Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
L’article examine la relation entre le protestantisme et la culture moderne de la classe moyenne, un sujet de discussion déjà en vigueur, au début du XIXe siècle, chez les théologiens universitaires protestants allemands. Ces débats ont d’abord et avant tout porté sur la légitimité religieuse des Lumières et leurs conséquences politiques. Les confrontations qui ont suivi ont conduit à une politisation des conflits déjà existants entre luthériens et calvinistes. Au début du XIXe siècle, le protestantisme s’est ainsi divisé en deux camps hostiles: celui des représentants libéraux d’un «christianisme de la culture», et le camp conservateur, défendant l’ancienne foi ecclésiastique. L’article montre que ces controverses au sein du protestantisme ont joué un important rôle socio-politique en faveur du renforcement de l’opposition idéologique et de parti entre les libéraux et les conservateurs après 1848. De plus, est abordée la question du potentiel de rationalisation économique de la religiosité protestante, qui a été très discutée, notamment depuis les travaux de Max Weber et de Ernst Troeltsch, ainsi que celle des valeurs protestantes dans les domaines de la culture et des études. L’auteur situe la signification culturelle du protestantisme dans la «sémantique de l’intériorité» qui lui est propre. Cependant, l’intériorisation de l’expérience religieuse dans le protestantisme, estime-t-il, n’a pas débouché sur un détachement naïf du monde, mais plutôt sur une haute considération pour le monde extérieur («Weltfrömmigkeit»). Elle a produit une réévaluation du monde, en en faisant le lieu décisif de l’épreuve chrétienne, et ainsi apporté une contribution cruciale à la rationalisation des modes de vie protestants et à la régénération religieuse de la culture et de la connaissance («Bildungsreligion»).
This contribution examines the relationship between Protestantism and modern, middle-class culture which was already under discussion within German academic Protestant theology in the early 19th century. These debates focused, first and foremost, on the religious legitimacy of the Enlightment and its political consequences. The resultant confrontations led to a politicisation of the religio-theological conflicts already existent between Lutherans and Calvinists. In the early 19th century, Protestantism thus split onto two hostiles milieus: that of the liberal representatives of a modernistic “Christianity of Culture” and the conservative camp, supportive of the old ecclesiastical faith. This article shows that these controversies within Protestantism played an important socio-political part in the reinforcement of the ideological and party-political opposition between Liberals and Conservatives after 1848. In addition, reference is made to the economically relevant rationalisation potential of Protestant religiousness, which has received much attention particularly since the works of Max Weber and Ernst Troeltsch, as well as to the effects of Protestant values in the areas of culture and scholarship. The author derives the cultural significance of Protestantism from its specific “semantic of inwardness”. However, the internalisation of religious experience in Protestantism, he argues, has not led to a naive unworldliness but, rather, to a high regard for the outside world (“Weltfrömmigkeit”). It engendered a revaluation of the world, rendering it the decisive place for Christian probation, and thus made a crucial contribution to the rationalisation of Protestant lifestyles and to the religious recharging of culture and scholarship (“Bildungsreligion”).
1 - Max Weber, «Die Protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus», in ID., Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie, Tübingen, J. C. M. Mohr (Paul Siebeck), [1904-1905] 1988, pp. 17-206; Ernst Troeltsch, Schriften zur Bedeutung des Protestantismus für die Entstehung der modernen Welt (1906-1913), in ID., Kritische Gesamtausgabe, vol. 88, édité par Truz Rendtorff en collaboration avec Stefan Pautler, Berlin-New York, De Gruyter, 2001.
2 - Pour plus de détails sur le sujet, voir Friedrich Wilhelm Graf, « Protestantische Theologie und die Formierung der bürgerlichen Gesellschaft », in ID. (éd.), Profile des neuzeitlichen Protestantismus, vol. I, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus Mohn, 1990, pp. 11-54.
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4 - C’est le cas du vieux-luthérien Heinrich Steffens; cf. la démonstration de Kantzenbach, Friedrich Wilhelm, «Protestantische Geisteskultur und Konfessionalismus im 19. Jahrhundert», in Rauscher, A. (éd.), Probleme des Konfessionalismus in Deutschland seit 1800, Paderborn, Schöningh, 1984, pp. 9–28, ici, p. 12 Google Scholar.
5 - Sur l’histoire des diverses définitions du protestantisme apparues à la fin du XVIIIeet au XIXe siècle, voir Friedrich Wilhelm Graf (éd.), Protestantische Lebenswelten, à paraître, 2002.
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8 - Communautés protestantes qui n’ont adhéré ni à la Staatskirche ni à une des Landeskirchen.
9 - Cf. Lepp, Claudia, Protestantisch-liberaler Aufbruch in die Moderne. Der deutsche Protes tantenverein in der Zeit der Reichgründung und des Kulturkampfes, Gütersloh, Chr. Kaiser, 1996 Google Scholar.
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12 - Sur l’« Alliance évangélique », voir Dreier, Armin Müller, Konfession in Politik, Gesellschaft und Kultur des Kaiserreichs. Der Evangelische Bund, 1886-1914, Gütersloh, Chr. Kaiser, 1998 Google Scholar.
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14 - Cf. Friedrich Wilhelm Graf, « Protestantische Theologie in der Gesellschaft des Kaiserreichs », in ID. (éd.), Profile..., op. cit., vol. II, t. 1, 1992, pp. 12-117.
15 - Voir à ce propos les nombreux documents réunis par Kittsteiner, Heinz-Dieter, Die Entstehung des modernen Gewissens, Francfort-sur-le-Main, Insel Verlag, 1991 Google Scholar.
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17 - Le dossier de la controverse se trouve dans Weber, Max, Die Protestantische Ethik, II, Kritiken und Antikritiken , Winckelmann, Johannes (éd.), Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus Mohn, 1978 Google Scholar; voir aussi, sur le sujet, Besnard, Philippe, Protestantisme et capitalisme. La controverse post-weberienne, Paris, Armand Colin, 1970 Google Scholar; Lehmann, Hartmut et Roth, Günther (éds), Weber’s Protestant Ethic. Origins, Evidence, Contexts, Cambridge, Cambridge University Press, [1993] 1995 Google Scholar.
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19 - Il faut se reporter ici aux quatre volumes publiés par le groupe d’histoire moderne de la société de l’université de Heidelberg, Bildungsbürgertum im 19. Jahrhundert, Stuttgart, Klett-Cotta, 1985-1992.
20 - Voir Reinhart Koselleck, «Einleitung - Zur anthropologischen und semantischen Struktur der Bildung, in ID. (éd.), Bildungsbürgertum im 19. Jahrhundert, vol. II, Bildungsgüter und Bildungswissen, Stuttgart, Klett-Cotta, 1990, pp. 11-46; G. Hübinger, Kulturprotestantismus..., op. cit., pp. 170-190.
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