Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Dans les royaumes agni, qui se situent dans l'est de la zone forestière de la Côte-d'lvoire, l'histoire a traditionnellement occupé une place considérable. Une somme de connaissances historiques était soigneusement transmise aux générations nouvelles, les grandes cérémonies politiques et religieuses faisaient revivre les périodes marquantes du passé, les rappels d'événements historiques étayaient les discours des orateurs et donnaient leur substance aux « jurements » et à nombre de proverbes. Quelle conception de l'histoire s'exprime à travers ces multiples recours au passé, quels caractères revêt l'histoire dans cette société ? Dans l'approche de ces questions, certains thèmes semblent privilégiés : histoire et religion, diffusion de l'histoire et maintien de l'ordre établi, limites spatiales et temporelles du champ des connaissances historiques.
page 1659 note 1. Nday en agni.
page 1661 note 1. Cf. G. Balandier, Anthropologie politique, P.U.F., 1967, p. 129 sq.
page 1661 note 2. Ce rituel dans l'Indénié n'a lieu que tous les trois ans et revêt tous les sept ans un éclat particulier.
page 1661 note 3. Les sièges sacrés, bia, sont les supports matériels des esprits des rois défunts.
page 1661 note 4. Comme on le marquera plus loin, tous ne reçoivent pas cette distinction posthume que constitue l'attribution d'un siège sacré.
page 1662 note 1. L'invocation des ancêtres royaux, la possession par les esprits des guerriers défunts ne sont pas les seules voies par lesquelles le passé resurgit. Au cours de la cérémonie, certains épisodes de l'histoire agni qui se rapportent au temps de l'exode sont rituellement « joués » devant le peuple assemblé. Dans une société sans écriture, le déroulement de la cérémonie équivaut à une représentation audio-visuelle d'un chapitre du manuel d'histoire nationale. Si, de ce riche contenu historique, seules deux manifestations sont pour le moment retenues, c'est qu'elles font apparaître une conception du temps originale.
page 1662 note 2. Il ne s'agit pas, comme dans l'Antiquité gréco-latine, de pleureuses professionnelles, rémunérées.
page 1662 note 3. Ces messages sont de nature très diverse. Par exemple, « dis à Un Tel que l'arbre sous lequel il aimait s'asseoir est toujours là ». D'autres donnent aux défunts des nouvelles de leurs parents vivants.
page 1663 note 1. On accède librement à ce passé proche. Ainsi les récits de la conquête coloniale peuvent être aisément recueillis. L'historien dispose par-là d'une source précieuse qu'il peut utilement confronter avec les documents d'archives.
page 1663 note 2. L'être humain se dit en agni kurosonà, c'est-à-dire, littéralement, « l'homme du village », et les « êtres de la forêt », eboroninge.
page 1664 note 1. Kurofwè, littéralement : « cadavre de village ».
page 1664 note 2. Ainsi le long du Comoe un alignement de rochers marque l'emplacement d'un affrontement entre les hommes de Bettié et les Abradé.
page 1664 note 3. Tel Vadofônzà, sabre d'apparat à lame recourbée que le roi doit tenir en mains quand il prononce le serment solennel d'intronisation.
page 1665 note 1. « on lui donne des (bons) conseils ». L'intronisation ayant toujours lieu un samedi, cela se passe dans la nuit du samedi au dimanche.
page 1665 note 2. Ainsi pouvait-on, dans l'Indénié précolonial, faire appel d'un jugement à la Cour de Kumasi, en prononçant le nday du roi des Ashanti.
page 1665 note 3. Une étude minutieuse des jurements (oaths) ashanti a été faite par Rattray : Religion and Art in Ashanti, p. 205 sq.
page 1665 note 4. Cf. C. Perrot « Hommes libres et captifs dans le royaume agni de l'Indénié », Cahiers d'Études Africaines, 1969, vol. IX, pp. 482-502.
page 1666 note 1. Dont on craindrait qu'il n'agisse secrètement en sorcellerie contre tel de ses sujets.
page 1666 note 2. Le contrôle que les sociétés de l'oralité exercent sur la transmission des connaissances historiques emprunte des voies diverses, dont plusieurs exemples ont été donnés par Jan Vansina, De la tradition orale, Tervuren, M.R.A.C, n° 36, 1961, p. 33.
page 1666 note 3. Op. cit., p. 102.
page 1666 note 4. Le fait est banal dans l'est de la Côte-d'Ivoire, comme le montrent les recherches de G. Niangoran-bouah : la langue des tambours « parleurs » n'est pas la langue courante, mais une langue plus ancienne, dont la connaissance est restreinte à quelques individus.
page 1666 note 5. Cet orchestre porte également le nom de Kenyè pli, qui en est l'instrument principal.
page 1667 note 1. Dans Yaboswà royal, les « mères classificatoires » du roi, principalement celle qui porte le titre de ehema (reine), et ses « soeurs classificatoires » exercent une influence politique indéniable.
page 1668 note 1. Pays d'origine des Agni, situé dans l'ouest du Ghana actuel.
page 1668 note 2. Sur lequel nous ne possédons pas d'informations suffisamment sûres.
page 1668 note 3. Selon plusieurs récits recueillis dans l'Indénié même, notamment auprès de Nana Alou Mea, chef de Kouadiokouro.
page 1669 note 1. Littéralement « comment le monde lui fut donné » (befa may ma Adu).
page 1669 note 2. C'est-à-dire, en termes voilés, qu'on le mettrait à mort par strangulation, le sang royal ne devant jamais être versé.
page 1669 note 3. Après la mort de celui-ci, comme il se doit. Récit de Nana Alou Mea, chef de Kouadiokouro.
page 1669 note 4. C'est la colonisation qui peu à peu, mit en cause l'ancien système de valeurs selon lequel l'exercice du pouvoir donne accès à la richesse, mais non l'inverse.
page 1671 note 1. Et qui se manifeste aussi par ses dons de thaumaturge.
page 1671 note 2. Des bia peuvent être consacrés à d'autres personnages qu'à des rois, par exemple à un portecanne, éminent par ses talents d'orateur et de diplomate, ou à un membre de la famille royale particulièrement heureux dans ses entreprises, comme Mian Koadio, précisément. Il faut donc le retrancher de la liste officielle qui ne comprend en réalité que 9 rois.
page 1671 note 3. La crainte que le roi ne mobilise, au profit d'actions de sorcellerie, les immenses forces surnaturelles dont il dispose est latente chez les Agni. Il est remarquable qu'elle ait pu conduire, dans ce cas, à faire passer le roi en jugement.
page 1672 note 1. Deux sources sont à la base de cette argumentation : a) un « jurement » (nday) qui a conservé la trace de cet événement funeste qu'a été le procès du roi ; b) la comparaison entre la liste dynastique officielle donnée par le biasofwi d'Abengourou, Nana Kwablan Ndegnan, et la liste dynastique non officielle donnée par plusieurs notables de l'Indénié (dont Nana Alou Mea, déjà cité).
page 1673 note 1. Son usage chez les Bété est attesté par A. Lauhoy Téty Gauze, « Contribution à l'histoire du peuplement de la Côte-d'Ivoire forestière », dans Annales de l'Université d'Abidjan, Série F, tome I, fasc. 1, 1959, pp. 7-23.
page 1673 note 2. Ce terme de nzoho peut être rapproché de celui de enzoko, donné par le R. P. Loyer dans sa Relation du Voyage au Royaume d'Issyny, 1714 (publié par P. Roussier, VÉtablissement d'issyny (1687-1702), Paris, Larose, 1935, p. 190. Le passage mérite d'être cité : « Quelques-uns d'entre eux [il s'agit de Nègres rencontrés à Issyny par l'auteur, en 1702] ont été jusqu'à (…) Enzoko qu'ils disent être éloigné du bord de la mer (…) de trente journées, ce qui feroit trois cents lieues. J'ai vu à Issyny entre les mains de ces Nègres, qui ont été en ce païs, des tapis de Turquie, et de fines étoffes de coton rayées, de soye rouge et bleue qu'ils en avoient apporté, où ils disent qu'on les fait et qu'ils y ont vu de très grandes et belles villes bâties de pierre. Cela est digne de la curiosité de ceux qui nous succéderont. »
En prenant pour base d'évaluation la lieue de terre (4,4 km), la distance entre Issyny et Enzoko est de 1 320 km, la journée étant de 44 km. A titre indicatif, notons que la distance à vol d'oiseau entre le site de l'ancienne capitale du Royaume d'Issyny, sur l'île d'Assoco (lagune Aby), et la ville de Djenné est de 1 100 km environ. Si l'on accepte l'assimilation de Enzoko à Nzoho, comme la mention du tissage du coton et de l'existence de « grandes et belles villes » incite à le faire, ce texte atteste que des relations commerciales étaient établies entre la côte du golfe de Guinée et les pays dejla savane (vraisemblablement de la vallée du Niger) dès l'extrême fin du XVIIe siècle.
page 1675 note 1. Faut-il identifier Ano Asseman à l'Anascheman dont parle Tibierge en 1692 à deux reprises ? « Quand [les Noirs d'Issiny] ont fait leur traite avec les commis de la Compagnie, ils portent les marchandises à Edouan où les Nègres d'Adouemy viennent les chercher pour traitter. Edouan est un village éloigné de Soco de 10 ou 12 lieues et Adouemy est un royaume distant de 4 journées d'Edouan. Le premier capessaire de ce pals là se nomme Anascheman. C'est le lieu de tous les environs d'Issiny d'où il vient le plus d'or et presque le seul d'où les Nègres d'Issiny tirent le leur. » (Extrait du Journal du sieur Tibierge, dans Paul Roussier, op. cit., p. 62.) Tibierge est un commis de la Compagnie de Guinée qui, comme le P. Loyer, mais dix ans avant lui, fit le voyage d'Issiny. Quelques pages plus loin (p. 67), il est de nouveau question d'Anascheman, le nom de son royaume n'étant plus Adouemy, mais Aouesny (ce qui incite à relire de près le manuscrit).
La situation géographique (de Soco, l'actuelle île d'Assoco, à Aoudemy, la distance est de 5 journées (1 + 4), donc de 220 km environ) ; la richesse en or du royaume, et la date du texte, écrit avant que les Agni ne s'installent dans le Sanwi, et vraisemblablement avant l'exode des autres groupes agni, plaident en faveur de ce rapprochement.
page 1675 note 2. On se bornera à citer l'exemple d'une migration somba (Nord-Dahomey)… « D'autre part, et c'est là le plus important, ils se trouvèrent arrêtés par la montagne et tentèrent de la franchir. Grâce à un ancêtre qui y accrocha une liane, une partie des migrants réussirent à s'y établir ; mais ils coupèrent ou enduisirent de résine la liane, et ceux qui étaient en arrière furent obligés de contourner la montagne par le sud pour rejoindre les premiers installés. La place occupée par les ancêtres des principaux kubwoti (lignages) au cours de ce conflit sert en partie de justification à des prééminences ou à des affirmations de supériorité. » (Paul Mercier, Tradition, changement, histoire, les Somba du Dahomey septentrional, Paris, 1968, p. 110.)
page 1675 note 3. Enquête effectuée avec Mme Denise Paulme en pays nzima en janvier 1968.
page 1677 note 1. Comme l'a souligné avec force Jan Vansina (op. cit.).