Published online by Cambridge University Press: 20 January 2017
Comme beaucoup d’économistes et d’historiens avant lui, Thomas Piketty inclut la monnaiedans sa définition du capital (patrimoine). Cela l’oblige à effectuer une distinction importante entre actifs réels et actifs nominaux, notamment pour comprendre le rôle distributive de l’inflation sur le capital. Le présent article compare d’abord l’approche de l’ouvrage à celles d’autres théories économiques qui distinguent monnaie et capital, et montre ensuite que le rôle et la part de la monnaie au sein du capital ne peuvent être négligés historiquement. Il est essentiel d’étudier les potentiels effets de substitution entre actifs monétaires et actifs non monétaires pour comprendre la dynamique historique du capital et les effets de la taxation de celui-ci.
Like many other historians and economists before him, Thomas Piketty includes money in his definition of capital (wealth). For this reason, he makes a distinction between real and nominal assets, notably in order to understand the distributional effect of inflation on capital. This article draws comparisons between this approach and other theories of the difference between money and capital, before going on to show, from an historical point of view, why the role and the share of money within total capital cannot be neglected. Potential substitution effects between monetary and non-monetary assets must be taken into account in order to understand the historical dynamic of capital and the effects of its taxation.
1- Selon Karl Marx, il existe deux formes d’échanges, ou circulations de marchandises. La première est la transformation de marchandise en argent, et retransformation en marchandise : « vendre pour acheter ». La seconde est la transformation de l’argent en marchandise et retransformation en argent : « acheter pour vendre ». C’est seulement quand l’argent (la monnaie) suit cette seconde forme de circulation qu’il « devient capital et est déjà par destination capital ». Voir Karl Marx, , Le capital. Critique de l’économie politique, Livre premier, Le développement de la production capitaliste, trad. par Roy, J., Paris, Éd. sociales, [1950] 1969 t. 1, p. 151.Google Scholar
2- Il s’agit notamment de l’opposition entre currency school et banking school, et de l’ensemble des controverses suivant la suspension temporaire de la livre sterling et se prolongeant jusqu’au Peel Act de 1844, qui sépara l’émission monétaire et l’activité bancaire au sein de la Banque d’Angleterre.
3- Giffen, Robert, The Growth of Capital, Londres, G. Bell, 1889, p. 61.Google Scholar
4- Piketty, Thomas, Le capital au XXIe siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2013, p. 84.Google Scholar
5- Dans ces modèles, les agents maximisent une fonction de production (incluant capital et travail) sous contrainte budgétaire. La monnaie peut apparaître, soit dans la fonction d’utilité de l’agent, soit dans la contrainte budgétaire, comme une limite aux transactions, ou alors comme un moyen – via l’épargne et le transfert d’actifs liquides d’une période à l’autre – de « lisser » la contrainte budgétaire sur plusieurs périodes. Des tentatives d’introduire la monnaie dans la fonction de production ont existé (voir Fischer, Stanley, « Money and the Production Function », Economic Inquiry, 12-4, 1974, p. 517–533)CrossRefGoogle Scholar, mais elles n’ont pas abouti à des conclusions théoriques probantes. Des théories institutionnalistes de la monnaie, comme celles de Marcel Mauss, Michel Aglietta, André Orléan ou Karl Polanyi, offrent quant à elles des perspectives différentes, sur lesquelles nous reviendrons, mais sans donner un rôle important à la distinction avec le capital.
6- Ragot, Xavier, « The Case for a Financial Approach to Money Demand », Journal of Monetary Economics, 62, 2014, p. 94–107.CrossRefGoogle Scholar
7- Pour une tentative de théoriser le capital comme de la monnaie (c’est-à-dire entrant dans la fonction de production et produisant également un service de liquidité), voir Lagos, Ricardo et Rocheteau, Guillaume, « Money and Capital as Competing Media of Exchange », Journal of Economic Theory, 142-1, 2008, p. 247–258.CrossRefGoogle Scholar
8- Il y a un coût d’opportunité à détenir de la monnaie plutôt que des actifs avec un rendement positif. Pour que ce coût d’opportunité soit égal à zéro, il faut donc que le taux d’intérêt nominal soit égal à zéro, ce qui signifie que la banque centrale doit atteindre un taux d’inflation négatif égal au taux d’intérêt réel des actifs sûrs. Voir Friedman, Milton, The Optimum Quantity of Money, and Other Essays, Londres, Macmillan, 1969.Google Scholar
9- John Maynard KEYNES, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Paris, Payot, [1936] 1963, liv. 4, chap. 16 et 17.
10- Piketty, T., Le capital…, op. cit., p. 835–940.Google Scholar
11- Ibid., p. 332-333, également p. 724 sq. Rappelons que le rendement du capital est calculé en divisant les revenus du capital (en valeur nominale) par le stock du capital (en valeur nominale). Par ailleurs, dans les faits, les actifs réels ont un rendement ou une plus-value alors que les actifs nominaux ont un taux d’intérêt.
12- Ibid., p. 333-334.
13- On attribue souvent à tort à Keynes l’idée selon laquelle l’inflation est l’euthanasie des rentiers. On ne trouve pourtant aucune trace d’une telle affirmation dans les écrits de ce dernier. Ce que dit Keynes, au contraire – et dans des termes très proches de ceux de T. Piketty –, est que l’euthanasie des rentiers est causée par une diminution du rendement marginal du capital. Voir J. M. Keynes, Théorie générale…, op. cit., liv. 4, chap. 16.
14- Piketty, T., Le capital…, op. cit., p. 335.Google Scholar
15- Ibid., p. 896. 16 - Ibid. Pour une présentation plus détaillée de la prise en compte des actifs des banques centrales pour le calcul du capital public, voir les annexes de Piketty, Thomas et Zucman, Gabriel, « Capital is Back: Wealth-Income Ratios in Rich Countries 1700- 2010 », The Quarterly Journal of Economics, 129-3, 2014, p. 1255–1310. Je remercie Guillaume Bazot pour ses commentaires éclairants sur ce sujet.CrossRefGoogle Scholar
17- Sur la comptabilisation des plus-values, voir Piketty, T., Le capital…, op. cit., p. 334.Google Scholar
18- Piketty, T., Le capital…, op. cit., p. 250 Google Scholar sq. ; p. 310 sq.
19- Toutefois, les séries des actifs monétaires dans les comptes de patrimoine depuis 1970, reprises dans T. Piketty et G. Zucman, « Capital is Back… », art. cit., en pourcentage du capital, sont proches des séries de masse monétaire que nous utilisons ici.
20- Schularick, Moritz et Taylor, Alan M., «Credit Booms Gone Bust:Monetary Policy, Leverage Cycles, and Financial Crises, 1870-2008 », The American Economic Review, 102-2, 2012, p. 1029–1061.CrossRefGoogle Scholar
21- Piketty, T., Le capital…, op. cit., p. 318.Google Scholar
22- Comme nous l’avons vu précédemment, Keynes offre des pistes d’investigation puisque, selon lui, l’accumulation du capital s’explique par la différence entre le rendement marginal de ce dernier et le taux d’intérêt de la monnaie.
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25- Piketty, T., Le capital…, op. cit., p. 535–598.Google Scholar
26- Voir notamment André Orléan, « L’approche institutionnaliste de la monnaie : une introduction », in V. Monvoisin, J.-F. Ponsot et L.-P. Rochon (éd.), What about the Nature of Money ? A Pluridisciplinary Approach, à paraître.
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30- Le contenu de cet article n’engage que l’auteur et ne reflète pas nécessairementl’opinion de la Banque de France ou de l’Eurosystème.
Translation available: Money and Capital The Contributions of Capital in the Twenty-First Century to Monetary History and Theory