Outre l’introduction de Martin Aurell et la conclusion de Maïté Billoré, le présent ouvrage regroupe dix-neuf contributions réparties selon sept thèmes qui viennent judicieusement éclairer le gouvernement de l’espace Plantagenêt entre 1152 et 1224, ce qui correspond aux règnes d'Henri II, Richard Cœur de Lion, Jean sans Terre et à une partie de celui d’Henri III.
Le choix de la date de 1152 renvoie à l’union d’Henri II Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine. Par ce mariage, il met la main sur le Poitou et la Gascogne alors même qu’en 1151, il a déjà hérité des terres continentales de son père (Anjou, Maine, Bretagne) et qu’il est couronné roi d’Angleterre en 1154, récupérant ainsi la Normandie. À cet égard, la date retenue ici est intéressante puisqu’elle marque pour Henri II le début d’une certaine complexité à gouverner des territoires étendus et relevant de statuts différents, celui-ci étant roi outre-Manche mais également vassal du roi de France sur le continent. Comme le rappelle très justement M. Aurell, « sur le plan des représentations juridiques, le roi d’Angleterre n’est jamais tout à fait le maître absolu de ses principautés de ce côté-ci de la Manche » (p. 11). Il a donc dû mettre en œuvre de nombreuses stratégies (diplomatie, recours à la force, dons, alliances, etc.) pour asseoir sa présence et son autorité, particulièrement sur le continent mais aussi en Angleterre, et contrer de nombreuses révoltes nobiliaires.
Concernant le second jalon chronologique retenu pour clore l’étude, plusieurs dates auraient pu être choisies, comme celle du traité de Paris signé entre la France et l’Angleterre en 1259, mettant fin au conflit entre Capétiens et Plantagenêt, ou bien celle de la fin de la dynastie Plantagenêt, en 1399. La date pourtant retenue est celle de 1224, moment où la veuve de Jean sans Terre, Isabelle d’Angoulême, et son second époux, Hugues de Lusignan, décident de se soumettre au roi de France, ce qui signe le retour d’un certain nombre de territoires sous la coupe de la monarchie capétienne et la mort lente de ce que l’on a coutume de nommer l’« Empire Plantagenêt ». L’ouvrage s’inscrit dans un contexte historiographique bien balisé, comme l’atteste un certain nombre de synthèses, biographies, ouvrages thématiques et régionaux. Si les historiens en France mais également en Angleterre ont particulièrement œuvré en ce sens depuis la fin des années 1990, on notera également l’implication des archéologues du bâti et des historiens de l’art qui ont permis, chacun à leur manière, d’enrichir la réflexion en croisant les angles d’approche.
La notion d’Empire Plantagenêt fut ainsi interrogée à plusieurs reprises et si aujourd’hui la formule fait globalement consensus, c’est uniquement parce que les chercheurs en ont précisément défini les limites, voire les écueilsFootnote 1. L’ouvrage interroge donc l’acte de gouverner et, comme le souligne M. Billoré, « [g]ouverner l’Empire Plantagenêt n’est pas une sinécure ! » (p. 372). Confrontés à des difficultés liées à la répartition même de leurs domaines à cheval sur la Manche, mêlant des terres et des populations aux histoires plurielles, les Plantagenêts ont passé de très longues années à s’adapter aux impératifs qu’imposent ces différentes échelles, à imaginer et développer des stratégies de gouvernement, à hiérarchiser les priorités en fonction de la conjoncture, du poids politique et économique de chaque entité territoriale et à apprivoiser les spécificités identitaires de chacun des territoires concernés. M. Aurell explique que, depuis un centre correctement administré et maîtrisé (les territoires anglo-normands), les rois d’Angleterre peinent à imposer leur pouvoir à une périphérie encline à l’indépendance. De fait, au xiie siècle, gouverner s’est souvent résumé pour les Plantagenêts à devoir engager des actions visant à ramener la noblesse, parfois très remuante, dans le giron du pouvoir, comme ce fut le cas pour les Lusignan étudié par Clément de Vasselot. Si, en matière de gouvernement, les Plantagenêts peuvent en partie s’appuyer sur de solides institutions (la cour bien étudiée par Fanny Madeline, la chancellerie examinée par Nicholas Vincent), des officiers dévoués et un certain nombre de fidélités, il n’en demeure pas moins que gouverner un tel espace, profondément hétérogène, tient, pour une grande part, à la personnalité du prince, plus ou moins enclin à respecter les habitudes et les attentes de l’aristocratie, à l’instar de Jean sans Terre.
Mobilisant des sources de natures différentes (chartes, ordonnances, actes de la pratique, littérature, architecture, iconographie, etc.) et des angles d’approche pluriels, les contributeurs ont accepté de réfléchir, chacun à leur manière, aux moyens déployés par les Plantagenêts pour maintenir sous leur joug ce vaste ensemble territorial – avec comme objectif d’en faire un espace politique commun –, particulièrement durant les moments de tension. Les communications permettent également d’appréhender les outils concrets auxquels recourt le pouvoir : l’oral, certainement, même si les traces sont ténues, l’écrit, à travers par exemple l’échange de lettres, le marquage incessant du territoire via les déplacements – nombreux et bien organisés en ce qui concerne le règne d'Henri II – ou encore l’architecture civile comme religieuse. Parmi cet outillage déployé en soutien du pouvoir, Peter J. A. Jones en retient un tout à fait original en s’interrogeant sur la façon dont « Henri II s’est servi de l’humour (sciemment ou non) comme d’un outil dans les affaires gouvernementales » (p. 87).
Malgré bien des embûches, la longévité de l’Empire Plantagenêt a retenu l’attention des chercheurs, qui ont démontré l’énergie et l’inventivité développées par une poignée d’hommes pour le maintenir en place. Les différentes contributions rendent ainsi compte des réussites et des échecs, des difficultés et des défis constants qu’ils ont dû relever ainsi que des stratégies, parfois risquées, déployées. Dans ce contexte que transcrit à sa manière la poésie des troubadours, analysée par Sébastien-Abel Laurent, le prince a souvent payé chèrement la fidélité de l’aristocratie et de ses proches en devant éteindre de nombreuses révoltes sur le continent et en Angleterre.
L’intérêt de cet ensemble est également de montrer que l’Empire Plantagenêt ne peut absolument pas se comprendre, du point de vue de la France ou de l’Angleterre, sans évoquer les ambitions des Capétiens. La délimitation des aires d’influence induit des tensions qui peuvent, au premier chef, se muer en guerres, mais relève également d’équilibres et d’arbitrages à plus grande échelle faisant intervenir, par exemple, la papauté ou le Saint Empire. Au Moyen Âge, si le pouvoir s’impose en partie par la coercition et l’usage de la force (militaire, judiciaire, administrative, économique, etc.), ce que plusieurs contributions retracent avec précision, il est également nécessaire de recourir à des méthodes visant à convaincre du bien-fondé des décisions prises. Pour ce faire, il convient de nouer des fidélités durables, de négocier des appuis et de communiquer. Le pouvoir Plantagenêt n’a ainsi pas échappé à son devoir de communication, voire de propagande, orchestré dans certains textes, comme les chroniques étudiées par Pierre Courroux, et mis en scène dans la pierre et les déplacements qui jalonnent la vie du prince sur terre et par mer comme le rappelle Amélie Rigolet à travers un dossier original traitant de la nef que Guillaume de Briouze met au service d'Henri II entre 1177 et 1203.
À cet égard, une des forces du livre est de proposer une approche de cette matérialité du pouvoir qui se donne aussi à voir dans les châteaux de Caen, auquel s’intéresse Bénédicte Guillot, et d’Angers, étudié par Jean Brodeur, Emmanuel Litoux et Teddy Veron. Les travaux de Claude Andrault-Schmitt et de Bénédicte Fillion-Braguet montrent que les Plantagenêts rendaient compte de leur pouvoir à travers leur choix de certaines formes architecturales et le recours à certains décors, un pouvoir qu’Henri II a mis en scène jusque dans la mort en choisissant Fontevraud comme nécropole dynastique ; le site a bénéficié des largesses des souverains, comme le montre Jean-Yves Hunot. Il convient également de souligner la place faite dans ce livre aux hommes qui ont œuvré, parfois dans l’ombre, aux côtés du prince, qu’ils soient gouverneurs, chanceliers, sénéchaux, baillis ou clercs, à l’instar d’Hubert Gautier, dont Amaury Chauou retrace la carrière et souligne les qualités de mediator-negociator.
Cet ouvrage, qui présente ainsi de multiples facettes du pouvoir Plantagenêt, saura contenter de nombreux lecteurs. Sa fabrication s’avère toutefois décevante au regard de ce que publient habituellement les Éditions 303 ; la composition ne rend pas hommage aux textes des contributeurs. Certains passages ont été grossis sans aucune logique apparente, l’iconographie livrée, on l’imagine, en couleur, se retrouve imprimée dans un dégradé de marron, ce qui affaiblit la pertinence des nombreuses images proposées (portrait, miniatures, sceau, cartes, restitutions et élévations d’architecture, sculptures, photographies de monuments toujours en place, etc.). On regrettera d’ailleurs l’absence d’une table de l’ensemble de l’iconographie et d’un index des noms de lieux et de personnes, outils de travail toujours très pratiques pour le lecteur. En revanche, le choix a été fait de proposer une traduction en français des six contributions initialement en anglais. Cette remarque de forme faite, cela n’obère en rien les nombreux apports de ces travaux.