Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
En nous interrogeant sur la portée et le caractère opératoire des concepts de K. Polanyi, notamment ceux de redistribution et de réciprocité, nous avons retenu celui de réciprocité, dans la mesure où cette pratique a été adoptée par un certain nombre de sociétés agraires, pour se créer les conditions de résistance aux changements imposés de l'extérieur. L'analyse de quelques mouvements brésiliens à caractère religieux, généralement classés parmi les- mouvements « messianiques », montre que les sociétés agraires ont eu recours à la réciprocité pour s'opposer à l'extension de la grande propriété privée, tout en recherchant des formes de gestion refusant toute différence.
1. Tous les mouvements « messianiques » brésiliens — Canudos, Juazeiro, Contestado, Caldeirao, Pau de Colher, Pedra Bonita — ont connu à des degrés divers, des formes de redistribution et de réciprocité.
2. La première attaque s'effectua le 29 décembre 1913; d'autres se sont succédé en 1914: 8 février, 9 mars, 17-19 mai, 26 septembre. Le Ministère de la Guerre essaya d'employer l'aviation contre le camp en janvier 1915, mais sans succès. Le camp fut écrasé à la fin décembre 1915.
3. Dans le sens que lui donne Max WEBER, Wirtschaft und Gesellschaft, Grundriss der Verstehenden Soziologie. Il y a une traduction anglaise du chapitre concernant les organisations urbaines, paru en 1921 dans VArchiv fur Sozial-Wissenschaft und Sozial- Politik: The City, New York, Collier Books, 1958.
4. Les agregados étaient des travailleurs agricoles qui s'installaient dans les grandes propriétés. Ils fournissaient du travail en échange de la terre où ils cultivaient, en métayage, des haricots et du maïs. Ils pouvaient aussi élever quelques têtes de bétail.
5. Les peàes avaient un statut nettement inférieur à celui des « agregados ». Ils étaient célibataires, et demi-nomades. Ils travaillaient en échange du gîte et du couvert, et touchaient, très rarement, un salaire dérisoire.
6. Titre donné dans l'intérieur du Brésil aux grands propriétaires terriens. Il prend son origine dans l'institution de la Garde Nationale, créée lors de l' Indépendance du Brésil (1822), pour pallier l'absence d'un corps policier capable d'assurer l'ordre dans l'ensemble du territoire. Les « fazendeiros » (grands et moyens propriétaires) étaient presque tous des « coroneis » de la Garde Nationale. Par la suite, ce terme désigna les « fazendeiros » riches, en absence de toute fonction militaire. Cependant les propriétaires contrôlaient de vastes clientèles et pouvaient former des bandes ou des armées privées.
7. Jagunço: membre du groupe de fanatiques et révolutionnaires d' Antonio Conselheiro, pendant la campagne de Canudos-Bahia, Chuço-Pernambuco et Alagoas. Aurélio Buarque De Hollanda Ferreira, Pequeno Diciondrio de Lingua Portuguesa, Rio, Civilizaçâo Editora, 1938. Nous pensons que la définition de Maria Isaura PEREIRA DE QUEIROZ est plus près de la pratique de ces combattants: les jagunços seraient « les guerriers religieux de l'intérieur du Brésil », La « guerre sainte » au Brésil: le mouvement messianique du « Contestado », Sào Paulo, Universidade de Sào Paulo, 1957.
8. La pratique sociale portugaise ne considère comme « travail » que le travail de la terre. L'artisan est donc un « artiste », car il ne travaille pas. Cette réalité socio-linguistique a été ainsi imposée au Brésil.
9. Les Noirs étaient si peu nombreux, que leurs noms et leurs fonctions ont été retenus: Olegârio Ramos, Joaquim Germano, Fragoso, le mulâtre foncé « capitaine » Nabor, Maneâo Teixeira, déserteur de l'armée « qui instruisait les caboclos dans le maniement des armes ». Maria Isaura PEREIRA DE QUEIROZ, op. cit., p. 131.
10. Le caboclo était le métis de Blanc et d' Indien pendant les premiers temps coloniaux. Puis, l'expression s'élargit à tous les habitants de l'intérieur brésilien, en opposition à citadin et à étranger ou immigrant. Mais elle possède aussi la connotation de rude, grossier, rustique, paysan, cul-terreux.
11. Les deux expressions désignent la période monarchique brésilienne, de 1822 à 1889.
12. Ces témoignages ont été pour l'essentiel recueillis et publiés par Maurfcio VINHAS DE ÇJUEIROZ, dont Messianismo e conflito social. A guerra sertaneja do Contestado: içi2- içiô, Rio de Janeiro, Civilizaçâo Editora, 1966 (2e édition) constitue le meilleur document sur le Contestado. Nous avons aussi utilisé l'ouvrage déjà cité de Maria Isaura Pereira de Queiroz, à un degré moindre, car il s'appuie moins nettement sur les déclarations des survivants. On trouve d'utiles compléments d'information dans Oswaldo R. CABRAI., Joâo Maria. Interpretaçào da Campanha do Contestado, Sâo Paulo, Companhia Editora Nacional, 1960.
13. Les Vierges Saintes étaient des jeunes filles pubères, qui assuraient le contact mediumnique avec le dernier moine, José Maria. Ces communications servaient à fonder la gestion du camp.
14. Les Douze Pairs de France possèdent une origine littéraire. C'est la traduction portugaise du xviie siècle, d'un ouvrage paru en espagnol au xvie siècle, qui a vulgarisé ces figures d'épopée. Si cette traduction prend parfois la forme d'un gros volume, ce sont les fascicules indépendants, racontant chacun une aventure des Douze Pairs, qui assurèrent la popularité de ces héros mythiques, comme cela s'est passé au Portugal. Voir Luis da CÂMARA CASCUDO, Cinco Livros do Povo, Rio de Janeiro, Livraria José Olfmpio, 1953, pp. 441-446. Il faut dire que pour le mouvement, les Douze Pairs étaient constitués par vingt-quatre personnes, les « croyants » prenant l'expression dans le sens de couple.
15. Ces pièces prennent aussi modèle sur les signes de paiement émis par les grands propriétaires, qui servaient aux travailleurs à régler leurs achats dans les magasins de la propriété. Cette pratique renforçait l'exploitation des travailleurs, qui devaient accepter les prix ainsi imposés. Mais tandis que les signes de paiement, ces monnaies privées, réglaient le travail accompli au service du patron, celles du Contestado pouvaient être fabriquées par quiconque. Elles bouleversaient aussi un système ancien, en signalant par là que la force de travail ne pouvait plus être vendue, mais exclusivement utilisée pour les besoins du camp.
16. Maria Isaura PBREIRA DE QUEIROZ, op. cit., p. 144, affirme sans nuance que le travail agricole était peu pratiqué par les jagunços, car il ne leur plaisait pas. Mais Mauricio VINHAS DE QUEIROZ souligne que les hommes réalisaient de nombreuses tâches agricoles, op. cit., p. 214.
17. Mutirào est l'aide gratuite apportée par les paysans à l'un d'entre eux. Travail d'une journée, qui se termine par une fête aux frais de celui qui reçoit. Ce travail collectif peut être utilisé dans les moissons, les brûlis, le défrichage, les semailles, la construction des murs en pisé d'une maison. Il possède différents synonymes, dont quelques-uns proviennent du tupi. (Aurélio BUARQUE DE HOLLANDA FERREIRA, Dictionnaire cité.)
L'origine de ce type d'aide est discutée depuis fort longtemps au Brésil. Certains, dont Arthur Ramos, voudraient y voir une origine spécifiquemment africaine. D'autres, une origine indienne. D'ailleurs, Florestan Fernandes distingue entre le mutirào, aide pour la récolte du maté, et le pixurum ou pixirum, aide pour les autres travaux agricoles. Enfin, quelques auteurs soulignent que les aides collectives sont aussi pratiquées au Portugal et en Espagne.
Il semble qu'il soit moins important de s'inquiéter des origines de ce type de travail que de reconnaître que le travail collectif apparaît dans presque toutes les formations sociales à économie « embedded », comme d'ailleurs le voulait le Marx des Grundriss.
18. Rui FACÔ, Cangaceiros e Fanàticos, Rio, Civilizaçâo Editora, 1965 (2e édition), semble douter de la sagesse des choix économiques de ces communautés: « Ceci ne signifie pas que les masses paysannes concentrées à Canudos, à Contestado ou à Caldeirâo auraient eu la conscience du besoin de mettre fin aux rapports de production mi-féodaux et d'établir de rapports de type nouveau, de type capitaliste, par exemple » (p. 69).
Rui Facô, pourtant un des analystes les plus subtils des communautés de « croyants » brésiliennes, se laisse entraîner par l'idéologie développementiste, et ne veut pas remarquer que la réciprocité est la condamnation pratique de tout féodalisme. Mais il souligne aussi la continuité de la réciprocité, déjà existante à Canudos (1896-1897), et dont la dernière apparition a été constatée à Caldeirâo, mouvement écrasé par les forces brésiliennes, avec la brutalité devenue coutumière, entre novembre 1936 et janvier 1938.