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L'ordre du connaître et l'ordre de l'être ou L'ordre des choses et celui de la pensée1

Published online by Cambridge University Press:  05 May 2010

Jean Theau
Affiliation:
Université d'Ottawa

Extract

Nous voulons reprendre ici, pour elle-même, la difficile question qu'évoque notre titre et qui fit le fond d'un débat jadis cèlébre, à propos de l'ordre cartésien, entre Alquié et Gueroult. Non que nous désirions ajouter quelque prolongement, même occasionnel, à ce débat plein de relief, comme le firent par exemple H. Gouhier, J. M. Beyssade et plus récemment J. L. Marion. Nous laisserons ce soin aux historiens de profession, si la comparaison et l'analyse inédites de vieux textes leur en fournit quelque matière. Mais tout en nous appuyant au besoin sur ce que nous savons et comprenons de Descartes, ainsi que sur quelques autres philosophes de cette capacité, tels qu'Aristote ou Hume, Kant ou Hegel, nous essayerons d'esquisser ici, sans contrainte érudite, tant notre perspective que notre solution.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 1984

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References

2 Nous pensons ici au débat qui a suivi la publication de La découverte métaphysique de l'homme chez Descartes (Paris: P.U.F., 1950)Google Scholar par Alquié, F., celle du Descartes selon l'ordre des raisons (2 tomes; Paris: Aubier, 1953)Google Scholar par Gueroult, M., et que rapportent en particulier les Cahiers de Royaumont (Paris: Minuit, 1957)Google Scholar consacrés à Descartes.

3 Cf. Gouhier, H., La pensée métaphysique de Descartes (Paris: Vrin, 1962)Google Scholar.

4 Cf. Beyssade, Jean-Marie, La philosophie premiére de Descartes: le temps et la cohérence de la métaphysique (Paris: Flammarion, 1979)Google Scholar.

5 Cf. Marion, J. L., Sur I'ontologie grise de Descartes: science cartésienne et science aristotélicienne (Paris: Vrin, 1981)Google Scholar et du même auteur, Sur la Théologie blanche de Descartes: analogie, création des vérités éternelles etfondement (Paris: P.U.F., 1981)Google Scholar.

6 Nous venons en effet d'écrire un livre, Certitudes et questions de la raison philosophique (à paraître prochainement aux éditions Philosophica de l'Université d'Ottawa); ou nous avons rencontre presqu'à chaque pas le probléme des rapports entre le connaître et l'être, de même qu'entre I'ordre ou l'ordonnance des choses et la suite des pensées. Mais si, de la sorte, nous avons dú prendre une série de décisions qui constituent, d'ores et déjà, une solution implicite à ce genre de problémes, nous n'avons jamais envisagé la question pour elle-même, indépendamment des cas spécifiques oú elle se trouvait impliquée, si bien que nous n'en avons pas proposé, dans le livre que nous venons de mentionner, une solution d'ensemble. C'est au contraire ce que nous essayerons de faire maintenant.

7 Voir Méditation troisiéme (A.T. IX-I, 27–42), Réponse aux secondes objections, troisiéme definition (A.T. IX-I, 110–111), Principes de la philosophie, I, 17 (A.T. IX-2, 32).

8 Cf. sur la deuxiéme analogie de l'expérience Kant, E., Critique de la raison pure, trad. Barni, J. et Archambault, P. (Paris: Garnier-Flammarion, 1976), 226228Google Scholar.

9 Voir en particulier Frege, G., Le fondemerit de I'arithmétique (Paris: Seuil, 1969), introduction 118119Google Scholar, ou encore ces articles comme « La pensee » dans Ecrits logiques et philosophiques, trad. Imbert, C. (Paris: Seuil, 1971), 183185 notammentGoogle Scholar. Pour Husserl, chez qui ce théme est un véritable leitmotiv, voir en particulier Husserl, E., Recherches logiques, t. 1, Prolégoméne à la logique pure (Paris: P.U.F., 1969)Google Scholar, et Husserl, E., Logique formelle et logique transcendantale:psychologisme et fondation transcendantale de la logique, trad. Bachelard, S. (Paris: P.U.F., 1957)Google Scholar, chapitre premier de la deuxiéme section, 204–237.

10 Nous verrons tout à l'heure s'il faut s'en tenir lá, done s'il faut, en d'autres termes, en rester à cette hètèrogèneité radicale de l'ordre du connaître par rapport à celui de l'être, comme le veut au fond, à l'instar de celui de Hume, tout empirisme conséquent. Car si, aux yeux d'un tel empirisme, nos systémes de genres et d'espéces et nos régies d'enchaînement entre les causes et les effets, bref nos classifications et nos lois, doivent refléter soit des ressemblances et des différences, soit des consécutions qui d'abord appartiennent aux choses, le double mouvement des caracteres individuels à l'ordonnance en classes puis des classes aux individus, ainsi que celui des faits aux lois puis des lois aux faits, ne saurait appartenir qu'à la connaissance, qui l'utilise pragmatiquement pour satisfaire à ses desseins. Car dés qu'on fonde la classe en tant que classe, ou la loi en tant que loi, dans les choses mêmes, on sort fatalement de l'empirisme, puisqu'on tombe en pleine métaphysique, et qui plus est rationaliste! Mais que l'empirisme soit vrai ou faux, le fait auquel il s'arrête, quoiqu'il paraisse à premiére vue peu compatible avec l'espéce de matérialisme larvé qu'on soupconne d'ordi-naire—mais peut-étre à tort—dans l'empirisme, demeure: l'ordre de la connaissance s'avere tout à fait original par rapport à l'ordre de l'être.

11 Sur la vie, voir en particulier les deux premiéres pages du traité de L'homme, et dans le Discours de la méthode, les textes oú le corps humain est comparé à une machine « ordonnée » par Dieu. Mais, fidéle à l'idée que les fins de Dieu nous sont impénétrables, et à la régie qu'il exprime en Principes, I, 28, à savoir « qu'il ne faut point examiner pour quelles fins Dieu a fait chaque chose, mais seulement par quel moyen il a voulu qu'elle fût produite » (A.T. IX-2, 37). Descartes n'emploie guére explicitement que les termes de « moyens »oude« fonction », etse borne à désigner concrétement la finalité des moyensdontil analyse le mécanisme par des « pour que ». De même le sujet pensant est, pour Descartes, une volonté libre qui « conduit » sa vie et sa pensée selon certains desseins qu'il se propose: d'oú l'importance des « voies », des « methodes », de « l'ordre » qu'il suit pour atteindre ces fins: mais si les termes prédécents reviennent souvent sous la plume de Descartes, le terme « fin », dont ils impliquent pourtant la notion, en est comme proscrit. D'oú l'absence de réflexions theoriques surce sujet, le vocabulaire choisi 1'ayant banni de facto pour ainsi dire.

12 Cf. en particulier Gueroult, Descartes selon l'ordre des raisons, t. 1, 26–27.

13 Ce théme est constant dans toute son oeuvre, depuis La modalité du jugement: de la vertu métaphysique du syllogisme selon Aristote (Paris: Felix Alcan, 1897)Google Scholar jusqu'au Progrés de la conscience dans la philosophie occidentale (Paris: Felix Alcan, 1927)Google Scholar et lié à la philosophie du jugement qu'il applique à la philosophie du concept, la premiére mettant l'accent sur la découverte de la composition véritable des choses par l'analyse, l a seconde s'attachant a des synthéses entre représentations. Pour une référence facile à consulter à propos de Descartes, nous renvoyons à l'article sur « L'idée de la raison dans la philosophie française », reproduit au tome deux des Ecrits philosophiques (Paris: P.U.F., 1954)Google Scholar: « Descartes est le héros de la raison analytique aú sens ou analytique s'oppose, non pas, bien entendu, à synthétique, car l'analyse cartésienne est tout entiére construction et création, mais à dialectique. … Descartes oppose à la raison logique, qui procede par principes abstraits, la raison intuitive qui prend immediatement possession de la réalité concréte. … La raison logique ne pouvait que descendre du général au particulier, la raison mathematique monte par degrés du simple au complexe » (308–309).

14 Nous pourrions présenter aisément, à partir de nos théses, une défense de la démarche synthétique beaucoup plus forte qu'êlle ne Test et ne peut l'être chez Descartes, peut-etre parce que celui-ci n'a pas tenté d'analyser à fond, comme nous avons essayé de le faire ci-dessus, la structure logique de la démarche analytique. Et par lá nôus rendrions mieux compte, par des raisons empruntées au fond des choses, et non pas seulement à des intérêts pédagogiques, de la structure évidemment synthétique que prend toute théorie scientifique. surtout quand elle s'énonce en langage mathématique bien sûr, mais même quand elle le fait en langage presque exclusivement conceptuel, si elle veut revêtir une forme satisfaisante pour l'intellect. Car s'il lui faut commencer alors par un ensemble de principes généraux—notions et propositions—pour des-cendre ensuite vers des notions et des propositions plus déterminées, c'est-à-dire plus spécifiques ou particulieres, comme leurs conséquences, c'est que l'analyse dont elle est issue a dú mettre en oeuvre a chaque pas un ordre logique et que cet ordre, quoiqu'il soit découvert dans toutes ses déterminations par analyse, laquelle montre d'ailleurs l'articulation synthétique de la chose analysée, prend de lui-même, par voie de composition croissante, une structure synthetīque. Mais nous laisserons ici de côté cet aspect de la question.

15 Comme l'a fait Gilson, , notamment à partir de l'Etre et E'essence (Paris: Vrin, 1948)Google Scholar.

16 Comme nous avons tenté de le montrer de façon minutieuse dans l'ouvrage auquel nous faisions allusion en commencant cet article.

17 voir, Pour SuarezDisputationes Metaphysicae (1557)Google Scholar. Wolff, PourPhilosophia Prima seu Ontologia (1729)Google Scholar et pour Heidegger, Kant et le probléme de la métaphysique, trad. Waelhens, A. de et Biemel, W. (Paris: Gallimard, 1953)Google Scholar, ou l'auteur veut montrer, entre autres choses, que l'Analytique kantienne reprend de façon neuve le programme de l'ancienne metaphysica generalis ou ontologie, qui a pour objet l'étant en général, l'ens commune.

18 C'est une semblable entreprise que nous avons essayé de mener à bien, c'est-à-dire le moins mal que nous le pouvions, dans notre gros ouvrage. Nous ne tenterons pas de la resumer ici, puisque malgre son incomplétude et toutes ses déficiences elle nous a demandé là tant de pages.