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Jeff Horn, The Making of a Terrorist: Alexandre Rousselin and the French Revolution, Oxford, Oxford University Press, 2021, 243 p.

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Jeff Horn, The Making of a Terrorist: Alexandre Rousselin and the French Revolution, Oxford, Oxford University Press, 2021, 243 p.

Published online by Cambridge University Press:  26 April 2023

Yannick Bosc*
Affiliation:
yannick.bosc@univ-rouen.fr
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Abstract

Type
Guerre et violences politiques (de l’Antiquité à l’âge des Révolutions) (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Très proche des cercles du pouvoir sans avoir véritablement cherché à l’exercer, Alexandre Rousselin (1773-1847) n’a pas retenu l’attention des historiens, à tort comme le montre cette étude bien documentée dans laquelle Jeff Horn raconte la vie d’un « terroriste ». Cette histoire ne concerne pas seulement l’action de Rousselin pendant la « Terreur », mais aussi la manière dont, jusqu’à sa mort, celui-ci dut faire face à son passé. À travers la biographie de ce personnage, l’auteur interroge la construction de « l’identité historique » (p. 188) d’une génération dans sa relation à la Révolution.

Alexandre Rousselin a 16 ans en 1789. Il vient d’achever ses études au collège d’Harcourt à Paris, où il a acquis une solide éducation et rencontré ceux qui l’aideront plus tard dans sa carrière. Au début de l’année 1790, il devient le secrétaire de Camille Desmoulins, puis, à partir de septembre 1791, celui de Georges Danton. En 1792, il est commis au ministère de l’Intérieur et secrétaire de la section des Quatre-Nations (future section de l’Unité). À la suite des journées des 31 mai-2 juin 1793, Rousselin est promu chef de division au ministère de l’Intérieur, prend en charge la coordination des signalements des espions de la police parisienne et dirige la Feuille du salut public, créée par le Comité de salut public en août 1793. Entre octobre et décembre 1793, à la demande du même comité, il est envoyé à Provins et à Troyes par le ministère de l’Intérieur. Dans ces deux villes, il purge l’administration en écartant les citoyens aisés et en choisissant ceux qui adhèrent à ce que l’auteur qualifie d’« idéologie rousseauiste-républicaine », un « programme radical » caractérisé par l’anticléricalisme et « l’inversion de l’ordre social ». Rousselin supprime toutes les fonctions sacerdotales, la cathédrale de Troyes est transformée en temple de la raison, et il entend, selon ses termes, « assurer les moyens d’existence des pauvres en prélevant un impôt sur les riches » (p. 50). Il demande au Comité de salut public d’approuver l’érection d’une guillotine et d’établir un tribunal révolutionnaire. Très vite, Rousselin et le comité révolutionnaire composé d’hommes qu’il a choisis se heurtent à l’hostilité d’une partie des Troyens qui dénonce des arrestations injustifiées. Les sections inculpent le maire, principal allié de Rousselin, et les modérés tentent de reprendre le contrôle de la société populaire. Fin décembre, le représentant en mission Jean-Baptiste Bô est envoyé à Troyes et reprend la situation en main : 83 militants modérés sont arrêtés, accusés de s’opposer à la taxe sur les riches et de répandre des pots-de-vin pour retrouver leur influence. La municipalité est réorganisée, les alliés de Rousselin retrouvent leurs places et la société populaire est épurée. Quatre prisonniers sont envoyés à Paris et sont exécutés un mois plus tard.

De retour à Paris, Rousselin est confronté à la « lutte des factions » et comprend vite le danger de la conversion de Danton à la modération, une position impopulaire au moment où l’effort de guerre est à son paroxysme. Danton et Desmoulins étant de plus en plus isolés, Rousselin est obligé de trouver de nouveaux mentors et de nouveaux réseaux. Il est rattrapé par sa mission dans l’Aube lorsque des Troyens dénoncent sa relation avec Danton, lui reprochent d’avoir agi en despote et gaspillé l’argent public. Il est incarcéré en mai 1794 à la prison de La Force. Le Comité de sûreté générale ordonne l’arrestation de 16 proches collaborateurs de Rousselin, alors que Robespierre fait relâcher 320 suspects dans l’Aube, ce qui sonne comme un désaveu. Jugé par le Tribunal révolutionnaire le 20 juillet 1794, Rousselin est acquitté et ses accusateurs sont à leur tour inquiétés. Sous la Convention thermidorienne, il est de nouveau plusieurs fois arrêté puis libéré grâce aux soutiens dont il dispose. Il retrouve définitivement la liberté après l’insurrection de Vendémiaire, le Directoire naissant mobilisant les « terroristes » repentis dans sa lutte contre le péril royaliste. Celui qui reste un républicain et un démocrate affirmé – et sera même suspecté de babouvisme – travaille à sa réhabilitation en se construisant un passé de victime de Robespierre. Toujours dans les coulisses du pouvoir, Rousselin est aux côtés de Lazare Hoche au moment où s’élabore le projet de débarquement en Irlande. Il est le secrétaire particulier de Paul Barras, sert d’intermédiaire entre le directeur et Charles Pichegru au moment du coup d’État de fructidor, puis devient le secrétaire général de Jean-Baptiste Bernadotte au ministère de la Guerre, dont il partage l’hostilité au 18 brumaire. Il est d’autant moins en odeur de sainteté auprès de Bonaparte qu’il entretient une liaison avec Joséphine de Beauharnais au moment de la campagne d’Égypte.

Rousselin entame alors une carrière d’homme de lettres, écrit des épigrammes à succès et des livrets d’opéra pour André Grétry et Étienne-Nicolas Méhul. Il rencontre Germaine de Staël et Benjamin Constant qui deviennent des amis proches. Sur le modèle de Plutarque, il publie, en 1797, une Vie de Lazare Hoche, biographie édifiante et plusieurs fois rééditée, une notice sur le général Chérin – un proche de Hoche – et une autre sur le général Marcellin Marbot, personnages qu’il traite comme des figures héroïques, incarnations vertueuses d’un républicanisme jacobin dont Bonaparte est le négatif. Il projette également sa propre histoire, Hoche et Marbot ayant comme lui été emprisonnés pour des raisons politiques. Sous l’Empire, il est à la fois employé comme espion par Joseph Fouché, contraint à un exil intérieur, et protégé par Talleyrand. Il se rapproche de Napoléon au moment des Cent-Jours. Entre-temps, il s’est uni par les liens du mariage à une famille royaliste et a pris le nom et le titre de noblesse de l’homme que sa mère avait épousé en secondes noces. Alexandre-Charles-Omer Rousselin devient comte de Corbeau de Saint-Albin. Sous la Restauration, il fonde Le Constitutionnel, le plus grand quotidien de son temps. Devenu un patron de presse aux revenus très confortables, possédant un château dans la vallée de la Loire, il adopte l’identité d’un noble libéral de vieille famille, espérant faire oublier la réputation de Rousselin le « terroriste ». Étroitement lié à Jacques Lafitte, Casimir Périer, Lafayette, Adolphe Thiers et à Louis-Philippe qui est le parrain de son fils cadet, il soutient la révolution de Juillet mais craint les débordements populaires.

Son passé resurgit lorsque des pamphlets dévoilent ses actions à Troyes et ses arrangements avec la généalogie. Sa position sociale lui permet d’étouffer l’affaire. Il est également rattrapé par l’histoire de la Révolution française en train de s’écrire. Philippe Buchez et Pierre-Célestin Roux-Lavergne doivent imprimer une réponse de Rousselin dans leur Histoire parlementaire de la Révolution française et Joseph-Marie Quérard est obligé de se rétracter dans la notice qu’il lui consacre dans La France littéraire. J. Horn dresse le portrait d’un homme hanté par la Révolution, avec laquelle il entretient un rapport complexe – il partage cette obsession avec ses contemporains, à une époque où le contrôle de l’histoire révolutionnaire est capital. En dépit des reniements, il reste à certains égards fidèle à son passé, en tout cas fidèle en amitié. Il soutient financièrement Jean-Lambert Tallien lorsqu’il apprend son dénuement et aide la veuve du général Claude-François de Malet. Barras lui confie ses mémoires qu’il ne publie pas afin de ne pas divulguer des informations pouvant embarrasser ses proches. Il détient le journal et les notes de Pichegru, des papiers de Desmoulins et dispose d’une importante collection de portraits et d’objets révolutionnaires, le plus spectaculaire étant présenté par J. Horn dès les premières lignes de l’introduction. Le lecteur apprend ainsi que Rousselin possédait le crâne de Charlotte Corday, conservé dans l’alcool et caché dans un cabinet secret – une relique qu’il exhibe pour quelques visiteurs choisis.

Si le volume s’ouvre sur cette note macabre, J. Horn ne sacrifie pourtant pas à la fascination pour la violence révolutionnaire, une tendance qui caractérise souvent l’historiographie révolutionnaire lorsqu’elle aborde la « Terreur », en particulier dans le monde anglophone. Il la contextualise et rappelle combien la guerre est décisive. Contre l’historiographie dite « révisionniste » (François Furet, Keith M. Baker), il rejette l’interprétation selon laquelle la « Terreur », entendue comme répression, serait inhérente au projet de la Révolution française. Il met également à distance les clichés d’une « Terreur » qui serait l’instrument de Robespierre. Il aurait été cependant utile que les catégories de « Terreur » et de « terroriste », qui sont au centre de cette étude, soient davantage historicisées, et ce d’autant que l’historiographie de ces trente dernières années – brièvement présentée dans un appendice – les a revisitées. Peut-on encore évoquer le « redoutable ‘Règne de la Terreur’ » (p. 3) sans expliciter – autrement que de manière succincte dans l’appendice – la construction politique et historiographique de la formule ? Les « thermidoriens » qui forgent les notions de « Terreur » et de « terrorisme » ne les associent pas seulement à une justice expéditive, mais aussi, de manière plus surprenante compte tenu du récit dont nous avons hérité, à la démocratie. En 1795, Boissy d’Anglas partage avec Jeremy Bentham l’idée selon laquelle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est le « langage de la Terreur ». On aurait dès lors souhaité disposer d’un travail plus précis sur la nature du « républicanisme démocratique » (p. 22) auquel adhère Rousselin et ne pas rester sur des généralités. La mobilisation régulière de la catégorie d’« État » (« La Terreur dirigée par l’État », p. 4 ; « violence d’État », p. 61 et 189 ; « État central », p. 62 et 191, etc.) mériterait également d’être questionnée, puisque ce que nous appelons communément « l’État » aujourd’hui – l’État exécutif – n’a guère de sens avant le Consulat. Ces usages entretiennent la confusion classique entre la centralisation administrative (qui concerne le pouvoir exécutif) et le centralisme législatif, ce qui ne permet pas de comprendre la nature du gouvernement révolutionnaire. Ces remarques ne diminuent cependant en rien les qualités d’un ouvrage déjà dense – à l’image de la vie de Rousselin –, en particulier parce qu’il traite comme une unité des périodes de l’histoire qui sont la plupart du temps segmentées par la spécialisation.