère à l’expédition française de Saint-Domingue, Port-au-Prince, Imprimerie Henri Deschamps, 1990, pp. 11 et 57-58.

26 Voir Dubois, Laurent, « The Price of Liberty: Victor Hugues and the Administration of Freedom in Guadeloupe, 1794-1798 », William and Mary Quarterly, LVI-2, 1999, pp. 363392 CrossRefGoogle Scholar, et « Republican Racism and Anti-Racism: A Caribbean Genealogy », FrenchPolitics, Culture and Society, 18-3, 2000, pp. 5-17. Sur la révolte de 1797, voir : « Hugues et Lebas au ministre, 24 nivôse an VI (13 janvier 1798) », ANSOM C7A, 50, 4-11.

27 « Déposition de Lambert Mauther, frimaire an VII (décembre 1798) », AN, AF III 209, dossier 954, 58 ; « copie d’une lettre envoyée àl’éditeur Cabre, de Basse-Terre, et interceptée », AN, AF III 209, dossier 954, 62.

28 « Déposition de Pierre Metro, 5 nivôse an VII (25 décembre 1798) », AN, AF III 209, dossier 954, 59 ; « déposition du citoyen Beaugendre, 15 nivôse an VII (4 janvier 1799) », AN, AF III 209, dossier 954, 60.

29 Lacour, Auguste, Histoire de la Guadeloupe, Basse-Terre, Imprimerie du Gouvernement, 1858, t. 3, pp. 253255 Google Scholar. Il n’existe dans les archives aucun exemplaire de cette proclamation ; elle fut originellement publiée en 1848 dans un ouvrage anti-esclavagiste de FÉLIX LONGIN, Voyage à la Guadeloupe : ouvrage posthume, puis une décennie plus tard dans celui de Lacour, qui la tenait peut-être du livre de Longin ou bien en avait trouvé une copie encore en circulation en Guadeloupe. Voir Y. BENOT, La démence coloniale…, op. cit., pp. 71-72 et la n. 36.

30 Voir le rapport du général Ménard (ANSOM C7A, 21-37, p. 28). Une belle collection de documents sur les combats de cette période en Guadeloupe est àconsulter dans AdéLaiéDe-Merlande, Jacques, Benelus, René et Régent, FréDéric, La rébellion enGuadeloupe, 1801-1802, Basse-Terre, Société d’histoire de la Guadeloupe, 2002 Google Scholar.

31 Sur la lettre de Bramante Lazzary, voir AN, DXXV 23, 231, lettre 98 ; sur la délégation conduite par Odo, voir Florence Gauthier, « Le rôle de la députation de Saint- Domingue dans l’abolition de l’esclavage », in M. Dorigny (éd.), Les abolitions de l’esclavage…, op. cit., pp. 200-211.