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Published online by Cambridge University Press: 05 May 2010
Dans la perspective historique que se donne l'oeuvre de Sartre à partir de la guerre et qu'il articule théoriquement dans la Critique de la raison dialectique, il s'agit de se détourner de l'impossible quête de l'être que définissait L'être et le néant. Par l'engagement social et la lutte politique, il vise désormais un monde où l'éthique n'est plus bloquée dans la mauvaise foi, mais sera « la praxis dans son libre développement comme seule relation éthique de l'homme à l'homme en tant qu'ils dominent ensemble la matière ». Toutefois, si l'on interroge le sens et la possibilité de ce « règne humain » qui structure l'ouvrage, ce qui est en jeu c'est l'ambiguïté de toute la démarche morale de Sartre à partir de son ontologies Là, en effet, le « manque » qui définit le pour-soi aboutit à faire de tout projet un échec puisqu'il n'a de sens que par rapport à une totalité manquée: le projet d'être Dieu. Dans le cadre de cette visée d'absolu, le problème moral est finalement celui de la « conscience malheureuse ». Mais tout l'effort de Sartre à partir de la guerre est de montrer que le « manque » n'est pas nécessairement l'échec. La réalité humaine étant une question pour elle-même, ce manque peut aussi être l'occasion d'une action effective avec les autres si l'on ne se paralyse pas sur cet horizon d'absolu. La liberté peut être la quête d'une totalité non plus métaphysique mais humaine et concrète à travers la praxis de chacun.
2 «Peut-être le plus qu'on puisse en dire (sans le Tome II), suggère un commentateur ironique, c'est que se serait une société de cogitos cartésiens qui aurait, par la praxis hégéliano-marxiste, réussi à réaliser les conditions matérielles par lesquelles le Royaume des Fins de Kant ne serait plus une abstraction matériellement impossible »: Fell, J. P., Heidegger and Sartre, An Essay on Being and Place (New York, NY: Columbia University Press, 1979), 353 (nous traduisons)Google Scholar.
3 Jeanson, F., «Un Quidam nommé Sartre », dans Le Probléme moral et la pensée de Sartre (Paris: Seuil, 1965), 345Google Scholar.
4 «Sartre, J. P.s'explique sur Les Mots», Le Monde, 18 avril 1964Google Scholar.
5 Sartre, J. P., Les Mots (Paris: Gallimard, 1964), 212Google Scholar.
6 Sartre, QM, 61 n.
7 Cette expression qui prendra une grande importance dans I'apres-guerre dans les Cahiers pour une morale récemment publiés, puis dans CRD, est utilisée d'abord dans Sartre, J. P., L'étre et le néant (EN) (Paris: Gallimard, 1943), 429, 491, dans le chapitre sur les rapports à autruiGoogle Scholar.
8 Sartre définit les deux étapes du projet au début de CRD, 155–156.
9 , Sartre et M. Contat évoquent les raisons de l'abandon du projet dans «Autoportrait à soixante dix ans», dans Situations X (Paris: Gallimard, 1976), 113Google Scholar.
10 Sartre, J. P., L'idiot de la famille (IF), t. 3 (Paris: Gallimard, 1971-1972), 436 nGoogle Scholar.
11 De la même manière, on peut suggérerque la transition de la psychanalyse existentielle de l'EN aux analyses de CRD avait nécessité la mise à l'epreuve des instruments méthodologiques dans Saint Genet, Comédien et Martyr.
12 L'EN,663, annonçait des«psychanalyses existentielles» de Dostoievsky et Flaubert.
13 Sartre confirme que CRD lui était nécessaire pour écrire l'IF (voir «Les écrivains en personne», dans Situations IX [Paris: Gallimard, 1972], 11–12; et «Sur L'idiot de la famille», dans Situations X, 102–103). Notons à ce sujet l'espece d'inversion chrono-logique qui a lieu entre CRD et QM (QM dont Sartre dit que l'IF est «la suite»: IF, preface, 7): QM est ecrit avant CRD quoiqu'en en etant l'aboutissement logique, car la «théorie des ensembles pratiques» donnent les instruments d'intelligibilité de l'uni-versel singulier en jetant les bases, comme le dit Sartre en parodiant Kant, de «Pro-légoménes à toute anthropologie future»{CRD, 153), en particulier par sa critique du marxisme stalinisé. C'est la rationalite dialectique qu'il faut d'abord asseoir avant de chercher des resultats positifs, sil'on veut éviter que ceux-ci ne se fixent en «vérités en soi» et ne bloquent la totalisation. L'inversion semble done être que QM exprime deja avant CRD les champs d'application de cette rationalité.
14 Sartre, , «Les écrivains en personne», 36Google Scholar.
15 Sartre, , IF, préface, 7–8Google Scholar.
16 Sartre, J. P., Cahiers pour une morale (Paris: Gallimard, 1983), 52. «Le principe essentiel de l'historicite (analogue au principe de la conscience) …», écrit Sartre, 50Google Scholar.
17 Sartre, , EN, 515Google Scholar.
18 Sartre, , Cahiers pour une morale, 28Google Scholar. Sur cette «histoire déhistoricisée»(ou «progrés déprogressivé», 50), Sartre dit encore dans ces notes de 1947–1948: «II existe des moments humains qui echappent à l'Histoire. Cependant l'Histoire les ressaisit en tant qu'elle est totalité. …Chaque homme fait avec tous les autres une totalité detotalisée. … Au sein de l'Histoire, chaque être historique est en même temps un absolu ahisto-rique. Mais inversement l'existence-en-liaison de chacun fait de cet absolu à un certain point de vue un relatif. … La liberté constitue l'Histoire en créant la durée concréte et absolue de non-répétition. Mais elle tue l'Histoire en pouvant toujours la nier à tout instant par un décret. Sur quoi elle est reprise par l'Histoire comme assimilée et mise en rapport avec le passé dans son caprice même par elle-même et surtout par d'autres libertes. Ceci est vrai même dans I'hypothése mythique de l'Esprit-un. II ne suffit pas qu'il soit un. IIfaut qu'il soit libre dans sa non-liberté et non-libre dans sa liberté. IIfaut à la fois qu'il soit imprévisible dans le futur et qu'on retrouve la nécessité dans le passé» (29–34).
19 Sartre, , «L'universel singulier», dans Situations IX, 168Google Scholar.
20 Ibid., 190.
21 Sartre, J.P.,«Merleau-Ponty vivant», dans Situations IV (Paris: Gallimard, 1964), 192Google Scholar.
22 Sartre, J. P., «La recherche de l'absolu». dans Situations III (Paris: Gallimard, 1949), 304Google Scholar.
23 La transparence doit sesubstituer en tout temps au secret», affirme Sartre: «Autopor-trait», 141–142.
24 Sartre, J. P., «Qu'est-ce que la littérature?», dans Situations II (Paris: Gallimard, 1948), 305Google Scholar.
25 Sartre, QM, 28–29.
26 Sartre, EN, 659.
27 Sartre, CRD, 9 et 276; Sartre, QM, 17 et 29
28 Sartre, CRD, 134.
29 Sartre, QM, 21.
30 Ibid., 107.
31 Sartre, CRD, 120.
32 Sartre, CRD, 138–139. II y a en ce sens une dimension toujours «critique» dans la totalisation, en ce que la dialectique y fonctionne par un questionnement constant des instruments de connaissance; en ce que la praxis du chercheur en est un moment constitutif.
33 Comme pour beaucoup des pensées dont il se réclame, il s'agit pour Sartre d'intégrer partiellement sa démarche à celle du marxisme pour poursuivre la sienne et l'enrichir; d'utiliser le marxisme pour en montrer l'insuffisance. C'est ce qu'on voit à partir de CRD où, à une adhésion qui se veut totale (et qui est loin de l'être, en fait), se substitue une distance croissante que Sartre n'explicite pas théoriquement. II s'agit, dit-il, de trouver une pensée qui «tienne compte du marxisme pourle dépasser, pourle rejeteret le reprendre, 1'envelopper en soi» («Autoportrait», 193), ce qui décrit bien l'utilisa-tion qu'en fait 1' IF. C'est par la forme de cette derniére oeuvre que s'eclaire le mieux ce rapport, puisque le marxisme, selon Sartre, n'est pas à reviser mais plutot a «faire» an niveau de recherches concrétes et que c'est dans ce but que s'est faite la critique de CRD.
34 Sartre, CRD, 248.
35 Sartre, EN, 660.
36 Sartre, J. P., Préface aux «Damnes de laterre», dans Situations V (Paris: Gallimard. 1964), 178Google Scholar.
37 Sartre, IF, t. 1, 657.
38 Sartre, J. P., Baudelaire, coll. Idées (Paris: Gallimard, 1963), 245Google Scholar.
39 Sartre, IF, t. 1, 351.
40 «J. P. Sartre s'explique sur Les Mots», Le Monde, 18 avril 1964Google Scholar.
41 Les praxis interrogées sont alors condamnées (pour reprendre les exemples célèbres de CRD) à la position des gens attendant un autobus qui n'arrive pas, ou à celle des auditeurs dispersés d'une station de radio.
42 Sartre, IF, t. 1, 648. On pourrait multiplier les illustrations, bien sûr; nous nous limiterons à ces quelques lignes sur André Gorz: «On l'a fait, on l'a marque, coulé dans le plâtre et il est libre? Oui, serf-arbitre, libre-arbitre ne font en lui qu'une seule et même chose.… II s'agit pour lui d'inventer le mouvement dialectique qui pourra totaliser les rapports changeants du passé, du présent et de l'avenir, de l'objectif et du subjectif, de l'être et de l'existence, des appareils et de la liberté, pour pouvoir à la fois s'affirmer et se dissoudre sans cesse jusqu'à faire lever enfin dans son coeur une impulsion véritable qui le ravage et sorte de lui par les mains et s'achéve au-dehors par cet holocauste d'objets qu'on appelle un acte»: «Des Rats et des Hommes», dans Situations IV, 77.
43 Des l'aprés-guerre Sartre veut distinguer: «concept» et «notion», comme plus tard: «raison analytique» et «raison dialectique», en opposant la «science» de la nature (avec ses concepts), et la «dialectique» des hommes (avec ses notions) qui fonctionne par l'integration et la dissolution incessantes de tous les modéles rationnels. Voir: «Matérialisme et Révolution», dans Situations 111, 153; et «Sur L'idiot de la fa-mille», 95.
44 Sartre, IF, t. 3, 342.
45 Sartre, QM, 108 et III.
46 Sartre, IF, t. 1, 51.
47 Sartre parle à ce sujet d'un mouvement de «spirales»: Sartre, QM, 71; et, pour Flaubert, des «spirales de sa personnalisation»: Sartre, IF, t. 2, 1178 et 1688.
48 Voir: «Sartre par Sartre», dans Situations IX, 122.
49 II est significatif qu'à partir des années soixante, Sartre n'ecrive plus d'oeuvres majeures qui soient à proprement parler philosophiques ou littéraires, mais deux oeuvres de «totalisation concréte»: Les Mots et I'IF. Soulignons que nous ne pouvons que mentionner ici l'importance méthodologique de l'expression littéraire dans la totalisation biographique, mais que, de La Nausée à I'IF, le rapport de Sartre-écrivain à ses sujets biographiques et généralement au probléme de la «praxis litteraire», est évidemment un théme fondamental du développement totalisateur de sa propre oeuvre.
50 Sartre distingue la communication littéraire comme lieu de «l'universel singulier ou concret» et la communication philosophique, lieu de «l'universel abstrait». Sartre, «L'écrivain et sa langue», dans Situations IX, 56.
51 Sartre, J. P., «Plaidoyer pour les intellectuels», dans Situations Vlll (Paris: Gallimard, 1972), 451–452Google Scholar.
52 Sartre, «Sur L'idiot de la famille», 91.
53 Nous nous inspirons pour cette parenthése de quelques belles pages de Fernand Dumont sur la «pensée de l'existence», dans L'anthropologie en L'absence de L'homme (Paris: P.U.F.. 1981), 251–256Google Scholar.
54 Voir: Sartre, EN, 363–364.
55 «Sartre par Sartre», 114 (nous soulignons).
56 Sartre le suggére lui-même à plusieurs reprises, par exemple: «[La moralité] ne peut exister que dans des situations concrétes, done elle suppose I'homme réellement engagé dans un monde et que I'on voie ce que devient la liberté dans ce monde. Autrement dit, la Critique de la raison dialectique est la suite de L'etre et le néant et la morale ne peut venir qu'aprés. On peut la trouver dans le Flaubert par exemple»: Sartre, texte du film d'A. Astruc et Contat, M. (Paris: Gallimard, 1977), 97–98Google Scholar.
57 Sartre, Comme le dit aussi de Bataille: «Un nouveau mystique», dans Situations I (Paris: Gallimard, 1947), 228Google Scholar.
58 Sartre, J. P., Saint Genet, Comédien et Martyr (Paris: Gallimard, 1978), 141Google Scholar.
59 Pour Sartre, I'empathie implique une «mise entre parenthéses» de tout jugement moral («Sur L'idiot de la famille», 102); ce qui est pour le moins douteux dans I'IF.
60 , Voir: Le Nouvel Observateur 800 (mars 1980), 102: et Obliques 18–19 (1979), 15Google Scholar.
61 Sartre, EN, 419.