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La preuve de la prophétie

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Fernando Gil*
Affiliation:
EHESS

Extract

Mon sujet est une prophétie : une prophétie contre-nature, la résurrection d'un roi qui doit établir l'empire de Dieu sur terre. C'est une histoire portugaise qui se passe entre 1660 et 1667 et qui a pour cadre un procès du Tribunal du Saint-Office. On cherchera à dégager la logique de cette prophétie. Elle est en rapport avec une théorie «réaliste» de la preuve de la prophétie et elle sera saisie à la lumière de deux relations : la détermination d'un objet par un ensemble d'opérations et le remplissement d'une attente, dans le cadre général de la connaissance que constitue le système perception-langage.

Summary

Summary

The theory of prophecy put forth by the Jesuit Antonio Vieira at the moment of his defense before the Inquisition in 1665-1666 is analyzed here. The theory concerns a prophecy of Portugese Joachimite inspiration that announces the resurrection of a king and the advent of a Fifth Empire bringing a thousand years of peace. Vieira presents his theory in the guise of a syllogism. It is studied here in the light of the following binary oppositions: operation/object and expectation/fulfillment. Vieira's “realist” theory makes the truth of the prophecy depend on the realization of the foretold events. The vain expectation of the king's resurrection nevertheless brought realism to an impasse. To avoid it, Vieira attenuated the import of the prophecy, making it merely probable, not certain. But the real solution was found in something other than probability: in the abductive reasoning underpinning the syllogistic presentation and in an “intuitionist” rather than realist proof of the prophecy. It is not the realization of the prediction, but rather the hallucination of the future in the present that is the proof of prophecy.

Type
Dire le Vrai
Copyright
Copyright © Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1991

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References

Notes

1. La présente étude a à son origine une communication présentée au colloque Laprova (Université de Palerme, décembre 1989). L'ouvrage de Cantel, Raymond, Prophétisme et messianisme dans l'oeuvre d'Antonio Vieira, Paris 1980 Google Scholar, demeure une excellente introduction à Vieira. Lucette Valensi a consacré un chapitre à « La prophétie de Daniel » dans son beau livre Venise et la sublime porte. La naissance du despote ,Paris, 1987. Cf. encore sa communication au même colloque : « Comment prouver la mort du roi. Le cas de Sébastien du Portugal ». Je dois à Lucette Valensi de précieuses indications au sujet des précurseurs de Vieira.

2. Cf. Jackendoff, Ray, Counsciousness and the Computational Mind, Cambridge (Mass), MIT, 1987 Google Scholar.

3. Les Trovas furent éditées à Nantes en 1644 avec le titre : Trovas do Bandarra, apuradas e impressas por hum grande Senhor de Portugal, offerecidas aos verdadeiros Portuguezes devotos do Encoberto, por Guilherme de Monier. Nous nous sommes servi de la deuxième édition, parue à Barcelone en 1809. Les Trovas commencent par 16 quatrains qui commentent l'état malheureux du royaume ; trois « rêves » les suivent. Bandarra parle à la première personne et présente ses prophéties comme des visions, dès le premier vers du « rêve premier » : « Je vois, je vois, je dirai, je vois / Maintenant que je rêve / La semence du roi Fernando / Faire un grand balayage… ». La figure du « roi Encoberto » qui redonnera au Portugal « ses gloires », apparaît dans le titre précédant le quatrain LXVIII.

4. José Van Den Besselaar, préface au Livro anteprimeiro da Historia do Futuro ,Lisbonne, 1983, p. 9. Nos citations seront faites d'après cette édition. Le Livre antepremier constitue l'introduction théorique à l'Histoire du Futur (son sous-titre est Prolegomenos à Historia do Futuro em que se déclara ofim e seprovam os fundamentos delà). J.v.d. Besselaar en a aussi publié une édition critique (Munster, 2 vols, 1976).

5. Esperanças de Portugal. Ve Império do Mundo. Primeira e segunda vida de D. Joao IV escritas por Gonçalo Eanes Bandarra e comentadas por Vieira ,dans Vieira, Obras escolhidas , vol. VI, Antonio Sergio et Hernani Cidade éds, Lisbonne, 1952, p. 3. La lettre à l'évêque du Japon a circulé avec ce titre. Le même volume contient d'autres pièces du procès, notamment une Defesa do livro institulado Ve Império, que é a apologia das proposiçoes censuradas pelos Inquisidores , estando recluso nos carceres do Santo Oficio em Coimbra ,écrite par Vieira en 1666, et la Sentença que no Tribunal do Santo Oficio de Coimbra se leu ao Pe. Antonio Vieira (1667). On se référera surtout à la Representaçao primeira dos fundamentos que tive para me parecer provavel o que escrevi acerca do spirito profético de Bandarra, e do mais que se inferia das suas prediçoes , qui est le grand texte théorique de Vieira sur la prophétie. Il se continue par une Representaçao segunda dos fundamentos e motivos que tive para me parecer provavel o que tratava de escrever àcerca do quinto império ou reino consumado de Cristo ,destinée à justifier la prophétie du Ve Empire. L'ensemble constitue un très long écrit, rédigé par Vieira pendant huit mois de réclusion, en 1665-1666. Il a été publié par Hernani Cidade, Sous le titre Defesa perante o Tribunal do Santo Oficio (Salvador-Bahia, 1957, 2 vols ; la Deuxième occupe une partie du premier et tout le deuxième volume). L'Historia do Futuro a été aussi publiée par H. Cidade dans les vols VIII et IX des Obras Escolhidas (1953-1954), et par Maria Leonor Buescu (Lisbonne, 1982). Entre 1681 et 1697, l'année de sa mort, Vieira a encore écrit une Clavis Prophetarum qui n'est jamais parue. Le Pe. Antonio Casnedi en a fait un long résumé en 1714, inclus (en latin et en portugais) dans le vol. IX des Obras Escolhidas. Aucune mention n'est faite dans ce texte au rôle du Portugal dans l'établissement du Ve Empire, il y est uniquement question de l'empire de l'Église (cf. par exemple les pp. 191 et 212-213). On s'accorde aujourd'hui à penser que Vieira s'est occupé du Ve Empire depuis 1640 (cf. M. L. Buescu, préface à l'Histoire du Futur ,pp. 14-15). Sur le procès de Vieira, cf. Baiao, Antonio, Episodios dramaticos de Inquisiçao portuguesa, vol. 1, Lisbonne, 1972 Google Scholar.

6. Cf. J. De Azavedo, Lucio, A evoluçao do sebastianismo, Lisbonne, 1918, pp. 4550 Google Scholar.

7. Reeves, Marjorie, The Influence ofProphecy in the Later Middle Ages. A Study in Joachimism, Oxford, 1969, p. 330 Google Scholar. En réalité l'éditeur du recueil n'est pas Rusticianus mais Silvestro Meuccio, l'éditeur vénitien de l'oeuvre de Joachim. Les prophéties de Télesphore (Libellus… de causis, statu, cognitione, ac fine instantis scismatis et tribulationum Juturarum) datent de c. 1386. Vers le milieu du xve siècle, Fr. Rusticianus, dominicain vénitien, les avait incluses dans une compilation dont on connaît une copie de 1469. C'est celle-ci, augmentée d'autres textes, que Meuccio a éditée (Expositio magniprophetae Joachim in librum beati Cyrilli.. .). En tout ceci nous suivons Marjorie Reeves, pp. 173, 264-265, 343-345. M. Reeves mentionne aussi Vieira, pp. 289- 290. Sur la prophétie de la résurrrection du roi en Allemagne, cf. Norman Cohn, Les fanatiques de l'Apocalypse ,ch. VI (trad. fr., Paris, 1983).

8. Cf. Lucio DE Azevedo, op. cit. ,pp. 19-20 et 86-89.

9. Cf. Jean LadriÈRE, L'articulation du sens ,Paris, 1970, et Granger, Gilles G., Pour la connaissance philosophique, Paris, 1988 Google Scholar. Dans le ch. Xxii des Remarques philosophiques (trad. fr., 1975), Wittgenstein étudie les hypothèses et les prévisions scientifiques dans le cadre de la relation attente-remplissement.

10. Le « figurai » dans les Trovas doit être pris au sens le plus littéral des « figures ».

11. Cet art va de pair et se nourrit de la vérification progressive des prophéties. Cf. § 137, p. 84.

12. C'est en son propre nom, Vieira en est conscient, que l'interprète découvre la signification occulte des prophéties (Esperanças ,p. 36).

13. Representaçao segunda ,§§ 84-91, pp. 269-272.

14. Vieira se réfère à De Stella nova in pede Serpentarii ,paru en 1606 (Kepler, Gesammelte Werke ,I, Munich, 1938).

15. Cf. § 142, p. 87.

16. Vuillemin, Jules, Nécessité ou contingence, Paris, 1984 Google Scholar. Les citations sont extraites des pages 209 et 335.

17. Voici le syllogisme : « Par l'évidence de la première prémisse, il est sûr qu'est et doit être appelé véritable prophète celui qui prédit les choses futures par révélation de Dieu et véritable esprit de prophétie. Par les fondements de la deuxième prémisse, il est tout au moins probable que Bandarra a prédit les choses futures par révélation de Dieu et véritable esprit de prophétie. Donc, par l'évidence de l'une et les fondements de l'autre, il s'ensuit qu'il est tout au moins probable que Bandarra fut et peut s'appeler véritable prophète(§ 180, pp. 116-117).

18. Cf. Hernani Cidade, préface au vol. VI des Obras Escolhidas ,p. xxxiv.

19. A propos du millénarisme en Nouvelle Angleterre au xvme siècle, James W. Davidson a observé que le post-millénarisme (la croyance que le Second Corning se produira après les mille ans de paix) favorise l'action politique immédiate. «In contrast […] premillenarists were gloomy», l'attente du Messie est condamnée à rester passive ( Davidson, J. W., The Logic of Millenial Thought, ISth Century New England, New Haven, 1977, pp. 2830 Google Scholar).

20. Le même sentiment d'imminence transparaît à travers la correspondance de Vieira, dans les années soixante, mais aussi après (entre autres, cf. les lettres à Rodrigo de Meneses du 14.1 et du 15.3.1664, dans Obras Escolhidas ,vol. 1, pp. 235-236 et 238-239 ; au même, 15.2.1670, ibid. , vol. 2, p. 15 ; à Diogo Themudo, 8.8.1684, ibid. ,p. 179).

21. Cf. respectivement les lettres, citées dans la n. 20, de mars 1664 et août 1684, et Historia do Futuro ,M. L. Buescu éd., p. 34.