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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  26 April 2023

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l’EHESS

Benjamin Gray

L’invention du social ? Délimiter la politique dans la cité grecque (de la fin de la période classique au début de la période impériale)

Cet article applique à la Grèce antique une approche développée par Pierre Rosanvallon : l’intégration des textes philosophiques aux documents du quotidien pour mieux saisir la compréhension qu’une société a de sa vie politique. Ici, cela nécessite de se concentrer sur les sources plus pragmatiques que sont les inscriptions des villes, notamment celles portant sur les décisions civiques. Nous nous penchons sur l’évolution des idées sur la nature de la vie politique et privée, et surtout sur l’espace qui les sépare. Avec une influence considérable, les démocrates et les philosophes de l’Athènes classique ont eu tendance à insister sur une distinction binaire nette entre vie publique/politique et vie privée, laissant peu de place à la notion d’un troisième espace intermédiaire de la vie de la polis, semblable à une « sphère sociale » ou à une « société civile ». Ce modèle est resté dominant pendant les périodes hellénistique et romaine, mais, surtout après 150 av. J.-C. environ, certains citoyens et intellectuels grecs ont développé, principalement dans les inscriptions, une notion beaucoup plus explicite, complexe et subtile de « vie sociale », entre la politique et la vie privée. L’article s’interroge finalement sur ce que les différents concepts antiques discutés peuvent apporter aux débats historiographiques actuels sur la nature de la cité grecque après 150 av. J.-C., en particulier sur la manière de dépasser l’image traditionnelle de la « dépolitisation », et remet également en question le récit orthodoxe du développement des idées du « social » sur plusieurs siècles jusqu’à aujourd’hui.

The Invention of the Social? Debating the Scope of Politics in the Greek Polis from the Later Classical to the Early Roman Period

This paper applies to ancient Greece an approach developed by Pierre Rosanvallon: the integration of philosophical texts with the most everyday documents to better grasp a society’s understanding of its political life. For the ancient polis, this means focusing on the more prosaic evidence offered by cities’ inscriptions, especially their collective decisions published on stone. It is used here to consider the changing ideas about the nature of political and private life—and especially the space between them. In a very influential model, Classical Athenian democrats and philosophers tended to insist on a sharp binary distinction between public/political life and private life, leaving little room for a notion of an intermediate third space of polis life, similar to a “social sphere” or “civil society.” This pattern remained dominant in the Hellenistic and Roman periods, but, especially after c. 150 BC, some Greek citizens and intellectuals developed, above all in inscriptions, a much more explicit, complex, and subtle notion of “social life” as something between politics and private life. The article concludes by asking what the different ancient concepts discussed can contribute to current historiographical debates about the nature of the Greek city after c. 150 BC, especially when it comes to moving beyond the traditional picture of “depoliticization.” It also calls into question the orthodox narrative of the development of ideas of “the social” over many centuries up to the present.

Annne Simonin

Actualité de la Terreur. L’apport des émotions à l’étude de la Révolution française (note critique)

La Terreur, ces dix-huit mois du gouvernement révolutionnaire de l’an II généralement compris entre mars 1793 et juillet 1794, est probablement la période de l’histoire de la Révolution qui résiste le plus à l’interprétation. Et l’intérêt, pour ne pas dire la passion, dans la recherche des causes et des responsables qui anime ceux qui en furent les contemporains, et les potentielles victimes, est d’une intensité qui ne se démentira pas au xixe siècle, voire au xxe siècle, chez les historiens cette fois. L’historiographie récente de la Terreur, dont certains ouvrages sont ici analysés, est d’un ton plus apaisé. Malgré des désaccords persistants, un consensus s’est fait jour. Les émotions sont reconnues comme facteur décisif des choix radicaux faits par les acteurs. Ces choix ne sont pas seulement rationnels et contraints, puisque dictés par les circonstances ; ils ne trahissent pas non plus une vision politique cohérente, un système matrice d’une pensée totalitaire, mais bien plutôt des ajustements que des individus sont forcés de faire pour rester en cohérence avec les « communautés émotionnelles » auxquelles ils appartiennent. Les émotions ne sont pas un paradigme neuf : c’est Lucien Febvre qui, dès la fin des années 1930, a alerté sur leur importance pour l’historien. Appliquées à la Terreur, dans les champs historiographiques français et anglais, les émotions participent d’une nouvelle histoire des élites. Mais peuvent-elles, à elles seules, rendre compte de cet état d’exception qu’est l’état de guerre expérimenté par la France durant la Terreur ?

The Terror Today: Emotions and the Study of the French Revolution (Review Article)

The Terror, the eighteen months of the year II revolutionary government generally considered to have lasted from March 1793 to July 1794, is probably the period of the French Revolution that most resists interpretation. The implication, not to say the passion, that drove the search for causes and accountability by its contemporaries and potential victims was of an intensity that showed no signs of waning in the nineteenth and even the twentieth century—this time among historians. The recent historiography of the Terror, some of which is analyzed here, is quieter in tone. Despite ongoing disagreements, a consensus has emerged around emotions as a determining factor in the actors’ radical choices. These choices were not simply rational ones made under duress and dictated by circumstances, nor do they reveal a consistent political vision or a matrix of totalitarian thought. Rather, they reflect the adjustments that individuals are forced to make if they are to remain consistent with the “emotional communities” to which they belong. Emotions are not a new paradigm; Lucien Febvre insisted on their importance to historians in the late 1930s. Applied to the Terror in both French and English-language scholarship, they are giving rise to a new history of elites. But can emotions, by themselves, explain the exceptional state of war that existed in France during those months?

Éric Buge et Étienne Ollion

Que vaut un député ? Ce que l’indemnité dit du mandat parlementaire (1914-2020)

Combien perçoivent vraiment les députés français pour leur activité parlementaire ? À cette question en apparence anodine, il est pourtant difficile d’apporter une réponse claire pour la majeure partie du xxe siècle. À partir d’un travail inédit mené dans diverses archives de l’Assemblée nationale, cet article propose une première estimation du revenu que les députés ont pu retirer de leur mandat, du début du xxe siècle à nos jours. Il démontre ainsi la fécondité de ces données pour l’historien, en ce qu’il contribue à répondre à trois interrogations liées : pourquoi est-il si complexe d’accéder à une information normalement publique ? Comment le revenu des parlementaires situe-t-il les élus dans l’échelle des revenus de la population française ? Enfin, que nous disent ces évolutions de l’indemnité (en termes de niveau comme de nature) sur le type d’activité qu’est la députation ? Ce faisant, l’étude éclaire certaines transformations de fond du métier politique.

What Is an MP Worth? The Compensation of French Parliamentarians (1914-2020)

How much are members of the French parliament paid? No clear answer can be provided to this apparently trivial question for most of the twentieth century. Based on new research carried out in the archives of the lower chamber, the Assemblée nationale, this article offers an estimate of the revenues politicians have collected from their parliamentary activity since the early twentieth century. This rich seam of historical data is used to address three interrelated questions: Why is it so complex to access supposedly public information? Where do French parliamentarians’ earnings place them on the scale of the active population? Finally, what do the evolutions identified (in terms of both value and kind) reveal about the professional activity of these representatives? In probing these questions, the article sheds new light on political careers in France.

Arnaud Fossier

Hommes de mauvaise réputation. Usuriers, débiteurs et créanciers en procès (Pistoia, 1287-1301)

À partir de l’étude d’une douzaine de procès conservés dans les registres de l’évêque de Pistoia à la fin du xiiie siècle, cet article propose d’interroger la frontière entre deux phénomènes majeurs de l’économie prémoderne : le crédit et l’usure. Ce ne sont pas tant les modalités pratiques du prêt d’argent qui différenciaient l’une de l’autre – même si le taux d’intérêt jouait un rôle dans la définition judiciaire de l’usure – que la diffamation de l’usurier. La fama, entendue comme l’opinion collective recueillie par le juge, visait en effet à établir la réputation d’« usurier public » de l’accusé, et il n’est d’ailleurs pas impossible que ces procès se soient inscrits dans des jeux de factions locaux. Mais, il faut bien reconnaître que la majorité visaient d’abord à obtenir la restitution des sommes extorquées par les usuriers. Quant à l’Église, on peut se demander si, plutôt que de condamner de façon claire et univoque l’usure (freinant ainsi supposément l’avènement du capitalisme), elle n’a pas tenté d’instituer le marché en discriminant les honnêtes banquiers des mauvais prêteurs et en tâchant de maintenir son contrôle sur l’espace public face à l’emprise grandissante des pouvoirs communaux.

Disreputable Men: Usurers, Debtors, and Creditors on Trial (Pistoia, 1287-1301)

Based on the study of a dozen trials preserved in the late thirteenth-century registers of the Bishop of Pistoia, this article analyzes the boundary between two major phenomena of the premodern economy: credit and usury. Though interest rates formed part of the legal definition of usury, what differentiated one from the other was less the practical mechanisms of lending money than the defamation of the usurer. The fama, understood as the collective opinion gathered by the judge, sought to establish the reputation of the accused as a “public usurer,” and it is possible that these trials were mobilized in conflicts between local factions. Nonetheless, the majority primarily aimed at the restitution of sums extorted by the usurers. The Church, for its part, seems to have hesitated to condemn usury in a clear and univocal manner (which would allegedly have slowed the rise of capitalism). Instead, it may have attempted to regulate the market by discriminating between honest bankers and wicked lenders in order to maintain control over the public sphere in the face of the growing influence of the Italian communes.