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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  12 January 2022

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l’EHESS

Nora Berend

Les récits de la migration dans la Hongrie médiévale

Si la Hongrie médiévale a été qualifiée de « terre d’accueil » en raison de la multiplicité des peuples immigrés qui y vivaient, les expériences réelles des immigrants et les constructions narratives autour de l’immigration n’ont cependant pas toujours été en phase. Cet article explore les récits médiévaux de différents types de migration vers le royaume de Hongrie : tout d’abord, la migration mythique de l’ensemble du peuple (gens) d’une supposée patrie d’origine vers un nouveau territoire ; ensuite, les histoires des immigrants nobles ; enfin, les représentations de l’immigration de masse dans le royaume chrétien. Afin de comprendre comment les auteurs médiévaux ont élaboré ces récits, il est nécessaire d’identifier les modèles dont ils se sont servis et l’objectif qu’ils poursuivaient en les écrivant. Ainsi, les sources bibliques et littéraires ont inspiré l’invention de l’histoire des « Hongrois » tandis que l’élévation du prestige des familles nobles a motivé la quête des ancêtres ayant immigré à l’époque de la formation du royaume. Il est impossible d’utiliser les récits médiévaux comme des sources historiques sans s’engager pleinement dans l’étude de leur genèse. Les réflexions médiévales explicites sur l’immigration de divers groupes dans le royaume de Hongrie révèlent également pourquoi celle-ci pouvait être perçue de manière tantôt positive, tantôt négative. Reposant sur ces fondements médiévaux, les récits de la migration ont persisté jusqu’à nos jours, mais une distinction plus nette s’est aussi installée entre les migrations anciennes, valorisées, et les migrations plus récentes, diabolisées et instrumentalisées de manière aussi brutale qu’excluante.

Tales of Migration in Medieval Hungary

Medieval Hungary has been called a “guestland” because of the multiplicity of immigrant peoples living in the realm. Yet the real experiences of immigrants and narrative constructions about immigration were not always in sync. This article explores medieval tales of different types of migration into the Kingdom of Hungary: first, the mythic migration of the entire people (gens) from a supposed original homeland to a new territory; second, the family histories of noble immigrants; and, finally, representations of mass immigration into the Christian kingdom. To understand how medieval authors constructed such tales, we need to identify the models they used and the purpose such stories served. Biblical and literary sources inspired the story of “the Hungarians,” while noble families sought to increase their prestige by identifying early immigrant ancestors. In neither case can these medieval narratives be used as historical sources without fully engaging with their genesis. The analysis of explicit medieval reflections on the arrival of various groups into the Kingdom of Hungary also reveals how immigration could be seen in both positive and negative ways. Resting on these medieval foundations, tales of migration have persisted to the present day, but they have also gained a sharper distinction: old migration is valorized, while new migration is demonized and instrumentalized in a brutally exclusionary way.

Anne Friedrichs

Tracer les limites des sociétés dans une perspective transeuropéenne Les « Polonais de la Ruhr » à la fin du xixe et au début du xxe siècle

Cet article se penche sur les travailleurs germano-polonais, principalement originaires des régions orientales de la Prusse, de l’Autriche-Hongrie et de l’Empire russe, dans la vallée de la Ruhr au tournant des xixe et xxe siècles. À partir de cette étude de cas, nous cherchons à faire valoir un point méthodologique plus général permettant de repenser notre conception des sociétés, en étudiant les processus par lesquels la démarcation et l’appartenance ont été produites aux niveaux local, national et transeuropéen lorsqu’un nombre croissant de personnes sont venues, restées et parfois parties de nouveau. La figure intellectuelle et sociale des « Polonais de la Ruhr » est particulièrement révélatrice en ce qu’elle met au jour des attributions spatiales concurrentes dont les significations ont changé en fonction du monde social et du contexte. L’analyse des processus de différenciation et d’évaluation imbriqués dans lesquels ces migrants étaient impliqués donne un aperçu de l’influence exercée par les acteurs régionaux à travers les pratiques administratives de catégorisation. Elle met également en évidence les différentes manières dont les nouveaux arrivants se sont représentés et ont réglementé les relations sociales. Enfin, nous discutons des conséquences de ces processus interactifs dans la classification légale et académique d’individus qui se déplaçaient au-delà de la grille de lecture de l’État-nation – et entre des espaces multiples tels que la vallée de la Ruhr et les régions polonophones. L’article montre que même à une époque où l’idéal de l’État-nation devenait prédominant dans les discours universitaires et publics en Europe, différentes constructions de l’appartenance, fondées sur l’origine, la réussite et des visions de l’humanité commune des sujets se côtoyaient dans la région de la Ruhr en tant que zone économique façonnée par les mobilités.

Charting the Boundaries of Societies in a Trans-European Perspective: The “Ruhr Poles” in the Late Nineteenth and Early Twentieth Century

This paper considers the Polish-German workers, mainly from the eastern parts of Prussia, Austria-Hungary, and the Russian Empire, who moved to the Ruhr Valley in the late nineteenth and early twentieth centuries. Extrapolating from this case study, it suggests a way of rethinking our conception of societies by shedding light on the processes through which demarcation and belonging were produced at local, state, and trans-European levels as an increasing number of people arrived, stayed, or sometimes moved on. The intellectual and social figure of the “Ruhr Poles” is particularly revealing because it points to competing spatial affiliations whose meanings shifted depending on geographical setting and social context. An analysis of the interwoven processes of differentiation and evaluation in which these migrants were involved provides insights into the influence that regional actors exerted through administrative practices of categorization. It also shows the diverse ways in which newcomers to the area represented and normalized social relationships. Finally, the article discusses the consequences of these interacting processes for the legal and scholarly classification of individuals who moved in ways that were not defined by the nation-state grid between multiple spaces such as the Ruhr Valley and Polish-speaking areas. Overall, the article demonstrates that even as the model of the “nation-state” was becoming prevalent in scholarly and public discourses across Europe, different constructions of belonging based on origin, achievement, and visions of the common humanity of subjects coexisted in the Ruhr region as an economic zone shaped by mobilities.

Delphine Diaz

Les impensées de la migration

Mobilités féminines en Méditerranée (note critique)

Dans Les damnées de la mer, Camille Schmoll explore la géographie des migrations en Méditerranée en centrant son regard sur les mobilités de femmes parties d’Afrique de l’Ouest pour rejoindre les rives de l’Europe méridionale. Une telle géographie incarnée des traversées de la Méditerranée, qui associe à cette « histoire d’eau » (Nancy L. Green) une interrogation sur les étapes africaines d’itinéraires au long cours, rencontre l’histoire du temps présent. En retraçant les évolutions des politiques migratoires sud-européennes au cours des deux dernières décennies, l’autrice explique les origines et les modalités de ces mobilités sous contrainte. C’est grâce à une enquête menée dans les espaces de la contention et de l’attente, grâce au recueil d’un riche matériau de témoignages oraux et de bribes d’enregistrements audio et vidéo réalisés par les migrantes elles-mêmes que l’autrice parvient à restituer l’expérience de la traversée de la Méditerranée au féminin. Ce faisant, elle inscrit ses pas dans le sillage d’une historiographie des femmes et du genre de plus en plus attentive, depuis maintenant près de quatre décennies, à la question des mobilités et des circulations, et explore les espaces interstitiels de l’intimité en migration.

The Overlooked Actors of Migration: Women’s Mobility in the Mediterranean (Review Article)

In her book Les damnées de la mer (The Wretched Women of the Sea), Camille Schmoll explores the geography of migration in the Mediterranean by focusing on women traveling from West Africa to the shores of southern Europe. This embodied geography of Mediterranean crossings, which combines what Nancy L. Green has called “water history” with research into the African stages of women’s long-distance itineraries, offers a way to tell the history of our present time. By tracing the evolution of south European migration policies over the last two decades, Schmoll explains the origins and modalities of these forced mobilities. Through a study of spaces like retention centers, along with a rich collection of oral testimonies and audio and video recordings made by migrants themselves, she succeeds in conveying the female experience of Mediterranean crossings. In so doing, she explores the interstitial, private spaces of migration, following in the footsteps of a historiography of women and gender that for nearly four decades has paid increasing attention to questions of mobilities and circulations.

Johanna Lehr

De la Santé vers Drancy

Trajectoires de persécution des contrevenants au statut des juifs en France (1941-1944)

L’étude systématique des registres d’écrou des hommes détenus à la maison d’arrêt de la Santé à Paris entre juillet 1941 et la Libération, inculpés par les juges du Tribunal correctionnel de la Seine d’infraction à la « loi » du 2 juin 1941 portant statut des juifs, met en évidence le rôle pivot de la prison française dans l’internement et la déportation des juifs. Cet article propose d’une part d’éclairer la répression pénale française de ces infractions sur la base d’archives judiciaires inédites donnant accès aux discours des acteurs et, de l’autre, de révéler le fonctionnement de la « consignation provisoire » postcarcérale des juifs en lien avec le pouvoir allemand. En effet, la reconstitution de leurs trajectoires de persécution, par le croisement des registres d’écrou et des archives policières de la persécution antijuive, a montré que, contrairement à ce que la lecture des archives judiciaires laissait penser, ces détenus n’ont pas été libérés à l’issue de leur peine, mais ont fait l’objet, de la part des autorités françaises, d’une mesure de sûreté, prélude à leur internement au camp de Drancy. Celle-ci s’est d’abord appliquée aux juifs étrangers, pour s’étendre ensuite aux juifs français à partir d’octobre 1941. Jusqu’alors passé inaperçu, ce rouage français de la persécution antijuive, bien connu des acteurs des mondes judiciaire et policier de l’époque, a ainsi contribué au génocide des juifs en les menant de la Santé à Drancy jusqu’à leur déportation vers Auschwitz dès mars 1942.

From Santé to Drancy: The Laws on the Status of Jews and Trajectories of Persecution in France, 1941-1944

Individuals convicted by the correctional court of the Seine for breaking the law of June 2, 1941, on the status of Jews were sent to the Santé prison in Paris. The systematic study of the registers of these detainees between July 1941 and the Liberation highlights the pivotal role of the French prison in the internment and deportation of Jews. This article uses little-studied legal archives to shed light on the punishment of offences under the French laws on Jewish status. It also seeks to elucidate the process of the “provisional consignment” of Jews at the end of their sentences in cooperation with the German authorities. Reconstructing the trajectories of their persecution by crossing prison registers with police archives reveals that these detainees were not released at the end of their sentence as the judicial archives suggest, but were instead placed by the French authorities in provisional consignment before being interned in the camp at Drancy. This extrajudicial measure was first applied to foreign Jews and then extended to French Jews from October 1941. Previously unremarked by scholars, this specifically French tool of anti-Jewish persecution was well understood by the judges and police officers of the time. It thus contributed to the genocide of the Jews by moving them from the Santé prison to Drancy, where they remained until their deportation to Auschwitz from March 1942.