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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  11 March 2020

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l'EHESS

Karine Karila-Cohen

Le graphe, la trace et les fragments L’apport des méthodes quantitatives et des outils numériques à l’étude des élites civiques athéniennes

Dans le monde grec antique, il s’avère souvent difficile d’identifier les individus et de retrouver leurs parents, non seulement à cause de la documentation, mal datée et offrant peu de séries continues, mais aussi à cause du système onomastique qui repose sur le nom unique, sans attacher l’individu à une lignée au-delà du nom du père. Cependant, ce mode de nomination s’avère être un atout pour la reconstitution d’un type de lien : quand un individu est identifié comme l’enfant de son père, le nom porte au moins un lien de filiation explicite. En mettant en œuvre une suggestion d’Alain Bresson datant de 1984, nous proposons de mener, sur le corpus attique, une analyse de réseaux bâtie sur ce lien de filiation entre deux noms, afin de voir si les groupes cohésifs qu’ils révèlent sont de réels réseaux de parenté. L’article entend ainsi construire une nouvelle méthode d’étude des élites civiques. Il s’interroge sur la possibilité de construire des réseaux onomastiques qui évitent les biais méthodologiques et documentaires dans le nouveau contexte d’accessibilité des données numériques. Après avoir démontré qu’il est possible d’utiliser à des fins prosopographiques les données mises en ligne par le Lexicon of Greek Personal Names, l’article explore les modes d’enquête et de mise en récit induites non seulement par le corpus documentaire, mais aussi par l’outil réseau.

Graphs, Traces, and Fragments: Using Quantitative Methods and Digital Tools to Study Athenian Civic Elites

The study of ancient Greek individuals and their family relationships is a difficult task. Specific people and connections are complicated to identify not only because of the poorly dated documentation, which offers few continuous series, but also due to the onomastic system based on single names, which does not attach the individual to a lineage beyond their father’s name. However, this onomastic system is an asset for the reconstruction of a particular type of relationship: when a person is identified as their father’s child, their name bears at least an explicit relation of filiation. In this article I use a suggestion made by Alain Bresson in 1984 to explore the Attic corpus: the cohesive groups revealed by network analysis based on links of filiation between two names may represent real kinship networks. This paper thus aims to construct a new methodology for studying the history of civic elites. How can we build onomastic networks that avoid methodological and documentary bias in the new context of accessible digital data? After demonstrating that it is possible to use the online data of the Lexicon of Greek Personal Names for prosopographic purposes, the article explores the modes of investigation and narrative introduced not only by the corpus but also by the network as a tool.

Isabelle Rosé

Autour de la reine Emma (vers 890-934) Réseaux, itinéraire biographique féminin et questions documentaires au début du Moyen Âge central

L’analyse de réseaux, dans sa dimension quantitative, apparaît à divers titres comme une voie de renouvellement des études historiques, bien qu’il s’agisse d’un outil forgé par la sociologie pour analyser les sociétés contemporaines. Nous proposons d’explorer les difficultés et les apports d’une telle démarche pour l’époque médiévale, en menant une analyse égocentrée du réseau d’Emma (v. 890-934), fille et nièce des souverains robertiens Eudes et Robert, qui épousa le roi des Francs Raoul († 936), dont la trajectoire est éclairée par des sources de différente nature (documents diplomatiques et Annales de Flodoard). En resituant cette reine au cœur de ses liens familiaux, il s’agit de comprendre comment fonctionnait le monde aristocratique qui l’entourait, à une période de bouleversement social entre ère carolingienne et époque féodale. L’article aborde les questionnements méthodologiques relatifs au corpus et la manière dont il peut être exploité de façon quantitative. Puis il souligne à quel point l’élaboration d’une base de données et la visualisation des sources par des graphes constituent des outils réflexifs permettant de définir une typologie des liens sociaux et de comprendre les logiques qui ont présidé à l’élaboration des documents. Les bénéfices d’une telle approche sont nombreux, car celle-ci suscite un véritable renouvellement historiographique sur la pratique du pouvoir souverain au cours du premier xe siècle.

Concerning Queen Emma (c. 890-934): Social Networks, A Female Biographical Trajectory, and the Question of Sources at the End of the Early Middle Ages

As a quantitative method, social network analysis appears to offer a way to renew historical studies, even though it was developed by sociologists to analyze more recent societies. This paper seeks to explore both the difficulties and the interest of applying such an approach to the Middle Ages by studying the ego-network of Queen Emma of France (c. 890-934). As the daughter of Odo and the niece of Robert I, Emma was related by blood to two kings of Western Francia and married to a third, Rudolf (d. 936). Her biographical trajectory is known through two kinds of sources: diplomatic documents and a chronicle, Flodoard’s Annals. By placing this queen at the center of her family relationships, the article aims to understand the workings of her aristocratic world during the social upheaval that marked the transition from the Carolingian to the feudal period. The first part addresses methodological questions about the corpus and how it can be analyzed using quantitative methods. The second shows that the construction of a database and the visualization of primary sources in graphs are tools that can help to define a typology of social links for the Middle Ages and clarify the logics that underlie the sources themselves. Finally, the third part of the paper emphasizes the many advantages of social network analysis for historical research: it is a powerful tool for renewing the historiography of practices of royal power in the first half of the tenth century.

Clare H. Crowston, Steven L. Kaplan et Claire Lemercier

Les apprentissages parisiens aux xviiie et xixe siècles

L’article discute des changements et des continuités dans les pratiques de l’apprentissage et ses normes sociales, à Paris, avant et après la Révolution française. Il souligne l’intérêt d’une analyse quantifiée et de comparaisons entre sources hétérogènes pour aborder ce sujet. Il traite d’abord de la question du rapport entre nombre d’apprenti·es et nombre de maîtres·ses dans chaque métier, ainsi que des aspirations qui pouvaient être celles des apprenti·es et de leurs parents : avec quel espoir entrait-on en apprentissage ? L’étude de trajectoires individuelles pour le xviiie siècle et d’une statistique de l’époque pour le xixe siècle permet notamment d’indiquer que l’apprentissage était loin de toujours déboucher sur une carrière au sein du métier appris. Un travail sur les sources judiciaires montre ensuite que le rôle des tribunaux dans le règlement des conflits autour de l’apprentissage s’est à la fois accru et transformé, en se concentrant sur le respect du temps imparti. L’article illustre enfin la persistance, sur la longue durée, de normes largement partagées définissant les bons apprentissages et de pratiques s’écartant nettement de ces normes, différentes selon le genre et le métier, que ce soit avant ou après la fin des corporations.

Parisian Apprenticeships in the Eighteenth and Nineteenth Centuries

This paper delineates changes and continuities in the practices, discourses, and social norms of apprenticeship in Paris before and after the French Revolution. It uses quantification and a comparison of heterogeneous sources to shed light on this question. The first section discusses numbers of apprentices and masters or mistresses, and the aspirations of apprentices and their parents: What did they hope to gain from an apprenticeship? The study of eighteenth-century trajectories and nineteenth-century statistics reveals that many apprenticeships were not the beginning of a career in the trade. The authors then turn to judicial archives to show that courts were increasingly used to settle apprenticeship disputes in the nineteenth century, and that their role was more focused on the enforcement of the duration of contracts. Finally, the paper discusses the persistence over the long-term of widely shared norms of good apprenticeship and their coexistence with many deviant practices that differed across genders and trades.

Elsa Génard et Melchior Simioni

Une histoire politique des chiffres de la prison Conception, production et usages de la Statistique pénitentiaire (1852-1939)

Produite par l’administration pénitentiaire de façon continue entre 1852 et 1939, la Statistique pénitentiaire est une source fournissant de nombreuses informations sur la situation des prisons. En retraçant l’ensemble de la chaîne d’existence des chiffres de la prison, de leur conception à leur utilisation, cette étude entend mettre en lumière le contraste entre l’importance des moyens que la production de ce document suppose, la diversité des informations qu’il recèle et la faiblesse de ses usages. Pensé initialement comme un outil pour la réforme des prisons, il se présente comme une statistique des établissements pénitentiaires, produite à tous les échelons de l’administration. Alors que les prisons et le crime sont au cœur des débats publics à la fin du xixe siècle, son utilisation en dehors de l’administration apparaît toutefois marginale. Cette discrétion dans les arènes de discussion sur ce sujet révèle un effacement de la statistique des prisons au profit de la statistique judiciaire, plus prestigieuse et plus à même d’alimenter les débats politiques sur la récidive. En 1911, pourtant, un projet de fusion des statistiques judiciaire et pénitentiaire peut apparaître comme une occasion de redonner aux chiffres de la prison une utilité dans la connaissance du crime. Mais l’échec de cette fusion confirme le peu d’intérêt que cette source suscite et s’accompagne d’un appauvrissement conséquent de ses tableaux, avec la suppression des informations sur les individus incarcérés à partir de 1911. Cet article entend ainsi poser la question de l’utilité d’une source qui est apparue peu utile, afin de réinterroger les rapports entre statistique, prison et État.

A Political History of Prison Statistics: The Conception, Production, and Uses of the Statistique pénitentiaire (1852-1939)

Produced by the French prison administration on a yearly basis from 1852 to 1939, the Statistique pénitentiaire provides considerable statistical information about prison conditions. This study tracks the production and uses of these figures, from their conception to their exploitation. We find there is a stark contrast between the substantial resources deployed to establish these documents, the great variety of information they contain, and how little they appear to be used. Originally designed as a tool to guide prison reform, the numbers in the Statistique pénitentiaire were produced at each level of the administration of every prison facility. Nevertheless, while prisons and crime were at the heart of public debate in the late nineteenth century, their relevance outside the prison administration appears to have been marginal. The more prestigious judicial statistics were much preferred in public debate and were more likely than prison statistics to influence political deliberations over repeat offending. In 1911, a project to combine the two documents into one emerged. This could have been an opportunity for prison figures to play a more prominent role in the study of crime, but the failure of the project confirmed the lack of interest in this source and its content was further impoverished by the removal of information on individual prisoners. By questioning the usefulness of a source that was apparently of such little interest, this paper aims to reexamine the relationship between statistics, prisons, and the state.

Pierre Mercklé et Claire Zalc

Peut-on modéliser la persécution ? Apports et limites des approches quantifiées sur le terrain de la Shoah

L’objectif de cet article est de proposer un examen détaillé des apports et des limites de la modélisation en histoire à partir du cas de la Shoah. Il s’appuie sur une enquête qui a permis de reconstituer les « trajectoires de persécution » des 992 Juifs de Lens pendant la Seconde Guerre mondiale, dont 527 seulement ont survécu. 491 ont été arrêtés, 468 ont été déportés et 449 ont été exterminés. Les données prosopographiques sont utilisées ici pour répondre à une question simple : est-il possible de modéliser la persécution ? En d’autres termes, est-il possible de construire une représentation simplifiée mais heuristique des processus causaux complexes qui ont déterminé les chances de survie face à la persécution nazie à partir de données standardisées sur un nombre relativement important d’individus ? L’article discute les apports et les limites d’une succession de méthodes quantifiées : celles qui s’inscrivent dans ce qu’Andrew Abbott appelle le « programme standard » des sciences sociales, ainsi que l’analyse des réseaux et l’analyse séquentielle. Pour chacune d’entre elles, sont plus particulièrement discutées les manières de rendre compte des interactions entre les individus, de l’historicité des comportements et des processus déterminant ces chances de survie. Les tentatives de modélisation à partir de données historiennes apportent ainsi de véritables renouvellements de connaissances, notamment lorsqu’elles sont menées de manière cumulative sur une même enquête. En passant d’une logique de propriétés individuelles à une logique de trajectoires interconnectées, ces approches permettent de mieux comprendre les interactions sociales et locales, et offrent ainsi des perspectives stimulantes pour la microhistoire de l’Holocauste.

Can We Model Persecution? The Contributions and Limitations of Quantitative Methods Applied to the Shoah

This article offers a detailed examination of the contributions and limitations of historical modeling based on the case of the Shoah. It is founded on an investigation that reconstructed the “persecution trajectories” of the 992 Jews of Lens during the Second World War, only 527 of whom survived the conflict. 491 were arrested, 468 were deported, and 449 were exterminated. Prosopographic data are used here to answer a simple question: Is it possible to model persecution? In other words, is it possible to construct a simplified but heuristic representation of the complex causal processes that determined chances of surviving Nazi persecution using standardized data on a relatively large number of individuals? To answer this question, the paper discusses the contributions and limitations of a series of quantified methods: those that form what Andrew Abbott calls the “standard curriculum” of the social sciences, but also network analysis and sequential analysis. For each of these methods, we focus on how they report both the interactions between individuals and the historicity of the behaviors and processes that determine their chances of survival. Attempts to model using historical data thus bring about a real renewal of knowledge, especially when they are carried out cumulatively on the same survey. By moving from a logic of individual properties to a logic of interconnected trajectories, these approaches provide a better understanding of social and local interactions. As a result, they offer stimulating perspectives for the microhistory of the Holocaust.