Contexte
Dans les pays développés, les personnes vieillissantes qui présentent une déficience intellectuelle (DI) constituent une population qui est de plus en plus importante en raison de la hausse constante de leur espérance de vie (Coppus, Reference Coppus2013). Comme il s’agit d’une population émergente, leur réalité et leurs besoins sont souvent méconnus par le personnel d’intervention spécialisé en DI et celui investi auprès des personnes âgées (Factor, Heller et Janicki, Reference Factor, Heller and Janicki2012). Aussi, différents défis affectent l’adoption d’une approche collaborative entre les intervenantes et intervenants issus des organisations de ces deux secteurs, laquelle pourrait toutefois contribuer à une réponse mieux adaptée à leurs besoins (Nalder et al., Reference Nalder, Saumur, Batliwalla, Salvador-Carulla, Putnam and Spindel2020). Conséquemment, les personnes aînées ayant une DI constituent un groupe mal desservi, marginalisé et confronté à d’importantes iniquités en matière d’accès aux soins et aux services, ce qui a des conséquences fort négatives sur leur bien-être et leur participation sociale (Gréaux et al., Reference Gréaux, Moro, Kamenov, Russell, Barrett and Cieza2023).
Plusieurs personnes peuvent expérimenter des limitations sur le plan de la réalisation d’activités au cours du vieillissement (p. ex. : pertes d’acquis sur les plans cognitif, sensoriel ou moteur). Or, ce phénomène s’observe à un plus jeune âge chez les personnes ayant une DI, soit à partir de 45 ans (De Leeuw et al., Reference De Leeuw, Oppewal, Elbers, Knulst, van Maurik and van Bruggen2022; Evenhuis, Schoufour, Oppewal et Maes-Festen, Reference Evenhuis, Schoufour, Oppewal, Maes-Festen, Putnam and Bigby2021; Lim, Bessey, Joshi et Boyle, Reference Lim, Bessey, Joshi, Boyle, Tampi, Tampi and Boyle2018). De plus, au sein de cette population, celles qui ont la trisomie 21 et celles ayant une DI sévère à profonde combinée à une déficience physique seraient plus à risque d’un vieillissement prématuré. Différentes variables contribuent à l’existence de ce phénomène telles qu’un historique d’institutionnalisation, les antécédents d’utilisation importante de psychotropes, la présence de conditions de vie plus précaires, une plus grande sédentarité et une plus forte prévalence d’obésité et de problèmes de santé physique (McMahon et Hatton, Reference McMahon and Hatton2021; Perera, Audi, Solomou, Courtenay et Ramsay, Reference Perera, Audi, Solomou, Courtenay and Ramsay2020). Aussi, les personnes aînées ayant une DI présentent des besoins psychosociaux distincts, qui doivent être analysés en tenant compte de l’ensemble des facteurs personnels (p. ex. : emploi et retraite, expériences de vie, situation financière, état de santé et motivations) et environnementaux (p. ex. : accessibilité, préjugés, attitudes des personnes significatives impliquées dans leur vie) susceptibles de favoriser ou de nuire à leur participation sociale.
À ce sujet, une large proportion de personnes aînées ayant une DI n’a jamais eu accès à un emploi rémunéré; éprouve plus de difficulté à accéder aux ressources de leur communauté, dû à la présence de préjugés ou à un manque d’accès à l’information; se heurte à l’insuffisance des services de soutien du réseau public pour accéder à des activités occupationnelles et à un réseau de soutien limité qui s’effriterait à travers l’avancée en âge (Milot et al., Reference Milot, Beaudoin, Leblanc, Gagnon, Grandisson, Raymond and Caouette2018; Wormald, McCallion et McCarron, Reference Wormald, McCallion and McCarron2019). D’ailleurs, ce réseau est souvent très restreint et surtout constitué de membres de la famille, du personnel d’intervention et d’autres personnes ayant une DI qui bénéficient des mêmes services ou ressources (p. ex. : colocataires) (Roll et Koehly, Reference Roll and Koehly2020; Van Asselt-Goverts, Embregts et Hendriks, Reference Van Asselt-Goverts, Embregts and Hendriks2015).
De plus, les personnes aînées ayant une DI ont généralement peu de pouvoir lors des prises de décisions concernant leurs besoins de participation sociale, ce qui peut occasionner des conséquences néfastes sur leur santé et leur bien-être (Álvarez-Aguado et al., Reference Álvarez-Aguado, Vega Córdova, Spencer González, González Carrasco, Jarpa Azagra and Exss Cid2022; McCausland et al., Reference McCausland, McCallion, Brennan and McCarron2018). Conséquemment, ces personnes aînées sont davantage à risque de vivre de l’isolement social et de la, ce qui peut contribuer à l’apparition de symptômes dépressifs et à des problèmes de santé mentale solitude (McDermott et Edwards, Reference McDermott and Edwards2012). De plus, ce sentiment de solitude aurait tendance à augmenter chez les personnes ayant une DI à travers l’avancée en âge (Eisenman, Freedman et Kofke, Reference Eisenman, Freedman, Kofke, Shogren, Wehmeyer and Sighn2017). Celles-ci ont souvent très peu de relations amicales et des interactions plus limitées avec des amies ou amis (Brand, Scior et Loewenberger, Reference Brand, Scior and Loewenberger2024). Mentionnons que ce n’est pas tant le nombre d’individus qui constitue le réseau social d’une personne ayant une DI qui favorise son bien-être et ses possibilités d’inclusion sociale, mais plutôt la qualité et la fréquence des contacts avec des personnes significatives, et plus particulièrement avec des amies ou amis (Roll et Koehly, Reference Roll and Koehly2020; Van Asselt-Goverts et al., Reference Van Asselt-Goverts, Embregts and Hendriks2015).
C’est dans l’intention de mieux comprendre comment les points de vue des personnes ayant une DI à l’égard de leurs possibilités d’exercer leur participation sociale à travers l’avancée en âge que s’est réalisée la présente étude. Celle-ci comporte deux objectifs spécifiques, soit (1) décrire les points de vue de ces adultes quant aux soutiens reçus et (2) décrire leurs points de vue à l’égard de leurs capacités et des possibilités qui leur sont offertes pour exercer leur participation sociale.
Modèle théorique
La démarche de recherche prend appui sur le modèle du développement humain- processus de production du handicap (MDH-PPH) (Fougeyrollas, Reference Fougeyrollas2010). Selon ce modèle, la participation sociale s’actualise à travers la pleine réalisation des habitudes de vie, lesquelles réfèrent aux activités de la vie quotidienne et domestique (p. ex. : liées à la communication, au logement, aux soins d’hygiène et de santé) et aux rôles sociaux (p. ex. : liés au travail, loisirs, relations sociales, vie associative) valorisés par la personne et son environnement social. Le degré de participation sociale d’un individu serait tributaire de l’interaction entre des facteurs personnels (systèmes organiques, aptitudes et facteurs identitaires) et environnementaux (obstacles et facilitateurs) propres à une situation donnée et qui peuvent favoriser ou freiner sa capacité à exercer ses habitudes de vie (Fougeyrollas, Reference Fougeyrollas2010). Pour chaque sphère de vie, le degré de participation sociale d’une personne peut donc se situer sur un continuum dont les extrémités réfèrent à une situation de pleine participation sociale et à une situation de handicap complète. Une personne se retrouve dans une situation de handicap lorsqu’elle est dans l’impossibilité de réaliser ses habitudes de vie. Ainsi, le modèle du MDH-PPH permet de déconstruire la vision du handicap comme étant une fatalité ou une carence individuelle ; il favorise l’accès à une lecture holistique et non stigmatisante du handicap dans le contexte où il survient.
Méthodologie
Type de recherche
La recherche qualitative et exploratoire faisant l’objet de cet article porte sur les résultats recueillis auprès d’un petit échantillon d’adultes ayant une DI. Considérant que la trajectoire de vieillissement débute plus tôt chez ces adultes (Lim et al., Reference Lim, Bessey, Joshi, Boyle, Tampi, Tampi and Boyle2018), l’équipe de recherche a choisi de solliciter des personnes de 40 ans et plus.Footnote 1 Celles-ci étaient invitées à participer à une entrevue semi-dirigée et à un atelier participatif en groupe.
Procédures de recrutement
Avant d’amorcer le projet, l’approbation du comité d’éthique de la recherche sectoriel en réadaptation et intégration sociale du CIUSSS de la Capitale Nationale a été obtenue (2016-517). Puis, les critères d’inclusion ont guidé le recrutement des personnes de l’échantillon à l’étude, soit (1) présenter une DI, (2) demeurer sur le territoire de la ville de QuébecFootnote 2 et (3) être âgé de 40 ans et plus. L’équipe de recherche s’est aussi assurée que toutes les personnes intéressées à participer à l’étude, et plus spécifiquement celles de moins de 60 ans, comprenaient bien le but de cette recherche portant sur leur réalité en tant que personne vieillissante.
Sur la base de ces critères d’inclusion, deux principales démarches de recrutement ont été déployées en étroite collaboration avec des intervenantes volontaires issues de quatre organismes communautaires. D’abord, un dépliant adapté a été créé avec des consignes et des pictogrammes présentant le but de la recherche, les implications, les avantages et les inconvénients ainsi que les coordonnées de la personne assurant la coordination de la recherche. Ce dépliant a été bonifié et validé grâce à la sollicitation d’une personne ayant une DI. Des copies en couleur ont été remises aux intervenantes pour qu’elles puissent en remettre à des personnes pouvant souhaiter participer à l’étude. Un message d’invitation à la participation a aussi été publié dans le journal d’un organisme communautaire partenaire. La chercheuse principale et des étudiantes impliquées dans la recherche ont aussi réalisé une invitation formelle en personne lors d’une activité mensuelle d’entraide réunissant des adultes de 50 ans et plus, membres d’un organisme dédié aux personnes ayant une DI.
Processus de collecte de données
Inspiré d’une recension des écrits sur le sujet (Milot et al., Reference Milot, Beaudoin, Leblanc, Gagnon, Grandisson, Raymond and Caouette2018) ainsi que du modèle du MDH-PPH, un guide d’entrevue semi-dirigé a été développé et bonifié grâce à un prétest auprès d’une personne ayant une DI. Ce guide comprend dix questions regroupées en trois sections qui ont été pensées pour favoriser l’expression des personnes aînées à l’égard des facteurs individuels et environnementaux susceptibles d’influencer la réalisation de leurs habitudes de vie à travers l’avancée en âge. D’abord, chaque personne était invitée à partager ses points de vue à l’égard de ses capacités en tant que personne vieillissante et des difficultés et avantages associés à cette étape de vie. Ensuite, elles étaient amenées à se prononcer sur les soutiens reçus de la part des membres de leur réseau formel (p. ex. : personnel rémunéré) et informel (p. ex : parents, fratrie, amies et amis). Pour chaque personne significative identifiée, il leur a été proposé d’élaborer davantage sur le soutien apporté par celle-ci et sur l’appréciation de ce soutien. Cette façon de faire s’inspire de l’« Ecomap », un outil de collecte de données qui favorise l’accès à des connaissances sur l’environnement social d’individus et qui permet de personnaliser les questions lors d’entrevues qualitatives (Bennett et Grant, Reference Bennett and Grant2016). Puis, les personnes participant à l’étude étaient invitées à discuter des possibilités d’exercer leur participation sociale à travers l’avancée en âge et les différents changements que cette étape de vie suppose, comme le déménagement vers un nouveau milieu de vie ou le changement d’activités de loisir ou de travail. Les entrevues d’une durée d’environ 60 minutes ont été réalisées dans un lieu choisi par les personnes participantes, soit à domicile ou dans les locaux d’une des organisations ayant contribué au recrutement. Toutes les entrevues ont été enregistrées et les propos ont été transcrits intégralement.
À la suite des entrevues, un atelier participatif de deux heures a été tenu dans les locaux d’un organisme partenaire afin de valider la compréhension des informations recueillies lors des entrevues individuelles et d’approfondir les connaissances à l’égard des points de vue individuels et collectifs des personnes participantes. Sur une base volontaire, la plupart des personnes ayant participé aux entrevues individuelles étaient présentes à l’atelier, auquel se sont jointes d’autres personnes répondant aux critères d’inclusion et qui avaient été sollicitées par téléphone par l’organisme partenaire. Lors de cet atelier participatif, chaque personne a d’abord été invitée à signer un engagement à la confidentialité. Puis, cinq mises en situation fictives ont été présentées au sein de petits groupes de trois ou quatre personnes où deux co-animatrices facilitaient les échanges. Ces mises en situation fictives ont été conçues en s’inspirant d’une préanalyse des données émergeant des entrevues individuelles réalisées. Elles portent sur des situations fictives où différents facteurs exercent une influence négative sur la participation sociale d’une personne vieillissante ayant une DI. Un exemple se trouve à la figure 1. Après la présentation de chaque mise en situation, les personnes participantes étaient invitées à partager librement leurs points de vue en répondant à deux questions, soit « Si vous étiez un ami ou une amie de X (nom du personnage fictif), que lui conseilleriez-vous? » et « Avez-vous déjà vécu une telle situation? ». Cet atelier a permis de recueillir des données complémentaires pertinentes au regard des objectifs de la recherche. Des notes manuscrites des principaux propos tenus ont été rédigées par les co-animatrices de chaque sous-groupe, lesquelles ont fait l’objet d’un résumé commun à la suite de l’atelier.
Mentionnons aussi que toute personne participante a été rencontrée afin de discuter des différents aspects du projet de recherche en vue d’obtenir un réel consentement libre et éclairé à y participer. À cette fin, un formulaire de consentement adapté faisant usage de pictogrammes a été utilisé. Chaque personne participante avait aussi la possibilité d’être accompagnée lors de l’entrevue individuelle. Aussi, des adaptations méthodologiques ont été mises en place, basées sur l’expérience des membres de l’équipe de recherche et d’écrits sur le sujet, afin de soutenir une participation optimale des personnes ayant une DI aux deux activités de collecte de données. Les principales stratégies déployées furent l’emploi de questions ouvertes pour contourner la plus forte tendance à l’acquiescement; la recherche d’un discours plus narratif et descriptif ponctué par des demandes d’ajouts et non d’explications; l’utilisation de certaines formes grammaticales, dont le pléonasme (p. ex. : c’est votre situation à vous); l’emploi du vocabulaire de la personne participante; la référence à des termes concrets; des pauses lors des entretiens pour maintenir la concentration et l’attention ainsi que la valorisation verbale et non verbale des réponses des personnes interviewées (Julien-Gauthier, Jourdan-Ionescu et Legendre, Reference Julien-Gauthier, Jourdan-Ionescu, Legendre, Tétreault and Guillez2014).
Analyses
Les propos issus des entrevues ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique, en empruntant une approche mixte, soit à la fois déductive et inductive (Miles et Huberman, Reference Miles and Huberman2003). Une première codification a été développée à partir du modèle du MDH-PPH afin d’identifier les facilitateurs et obstacles à la réalisation des activités de la vie quotidienne et domestique ainsi que les rôles sociaux des personnes participantes. Par la suite, une démarche inductive a permis d’étayer et d’enrichir le processus d’analyse, ce qui s’est fait en utilisant le logiciel N’Vivo 11. Pour assurer la validité de la démarche, deux autres membres de l’équipe de recherche ont validé l’arborescence de codes en considérant 20% du matériel codé. Puis, les propos tenus lors de l’atelier et consignés dans le résumé de cette activité ont été intégrés au processus d’analyse sur N’Vivo.
Résultats
Échantillon
Quatorze personnes ayant une DI âgées de 40 ans et plus (âge moyen : 55 ans), soit dix hommes et quatre femmes, ont participé aux entrevues individuelles. Cinq d’entre elles avaient un travail au moment de leur entrevue et neuf étaient engagées bénévolement dans un organisme de défense collective des droits « par et pour » les personnes vivant avec une DI. Trois personnes ont mentionné ne pas travailler et ne pas effectuer de bénévolat. En ce qui a trait aux milieux de vie où résidaient ces personnes au moment de l’étude, ceux-ci étaient fort variés et référaient à : des résidences pour personnes âgées (2), des appartements (5), des ressources intermédiaires ou de type familial (5), des chambres avec pension (2) et un centre d’hébergement et de soins de longue durée (1).
Synthèse des propos des personnes participantes
Les propos des personnes ayant participé à la recherche qui sont présentés dans cette section portent sur leurs points de vue sur (1) leurs forces et capacités en tant que personne vieillissante, (2) leurs possibilités d’exercer leur participation sociale et (3) les soutiens reçus.
Regard sur leurs forces et capacités
Les personnes ayant participé à la recherche ont tenu des propos qui réfèrent à la manière dont elles se perçoivent en tant que personnes aptes à faire des choix et à exprimer leurs préférences et intérêts. Ces éléments méritent d’être détaillés puisqu’ils semblent liés à leur motivation à exprimer leurs besoins de participation sociale à travers l’avancée en âge. À cet égard, une certaine ambivalence émerge de leur propos. La majorité d’entre elles rapportent avoir l’impression que leurs opinions sont respectées, qu’elles sont traitées comme des adultes autonomes et qu’il s’agit de quelque chose d’important pour elles et qui mérite d’être défendu. Par « autonomie », elles réfèrent à cette idée de pouvoir faire ce que l’on veut, quand on veut et avec qui l’on veut, sans devoir se rapporter à quiconque. Ces personnes participantes rapportent aussi qu’il n’y a pas d’âge pour exercer son autonomie, qu’il s’agit de quelque chose qui peut toujours se développer, sauf en présence de problèmes de santé ou de maladies.
Pour référer à leur capacité à faire leurs propres choix et à les faire respecter, les personnes participantes ont raconté des situations bien concrètes et très variées. Alors que certaines illustrent cette idée par des décisions qu’elles sont autorisées à prendre depuis qu’elles vivent en appartement, d’autres font référence à des permissions spéciales accordées pour faire des sorties à l’extérieur de leur milieu de vie. Toutefois, toutes rapportent aussi qu’elles se sentent parfois exclues des processus décisionnels relatifs à des questions qui les concernent.
Lorsque confrontées à un choix, plusieurs personnes répondantes ont mentionné avoir déjà dû choisir l’option préférée d’une personne significative (proche ou membre de l’équipe d’intervention) qui exprimait savoir ce qui était le mieux pour elles. Certaines ont aussi rapporté avoir déjà dû mettre de côté un projet ou un besoin pour éviter de créer de la tension ou une dispute. D’ailleurs, c’est ce qu’a affirmé un participant qui rêvait d’emménager en appartement avec ces propos : « en logement, même s’il est meublé, il faut que tu fasses à manger. Même ma sœur m’a dit : “en logement tu n’y arriveras pas.” Donc tout de suite on oublie ça » (P13). Cette influence des membres de l’entourage a aussi été mise en lumière lors de l’atelier participatif. En effet, plusieurs personnes ont insisté sur l’importance de respecter les décisions du personnel d’intervention ou de proches impliqués dans leur vie, prétextant que c’est la chose à faire lorsqu’on a une DI. Or, quelques personnes ont aussi ajouté que dans un tel contexte, il peut être possible de « négocier » pour réaliser une activité ou un projet qui leur tient à cœur. C’est ce qu’exprime un participant en racontant comment il a dû convaincre sa mère de ses capacités : « Qu’est-ce qui était plate c’est qu’elle me disait tout le temps “tu ne seras pas capable de faire ça.” À force d’apprendre des choses, de lui montrer et de lui dire “regarde, je suis capable d’aller en appartement et de travailler,” maintenant elle est contente. Elle dit que je lui ai montré mes preuves » (P10). D’ailleurs, ce dualisme d’opinions a également été observé lorsque les personnes participantes ont été amenées à réagir à une situation fictive où le père refusait à son fils adulte ayant une DI de faire une sortie au cinéma avec un ami, sous prétexte que ce dernier avait déjà fait assez de dépenses dans le dernier mois. En effet, plusieurs ont mentionné que le fils pourrait proposer à son père de l’accompagner afin de le convaincre de payer pour cette sortie. D’autres mentionnent qu’à l’avenir, le fils devrait planifier ses dépenses relatives à ses sorties au cinéma en consultant l’horaire de la projection des films intéressants à l’avance et ainsi démontrer à son père sa capacité à gérer ses finances. Certaines personnes ont rapporté avoir déjà vécu une situation similaire et qu’elles avaient alors préféré se tourner vers des activités gratuites offertes dans la communauté. En prévision de la réalisation d’un projet plus significatif, certaines personnes ont référé à l’importance d’être bien préparées pour convaincre leurs proches que leur projet est sérieux, réaliste et réfléchi. À ce sujet, elles ont mentionné l’importance de mettre en valeur leurs forces et leur détermination à développer les aptitudes ou apprentissages nécessaires à la réussite de leur projet, notamment, en s’inscrivant à des cours.
Dans l’ensemble, les propos des personnes participantes laissent entrevoir que le regard posé sur leur capacité à faire leurs propres choix est tributaire d’expériences antérieures et de l’influence de membres de leur réseau de soutien.
Possibilités d’exercer sa participation sociale
Différentes expériences vécues à travers l’avancée en âge peuvent être propices à l’expression de préférences, à l’affirmation de choix et à l’acquisition de compétences nécessaires à une participation sociale plus satisfaisante. À ce sujet, les personnes participantes ont référé principalement à des obstacles affectant leurs possibilités de faire des choix. Elles ont raconté des situations liées à des transitions résidentielles, à des expériences au sein de leur milieu de vie et à leur engagement bénévole dans des organisations religieuses ou de défense collective des droits.
D’abord, cinq personnes participantes à l’étude ont rapporté des situations liées à leur déménagement dans un nouveau milieu de vie. Pour la majorité, cette étape s’est réalisée abruptement, par exemple, lors du décès d’un proche, et sans qu’elles aient préalablement été impliquées dans la planification de cette transition. Les individus les ayant accompagnés lors de ces transitions les auraient amenées à choisir promptement un nouveau logement. Ils les auraient convaincues en mentionnant que l’emplacement se situait près d’un lieu où il était possible d’exercer des loisirs ou en insistant sur l’idée qu’elles pouvaient se compter chanceuses qu’un logement ait été disponible au moment du déménagement, considérant la rareté des ressources disponibles. Mentionnons aussi qu’aucune personne participante n’a eu la possibilité de visiter plusieurs logements avant de prendre sa décision d’aménager dans un milieu de vie choisi pour elle. Une participante résume bien cette idée en tenant ces propos : « Ils avaient empaqueté toutes mes affaires sans me le dire et ils ont dit “on va déménager.” On avait 10 jours pour déménager. Mon intervenant m’a fait visiter une nouvelle adresse et j’ai accepté, c’était pas loin » (P2). Un autre rapporte aussi cette idée : « Ma mère me disait que c’était plus avantageux ici qu’ailleurs, parce que je suis pas loin du [organisation de loisirs]. S’il fait pas beau, je prends [l’autobus] et c’est pas loin d’ici » (P12).
L’atelier de discussion a aussi favorisé les échanges à l’égard de « la liberté » dont les personnes participantes disposent au sein de leur milieu de vie pour réaliser des activités. À ce sujet, celles ayant déjà demeuré ou demeurant toujours en chambre avec pension ou en ressource institutionnelle (intermédiaire ou de type familial) ont référé aux règles strictes et non flexibles en ces lieux. Elles ont rapporté que ces règles nuisaient à leur capacité d’exercer une pleine autonomie. Parmi les contraintes énoncées, elles ont principalement parlé de l’obligation de demander des permissions pour des sorties, de l’interdiction d’inviter des amies ou amis chez soi aux moments désirés, de l’impossibilité de prendre ses repas aux heures souhaitées et de la présence d’un couvre-feu.
Sur une note plus positive, quelques personnes participantes ont aussi rapporté que c’était à travers leur engagement bénévole à une activité qu’elles avaient davantage d’occasions d’exercer leur participation sociale. Deux personnes participantes ont mentionné que de prendre part aux activités d’une organisation religieuse leur permettait de socialiser et de développer des relations significatives. Près de la moitié des personnes ont aussi mentionné que leur engagement bénévole dans un organisme de défense collective des droits porté par des personnes ayant une DI leur avait offert la possibilité de développer leur estime de soi et leur capacité à faire des choix. Un participant rapporte d’ailleurs que, dans le cadre de son implication dans un organisme de défense des droits, il effectue des témoignages auprès de divers publics, tel que des étudiantes et étudiants en santé et services sociaux, ce qui semble susciter des retombées fort positives tel que témoigné dans cet extrait : « c’est comme ça que j’ai développé mon autonomie et ma confiance en moi. J’exprime mes volontés, quoi faire et quoi ne pas faire [pour aider les personnes ayant une DI] » (P10). D’ailleurs, un répondant a rapporté que sa participation aux activités de cet organisme lui avait permis de développer des connaissances et habiletés nécessaires pour être en mesure de « se prouver » aux membres de sa famille et, ainsi, en arriver à faire respecter ses décisions. Celui-ci a rapporté aussi que parfois, le fait de s’unir à d’autres personnes qui vivent une situation similaire pouvait favoriser l’accès à de meilleures conditions de vie tout en favorisant le développement du sentiment d’appartenance à un groupe. À ce sujet, un participant a tenu ces propos : « Je me sens bien, je me sens chez nous. C’est ma famille, ma deuxième famille. Parce que ma famille moi m’ont mis de côté » (P3). Un autre a mentionné des points de vue qui vont dans le même sens : « Entre nous autres, on sait de quoi on a besoin, parce qu’on connait chaque personne. On a chacun des points forts et des points faibles. C’est ça qui est beau » (P1). Leur implication dans les activités de cet organisme leur a offert la possibilité de s’exprimer, d’être écoutés, de faire des choix autodéterminés, d’exercer un rôle valorisant et valorisé (p. ex. : en tant que membre d’un conseil d’administration) et d’apporter une contribution significative à l’avancement de dossiers portés collectivement. Un participant a mentionné que sa contribution au développement d’un projet visant à stimuler l’entraide entre membres de l’organisme lors de périodes ou d’événements difficiles, par exemple, lors d’une hospitalisation ou du décès d’un proche, lui a procuré une grande fierté. Un autre répondant a aussi ressenti un tel sentiment lors de son implication active à l’organisation et l’animation de l’Assemblée générale annuelle de l’organisme en tant que membre du conseil d’administration.
Soutien à la participation sociale
Soutien du réseau de soutien formel
La majorité des personnes participantes ont rapporté bénéficier du soutien d’un membre du personnel d’intervention spécialisé en DI du réseau de la santé et des services sociaux pour maximiser leurs possibilités de participation sociale. En fait, ce soutien se serait actualisé principalement lors de rencontres en personne ou par téléphone, et à travers l’accompagnement à des rendez-vous. Alors que plusieurs recevaient un tel soutien de manière épisodique sur demande, d’autres bénéficiaient d’un soutien récurrent, de manière hebdomadaire ou mensuelle, sans avoir à effectuer de démarches pour l’obtenir. Lorsque questionnées sur leur appréciation du soutien reçu par leur intervenante ou intervenant, la plupart des personnes interrogées ont mentionné être satisfaites. Toutefois, neuf d’entre elles ont l’impression qu’elles ne peuvent pas communiquer avec cette personne lorsqu’elles le souhaitent, par crainte de déranger cette personne décrite comme étant fort occupée. Ces propos appuient bien cette idée :
Je le vois presque jamais, un moment donné je vais l’appeler, mais je veux pas le déranger. J’ai peur de le déranger. Il y en a qui dérange le monde en appelant, en faisant des sondages. (P5)
J’aimerais ça [voir mon intervenant plus souvent], mais il a du travail à faire aussi. Il doit rencontrer d’autres personnes, je suis pas tout seul. Il est pas mal occupé. (P3)
Également, certaines personnes ont fait part de leur crainte de perdre les services spécialisés dont elles bénéficiaient au moment de l’étude, sous l’impression qu’elles pourraient être perçues comme étant trop autonomes.1 À ce sujet, un participant a tenu ces propos :
Oui [j’aimerais voir mon intervenant plus souvent] (…). Lui, [il] trouve que je suis autonome. Après 1 ou 2 ans, je l’aurai plus je pense, parce que je suis trop autonome. Il y a d’autres personnes qui ont plus besoin de lui. (P13)
De plus, certaines personnes ont exprimé ne pas se sentir écoutées par leur intervenante ou intervenant lors de rencontres individuelles ou réunissant plusieurs individus concernés. À ce sujet, un participant a rapporté que son intervenant ne venait le voir que pour remplir des formulaires et ne prenait pas le temps de discuter avec lui. Malgré cela, sept personnes participantes ont caractérisé leur relation avec leur intervenante ou intervenant comme étant bonne et trouveraient très difficile d’avoir à changer de personne de référence. Certaines personnes ont rapporté craindre cette possibilité, en raison du haut taux de roulement au sein du réseau de la santé et des services sociaux.
Les propos des personnes participantes laissent entrevoir des caractéristiques ou qualités qu’elles apprécient chez leur intervenante ou intervenant. Elles ont référé à leur écoute, à leur patience et à leur disponibilité. C’est ce qui émerge des propos suivants :
Avec les intervenants que j’ai eus, sur deux ou trois, c’était la première que j’aimais. La personne qui m’a aidé, elle savait tous mes besoins. Elle dit :« tu te gênes pas, tu viens nous voir, tu m’appelles et je vais te régler ça ». (P11)
La patience qu’il a, il est (gentil), j’ai pas un mot à dire. C’est un bon copain pour moi. Il prend son temps, il m’explique. Quand j’ai besoin de lui, je l’appelle et il est toujours prêt à venir. Il prend le temps de parler. (P3)
Certaines personnes ont aussi référé au soutien offert par le personnel d’organismes communautaires qui leur aurait permis d’accéder à une meilleure estime de soi. À ce sujet, un répondant a tenu ces propos : « J’ai dit à (l’intervenante), “je ne peux pas faire grand-chose, je ne sais pas lire!” Elle m’a dit qu’elle était là pour moi. C’est comme des personnes-ressources, c’est des ressources pour moi » (P13). Pour d’autres personnes participantes, ce soutien s’est aussi actualisé par de l’accompagnement et des encouragements à participer à des activités. En parlant d’une ancienne intervenante, un participant exprime qu’il la rencontrait chaque mardi pour faire des sorties dans le but de « sortir de la maison » (P5). Il devait prendre le transport en commun afin de la rejoindre au centre-ville. Une participante mentionne que son intervenant l’a encouragée à participer à un groupe de discussion mensuel pour les personnes ayant une DI de 50 ans et plus, où elle a rencontré plusieurs personnes, dont son conjoint au moment de l’étude.
Soutien du réseau de soutien informel
Concernant le soutien en provenance du réseau de soutien informel, la majorité des personnes participantes ont mentionné pouvoir compter sur au moins une personne pour du soutien psychosocial lorsque nécessaire, ce qui s’actualiserait surtout à travers des discussions téléphoniques ou lors de rencontres amicales. D’ailleurs, parmi celles-ci, six s’impliquaient dans un organisme destiné aux personnes ayant une DI où les autres membres étaient une source de soutien psychosocial. Pour illustrer cette situation, un participant a mentionné :
Qu’est-ce que j’aime c’est que quand je vis des moments difficiles, que je reçois des mauvaises nouvelles ou que j’ai passé une mauvaise journée, [les membres] me réconfortent. Ils voient, mettons si j’ai de la peine, si je vis des moments difficiles, j’en parle. (P10)
Lors des entrevues, les personnes participantes ont peu référé au soutien de membres de leur famille. Toutefois, certaines ont mentionné avoir reçu du soutien psychosocial lors de discussions téléphoniques ou de visites, de l’accompagnement pour réaliser des loisirs et des activités sociales et du soutien financier.
Discussion
Cet article porte sur les résultats d’une étude sur les points de vue d’adultes ayant une DI à l’égard de leur participation sociale à travers l’avancée en âge. Les résultats mettent en lumière trois principaux constats desquels découlent des recommandations pour optimiser leur participation sociale.
Tout d’abord, il semble qu’un nombre restreint de personnes ayant participé à l’étude font de réels choix et la plupart demeurent peu engagées dans les prises de décision concernant leurs besoins de participation sociale. Les situations relatées montrent que lorsque vient le temps de prendre une décision, plusieurs font face à une seule option qu’elles sont incitées à retenir, ce qui ne représente pas un réel choix. Cette situation a déjà été documentée pour les personnes ayant une DI (Wehmeyer, Reference Wehmeyer, Khemka and Hickson2021). Dans ces situations, les personnes concernées ne semblaient pas avoir reçu toutes les informations nécessaires et un soutien adéquat pour effectuer une décision éclairée, ce qui leur aurait permis d’accepter ou non l’option proposée. Dans certaines situations, par exemple, lors du choix d’une nouvelle résidence, il semble que ce soit la proximité d’un lieu de loisir, l’urgence lors du décès d’un proche avec lequel demeurait la personne et l’absence d’options alternatives qui font en sorte qu’une seule possibilité est proposée. Certaines personnes ont ainsi dû vivre un « déracinement » de leur quartier, et des environnements connus, et où elles étaient reconnues (p. ex. : dépanneur du coin, pharmacie communautaire), ce qui a affecté la réalisation de leurs habitudes de vie et de leurs rôles sociaux. De ce fait, leur participation sociale s’en trouve réduite (Fougeyrollas, Reference Fougeyrollas2010).
Aussi, cette étude met en lumière que la notion de « choix » ne semble pas toujours bien comprise chez les personnes participantes. Faire un choix suppose de pouvoir sélectionner une option parmi un ensemble d’éléments parmi lesquels il est possible de choisir –ce qui est crucial à une pleine participation sociale. Or, dans cette étude, certaines personnes ont eu l’impression de faire un choix alors qu’elles ont plutôt accepté l’option proposée, telle que celle d’emménager dans la seule ressource résidentielle proposée lorsqu’un déménagement d’urgence devait se faire. La sélection d’un milieu de vie parmi d’autres était alors impossible. Mentionnons que le personnel d’intervention impliqué est malheureusement souvent confronté à une rareté des options résidentielles intéressantes susceptibles de répondre aux besoins des personnes ayant une DI au Québec, ce qui est mis en lumière dans un rapport de recherche récent (Caouette, Lebeau et Tremblay, Reference Caouette, Lebeau and Tremblay2023). Ceci constitue donc un obstacle environnemental qui nuit à la réalisation de leur pleine participation sociale. De surcroît, leurs points de vue quant à leur capacité à faire de réels choix semblent fortement influencés par leurs expériences passées et par l’influence de personnes de confiance. À ce sujet, plusieurs recherches montrent que, tout au long de leur vie, les personnes ayant une DI ont moins d’occasions d’exprimer leurs préférences et de faire des choix par elles-mêmes comparativement aux personnes sans DI (Carey, Reference Carey2021; Wehmeyer et Abery, Reference Wehmeyer and Abery2013). Lorsqu’elles ont dû prendre une décision, la plupart des personnes participantes à cette étude ont préféré se rallier à l’opinion de personnes de confiance ou, si la décision avait une portée plus significative pour elles, tenter de négocier ou de convaincre celles-ci de leurs compétences ou de leur détermination.
Cette possibilité de décider pour soi apparaît également plutôt restreinte dans certains milieux de vie où des règles en vigueur limitent les possibilités d’autodétermination des personnes, un concept qui se définit comme le fait de gouverner sa vie, libre d’influence externe indue (Wehmeyer et Abery, Reference Wehmeyer and Abery2013). Selon Wehmeyer (Reference Wehmeyer, Khemka and Hickson2021), l’émergence de l’autodétermination serait très fortement influencée par les occasions provenant de l’environnement et par les soutiens offerts. Or, dans la présente étude, plusieurs personnes ont mentionné qu’il leur était impossible d’inviter des amies ou amis aux moments désirés, de prendre leurs repas aux moments souhaités et de faire certaines sorties, contraintes par la présence de couvre-feux. Ces limites nuisent à leurs possibilités d’exercer leurs habitudes de vie et d’accéder à une pleine participation sociale. Des auteurs rapportent que lorsqu’elles ont l’impression d’avoir peu de pouvoir sur leur propre vie, certaines personnes ayant une DI ont tendance à adopter des comportements de résignation empreints de passivité (Carey, Reference Carey2021; Wehmeyer, Reference Wehmeyer, Khemka and Hickson2021). Il apparaît donc essentiel d’agir sur plusieurs fronts pour renverser une telle situation. D’abord, des activités de formation et d’accompagnement devraient être déployées afin que les personnes significatives impliquées dans leur vie facilitent leur accès à des expériences qui mettent en valeur leur potentiel, leurs droits et leur capacité à prendre des décisions éclairées. D’ailleurs, il pourrait être pertinent d’offrir de la formation aux personnes responsables de ressources résidentielles afin qu’elles soient davantage outillées pour soutenir la participation sociale et l’autodétermination des personnes résidentes ayant une DI. Aussi, investir dans le développement de ressources résidentielles adaptées et variées apparaît primordial afin de permettre aux personnes ayant une DI de pouvoir choisir un milieu de vie qui répond réellement à leurs besoins et préférences.
Ensuite, les propos de certaines personnes participantes mettent en lumière les retombées positives de leur participation à des activités d’un organisme de défense des droits par et pour les personnes ayant une DI. À travers leur implication, elles ont acquis des connaissances sur leurs droits et les habiletés nécessaires pour faire respecter leurs intérêts et préférences. De plus, devenir membre de cet organisme semble signifier, pour plusieurs, la possibilité de s’associer à un projet commun, de développer un sentiment d’appartenance et des relations sociales positives en plus d’obtenir des gains et avantages à travers les luttes menées. Leurs propos laissent entrevoir les effets positifs associés à l’actualisation d’un rôle socialement valorisé au sein d’un collectif (p. ex. : en tant que membre du conseil d’administration) et l’appropriation d’une nouvelle identité partagée en tant que personne militante. D’ailleurs, Ellem, Harris, et Strnadová (Reference Ellem, Harris and Strnadová2022) constatent que l’implication dans une telle organisation peut soutenir le développement du leadership chez les personnes ayant une DI impliquées qui se retrouvent dans un espace commun sécurisant où puiser du soutien et la motivation nécessaire pour apporter des changements positifs pour une vie plus satisfaisante. L’étude d’Anderson et Bigby (Reference Anderson and Bigby2017) au sein d’organismes de défense des droits en Australie et en Angleterre met en lumière comment les personnes engagées ont pu développer les habiletés et la confiance en soi nécessaires pour décider de vivre en logement autonome, pour fréquenter davantage de lieux publics (p. ex. : cafés et bars) et pour utiliser le transport en commun. Une étude en Suède (Tideman et Svensson, Reference Tideman and Svensson2015) met aussi en exergue que l’engagement dans de telles organisations contribue au développement d’une identité plus positive chez les personnes impliquées, comparativement à celle qui leur était imposée par la société ou leur entourage. Ces chercheurs constatent aussi que cette participation favorise le développement de l’autonomie chez les personnes engagées tout en les outillant à reconnaître lorsqu’elles ont besoin de soutien. En raison de tous ces bénéfices en faveur d’une participation sociale plus optimale, l’implication au sein d’un organisme de défense des droits devrait être vivement encouragée auprès des adultes et des personnes aînées ayant une DI.
Cette étude met aussi en exergue que les personnes participantes ont peu de relations d’amitié et que leur réseau de soutien social est très restreint. Aussi, bien souvent, une intervenante ou un intervenant de confiance occupe une place fort importante au sein de ce réseau. À ce sujet, plusieurs personnes participantes rapportent éviter de communiquer avec cet individu trop fréquemment, par crainte de le déranger. De plus, certaines de ces personnes ont évoqué être trop autonomes pour recevoir plus de soutien de sa part, ce qu’elles auraient déduit à travers les interactions avec leur intervenant ou intervenante. Or, plusieurs études mettent en lumière le rôle central qu’exerce cet individu dans la vie des personnes ayant une DI. D’ailleurs, ce dernier peut avoir une influence déterminante sur le développement de leur réseau de soutien et sur leur participation à la vie de leur communauté (Giummarra, Randjelovic et O’Brien, Reference Giummarra, Randjelovic and O’Brien2022; Holmgren et Ahlström, Reference Holmgren and Ahlström2023; McCausland et al., Reference McCausland, Guerin, Tyrrell, Donohoe, O’Donoghue and Dodd2021).
Cependant, au Québec, il semble que les intervenantes et intervenants du réseau public ne soient pas toujours en mesure d’offrir des services en soutien à l’inclusion sociale satisfaisants aux personnes ayant une DI. Au Québec comme ailleurs, miser sur le développement de communautés plus inclusives serait rarement une priorité, en dépit de l’importance et de la pertinence d’une telle cible d’intervention (Bigby et Wiesel, Reference Bigby and Wiesel2011). Des études mettent en lumière que plusieurs personnes vieillissantes ayant une DI aimeraient participer à des activités dédiées aux personnes aînées au sein de la population générale afin d’élargir leur réseau de relations sociales (Holmgren et Ahlström, Reference Holmgren and Ahlström2023). Toutefois, l’inclusion au sein de telles activités comporte plusieurs défis, soit : (1) une réticence des membres du personnel, sous prétexte de ne pas détenir l’expertise ou les ressources pour offrir l’accompagnement nécessaire à la pleine participation de la personne à l’activité; (2) des défis communicationnels pouvant survenir lors de rencontres avec d’autres personnes aînées (p. ex. : soutenir une conversation, exprimer une décision affirmée ou comprendre des règles de vie en groupe qui n’ont pas été explicitées clairement d’avance); (3) une période d’adaptation plus longue lors de l’intégration de la personne à l’activité et pouvant susciter du stress pour elle et des réactions négatives chez les autres personnes participant à l’activité ainsi que (4) la présence d’attitudes négatives, plus particulièrement présentes chez les individus âgés de 60 ans et plus à l’égard des personnes ayant une DI (Ankori, Yaacovi et Carmeli, Reference Ankori, Yaacovi and Carmeli2023; Ingvaldsen et Balandin, Reference Ingvaldsen and Balandin2011; Milot et al., Reference Milot, Beaudoin, Leblanc, Gagnon, Grandisson, Raymond and Caouette2018; Scior et al., Reference Scior, Addai-Davis, Kenyon and Sheridan2013).
Pour pallier de tels obstacles, le mentorat actif, une stratégie développée et implantée en Australie pour répondre aux besoins d’inclusion sociale des personnes aînées ayant une DI (Stancliffe et al., Reference Stancliffe, Bigby, Balandin, Wilson and Craig2015) apparaît une avenue prometteuse. Cette approche passe par la sensibilisation, la formation et l’accompagnement de personnes aînées issues de groupes pratiquant une activité de bénévolat ou de loisirs afin qu’elles favorisent la participation active d’une personne ayant une DI à l’activité. En somme, le mentorat actif permet de sensibiliser et de préparer des milieux à accueillir une personne ayant une DI tout en favorisant des rencontres agréables et plus fréquentes entre cette personne et les membres d’un groupe. Ainsi, cette stratégie agit sur deux variables qui contribueraient significativement au développement d’attitudes plus positives à l’égard des personnes ayant une DI, soit l’accès à l’information sur la DI ainsi que la qualité et la quantité de contacts répétés avec des personnes ayant cette condition (Scior et al., Reference Scior, Addai-Davis, Kenyon and Sheridan2013). Au Québec, une recherche-action participative a été amorcée en 2018 afin d’adapter la stratégie australienne à la réalité québécoise et de soutenir sa mise en place à travers la province (Milot, Couvrette et Grandisson, Reference Milot, Couvrette, Grandisson, Julien-Gauthier, Gascon and Jourdan-Ionescu2021).
Finalement, soulignons que les résultats de la présente recherche doivent être compris en considérant certaines limites. D’abord, bien que la considération du point de vue des personnes ayant une DI dans les études à leur sujet est essentielle (McFarland et al., Reference McFarland, Bryant, Wark and Morales-Boyce2024) et que des adaptations méthodologiques aient été mises en place dans cette recherche pour favoriser leur pleine participation, il se peut que des difficultés communicationnelles aient subsistées et qu’elles aient nuit à la justesse de la compréhension de la réalité abordée. Ensuite, mentionnons que cette étude s’est réalisée auprès d’un petit échantillon de personnes participantes résidant en milieu urbain au sein de la ville de Québec. L’échantillon de personnes participantes était relativement homogène et composé majoritairement d’hommes ayant une DI, ce qui peut s’expliquer par le fait que davantage d’hommes présentent cette condition (American Psychiatric Association, 2013). Aussi, la moitié des personnes participantes à cette étude furent recrutées par l’entremise d’un même organisme communautaire, ce qui doit être considéré pour mieux situer les résultats dans leur contexte.
Conclusion
Cet article présente les résultats d’une étude réalisée dans la ville de Québec qui visait à comprendre les points de vue des personnes ayant une DI à l’égard de leur participation sociale à travers l’avancée en âge. Les deux objectifs étaient : (1) décrire les points de vue de ces personnes quant aux soutiens reçus; (2) documenter leurs points de vue à l’égard de leur leurs capacités et leurs possibilités d’exercer leur participation sociale. L’analyse des données de l’étude met en exergue trois principaux constats. D’abord, leurs propos laissent entrevoir qu’elles ont eu peu d’occasions de faire de réels choix et de participer à des prises de décision concernant leurs besoins de participation sociale au sein de leur milieu de vie et à travers les transitions résidentielles dont elles ont fait l’expérience. Or, la participation aux activités d’un organisme de défense des droits aurait permis à certaines personnes d’être mieux outillées pour promouvoir leurs droits et intérêts. Une telle participation favoriserait aussi l’accès à un sentiment d’appartenance à un groupe et le développement de relations sociales significatives. Finalement, le réseau de soutien des personnes ayant participé à l’étude apparaissait bien restreint et caractérisé par la présence d’une intervenante ou un intervenant qui y occupait une place centrale. Ceci laisse entrevoir l’importance d’innover afin de permettre aux personnes vieillissantes d’accéder à des espaces bienveillants où elles peuvent enrichir leur réseau de relations significatives. Des activités de formation et d’accompagnement devraient aussi être déployées afin que les personnes impliquées dans leur vie se sentent mieux outillées pour soutenir la participation sociale de leur proche ayant une DI à travers l’avancée en âge. Les recherches futures devraient aussi permettre d’évaluer les retombées de telles activités de formation et d’accompagnement, tant pour les personnes impliquées ainsi que pour celles ayant une DI, afin d’identifier les pratiques qui permettent réellement d’optimiser leur participation sociale.
Remerciements
Nous souhaitons remercier les personnes ayant participé à cette étude ainsi que le personnel des organismes communautaires qui ont soutenu leur implication dans cette étude. Merci également au Fonds de recherche du Québec- Société et Culture pour le financement.