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Des Catégories aux Liens Individuels : L'Analyse Statistique de L'Espace Social

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Alain Blum
Affiliation:
INED
Maurizio Gribaudi
Affiliation:
EHESS

Extract

Pendant des décennies l'histoire sociale a essayé de reconstruire les espaces et les mécanismes dans lesquels naissent et se déterminent les physionomies individuelles et sociales. Après avoir découvert la complexité des éléments qui peuvent les caractériser, on a pris conscience de la distance qui existe entre le phénomène et ses représentations. Dès lors on s'est intéressé à la forme et aux catégories du discours pour mieux saisir cette distance et mesurer les enjeux qui se jouent dans chaque contexte historique. Mais, paradoxalement, l'analyse herméneutique des sources et des catégories analytiques semble s'accompagner de l'oubli des paysages sociaux concrets qui les avaient provoqués et qui avaient rendu nécessaire la « quête de sens » opérée par les différents acteurs historiques.

Ce paradoxe est particulièrement évident en histoire contemporaine. Celleci s'est développée en prenant une distance vis-à-vis des idéologies et des interprétations politiques qui ont pesé et pèsent encore sur l'analyse des processus sociaux.

Summary

Summary

The categories used for the analysis of social structures and mobility are marked by the ideologies that lead to the devising of statistical grids. But the rigidity of these models and causal explanations, against which a major part of contemporary historiography has rebelled, is above ail due to the workings of traditional descriptive statistics themselves. In the first section the authors describe the mechanisms by which these workings shape the objects of analysis. By interpreting the same group of 19th century marriage certificates using a variety of grids, they highlight the different distorsions caused by the grouping of data into categories and by the successive formation of tables and cross tables. In the second section the authors show that it is in fact possible to conceive more subtle forms of statistical description and analysis, better adapted to the needs of the historian. The formalisation of data using graphs allows them, for example, to isolate the specificity ofthe individual data, to go beyond a simple grouping and to break away from the traditional qualitative-quantative opposition. In this way they suggest that it is possible to develop models for quantitative analysis capable of taking account of the mechanisms of micro-social determinations.

Type
Les Individus dans L'Espace Social
Copyright
École des hautes études en sciences sociales Paris 1990 

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References

Notes

* Nous remercions M. Ferro, G. de la Gorce, H. Le Bras, G. Levi, D. Milo, J. Revel, P. A. Rosental et C. Thélot pour leur lecture attentive d'une première ébauche de cet article.

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3. Les mécanismes fins des dynamiques sociales étaient notamment approchés à partir de grilles qui étaient presque toujours la reproduction plus ou moins directe des catégories socio-professionnelles contemporaines, elles-même produit de la longue histoire du développement de la statistique administrative et de ses rapports avec la sociologie.

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5. Sorokin, P., Social Mobility, 1927 (repris dans Social and Cultural Mobility, Glencoe, 111., Free Press, 1959, 645 p.).Google Scholar

6. Ces opérations avaient été mises au point dans un cadre scientifique marqué par une vision très mécaniste et macro-sociale qui prend comme postulat de base le grand nombre et l'individu moyen, rattachant ainsi cette tradition à une longue lignée qui prend sa source dans A. Quetelet et E. Durkheim.

7. Goldthorpe, J. H., Social Mobility and Class Structure in Modem Britain, Oxford, Clarendon Press, 1970,Google Scholar est une des étapes marquantes. Hauser, R. M., « Some Exploratory Methods for Modeling Mobility Tables and other Cross-Classified Data», dans Schuessler, K. F. éd., Sociological Methodology, 1980, ch. 14, pp.413458;CrossRefGoogle Scholar Thélot, C., «L'évolution de la mobilité sociale dans chaque génération », Economie et Statistique, 161, décembre 1983, pp. 321.CrossRefGoogle Scholar

8. Bertaux, D. éd., Biography and Society : The Life History Approach in the Social Sciences, Beverly Hills, 1981;Google Scholar Hareven, T. éd., The Family and the Life-Course in Historical Perspective, New York, 1978;Google Scholar Gribaudi, M., « Itinéraires personnels et stratégies familiales : les ouvriers de Renault dans l'entre-deux-guerres », Population, 6, novembre-décembre 1989;Google Scholar Tilly, L., « Individual Lives and Family Stratégies in the French Prolétariat” dans Wheaton et Hareven, T. éds, Family and Sexuality in French History, Pennsylvania Press, 1980.Google Scholar

9. Ce corpus est celui de l'enquête dite des « 3 000 familles », dirigée par J. Dupâquier. Il est constitué de l'ensemble des actes de mariages du xixe siècle dont l'un des deux conjoints a un patronyme commençant par les trois lettres Tra. Pour plus de détail sur ce corpus, cf. Bulletin des 3 000 familles, Bulletin de liaison bisannuelle de l'enquête éditée par le Laboratoire de Démographie historique.

10. Berge, C., Théorie des graphes, Paris, Dunod, 1967.Google Scholar

11. En son sein priment les cultivateurs (27 % des individus) et cinq autres professions (journaliers, domestiques, propriétaires, laboureurs, tisserands).

12. La précision de la nomenclature industrielle provient notamment de distinctions reposant sur la matière première travaillée, la nature de la transformation effectuée, etc.

13. Parmi les professions qui apparaissent communément dans les deux tableaux l'écart-type calculé sur la moyenne des pourcentages de chaque profession est de 9 pour les origines et de 7 pour les destinées.

14. Le problème de la position de la profession dans le cycle de vie explique que les domestiques, dont la profession est temporaire, ne sont pas fils de domestiques, par exemple. Il se pose pour quelques autres cas.

15. Lavoisier dans son ouvrage De la richesse territoriale du Royaume de France, 1791, publié et présenté par J.-Cl. Perrot, Paris, Éditions du CTHS, 1988, propose les catégories suivantes : 1. populations des villes et gros bourgs, en ce nombre, non compris les agents de l'agriculture qui demeurent dans les villes et bourgs ; 2. laboureurs, fermiers, valets, filles de basse-cour, bergers, hommes, femmes et enfants compris; 3. journaliers occupés à battre en grange pendant l'hiver […], vivant aux dépens de l'agriculture, eux et leurs familles ; 4. vignerons et leurs familles ; 5. salariés par les vignerons et propriétaires de vignes ; 6. marchands, cabaretiers, fournisseurs des bourgs et villages, maréchaux, bonnetiers, charrons, vivant aux dépens de l'agriculture, hommes, femmes et enfants compris; 7. petits propriétaires vivant, pour la plus grande partie, de leurs fonds; 8. matelots, journaliers de toutes espèces, attachés aux manufactures hors des villes […], rouliers, nobles, ecclésiastiques et leurs domestiques, vivant hors des villes ; 9. armée française. Sur les catégories du xvine siècle, et le lien qu'elles ont avec la perception sociale de l'époque, on pourra consulter Perrot, J.-Cl., «Rapports sociaux et villes au XVIII= siècle», Annales Esc, 1968, n°2, pp. 241267.Google Scholar

16. Bourguet, M.-N., Déchiffrer la France. La statistique départementale à l'époque napoléonienne, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 1988;Google Scholar Perrot, J.-Cl.,L'âge d'or de la statistique régionale française (an IV-1804), Paris, Société des Études robespierristes, 1977;CrossRefGoogle Scholar Dupâquier, J. et Mée, R. Le « La connaissance des faits démographiques, de 1789 à 1914 », dans Dupâquier, J. éd., Histoire de la population française, t. 3, Paris, PUF, 1988, pp. 1562.CrossRefGoogle Scholar

17. Pour être plus précis, il faut distinguer deux types d'évolution dans la mise en place des catégories statistiques qui ensuite vont se figer pendant près d'un demi-siècle (jusqu'au recensement de 1954). La catégorie d'analyse de base, l'unité statistique est, en 1856, le ménage, la profession étant rattachée à cette unité et non à l'individu. Après diverses fluctuations, elle se fixera définitivement à l'individu au recensement de 1866. Cette distinction ne pourra être utilisée ici, nos professions se rattachant aux seuls individus. D'autre part, dans le recensement de 1896 la trilogie patrons/employés/ouvriers se surimpose aux catégories professionnelles. Elle ne pourra être appliquée à nos données.

18. La nomenclature de 1896 est aussi l'aboutissement de toute une réflexion engagée au sein de l'Institut international de Statistique. Voir par exemple Bertillon, J., « Nomenclature des professions. Comptes rendus de la 4e session du congrès de Chicago (1893) », dans Bulletin de l'Iis, t. VIII, 1895, pp. 226262.Google Scholar Pour une description des diverses nomenclatures utilisées dans les différents recensements de la SGF, on pourra consulter Desrosières, A., « Éléments pour l'histoire des nomenclatures socio-professionnelles » dans Pour une histoire de la statistique, t.1 (contributions), Paris, INSEE, 1976, pp. 155231.Google Scholar

19. Concrètement nous avons utilisé la table alphabétique des professions que l'on trouve en annexe du recensement et qui associe à chaque profession un code, renvoyant à une catégorie.

20. Le recensement de 1896 est le premier à utiliser extensivement la notation décimale pour définir les catégories. Cependant, cette mise en oeuvre reste incomplète, les coupures des grandes catégories ne correspondant pas toujours à un système d'unité fixe. Nous avons repris les grandes coupures proposées.

21. C'est-à-dire la case correspondant à un père dans l'industrie textile (lignes du tableau) et à un fils dans l'industrie textile (colonnes du tableau).

22. Notamment, dans ce cas, suivant le modèle protoindustriel nous aurions pu expurger du secteur industrie textile toutes les activités qui n'impliquent pas un travail d'usine.

23. Il est vrai que le développement de l'utilisation de modèles log-linéaires rompt cette interprétation en terme de contiguïté. Mais, curieusement, cette divergence importante entre une analyse classique qui tend à rapprocher lignes et colonnes de façon à avoir une progression autour de la diagonale et une analyse log-linéaire qui fait fi des contiguïtés est rarement mise en avant.

24. On peut de plus noter qu'avant 1848, on décompte 79 dénominations professionnelles qui peuvent être rattachées à la catégorie industries textiles (des calicotiers, badostamiers ou cardeurs et autres fileurs de lin et maîtres tailleurs) ; le corpus comprend alors 1453 dénominations dans son ensemble. Deux professions (tisserand et tailleur) forment, à elles seules, 63 % de cette catégorie. Après 1848, on dispose de 117 dénominations professionnelles rattachées aux industries textiles; 1125 dénominations sur l'ensemble du corpus. Les deux mêmes professions ne regroupent plus que 56 % des individus de la catégorie.

25. Sewell, W. H., Structure and Mobility : The Men and Women in Marseille, 1820-1870, Cambridge, Cambridge University Press; Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1985.Google Scholar

26. Szretzer, S. R. S., « The Genesis of the Registrar-General's Social Classification of Occupations », The British Journal of Sociology, vol. XXXV, 4, 1986, pp. 522546.Google Scholar

27. Voir en particulier le colloque de l'Insee, Pour une histoire de la statistique, 1.1, Paris, 1976.

28. Il donne en annexe de son ouvrage une table de correspondance suffisamment détaillée pour pouvoir effectuer ce travail, W. Sewell, op. cit., 1985, pp. 327-337.

29. En définissant comme ville tout chef-lieu d'arrondissement et en y adjoignant les agglomérations de plus de 2000 habitants en 1906.

30. « The occupational catégories described (…) are based chiefly on économie function rather than on différences of wealth or status », W. Sewell, op. cit.

31. Cette classification a une origine administrative. Cependant elle a été développée et justifiée ensuite surtout dans le cadre des recherches sociologiques anglaises et américaines. Son apparition dans la recherche historique date des années soixante dans les travaux de la New Urban History et de la New Social History nord-américaines.

32. Sauf, bien sûr, le groupe « maritimes » adapté à Marseille.

33. W. Sewell s'avance dans la direction d'une remise en cause des catégories, sans pour autant la pousser jusqu'au bout.

34. De tisserand on est passé à industrie textile ou à artisanat, de raffineur on est passé à industrie alimentaire ou à main-d'oeuvre non qualifiée (unskilled).

35. Cf. n. 6.

36. Des contraintes d'intensité de lien sont ainsi ajoutées dans une seconde étape permettant de mieux préciser ces zones. Plus précisément on a considéré qu'un lien existe si, pour les professions de niveau inférieur à 4, il représentait au moins 25 % de l'ensemble des liens rattachés à cette profession, et si, pour les professions de niveau strictement supérieur à 4, il en représentait 75 % ou plus.

37. Pour permettre une comparaison entre les composantes des trois groupes nous avons aussi cassé l'ordre alphabétique utilisé jusqu'à maintenant et nous avons réuni, de façon volontairement sommaire, les diverses professions.

38. On est étonné par la forte analogie entre la forme de ces canaux de mobilité verticale et les images qu' Dumont, A., Dépopulation et civilisation, Paris, Lecrosnier et Babé, 1890 Google Scholar donnait vers la fin du siècle des groupes reflétant les aspirations des campagnes françaises. Cf. Béjin, A., « Néomalthusianisme, populationnisme et eugénisme en France de 1870 à 1914 », dans Dupâquier, J. éd., Histoire de la population française, op. cit., t. III, pp. 481498.Google Scholar Voir aussi A. Béjin, «A. Dumont et la capillarité sociale », Population, 6, novembre-décembre 1989, pp. 1009-1 028.

39. R. Needham, «Polythetic Classification: Convergence and Conséquences», Man, sept. 1975, pp. 349-369.