Introduction
Cet article est une contribution à l’étude de la (co)homologie des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients tordus, dans le domaine stable (c’est-à-dire pour des groupes libres de rang assez grand par rapport au degré (co)homologique). À coefficients constants, Galatius [Reference GalatiusGal11] a montré que l’homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres s’identifie à celle des groupes symétriques, déterminée cinquante ans auparavant par Nakaoka [Reference NakaokaNak61]. Les profondes méthodes topologiques mises en œuvre par Galatius servent de point de départ à un travail récent d’O. Randal-Williams [Reference Randal-WilliamsRan18], qui explicite certains groupes de cohomologie stable de ces groupes à coefficients tordus. Nous retrouvons et généralisons la plupart de ces résultats de Randal-Williams, par une méthode indépendante. Nous obtenons également une nouvelle construction de classes de cohomologie introduites par Kawazumi [Reference KawazumiKaw06].
Calculs (co)homologiques
Voici deux exemples fondamentaux de calculs cohomologiques que nos résultats généraux impliquent.
Le premier (théorème 4.1 dans le corps de l’article) est un théorème établi indépendamment par Randal-Williams [Reference Randal-WilliamsRan18, Corollary D]. Dans son énoncé, $\unicode[STIX]{x1D6EC}^{d}$ (resp. $S^{d}$ ) désigne la $d$ -ème puissance extérieure (resp. symétrique).
Théorème 1 (Randal-Williams).
Soient $n$ , $r$ et $d$ des entiers tels que $r\geqslant 2(n+d)+3$ et $G$ un groupe libre de rang $r$ . Notons $H$ la représentation $G_{ab}\otimes \mathbb{Q}$ de $\text{Aut}(G)$ . Le $\mathbb{Q}$ -espace vectoriel $H^{n}(\text{Aut}(G);\unicode[STIX]{x1D6EC}^{d}(H))$ est nul si $n\neq d$ ; pour $n=d$ , sa dimension est le nombre de partitions de $d$ . Le $\mathbb{Q}$ -espace vectoriel $H^{n}(\text{Aut}(G);S^{d}(H))$ est nul sauf pour $n=d=0$ ou $1$ , auquel cas il est de dimension $1$ .
Le second (théorème 4.6 dans le corps de l’article) améliore [Reference Randal-WilliamsRan18, Theorem A(ii)], valable seulement rationnellement.
Théorème 2. Soient $n$ , $r$ et $d$ des entiers tels que $r\geqslant 2(n+d)+3$ et $G$ un groupe libre de rang $r$ . Notons $H$ la représentation $G_{ab}$ de $\text{Aut}(G)$ . On dispose d’un isomorphisme
où $\text{p}(d)$ désigne le nombre de partitions d’un ensemble à $d$ éléments.
Décomposition de Hodge
Nous obtenons les calculs cohomologiques précédents à partir d’une décomposition naturelle de certains groupes de (co)homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients tordus. Cette décomposition repose, à partir du cadre formel développé avec C. Vespa dans [Reference Djament and VespaDV10], sur des considérations d’algèbre homologique dans des catégories de foncteurs, en particulier l’étude de certaines extensions de Kan dérivées. L’argument final de la démonstration s’appuie sur le scindement de Snaith ; la dénomination de décomposition de Hodge provient de l’analogie avec la décomposition de Hodge pour l’homologie de Hochschild supérieure de PirashviliFootnote 1 [Reference PirashviliPir00].
Le soubassement catégorique de cette décomposition est le suivant. Soit $\mathbf{gr}$ la catégorie des groupes libres de rang fini, munie de la structure monoïdale symétrique donnée par le produit libre, noté $\ast$ . Comme observé dans [Reference Djament and VespaDV15], le cadre général naturel pour étudier stablement l’homologie des groupes d’automorphismes des groupes libres n’est pas de considérer les seuls foncteurs définis sur $\mathbf{gr}$ pour produire des familles compatibles de représentations de ces groupes, mais plutôt des foncteurs définis sur une catégorie auxiliaire de groupes libres notée ${\mathcal{G}}$ (dont la définition est rappelée au début de la section 2). Dans le présent travail, nous utilisons également une autre catégorie de groupes libres notée $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ (voir la notation 2.2). Les catégories ${\mathcal{G}}$ et $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ ont les mêmes objets et les mêmes groupes d’automorphismes que la catégorie $\mathbf{gr}$ , mais pas les mêmes morphismes ; elles possèdent également une structure monoïdale symétrique induite par le produit libre $\ast$ . On dispose de foncteurs canoniques
qui sont monoïdaux et égaux à l’identité sur les objets.
Notre première décomposition à la Hodge (théorème 2.7) provient de la détermination du foncteur dérivé total de l’extension de Kan à gauche le long de ${\mathcal{G}}^{\text{op}}\xrightarrow[{}]{\unicode[STIX]{x1D6FE}^{\text{op}}}\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})^{\text{op}}$ sur le foncteur constant (théorème 2.5 et corollaire 2.6). On ramène ainsi l’homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients dans un foncteur défini sur $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ à de l’homologie de cette catégorie et de l’homologie de groupes symétriques à coefficients tordus. Toutefois, l’homologie de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ s’avère généralement hors d’atteinte directe.
Afin d’obtenir une forme plus exploitable, pour certains coefficients, de notre décomposition de Hodge, nous étudions également le comportement homologique du foncteur $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})\xrightarrow[{}]{\unicode[STIX]{x1D6FD}}\mathbf{gr}^{\text{op}}$ . Nous montrons au théorème 2.3 qu’il induit un isomorphisme entre groupes de torsion sous une hypothèse de polynomialité des coefficients. La notion de foncteur polynomial depuis les groupes libres vers une catégorie abélienne que nous utilisons est celle provenant des travaux d’Eilenberg et Mac Lane [Reference Eilenberg and Mac LaneEM54], où l’on remplace la somme directe de modules, à la source, par le produit libre de groupes. Les puissances tensorielles ou symétriques de l’abélianisation constituent des archétypes de foncteurs polynomiaux dans ce contexte.
Nous obtenons ainsi au théorème 2.10 une décomposition de Hodge pour l’homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients dans un foncteur polynomial contravariant sur $\mathbf{gr}$ qui fait intervenir des groupes de torsion sur la catégorie $\mathbf{gr}$ via une suite spectrale d’hyperhomologie où apparaissent aussi des groupes symétriques. Rationnellement, le théorème 2.10 prend la forme simple du corollaire 2.11, qu’on peut énoncer comme suit, où $\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}$ désigne la tensorisation par $\mathbb{Q}$ du foncteur d’abélianisation et $\unicode[STIX]{x1D6EC}^{s}$ la $s$ -ème puissance extérieure :
Théorème 3. Soient $i$ , $m$ , $d$ des entiers naturels tels que $m\geqslant 2(i+d)+3$ et $F$ un foncteur de $\mathbf{gr}^{\text{op}}$ vers les $\mathbb{Q}$ -espaces vectoriels, polynomial de degré $d$ . Il existe un isomorphisme naturel
Nos résultats possèdent des variantes cohomologiques, comme le théorème 3.3, qui rationnellement peut s’exprimer ainsi :
Théorème 4. Soient $i$ , $m$ , $d$ des entiers naturels tels que $m\geqslant 2(i+d)+3$ et $X$ un foncteur de $\mathbf{gr}$ vers les $\mathbb{Q}$ -espaces vectoriels, polynomial de degré $d$ . Il existe un isomorphisme naturel
Nos décompositions s’appliquent à des calculs explicites, comme les théorèmes 1 et 2 ci-avant, grâce aux calculs cohomologiques sur $\mathbf{gr}$ de Vespa [Reference VespaVes18]. On en tire également des conséquences qualitatives, comme des résultats généraux de finitude, dans la deuxième assertion du corollaire 2.12, ou une description de structures multiplicatives en termes d’homologie des foncteurs, dans les propositions 3.4 et 3.5.
Organisation de l’article
Ce travail est constitué de trois parties. La première en donne tous les résultats principaux, en admettant les théorèmes 2.3 et 2.5, qui font l’objet des parties II et III respectivement.
Plus précisément, après quelques préliminaires classiques (section 1), la section 2 donne nos résultats théoriques sur l’homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients tordus, et les démontre, à partir des théorèmes susmentionnés. La section 3 en donne la forme cohomologique et précise leurs compatibilités (en homologie comme en cohomologie) à des structures multiplicatives dont la construction est rappelée. La partie I se clôt sur des calculs explicites (section 4), qui incluent les théorèmes 1 et 2 déjà énoncés, et le lien avec les classes de cohomologie de Kawazumi [Reference KawazumiKaw06].
La partie II est consacrée aux méthodes d’annulation et de comparaison homologiques à coefficients polynomiaux inaugurées par A. Scorichenko [Reference ScorichenkoSco00]. La section 5 étend, dans la proposition 5.7, le critère d’annulation originel de Scorichenko (valable pour des foncteurs sur une catégorie additive) à un contexte plus général qui inclut les foncteurs sur les groupes libres. Dans la section 6, on montre comment en déduire le théorème 2.3. Enfin, la section 7 discute une conjecture (7.2) de comparaison homologique à coefficients polynomiaux plus générale qui permettrait de déduire de notre décomposition de Hodge « abstraite » (théorème 2.7) un résultat (cf. théorème 7.4) rendant accessible au calcul la (co)homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients polynomiaux bivariants (c’est-à-dire pour des foncteurs définis sur $\mathbf{gr}^{\text{op}}\times \mathbf{gr}$ ).
Dans la partie III, on commence par associer à tout $A$ -groupe libre (c’est-à-dire à un groupe muni d’une action d’un autre groupe $A$ , et libre dans la catégorie des groupes munis d’une action de $A$ ) de type fini une catégorie auxiliaire dont on montre le caractère contractile (section 8). Les considérations mises en œuvre à cette fin, qui relèvent de la théorie combinatoire des groupes et de la théorie homotopique élémentaire des ensembles ordonnés, sont indépendantes de tout ce qui précède dans l’article, mais elles servent de préparation à la démonstration du théorème 2.5. En effet, l’étude du défaut de fidélité du foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FE}:{\mathcal{G}}\rightarrow \mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ (qui est, par construction, plein et essentiellement surjectif) fait naturellement apparaître des structures de $A$ -groupe libre (où $A$ est lui-même un groupe libre), comme on l’explique au paragraphe 9.2. Cela nous permet d’utiliser ces catégories auxiliaires, par l’intermédiaire de constructions de Grothendieck, pour déterminer le type d’homotopie de catégories appropriées et compléter la démonstration de nos résultats. Nous utilisons pour cela le théorème de Galatius [Reference GalatiusGal11] déjà évoqué et la machinerie, classique en $K$ -théorie algébrique, des $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ -espaces, qui donne une approche fonctorielle pour associer un spectre à une petite catégorie monoïdale symétrique (cf. Segal [Reference SegalSeg74]).
Liens avec d’autres travaux
Comme nous l’avons déjà brièvement indiqué, le théorème 1 et une version affaiblie du théorème 2 (tensorisée par le localisé de $\mathbb{Z}$ dans lequel les nombres premiers inférieurs ou égaux au degré de la puissance tensorielle considérée sont inversés) ont également été obtenus, juste après que les premières versions du présent travail eurent été prépubliées, par Randal-Williams [Reference Randal-WilliamsRan18], à l’aide de méthodes topologiques indépendantes des nôtres. Nos résultats et ceux de [Reference Randal-WilliamsRan18] se recoupent largement, sans toutefois coïncider : Randal-Williams effectue également des calculs complémentaires de cohomologie des groupes d’automorphismes extérieurs des groupes libres à coefficients tordus, que nos méthodes semblent insuffisantes à établir (sauf démonstration de la conjecture 7.2) ; en revanche, l’approche de [Reference Randal-WilliamsRan18] ne semble pas suffisante pour établir le théorème 2 dans toute sa généralité. Signalons aussi que l’article [Reference Randal-WilliamsRan18] s’inscrit dans le prolongement de la prépublication [Reference Randal-WilliamsRan10] (laquelle constitua une motivation importante à la réalisation du présent travail) qui montrait notamment que, la stabilité homologique étant admise, le théorème 1 découlait de l’arrêt conjectural à la deuxième page de certaines suites spectrales de nature topologique. Cet arrêt est justement établi dans [Reference Randal-WilliamsRan18], qui fournit également plusieurs développements et améliorations de [Reference Randal-WilliamsRan10].
Appliqués au foncteur constant, nos résultats (le théorème 2.10 par exemple) indiquent l’isomorphisme entre l’homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres et celle des groupes symétriques, profond résultat dû à Galatius [Reference GalatiusGal11]. En fait, nous utilisons dès le début ce résultat, que les méthodes d’homologie des foncteurs semblent impuissantes à aborder : elles servent à ramener des calculs d’homologie stable à coefficients tordus à l’homologie stable des mêmes groupes à coefficients constants et à des groupes d’homologie des foncteurs – cf. la méthode générale introduite dans [Reference Djament and VespaDV10, section 1].
Dans [Reference Djament and VespaDV15], cette méthode générale est déjà appliquée pour obtenir l’annulation de certains groupes d’homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients tordus. Des cas particuliers de cette annulation avaient été obtenus à l’aide de techniques topologico-géométriques par Hatcher et Wahl [Reference Hatcher and WahlHW05, Reference Hatcher and WahlHW08] et par Randal-Williams au début de [Reference Randal-WilliamsRan10] (repris dans [Reference Randal-WilliamsRan18]), à partir de résultats de Hatcher, Vogtmann et Wahl [Reference Hatcher and VogtmannHV04, Reference Hatcher, Vogtmann and WahlHVW06]. L’article [Reference Djament and VespaDV15] traitait de foncteurs polynomiaux covariants (pour l’homologie stable des automorphismes des groupes libres ; en cohomologie il faut changer la variance), dont le comportement s’avère assez différent des coefficients contravariants examinés dans le présent travail. Cette différence, qui contraste avec ce qui advient pour l’homologie stable des groupes linéaires à coefficients tordus, par exemple, est déjà discutée dans [Reference Randal-WilliamsRan10] et [Reference Djament and VespaDV15, remarque 7.1]. Le point de départ (l’utilisation de la catégorie de groupes libres ${\mathcal{G}}$ ) de [Reference Djament and VespaDV15] et du présent article coïncident toutefois. De fait, [Reference Djament and VespaDV15] élucide le comportement homologique à coefficients polynomiaux du foncteur composé $\unicode[STIX]{x1D6FC}\circ \unicode[STIX]{x1D6FE}:{\mathcal{G}}\rightarrow \mathbf{gr}$ du diagramme (1), de manière directe, c’est-à-dire sans transiter par l’intermédiaire de la catégorie $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ .
De plus, [Reference Djament and VespaDV15] démontre déjà le théorème 2.10 en degré homologique 1, pour les foncteurs se factorisant par l’abélianisation. Des cas particuliers ou variantes de ce résultat en degré (co)homologique 1 avaient été obtenus auparavant par Kawazumi (voir la fin de la section 6 de [Reference KawazumiKaw06]) et Satoh [Reference SatohSat06]. L’article [Reference SatohSat07] de Satoh établit également des cas particuliers en degré (co)homologique 2 de nos résultats. Reposant sur une approche de théorie des groupes assez explicite, les résultats de Satoh fournissent aussi certains calculs de (co)homologie instables en bas degré.
Les méthodes d’homologie des foncteurs pourraient permettre (cf. section 7) d’obtenir des résultats généralisant à la fois ceux de [Reference Djament and VespaDV15] et du présent article, à savoir le calcul (au moins rationnellement) de groupes de (co)homologie stable des groupes d’automorphimes des groupes libres à coefficients polynomiaux bivariants, c’est-à-dire de la forme $H_{\ast }(\text{Aut}(\mathbb{Z}^{\ast r});B(\mathbb{Z}^{\ast r},\mathbb{Z}^{\ast r}))$ (pour $r$ assez grand, ou l’analogue en cohomologie), où $B:\mathbf{gr}^{\text{op}}\times \mathbf{gr}\rightarrow \mathbf{Ab}$ est un foncteur polynomial.
Signalons enfin que le calcul de la cohomologie des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients dans des représentations variées figure comme $17^{\grave{\text{e}}\text{me}}$ problème dans l’article de survol [Reference MoritaMor06] de Morita.
Partie I. Homologie stable
1 Notations et rappels généraux
Catégories ensemblistes On note $\mathbf{Ens}$ la catégorie des ensembles et $\mathbf{ens}$ la sous-catégorie pleine des ensembles finis, ou plutôt son squelette constitué des ensembles $\mathbf{n}:=\{1,\ldots ,n\}$ pour $n\in \mathbb{N}$ . On désigne par $\unicode[STIX]{x1D6FA}$ la sous-catégorie de $\mathbf{ens}$ ayant les mêmes objets et dont les morphismes sont les fonctions surjectives. On note également $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ la catégorie ayant les mêmes objets que $\mathbf{ens}$ et dont les morphismes sont les applications partiellement définies. Autrement dit, un morphisme $\unicode[STIX]{x1D711}:X\rightarrow Y$ est la donnée d’un sous-ensemble de $X$ noté $\text{Def}(\unicode[STIX]{x1D711})$ et d’une fonction $\text{Def}(\unicode[STIX]{x1D711})\rightarrow Y$ . Cette catégorie est équivalente à la catégorie des ensembles finis pointés, les morphismes étant les applications (partout définies) préservant le point de base (une équivalence est donnée par l’adjonction d’un point de base externe à un objet de la catégorie $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ ). On prendra garde que cette convention, classique, pour la catégorie $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ (qui concorde par exemple avec les articles de Pirashvili comme [Reference PirashviliPir00]) correspond à la catégorie opposée de la catégorie notée $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ par Segal [Reference SegalSeg74].
L’objet $\mathbf{0}=\varnothing$ est nul dans $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ ; la somme ensembliste induit une somme catégorique sur $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ , notée $\sqcup$ .
On désigne par $\unicode[STIX]{x1D6F1}$ la sous-catégorie de $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ ayant les mêmes objets et dont les morphismes sont les applications surjectives partiellement définies.
On note enfin $\mathbf{Ens}_{\bullet }$ la catégorie des ensembles pointés.
Catégories de foncteurs
Si ${\mathcal{C}}$ et ${\mathcal{D}}$ sont des catégories, avec ${\mathcal{C}}$ (essentiellement) petite, on note $\mathbf{Fct}({\mathcal{C}},{\mathcal{D}})$ la catégorie des foncteurs de ${\mathcal{C}}$ vers ${\mathcal{D}}$ (les morphismes étant les transformations naturelles).
Des références possibles pour le matériel classique ici rappelé sont [Reference LodayLod98, Appendix C] ou [Reference Franjou and PirashviliFP03, § 3].
Dans tout cet article, $\Bbbk$ désigne un anneau commutatif (au-dessus duquel seront pris les produits tensoriels de base non spécifiée), qui sera le plus souvent un corps ou l’anneau des entiers. Si ${\mathcal{C}}$ est une petite catégorie, on note ${\mathcal{C}}\text{-}_{\Bbbk }\mathbf{Mod}$ , ou simplement ${\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ s’il n’y a pas d’ambiguïté sur $\Bbbk$ , pour $\mathbf{Fct}({\mathcal{C}},_{\Bbbk }\mathbf{Mod})$ , où $_{\Bbbk }\mathbf{Mod}$ est la catégorie des $\Bbbk$ -modules à gauche. Pour $\Bbbk =\mathbb{Z}$ , la catégorie $_{\Bbbk }\mathbf{Mod}$ des groupes abéliens sera également notée $\mathbf{Ab}$ . On note $_{\Bbbk }\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}}$ ou $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}}$ pour ${\mathcal{C}}^{\text{op}}\text{-}\mathbf{Mod}$ . La catégorie ${\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ est une catégorie abélienne de Grothendieck. Pour $c\in \text{Ob}\,{\mathcal{C}}$ , on pose $P_{c}^{{\mathcal{C}}}:=\Bbbk [{\mathcal{C}}(c,-)]$ (pour alléger les notations, on ne mentionne pas l’anneau $\Bbbk$ , de même que dans plusieurs autres notations introduites ci-dessous), où ${\mathcal{C}}(c,d)$ désigne l’ensemble des morphismes de $c$ vers $d$ dans ${\mathcal{C}}$ et $\Bbbk [-]$ le foncteur de $\Bbbk$ -linéarisation, c’est-à-dire l’adjoint à gauche au foncteur d’oubli $_{\Bbbk }\mathbf{Mod}\rightarrow \mathbf{Ens}$ . Le foncteur $P_{c}^{{\mathcal{C}}}$ représente l’évaluation en $c$ de ${\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ vers $_{\Bbbk }\mathbf{Mod}$ (lemme de Yoneda), il est donc projectif de type fini, et les $P_{c}^{{\mathcal{C}}}$ engendrent ${\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ lorsque $c$ parcourt $\text{Ob}\,{\mathcal{C}}$ .
Si $F$ et $G$ sont des foncteurs de ${\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ et ${\mathcal{D}}\text{-}\mathbf{Mod}$ respectivement, où ${\mathcal{C}}$ et ${\mathcal{D}}$ sont des petites catégories, on note $F\boxtimes G$ leur produit tensoriel extérieur, c’est-à-dire le foncteur de $({\mathcal{C}}\times {\mathcal{D}})\text{-}\mathbf{Mod}$ défini par $(F\boxtimes G)(c,d):=F(c)\otimes G(d)$ .
Le bifoncteur $-\underset{{\mathcal{C}}}{\otimes }-:(\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}})\times ({\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod})\rightarrow \,_{\Bbbk }\mathbf{Mod}$ peut se définir comme la composée du produit tensoriel extérieur et du foncteur cofin $({\mathcal{C}}^{\text{op}}\times {\mathcal{C}})\text{-}\mathbf{Mod}\rightarrow \,_{\Bbbk }\mathbf{Mod}$ (pour une présentation plus directe, voir par exemple [Reference LodayLod98, § C.10]). Le bifoncteur $\underset{{\mathcal{C}}}{\otimes }$ est équilibré [Reference WeibelWei94, § 2.7], en le dérivant à gauche par rapport à l’une ou l’autre des variables, on obtient un foncteur gradué $\text{Tor}_{\ast }^{{\mathcal{C}}}(-,-)$ . On dispose d’un isomorphisme canonique $\text{Tor}_{\ast }^{{\mathcal{C}}^{\text{op}}}(G,F)\simeq \text{Tor}_{\ast }^{{\mathcal{C}}}(F,G)$ .
L’homologie de ${\mathcal{C}}$ à coefficients dans un foncteur $F$ de ${\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ est $H_{\ast }({\mathcal{C}};F):=\text{Tor}_{\ast }^{{\mathcal{C}}}(\Bbbk ,F)$ . Noter que $H_{0}({\mathcal{C}};F)$ n’est autre que la colimite de $F$ .
Notons $\boldsymbol{\unicode[STIX]{x1D6E5}}$ le squelette usuel de la catégorie des ensembles finis non vides totalement ordonnés et ${\mathcal{S}}:=\mathbf{Fct}(\boldsymbol{\unicode[STIX]{x1D6E5}}^{\text{op}},\mathbf{Ens})$ la catégorie des ensembles simpliciaux. On désignera par ${\mathcal{N}}$ le foncteur nerf de la catégorie $\mathbf{Cat}$ des petites catégories vers ${\mathcal{S}}$ (cf. par exemple [Reference LodayLod98, § B.12]). Si $G$ est un groupe, vu comme catégorie à un objet, ${\mathcal{N}}(G)$ sera noté $\text{B}(G)$ .
On notera $C_{\ast }(-;\Bbbk )$ (ou simplement $C_{\ast }(-)$ pour $\Bbbk =\mathbb{Z}$ ) le foncteur de ${\mathcal{S}}$ vers la catégorie des complexes de chaînes de $\Bbbk$ -modules associant à un ensemble simplicial son complexe de Moore à coefficients dans $\Bbbk$ . Si $M$ est un $\Bbbk$ -module, qu’on peut voir comme foncteur constant dans ${\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ , l’homologie $H_{\ast }({\mathcal{C}};M)$ est canoniquement isomorphe à l’homologie de l’ensemble simplicial ${\mathcal{N}}({\mathcal{C}})$ à coefficients dans $M$ , c’est-à-dire à l’homologie du complexe $C_{\ast }({\mathcal{N}}({\mathcal{C}});\Bbbk )\otimes M$ .
Il est classique que toutes les constructions précédentes possèdent des fonctorialités relativement à la petite catégorie de base. Par exemple, si $\unicode[STIX]{x1D711}:{\mathcal{C}}\rightarrow {\mathcal{D}}$ est un foncteur entre petites catégories, le foncteur de précomposition par $\unicode[STIX]{x1D711}$ , noté $\unicode[STIX]{x1D711}^{\ast }:{\mathcal{D}}\text{-}\mathbf{Mod}\rightarrow {\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ , induit un morphisme naturel $H_{\ast }({\mathcal{C}};\unicode[STIX]{x1D711}^{\ast }F)\rightarrow H_{\ast }({\mathcal{D}};F)$ pour $F\in \text{Ob}\,{\mathcal{D}}\text{-}\mathbf{Mod}$ , et plus généralement un morphisme naturel
pour $G\in \text{Ob}\,\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{D}}$ .
Catégories d’éléments, extensions de Kan et suites spectrales de Grothendieck
Si ${\mathcal{C}}$ est une catégorie et $T:{\mathcal{C}}\rightarrow \mathbf{Ens}$ un foncteur, nous noterons ${\mathcal{C}}_{T}$ la catégorie d’éléments associée : ses objets sont les couples $(c,x)$ constitués d’un objet $c$ de ${\mathcal{C}}$ et d’un élément $x$ de $T(c)$ , et les morphismes $(c,x)\rightarrow (d,y)$ sont les morphismes $f:c\rightarrow d$ de ${\mathcal{C}}$ tels que $T(f)(x)=y$ . On notera $o_{T}:{\mathcal{C}}_{T}\rightarrow {\mathcal{C}}$ le foncteur d’oubli. Le foncteur de précomposition $o_{T}^{\ast }:{\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}\rightarrow {\mathcal{C}}_{T}\text{-}\mathbf{Mod}$ possède un adjoint à gauche exact $\unicode[STIX]{x1D714}_{T}:{\mathcal{C}}_{F}\text{-}\mathbf{Mod}\rightarrow {\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ donné sur les objets par
Cette adjonction entre foncteurs exacts induit un isomorphisme naturel en homologie :
pour $Y\in \text{Ob}\,\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}}$ et $X\in \text{Ob}\,{\mathcal{C}}_{T}\text{-}\mathbf{Mod}$ (par abus, on note encore $o_{T}$ pour $o_{T}^{\text{op}}:{\mathcal{C}}_{T}^{\text{op}}\rightarrow {\mathcal{C}}^{\text{op}}$ ). C’est le lemme de Shapiro pour l’homologie des petites catégories de [Reference LodayLod98, § C.12].
Si $\unicode[STIX]{x1D709}:{\mathcal{C}}\rightarrow {\mathcal{D}}$ est un morphisme de $\mathbf{Cat}$ , nous noterons $\unicode[STIX]{x1D709}_{!}:\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}}\rightarrow \mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{D}}$ l’extension de Kan à gauche le long du foncteur $\unicode[STIX]{x1D709}^{\text{op}}:{\mathcal{C}}^{\text{op}}\rightarrow {\mathcal{D}}^{\text{op}}$ . On dispose d’un isomorphisme
naturel en les objets $F$ et $G$ de $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}}$ et ${\mathcal{D}}\text{-}\mathbf{Mod}$ respectivement. Cet isomorphisme d’adjonction peut se dériver comme suit, où $\mathbf{L}$ indique la dérivation à gauche des foncteurs :
Proposition 1.1. Soit $\unicode[STIX]{x1D709}:{\mathcal{C}}\rightarrow {\mathcal{D}}$ un foncteur entre petites catégories.
(1) On dispose d’un quasi-isomorphisme naturel de complexes de chaînes de $\Bbbk$ -modules
(4) $$\begin{eqnarray}F\overset{\mathbf{L}}{\underset{{\mathcal{C}}}{\otimes }}\unicode[STIX]{x1D709}^{\ast }G\simeq \mathbf{L}\unicode[STIX]{x1D709}_{!}(F)\overset{\mathbf{L}}{\underset{{\mathcal{D}}}{\otimes }}G.\end{eqnarray}$$(2) Il existe un quasi-isomorphisme
(5) $$\begin{eqnarray}\mathbf{L}(\unicode[STIX]{x1D709}_{!})(\Bbbk )(d)\simeq C_{\ast }({\mathcal{N}}({\mathcal{C}}_{\unicode[STIX]{x1D709}^{\ast }{\mathcal{D}}(d,-)});\Bbbk )\end{eqnarray}$$naturel en l’objet $d$ de ${\mathcal{D}}^{\text{op}}$ .(3) Il existe une suite spectrale
(6) $$\begin{eqnarray}\text{E}_{i,j}^{2}=\text{Tor}_{i}^{{\mathcal{D}}}(\mathbf{L}_{j}(\unicode[STIX]{x1D709}_{!})(F),G)\Rightarrow \text{Tor}_{i+j}^{{\mathcal{C}}}(F,\unicode[STIX]{x1D709}^{\ast }G).\end{eqnarray}$$naturelle en les objets $F$ et $G$ de $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}}$ et ${\mathcal{D}}\text{-}\mathbf{Mod}$ respectivement.(4) Les foncteurs dérivés à gauche de $\unicode[STIX]{x1D709}_{!}$ sont donnés par des isomorphismes
(7) $$\begin{eqnarray}\mathbf{L}_{\bullet }(\unicode[STIX]{x1D709}_{!})(F)(d)\simeq \text{Tor}_{\bullet }^{{\mathcal{C}}}(F,\unicode[STIX]{x1D709}^{\ast }P_{d}^{{\mathcal{D}}})\simeq H_{\bullet }({\mathcal{C}}_{\unicode[STIX]{x1D709}^{\ast }{\mathcal{D}}(d,-)}^{\text{op}};o_{\unicode[STIX]{x1D709}^{\ast }{\mathcal{D}}(d,-)}^{\ast }F)\end{eqnarray}$$de $\Bbbk$ -modules gradués naturels en $F$ et en l’objet $d$ de ${\mathcal{D}}^{\text{op}}$ .(5) En particulier, $\mathbf{L}_{\bullet }(\unicode[STIX]{x1D709}_{!})(\Bbbk )(d)$ est naturellement isomorphe à l’homologie du complexe $C_{\ast }({\mathcal{N}}({\mathcal{C}}_{\unicode[STIX]{x1D709}^{\ast }{\mathcal{D}}(d,-)});\Bbbk )$ .
Démonstration.
Il est classique que l’adjonction (ou sa variation en termes de produit tensoriel) entre le foncteur exact $\unicode[STIX]{x1D709}^{\ast }$ et le foncteur $\unicode[STIX]{x1D709}_{!}$ se propage aux catégories dérivées, fournissant le quasi-isomorphisme naturel (4) et, en passant à l’homologie, la suite spectrale (6) (cf. par exemple [Reference WeibelWei94, § 10.8]). Les autres assertions s’en déduisent en appliquant ce qu’on vient d’observer au foncteur projectif $G=P_{d}^{{\mathcal{D}}}$ et en utilisant l’isomorphisme naturel (3).◻
2 Résultats principaux
La démonstration de nos résultats repose sur la considération de différentes catégories de groupes libres et leur comparaison homologique. Commençons par donner des notations qui interviendront dans tout l’article. On note $\mathbf{Grp}$ la catégorie des groupes et $\mathbf{gr}$ la sous-catégorie pleine des groupes libres de rang fini, ou plutôt son squelette constitué des groupes $\mathbb{Z}^{\ast n}$ , pour $n\in \mathbb{N}$ , où $\ast$ désigne le produit libre, c’est-à-dire la somme catégorique de $\mathbf{Grp}$ . On désigne par ${\mathcal{G}}$ , comme dans [Reference Djament and VespaDV15] (avec la terminologie de [Reference Randal-Williams and WahlRW17], c’est la catégorie homogène associée aux groupes d’automorphismes des groupes libres), la catégorie ayant les mêmes objets que $\mathbf{gr}$ et dont les morphismes $G\rightarrow H$ sont les couples $(u,T)$ constitués d’un monomorphisme de groupes $u:G{\hookrightarrow}H$ et d’un sous-groupe $T$ de $H$ tels que $H=u(G)\ast T$ . Ici, $\ast$ désigne le produit libre interne, qui est une opération partiellement définie sur les familles de sous-groupes de $H$ ; l’égalité précédente signifie donc que le morphisme de groupes $G\ast T\rightarrow H$ dont la composante $G\rightarrow H$ est $u$ et la composante $T\rightarrow H$ est l’inclusion est un isomorphisme. La composition $G\xrightarrow[{}]{(u,T)}H\xrightarrow[{}]{(v,S)}K$ dans ${\mathcal{G}}$ est le morphisme $(v\circ u,S\ast v(T))$ .
Si $F$ est un foncteur de ${\mathcal{G}}\text{-}\mathbf{Mod}$ , nous noterons
l’homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients tordus par $F$ . Les flèches qui définissent la colimite sont induites par les inclusions canoniques $\text{Aut}(\mathbb{Z}^{\ast n})\rightarrow \text{Aut}(\mathbb{Z}^{\ast (n+1)})$ (induites par le foncteur $-\ast \mathbb{Z}$ ) et, sur les coefficients, par les morphismes $\mathbb{Z}^{\ast n}\rightarrow \mathbb{Z}^{\ast (n+1)}$ donnés par l’inclusion $\mathbb{Z}^{\ast n}{\hookrightarrow}\mathbb{Z}^{\ast (n+1)}=\mathbb{Z}^{\ast n}\ast \mathbb{Z}$ munie du sous-groupe du but donné par le dernier facteur $\mathbb{Z}$ .
La première étape de l’approche de l’homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres par l’homologie des foncteurs est la suivante.
Proposition 2.1 [Reference Djament and VespaDV15, proposition 4.4 et corollaire 4.5].
Soit $F$ un objet de ${\mathcal{G}}\text{-}\mathbf{Mod}$ . Il existe un isomorphisme naturel
de $\Bbbk$ -modules gradués, où $G_{\infty }$ désigne le groupe $\operatorname{colim}_{n\in \mathbb{N}}\text{Aut}(\mathbb{Z}^{\ast n})$ (vu comme catégorie à un objet) et $\unicode[STIX]{x1D70B}:{\mathcal{G}}\times G_{\infty }\rightarrow {\mathcal{G}}$ le foncteur de projection.
En particulier, si $\Bbbk$ est un corps, on a un isomorphisme naturel
et donc $H_{\ast }^{st}(F)\simeq H_{\ast }({\mathcal{G}};F)$ si $\Bbbk$ est de caractéristique nulle.
Cet énoncé, présent dans [Reference Djament and VespaDV15], est un corollaire de résultats généraux de comparaison d’homologie stable des groupes à coefficients tordus et d’homologie des foncteurs apparaissant dans [Reference Djament and VespaDV10] et de l’identification de l’homologie de $G_{\infty }$ à celle de $\mathfrak{S}_{\infty }$ (déterminée par Nakaoka [Reference NakaokaNak61]), due à Galatius [Reference GalatiusGal11].
Dans la suite, nous nous attacherons donc à étudier l’homologie de la catégorie ${\mathcal{G}}$ à coefficients dans des foncteurs appropriés. La comparaison homologique directe avec la catégorie de groupes libres usuelle $\mathbf{gr}$ (qui se prête à des calculs explicites), hors des cas traités dans [Reference Djament and VespaDV15], semblant hors de portée, nous utiliserons plusieurs catégories intermédiaires.
Notation 2.2.
(1) Soit ${\mathcal{C}}$ une catégorie. On note $\mathbf{S}({\mathcal{C}})$ la catégorie ayant les mêmes objets que ${\mathcal{C}}$ et telle que
$$\begin{eqnarray}\mathbf{S}({\mathcal{C}})(c,d):=\{(f,g)\in {\mathcal{C}}(c,d)\times {\mathcal{C}}(d,c)\mid g\circ f=\text{Id}_{c}\},\end{eqnarray}$$avec la composition $(f,g)\circ (f^{\prime },g^{\prime }):=(f\circ f^{\prime },g^{\prime }\circ g)$ .(2) Soit $({\mathcal{T}},\ast ,0)$ une catégorie monoïdale symétrique dont l’unité 0 est objet nul. On désigne par $\mathbf{S}_{c}({\mathcal{T}})$ la sous-catégorie de $\mathbf{S}({\mathcal{T}})$ ayant les mêmes objets et dont les morphismes $(u,v):G\rightarrow H$ sont ceux tels qu’existe un objet $T$ de ${\mathcal{T}}$ et un isomorphisme $H\simeq G\ast T$ faisant commuter le diagramme
Remarquer que $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ est l’image du foncteur canonique ${\mathcal{G}}\rightarrow \mathbf{S}(\mathbf{gr})$ qui est l’identité sur les objets et associe à un morphisme $(u,T):G\rightarrow H$ le couple $(u,H=u(G)\ast T{\twoheadrightarrow}u(G)\xrightarrow[{}]{\simeq }G)$ . On notera $\unicode[STIX]{x1D6FE}:{\mathcal{G}}\rightarrow \mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ le foncteur plein et essentiellement surjectif qu’il induit.
On dispose de foncteurs canoniques $\mathbf{S}({\mathcal{C}})\rightarrow {\mathcal{C}}$ et $\mathbf{S}({\mathcal{C}})\rightarrow {\mathcal{C}}^{\text{op}}$ , qui sont l’identité sur les objets et associent $f$ et $g$ respectivement à une flèche $(f,g)$ de $\mathbf{S}({\mathcal{C}})$ .
La restriction à $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ du foncteur canonique $\mathbf{S}(\mathbf{gr})\rightarrow \mathbf{gr}^{\text{op}}$ sera notée $\unicode[STIX]{x1D6FD}$ .
La démonstration du théorème de Scorichenko [Reference ScorichenkoSco00] donnée dans [Reference DjamentDja12, § 5.2] repose sur la comparaison de l’homologie à coefficients analytiques de $\mathbf{S}({\mathcal{A}})$ à celle de ${\mathcal{A}}$ , lorsque ${\mathcal{A}}$ est une petite catégorie additive. Dans le cas des groupes d’automorphismes des groupes libres qui nous intéresse ici, une étape intermédiaire cruciale analogue interviendra : nous démontrerons (sous une forme plus générale) le théorème 2.3 ci-dessous dans la section 6.
Avant de l’énoncer, on rappelle qu’un foncteur est dit analytique s’il est isomorphe à une colimite, qu’on peut supposer filtrante, de foncteurs polynomiaux. La notion classique de foncteur polynomial, qui remonte à Eilenberg and Mac Lane [Reference Eilenberg and Mac LaneEM54, ch. II] pour des foncteurs entre catégories de modules, est exposée dans le cadre général d’une catégorie source monoïdale symétrique dont l’unité est objet nul dans [Reference Hartl, Pirashvili and VespaHPV15, § 2], par exemple. Dans les cas qu’on considère, la structure monoïdale symétrique sera toujours donnée par le produit libre.
Théorème 2.3. Si $F$ est un foncteur analytique de $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ et $G$ un foncteur arbitraire de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ , alors le morphisme
qu’induit le foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FD}:\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})\rightarrow \mathbf{gr}^{\text{op}}$ est un isomorphisme.
Nous aurons besoin ensuite de comparer l’homologie des catégories ${\mathcal{G}}$ et $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ (sans aucune hypothèse d’analycité). Le foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FE}:{\mathcal{G}}\rightarrow \mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ est plein et essentiellement surjectif ; il est loin d’être fidèle, mais son défaut de fidélité peut être contrôlé. Cette étude sera menée dans la partie III ; avant de donner son résultat principal, nous avons besoin d’une notation :Footnote 2
Notation 2.4. On note $\text{C}:\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ le foncteur associant à un groupe libre de rang fini $A$ la catégorie d’éléments ${\mathcal{G}}_{\unicode[STIX]{x1D6FE}^{\ast }\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})(A,-)}$ (les objets de ${\mathcal{G}}_{\unicode[STIX]{x1D6FE}^{\ast }\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})(A,-)}$ sont donc les couples constitués d’un objet $G$ de ${\mathcal{G}}$ et d’un morphisme $A\rightarrow \unicode[STIX]{x1D6FE}(G)$ de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ ), la fonctorialité venant de celle du foncteur Hom sur $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ .
Nous relierons les objets de ${\mathcal{G}}_{\unicode[STIX]{x1D6FE}^{\ast }\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})(A,-)}$ aux $A$ -groupes libres, dans la section 9.2. Nous verrons également que $\text{C}(A)$ possède une structure monoïdale symétrique naturelle en $A$ , induite par la somme amalgamée au-dessus de $A$ . Par conséquent, l’ensemble simplicial ${\mathcal{N}}(\text{C}(A))$ possède une structure d’espace de lacets infinis naturelle en $A$ .
La partie III visera à établir :
Théorème 2.5. Il existe une équivalence d’homotopie d’espaces de lacets infinis
naturelle en l’objet $A$ de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})^{\text{op}}$ .
En utilisant le scindement de Snaith [Reference SnaithSna74], on en tire le résultat suivant, dans lequel $\unicode[STIX]{x1D6F4}$ désigne la suspension algébrique, $\overset{\mathbf{L}}{\underset{\mathfrak{S}_{n}}{\otimes }}$ le produit tensoriel dérivé au-dessus du groupe symétrique $\mathfrak{S}_{n}$ et $\mathbb{Z}_{\unicode[STIX]{x1D716}}$ la représentation de signe de $\mathfrak{S}_{n}$ .
Corollaire 2.6. Il existe un quasi-isomorphisme
naturel en l’objet $A$ de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})^{\text{op}}$ .
Démonstration.
Il est classique (cf. [Reference SnaithSna74, Reference KahnKah78, Reference Barratt and EcclesBE74] ou [Reference Cohen, May and TaylorCMT78, Theorem 8.2]) que, pour un espace pointé connexe $X$ , $\unicode[STIX]{x1D6FA}^{\infty }\unicode[STIX]{x1D6F4}^{\infty }X$ a naturellement le même type d’homotopie stable que $\vee _{n\in \mathbb{N}}(X^{\wedge n})_{h\mathfrak{S}_{n}}$ (où l’indice $h\mathfrak{S}_{n}$ désigne les coïnvariants homotopiques sous l’action canonique de $\mathfrak{S}_{n}$ ) ; en particulier, le complexe $C_{\ast }(\unicode[STIX]{x1D6FA}^{\infty }\unicode[STIX]{x1D6F4}^{\infty }X)$ est naturellement quasi-isomorphe à $\bigoplus _{n\in \mathbb{N}}\tilde{C}_{\ast }(X)^{\otimes n}\overset{\mathbf{L}}{\underset{\mathfrak{S}_{n}}{\otimes }}\mathbb{Z}$ , où $\tilde{C}_{\ast }(X)$ désigne le complexe des chaînes réduites sur l’espace pointé $X$ . Si $G$ est un groupe libre, alors $\tilde{C}_{\ast }(\text{B}G)$ est naturellement quasi-isomorphe à $\unicode[STIX]{x1D6F4}G_{ab}$ , de sorte qu’on obtient un quasi-isomorphisme naturel
on conclut en prenant $G=\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\text{op}}(A)$ .◻
Ce résultat permet d’obtenir le théorème suivant, dans lequel on note simplement $H_{\ast }^{st}(F)$ pour $H_{\ast }^{st}(\unicode[STIX]{x1D6FE}^{\ast }F)$ – d’autres abus de notation analogues seront effectués par la suite afin d’alléger les notations pour l’homologie stable.
Théorème 2.7. Soit $F$ un foncteur de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})\text{-}\mathbf{Mod}$ . Le $\Bbbk$ -module gradué $H_{\ast }^{st}(F)$ est naturellement isomorphe à l’hyperhomologie du multicomplexe
où le groupe symétrique infini $\mathfrak{S}_{\infty }$ opère trivialement, $\Bbbk _{\unicode[STIX]{x1D716}}$ est la représentation de signature sur $\Bbbk$ du groupe symétrique $\mathfrak{S}_{n}$ et $\text{A}_{\Bbbk }$ désigne le foncteur de $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ composé de $\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\text{op}}:\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{gr}$ , de l’abélianisation $\mathbf{gr}\rightarrow \mathbf{Ab}$ et de la tensorisation par $\Bbbk$ , $\mathbf{Ab}\rightarrow \,_{\Bbbk }\mathbf{Mod}$ .
Démonstration.
Par la proposition 2.1, $H_{\ast }^{st}(F)$ est naturellement isomorphe à l’hyperhomologie de
(avec action triviale de $\mathfrak{S}_{\infty }$ ). La proposition 1.1 montre par ailleurs que $\Bbbk \overset{\mathbf{L}}{\underset{{\mathcal{G}}}{\otimes }}\unicode[STIX]{x1D6FE}^{\ast }(F)$ est naturellement quasi-isomorphe à $\mathbf{L}\unicode[STIX]{x1D6FE}_{!}(\Bbbk )\overset{\mathbf{L}}{\underset{\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})}{\otimes }}F$ , de sorte que la conclusion résulte du corollaire 2.6 et du quasi-isomorphisme naturel (5) de la proposition 1.1.◻
Cette première forme de notre décomposition de Hodge pour l’homologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres demeure théorique, en raison de l’inaccessibilité de la catégorie $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ aux calculs homologiques directs. Nous pensons toutefois qu’elle devrait permettre d’aller au-delà du théorème 2.10 ci-après (voir notamment la section 7), par l’intermédiaire duquel nous exploiterons le théorème 2.7.
Sur $\Bbbk =\mathbb{Q}$ , la semi-simplicité des représentations des groupes symétriques conduit à la simplification suivante du théorème 2.7 :
Corollaire 2.8. Soient $F$ un foncteur de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})\text{-}\,_{\mathbb{Q}}\mathbf{Mod}$ et $m\in \mathbb{N}$ . Il existe un isomorphisme naturel
où $\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j}$ désigne la $j$ -ème puissance extérieure (sur les $\mathbb{Q}$ -espaces vectoriels).
Remarque 2.9. Ce corollaire peut s’établir directement à partir du théorème 2.5, sans invoquer le scindement de Snaith, à l’aide d’un raisonnement très analogue à celui de Pirashvili [Reference PirashviliPir00, Theorem 2.7], dans la catégorie $\unicode[STIX]{x1D6E4}\text{-}\mathbf{Mod}$ , qui donne une approche de la décomposition de Hodge pour l’homologie de Hochschild des $\mathbb{Q}$ -algèbres commutatives par l’homologie des foncteurs et en permet des généralisations à l’homologie de Hochschild supérieure (voir [Reference PirashviliPir00, Corollary 2.5]).
En effet, l’espace pointé $\unicode[STIX]{x1D6FA}^{\infty }\unicode[STIX]{x1D6F4}^{\infty }\text{B}(A)$ a naturellement le même type d’homotopie rationnelle que $\text{B}(A_{ab})$ , dont l’homologie (rationnelle) est naturellement isomorphe à $\unicode[STIX]{x1D6EC}^{\ast }(A_{ab}\otimes \mathbb{Q})$ . Cela permet de déduire le corollaire 2.8 du théorème 2.5, en montrant que l’on sait que la suite spectrale
(proposition 1.1, (6)) s’effondre à la deuxième page et que les extensions associées à la filtration correspondante sont triviales. Cela s’obtient par un argument de formalité, issu de la théorie de l’obstruction pour les complexes de chaînes, due à Dold [Reference DoldDol60] (voir aussi [Reference PirashviliPir00, Proposition 1.6]) : celle-ci montre qu’il suffit de vérifier l’annulation de certains groupes d’extensions entre puissances extérieures de l’abélianisation rationalisée. Cette annulation se déduit des calculs cohomologiques de Vespa [Reference VespaVes18] et du corollaire 6.3 (qui constitue une variante en cohomologie du théorème 2.3).
Dans l’énoncé suivant, les actions des groupes symétriques sont les mêmes que dans le théorème 2.7.
Théorème 2.10. Soit $F$ un foncteur analytique de $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ . Il existe un isomorphisme naturel de $\Bbbk$ -modules gradués
où $\mathfrak{a}_{\Bbbk }$ désigne le foncteur d’abélianisation tensorisée par $\Bbbk$ (dans $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ ) et $\mathbb{H}_{\ast }$ l’hyperhomologie.
Démonstration.
Le théorème 2.3 montre que les morphismes naturels
qu’induit $\unicode[STIX]{x1D6FD}$ sont des quasi-isomorphismes. La conclusion découle donc du théorème 2.7.◻
Là encore, le résultat se simplifie nettement rationnellement :
Corollaire 2.11. Soient $F$ un foncteur analytique de $_{\mathbb{Q}}\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ et $m\in \mathbb{N}$ . Il existe un isomorphisme naturel
On peut également déduire du théorème 2.10 le résultat plus précis suivant, dans lequel on se place dans le cas universel $\Bbbk =\mathbb{Z}$ . Sa première assertion est due à Randal-Williams et Wahl.
Corollaire 2.12. Soient $d$ , $i$ , $m$ des entiers naturels tels que $m\geqslant 2(i+d)+3$ et $F:\mathbf{gr}^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{Ab}$ un foncteur polynomial de degré $d$ .
(1) (Randal-Williams et Wahl [Reference Randal-Williams and WahlRW17]) Le morphisme canonique $H_{i}(\text{Aut}(\mathbb{Z}^{\ast m});F(\mathbb{Z}^{\ast m}))\rightarrow H_{i}^{st}(F)$ est un isomorphisme.
(2) Il existe un isomorphisme naturel de groupes abéliens gradués
$$\begin{eqnarray}H_{\ast }^{st}(F)\simeq \mathbb{H}_{\ast }\biggl(\mathbb{Z}\overset{\mathbf{L}}{\underset{\mathfrak{S}_{\infty }}{\otimes }}\,\mathop{\bigoplus }_{0\leqslant n\leqslant d}\unicode[STIX]{x1D6F4}^{n}\biggl(F\overset{\mathbf{L}}{\underset{\mathbf{gr}}{\otimes }}\mathfrak{a}^{\otimes n}\overset{\mathbf{L}}{\underset{\mathfrak{S}_{n}}{\otimes }}\mathbb{Z}_{\unicode[STIX]{x1D716}}\biggr)\biggr).\end{eqnarray}$$(3) Supposons que les valeurs de $F$ sont des groupes abéliens de type fini. Alors le groupe abélien $H_{i}(\text{Aut}(\mathbb{Z}^{\ast m});F(\mathbb{Z}^{\ast m}))$ est de type fini.
(4) Supposons que $F$ est à valeurs dans les $\mathbb{Z}[1/r!]$ -modules, où $r=\min (i,d)$ . Il existe un isomorphisme naturel
$$\begin{eqnarray}H_{i}^{st}(F)\simeq \underset{t+n\leqslant d}{\underset{s+t+n=i}{\bigoplus }}H_{s}(\mathfrak{S}_{\infty };\text{Tor}_{t}^{\mathbf{gr}}(F,\mathfrak{a}^{\otimes n})_{\mathfrak{ S}_{n}}^{\unicode[STIX]{x1D716}})\end{eqnarray}$$où $\mathfrak{S}_{\infty }$ opère trivialement et l’exposant $\unicode[STIX]{x1D716}$ indique que l’action canonique de $\mathfrak{S}_{n}$ est tordue par la signature.(5) Supposons que $F$ est réduit (i.e. nul sur le groupe trivial) et à valeurs dans les $\mathbb{Z}[1/s!]$ -modules, où $s=\max (2,i)$ . Alors $H_{i}^{st}(F)$ est nul pour $i>d$ et isomorphe sinon à
$$\begin{eqnarray}\underset{n>0}{\underset{t+n=i}{\bigoplus }}\text{Tor}_{t}^{\mathbf{gr}}(F,\mathfrak{a}^{\otimes n})_{\mathfrak{ S}_{n}}^{\unicode[STIX]{x1D716}}.\end{eqnarray}$$
Démonstration.
La première assertion est le théorème de stabilité à coefficients tordus pour l’homologie des groupes d’automorphismes des groupes libres de Randal-Williams et Wahl [Reference Randal-Williams and WahlRW17, Theorem 5.4].
Comme $F$ est un foncteur polynomial de degré $d$ de $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ , on a $\text{Tor}_{i}^{\mathbf{gr}}(F,\mathfrak{a}^{\otimes n})=0$ pour $i>d-n$ . Cette propriété se déduit de la résolution barre (déjà utilisée dans ce contexte dans [Reference Jibladze and PirashviliJP91, § 5 A]) ; elle apparaît explicitement dans [Reference Djament and VespaDV15, remarque 5.3] pour $n=1$ et le cas général peut se trouver dans [Reference Djament, Pirashvili and VespaDPV16, proposition 4.1]. Par conséquent, la deuxième assertion résulte du théorème 2.10.
Cette même résolution projective explicite de $\mathfrak{a}^{\otimes n}$ issue de la résolution barre montre que $\text{Tor}_{i}^{\mathbf{gr}}(F,\mathfrak{a}^{\otimes n})$ est un groupe abélien de type fini pour tous $n$ et $i$ si $F$ prend ses valeurs dans les groupes abéliens de type fini ; ce groupe est par ailleurs évidemment nul pour $n=0$ si $F$ est réduit.
On en déduit la troisième assertion, ainsi que la quatrième, en utilisant la formule de Künneth et le fait que l’homologie en degré non nul de $\mathfrak{S}_{n}$ est nulle à coefficients dans une représentation définie sur $\mathbb{Z}[1/n!]$ .
Quant à la dernière assertion, elle se déduit de la précédente et du résultat de stabilité homologique suivant : si $M$ est un groupe abélien, qu’on munit de l’action triviale des groupes symétriques, le morphisme canonique $H_{i}(\mathfrak{S}_{n};M)\rightarrow H_{i}(\mathfrak{S}_{\infty };M)$ est un isomorphisme pour $n>2i$ ; si $M$ est un $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}]$ -module c’est même un isomorphisme pour $n>i$ . Cela provient par exemple des résultats de Nakaoka [Reference NakaokaNak60].◻
3 Variante en cohomologie et structures multiplicatives
Soit $X$ un foncteur de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ . Nous noterons, de façon duale de $H_{\ast }^{st}$ ,
la cohomologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients tordus par $X$ , la limite étant relative aux monomorphismes de groupes $\text{Aut}(\mathbb{Z}^{\ast n})\rightarrow \text{Aut}(\mathbb{Z}^{\ast (n+1)})$ induits par $-\ast \mathbb{Z}$ et, sur les coefficients, par les épimorphismes de groupes $\mathbb{Z}^{\ast (n+1)}\rightarrow \mathbb{Z}^{\ast n}$ de projection sur les $n$ premiers facteurs. En général, cette cohomologie stable se comporte moins bien que son analogue homologique, en raison de la possible non-annulation de la $\underset{n\in \mathbb{N}}{\lim }^{1}$ correspondante. Cela n’advient toutefois pas si $X$ est polynomial de degré $d$ . En effet, dans ce cas, la flèche canonique $H_{st}^{i}(X)\rightarrow H^{i}(\text{Aut}(\mathbb{Z}^{\ast n});X(\mathbb{Z}^{\ast n}))$ est un isomorphisme lorsque $n\geqslant 2(i+d)+3$ . Cette variante en cohomologie du résultat précédent se déduit facilement des résultats de [Reference Randal-Williams and WahlRW17] ; pour la commodité du lecteur, nous la démontrerons ci-dessous, après quelques rappels généraux.
Soit $J$ un cogénérateur injectif des $\Bbbk$ -modules. Nous noterons $V\mapsto V^{\vee }$ le foncteur de dualité $\text{Hom}_{\Bbbk }(-,J):_{\Bbbk }\mathbf{Mod}^{\text{op}}\rightarrow _{\Bbbk }\mathbf{Mod}$ , qui est exact et fidèle. Nous noterons encore de la même façon le foncteur exact et fidèle $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}}\rightarrow {\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ (où ${\mathcal{C}}$ est une petite catégorie quelconque) qu’il induit entre catégories de foncteurs, par postcomposition.
Lemme 3.1. Soient ${\mathcal{C}}$ une petite catégorie, $F$ et $T$ des foncteurs de $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}}$ et ${\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ respectivement et $n\in \mathbb{N}$ . Il existe un isomorphisme naturel
de $\Bbbk$ -modules.
Démonstration.
Lorsque $T$ est un foncteur projectif du type $P_{c}^{{\mathcal{C}}}$ , le résultat découle du lemme de Yoneda. Le cas général s’en déduit formellement par comparaison de foncteurs cohomologiques universels.◻
Dans le cas de la (co)homologie des groupes, on a en particulier, la limite étant duale de la colimite :
Lemme 3.2. Si $F$ est un foncteur de $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ et $n$ un entier naturel, on dispose d’un isomorphisme naturel de $\Bbbk$ -modules $H_{st}^{n}(F^{\vee })\simeq (H_{n}^{st}(F))^{\vee }$ .
Nous sommes maintenant en mesure de déduire la variante suivante en cohomologie de certains de nos résultats principaux (on laisse au lecteur le soin de traductions exhaustives de nos résultats homologiques en termes de cohomologie). Le premier point est dû à Randal-Williams et Wahl, comme indiqué plus haut.
Théorème 3.3. Soient $i$ , $m$ , $d$ des entiers naturels et $X$ un foncteur de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ polynomial de degré $d$ .
(1) Le morphisme canonique $H_{st}^{i}(X)\rightarrow H^{i}(\text{Aut}(\mathbb{Z}^{\ast m});X(\mathbb{Z}^{\ast m}))$ est un isomorphisme si $m\geqslant 2(i+d)+3$ .
(2) La cohomologie stable $H_{st}^{\ast }(X)$ est naturellement isomorphe à l’hypercohomologie
$$\begin{eqnarray}\mathbb{H}^{\ast }\biggl(\mathfrak{S}_{\infty };\bigoplus _{n\leqslant d}\unicode[STIX]{x1D6F4}^{n}(\mathbb{H}^{\ast }(\mathfrak{S}_{n};\mathbf{R}\,\text{Hom}_{\mathbf{gr}}(\mathfrak{a}_{\Bbbk }^{\otimes n},X)_{\unicode[STIX]{x1D716}}))\biggr)\end{eqnarray}$$(où $\mathfrak{S}_{\infty }$ opère trivialement et $\mathfrak{S}_{n}$ par permutation des facteurs tordue par la signature).(3) Si $\Bbbk =\mathbb{Q}$ , il existe un isomorphisme naturel
$$\begin{eqnarray}H_{st}^{i}(X)\simeq \mathop{\bigoplus }_{r+s=i}\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{r}(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{s}(\mathfrak{a}_{\mathbb{ Q}}),X).\end{eqnarray}$$
Démonstration.
Si $X=F^{\vee }$ pour un foncteur $F$ de $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ (qui est alors polynomial de degré $d$ , comme $X$ ), le résultat découle directement des lemmes précédents et des corollaires 2.12 et 2.11.
Pour établir le premier résultat, on raisonne par récurrence sur le degré cohomologique en formant une suite exacte courte
avec $F=X^{\vee }$ (le premier morphisme étant l’unité de l’auto-adjonction du foncteur de dualité), dans laquelle $F$ et $Y$ sont polynomiaux de degré au plus $d$ . Le résultat de stabilité homologique pour les groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients dans $F$ [Reference Randal-Williams and WahlRW17, Theorem 5.4] et l’hypothèse de récurrence appliquée à $Y$ permettent d’obtenir le pas de la récurrence pour $X$ par les suites exactes longues associées pour la cohomologie des groupes d’automorphismes des groupes libres.
Les assertions suivantes s’obtiennent de façon strictement analogue à l’aide des corollaires 2.12 et 2.11 – on note que $H_{st}^{\ast }$ définit un foncteur cohomologique sur les foncteurs polynomiaux de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ , grâce au premier point. (Plutôt que de raisonner par récurrence sur le degré cohomologique, on peut, de façon équivalente, résoudre le foncteur $X$ par des foncteurs du type $F^{\vee }$ avec $F$ polynomial de degré $d$ dans $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ .)◻
Structures multiplicatives externes
Soient $F$ et $G$ des foncteurs de $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ , $A$ et $B$ des groupes libres de rang fini. Les épimorphismes canoniques $A\ast B\rightarrow A$ et $A\ast B\rightarrow B$ induisent une application $\Bbbk$ -linéaire
qui est équivariante pour l’action de $\text{Aut}(A)\times \text{Aut}(B)$ (donnée au but par restriction de l’action tautologique de $\text{Aut}(A\ast B)$ le long du morphisme canonique $\text{Aut}(A)\times \text{Aut}(B)\rightarrow \text{Aut}(A\ast B)$ ), d’où des morphismes naturels
de $\Bbbk$ -modules gradués. Ceux-ci sont compatibles à la stabilisation en $A$ et $B$ et fournissent donc par passage à la colimite un produit externe en homologie stable
naturel et monoïdal symétrique en $F$ et $G$ .
Par ailleurs, si $X$ et $Y$ sont des foncteurs de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ et que $A$ est un groupe libre de rang fini, le morphisme diagonal sur le groupe $\text{Aut}(A)$ induit un morphisme
qui fournit un produit externe en cohomologie stable
naturel et monoïdal symétrique en $X$ et $Y$ .
Nous décrivons maintenant ces structures multiplicatives à travers nos identifications de $H_{\ast }^{st}(F)$ et $H_{st}^{\ast }(X)$ (lorsque $F$ et $X$ sont polynomiaux) à l’aide de (co)homologie de foncteurs. Nous nous limiterons à le faire lorsque $\Bbbk =\mathbb{Q}$ , hypothèse que l’on fait dans toute la suite de cette section. Le cas général peut se traiter de façon analogue mais est beaucoup plus lourd à écrire ; de plus, les applications que nous avons en vue concernent essentiellement cette situation rationnelle.
Proposition 3.4. Soient $F$ et $G$ des foncteurs polynomiaux de $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ . À travers l’isomorphisme du corollaire 2.8, le produit externe $H_{i}^{st}(F)\otimes H_{j}^{st}(G)\rightarrow H_{i+j}^{st}(F\otimes G)$ s’identifie au morphisme
de composantes
données par la composée de l’isomorphisme de Künneth
du morphisme
induit par les inclusions canoniques $F\boxtimes G\rightarrow (F\otimes G)\circ \ast$ et $\unicode[STIX]{x1D6EC}^{n}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})\boxtimes \unicode[STIX]{x1D6EC}^{m}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})\rightarrow \unicode[STIX]{x1D6EC}^{n+m}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})\circ \ast$ , et du morphisme
induit par le foncteur $\ast :\mathbf{gr}\times \mathbf{gr}\rightarrow \mathbf{gr}$ .
Proposition 3.5. Soient $X$ et $Y$ des foncteurs polynomiaux de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ . À travers l’isomorphisme du théorème 3.3, le produit externe $H_{st}^{i}(X)\otimes H_{st}^{j}(Y)\rightarrow H_{st}^{i+j}(X\otimes Y)$ s’identifie au morphisme
de composantes
données par la composée du morphisme
induit par le produit tensoriel et du morphisme
induit par le monomorphisme canonique $\unicode[STIX]{x1D6EC}^{n+m}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})\rightarrow \unicode[STIX]{x1D6EC}^{n}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})\otimes \unicode[STIX]{x1D6EC}^{m}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})$ .
Démonstration des propositions 3.4 et 3.5.
Tout d’abord, l’isomorphisme de la proposition 2.1 est monoïdal – c’est un fait totalement général provenant du cadre formel de [Reference Djament and VespaDV10] (voir notamment le § 4.1 de cette référence). Il en est de même pour l’isomorphisme du théorème 2.3 (ou de sa variante en cohomologie, le corollaire 6.3, pour la proposition 3.5), car le foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FD}$ est monoïdal. Il suffit pour terminer de vérifier que le quasi-isomorphisme du corollaire 2.6 est monoïdal (où la structure monoïdale sur le foncteur $\text{C}$ provient de ce que le foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FE}$ est monoïdal), ce qu’établit la proposition 9.12.◻
Remarque 3.6. Puisqu’on travaille sur le corps $\mathbb{Q}$ , on dispose également de coproduits externes en homologie $H_{\ast }^{st}(F\otimes G)\rightarrow H_{\ast }^{st}(F)\otimes H_{\ast }^{st}(G)$ et en cohomologie $H_{st}^{\ast }(X\otimes Y)\rightarrow H_{st}^{\ast }(X)\otimes H_{st}^{\ast }(Y)$ , qui se lisent aisément via nos isomorphismes, pour des coefficients polynomiaux (en utilisant aussi, pour le cas de la cohomologie, que la représentation triviale des groupes d’automorphismes des groupes libres et les foncteurs $\unicode[STIX]{x1D6EC}^{i}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})$ possèdent une résolution projective de type fini). Ceux-ci sont duaux des produits externes en cohomologie et en homologie respectivement. Pour des foncteurs à valeurs de dimension finie, cette dualité vaut au sens le plus immédiat du terme, par l’intermédiaire du lemme 3.2.
La proposition 3.5 donne également une description concrète des injections canoniques $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{i}(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}),F)\rightarrow H_{st}^{i+j}(F)$ déduites du théorème 3.3. Dans l’énoncé qui suit, on désigne par un point (voire l’absence de symbole) le produit externe sur $H_{st}^{\ast }$ ou le produit externe pour $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{\ast }$ (donné par $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{\ast }(A,B)\otimes \text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{\ast }(C,D)\rightarrow \text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{\ast }(A\otimes C,B\otimes D)$ ). On y utilise également une forme du produit de composition, ou produit de Yoneda, qui fournit des morphismes naturels $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{i}(F,G)\otimes H_{st}^{j}(F)\xrightarrow[{}]{\cup }H_{st}^{i+j}(G)$ , qu’on peut définir comme la composée du morphisme de $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{i}(F,G)\otimes H^{j}(\text{Aut}(T);F(T))$ vers $\text{Ext}_{\mathbb{Q}[\text{Aut}(T)]}^{i}(F(T),G(T))\otimes H^{j}(\text{Aut}(T);F(T))$ induit par l’évaluation sur un groupe libre $T$ de rang assez grand et du produit de composition pour la cohomologie de $\text{Aut}(T)$ .
Corollaire 3.7. Soient $i$ et $j$ des entiers naturels et $h$ un élément non nul de $H_{st}^{1}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})\simeq \mathbb{Q}$ . Notons $\unicode[STIX]{x1D703}_{j}$ l’image de $h^{j}\in H_{st}^{j}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes j})$ dans $H_{st}^{j}(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}))$ par l’application induite par le morphisme induit par $\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes j}{\twoheadrightarrow}\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})$ . Alors l’application naturelle $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{i}(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}),F)\rightarrow H_{st}^{i+j}(F)$ (où $F$ est polynomial dans $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ ) du théorème 3.3 est, à un scalaire inversible (indépendant de $F$ ) près, le produit de composition $-\cup \unicode[STIX]{x1D703}_{j}$ .
Démonstration.
Pour des raisons formelles de comparaison de foncteurs cohomologiques, il existe des classes $\unicode[STIX]{x1D703}_{j}^{\prime }\in H_{st}^{j}(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}))$ telles que l’application soit égale à $-\cup \unicode[STIX]{x1D703}_{j}^{\prime }$ .
La proposition 3.5 se traduit par le fait que $(f\cup \unicode[STIX]{x1D703}_{j}^{\prime }).(g\cup \unicode[STIX]{x1D703}_{k}^{\prime })$ (pour $f\in \text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{i}(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}),F)$ et $g\in \text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{l}(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{k}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}),G)$ , avec $G$ polynomial), qui égale $(f.g)\cup (\unicode[STIX]{x1D703}_{j}^{\prime }.\unicode[STIX]{x1D703}_{k}^{\prime })$ au signe près, coïncide avec $(f.g)\cup (\unicode[STIX]{x1D708}_{\ast }^{j,k}\unicode[STIX]{x1D703}_{j+k}^{\prime })$ , où $\unicode[STIX]{x1D708}^{j,k}:\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j+k}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}){\hookrightarrow}\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})\otimes \unicode[STIX]{x1D6EC}^{k}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})$ est l’injection canonique, d’où $\unicode[STIX]{x1D708}_{\ast }^{j,k}\unicode[STIX]{x1D703}_{j+k}^{\prime }=\unicode[STIX]{x1D703}_{j}^{\prime }.\unicode[STIX]{x1D703}_{k}^{\prime }$ au signe près. Si $m^{j,k}:\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})\otimes \unicode[STIX]{x1D6EC}^{k}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}){\twoheadrightarrow}\unicode[STIX]{x1D6EC}^{j+k}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})$ est l’application canonique, $m^{j,k}\unicode[STIX]{x1D708}^{j,k}$ est l’identité à un scalaire non nul près, donc on en déduit que $\unicode[STIX]{x1D703}_{j+k}^{\prime }=m_{\ast }^{j,k}\unicode[STIX]{x1D703}_{j}^{\prime }.\unicode[STIX]{x1D703}_{k}^{\prime }$ à un scalaire non nul près. Comme $H_{st}^{1}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})$ est de dimension $1$ , $\unicode[STIX]{x1D703}_{j}^{\prime }$ et $\unicode[STIX]{x1D703}_{j}$ coïncident nécessairement à un scalaire non nul près pour $j=1$ ; la relation précédente permet d’en déduire le cas général.◻
Structures multiplicatives internes
Si $F$ est un foncteur de $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ muni d’une structure d’algèbre $F\otimes F\xrightarrow[{}]{\unicode[STIX]{x1D707}}F$ , on peut composer le produit externe $H_{\ast }^{st}(F)\otimes H_{\ast }^{st}(F)\rightarrow H_{\ast }^{st}(F\otimes F)$ avec le morphisme $H_{\ast }^{st}(F\otimes F)\rightarrow H_{\ast }^{st}(F)$ induit par $\unicode[STIX]{x1D707}$ pour obtenir une structure d’algèbre sur $H_{\ast }^{st}(F)$ .
De même, si $X$ est un foncteur de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ , toute structure d’algèbre $\unicode[STIX]{x1D707}:X\otimes X\rightarrow X$ sur $X$ induit une structure d’algèbre sur $H_{st}^{\ast }(X)$ en composant le produit externe $H_{st}^{\ast }(X)\otimes H_{st}^{\ast }(X)\rightarrow H_{st}^{\ast }(X\otimes X)$ avec $H_{st}^{\ast }(\unicode[STIX]{x1D707})$ . Celle-ci apparaîtra dans le théorème 4.2.
4 Calculs de cohomologie stable
Calculs rationnels
Nous retrouvons ici un résultat (théorème 1 de l’introduction) établi indépendamment par Randal-Williams [Reference Randal-WilliamsRan18, Corollary D].
Théorème 4.1 (Randal-Williams).
Soient $n$ , $r$ et $d$ des entiers tels que $r\geqslant 2(n+d)+3$ et $G$ un groupe libre de rang $r$ . Notons $H$ la représentation $G_{ab}\otimes \mathbb{Q}$ de $\text{Aut}(G)$ . Le $\mathbb{Q}$ -espace vectoriel $H^{n}(\text{Aut}(G);\unicode[STIX]{x1D6EC}^{d}(H))$ est nul si $n\neq d$ ; pour $n=d$ , sa dimension est le nombre de partitions de $d$ . Le $\mathbb{Q}$ -espace vectoriel $H^{n}(\text{Aut}(G);S^{d}(H))$ est nul sauf pour $n=d=0$ ou $1$ , auquel cas il est de dimension $1$ .
Démonstration.
Vespa a montré [Reference VespaVes18, Theorem 4.2] que le $\mathbb{Q}$ -espace vectoriel $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{r}(\!\unicode[STIX]{x1D6EC}^{s}(\!\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}),\unicode[STIX]{x1D6EC}^{d}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}))$ a pour dimension le nombre de partitions de l’entier $d$ en $s$ parts si $r=d-s$ et 0 sinon, tandis que $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{r}(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{s}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}),S^{d}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}))$ est de dimension $1$ si $d\in \{0,1\}$ et $r=d-s$ , et est nul dans tous les autres cas. On en déduit le résultat en appliquant le théorème 3.3.◻
On peut préciser la structure multiplicative :
Théorème 4.2. La cohomologie rationnelle stable des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients dans le foncteur gradué algèbre extérieure est une algèbre de polynômes en une infinité dénombrable d’indéterminées, bigraduée par le degré cohomologique et le degré interne de l’algèbre extérieure.
Plus précisément, si l’on note $\unicode[STIX]{x1D709}_{n}$ , pour $n\in \mathbb{N}^{\ast }$ , l’élément de bidegré $(n,n)$ de cette algèbre de cohomologie, image par l’isomorphisme du théorème 3.3 d’un générateur du $\mathbb{Q}$ -espace vectoriel de dimension $1$ $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{n-1}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}},\unicode[STIX]{x1D6EC}^{n}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}))$ , alors cette algèbre est une algèbre symétrique sur les $\unicode[STIX]{x1D709}_{n}$ .
Démonstration.
On applique la proposition 3.5 et la description de la structure multiplicative trigraduée sur $(\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{\ast }(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{s}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}),\unicode[STIX]{x1D6EC}^{d}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})))_{s,d}$ déduite de celle de $(\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{\ast }(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes s},\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes d}))_{s,d}$ , donnée par Vespa [Reference VespaVes18, Proposition 3.1 (2)], en prenant les coïnvariants sous l’action des groupes symétriques.◻
Il est sans doute possible de déterminer la structure multiplicative donnée par le théorème 4.2 à l’aide des méthodes topologiques de Randal-Williams [Reference Randal-WilliamsRan18], mais le résultat ne figure pas explicitement dans son travail.
Remarque 4.3. Dans [Reference KawazumiKaw06], Kawazumi introduit des classes de cohomologie $\bar{h}_{p}\in H_{st}^{p}(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{p}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}))$ ; il montre dans [Reference KawazumiKaw08] qu’elles sont algébriquement indépendantes dans l’algèbre bigraduée $H_{st}^{\ast }(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{\bullet }(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}))$ (c’est même vrai en restreignant la cohomologie des groupes d’automorphismes des groupes libres aux groupes de tresses). Cela fournit une deuxième démonstration du théorème 4.2 à partir du théorème 4.1, mais sans utiliser la proposition 3.5 ni la structure multiplicative sur $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{\ast }(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{\ast }(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}),\unicode[STIX]{x1D6EC}^{\ast }(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}))$ . De fait, le théorème 4.1 implique que les classes algébriquement indépendantes $\bar{h}_{p}$ engendrent l’algèbre $H_{st}^{\ast }(\unicode[STIX]{x1D6EC}_{\mathbb{Q}}^{\bullet }\mathfrak{a})$ par un simple comptage de dimension en chaque bidegré.
Proposition 4.4. Pour tout entier $n>0$ , il existe $\unicode[STIX]{x1D706}_{n}\in \mathbb{Q}^{\times }$ tel que $\bar{h}_{n}=\unicode[STIX]{x1D706}_{n}.\unicode[STIX]{x1D709}_{n}$ .
Démonstration.
Pour $n=1$ , cela résulte de ce que $\bar{h}_{1}$ et $\unicode[STIX]{x1D706}_{1}$ sont des classes non nulles dans $H_{st}^{1}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})\simeq \mathbb{Q}$ . Le cas général s’en déduit par un argument de produit comme suit. On dispose d’une application linéaire graduée
composée de l’application
obtenue par produit tensoriel pour $i=n-1,n-2,\ldots ,1$ des applications $\text{Ext}^{\ast }(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}},\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes 2})\rightarrow \text{Ext}^{\ast }(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes i},\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes i+1})$ induites par le foncteur exact $-\otimes \mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes i-1}$ et du produit de composition. Notant $a$ un générateur du $\mathbb{Q}$ -espace vectoriel $\text{Ext}^{1}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}},\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes 2})$ (qui est de dimension 1), l’application précédente envoie $a^{\otimes (n-1)}$ sur un générateur de l’espace vectoriel $\text{Ext}^{n-1}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}},\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes n})$ (qui est aussi de dimension $1$ ). Cela résulte de [Reference VespaVes18, proposition 3.1]. La classe $\unicode[STIX]{x1D709}_{n}$ s’obtient donc (à un scalaire non nul près) par application du morphisme canonique $\text{Ext}^{\ast }(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}},\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes n}){\twoheadrightarrow}\text{Ext}^{\ast }(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}},\unicode[STIX]{x1D6EC}^{n}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}))\rightarrow H_{st}^{\ast }(\unicode[STIX]{x1D6EC}^{n}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}))$ décrit par le corollaire 3.7 à $a^{\otimes (n-1)}$ , c’est-à-dire en évaluant cette classe sur un groupe libre de rang assez grand et en prenant le produit de composition par une classe non nulle de $H_{st}^{1}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}})$ .
La conclusion résulte donc de résultats de Kawazumi, à savoir [Reference KawazumiKaw06, Theorem 4.1] et [Reference KawazumiKaw06, § 2], dont la description explicite de la classe de cohomologie qui y est notée $[\unicode[STIX]{x1D70F}_{1}^{\unicode[STIX]{x1D703}}]$ montre qu’elle s’obtient (à un scalaire non nul près) par évaluation d’une classe non nulle de $\text{Ext}^{1}(\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}},\mathfrak{a}_{\mathbb{Q}}^{\otimes 2})\simeq \mathbb{Q}$ .◻
Puissances tensorielles de l’abélianisation
Notre deuxième application généralise sur les entiers un calcul cohomologique rationnel de Randal-Williams [Reference Randal-WilliamsRan18, Theorem A]. On suppose donc $\Bbbk =\mathbb{Z}$ dans ce paragraphe.
Commençons par une conséquence générale facile des résultats de la section 3. Si $X$ est un foncteur de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ , alors $H_{st}^{\ast }(X)$ est naturellement un module gradué sur l’anneau gradué $H_{st}^{\ast }(\mathbb{Z})\simeq H^{\ast }(\mathfrak{S}_{\infty };\mathbb{Z})$ . La deuxième assertion du théorème 3.3 se simplifie sous une hypothèse de projectivité adéquate :
Corollaire 4.5. Soit $X$ un foncteur polynomial de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ tel que, pour tout $n\in \mathbb{N}$ , le $\mathbb{Z}[\mathfrak{S}_{n}]$ -module $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{\ast }(\mathfrak{a}^{\otimes n},X)$ soit projectif. Alors le $H_{st}^{\ast }(\mathbb{Z})$ -module gradué $H_{st}^{\ast }(X)$ est libre et l’on dispose d’un isomorphisme
de $H_{st}^{\ast }(\mathbb{Z})$ -modules gradués.
Dans [Reference VespaVes18], Vespa établit (Theorem 2.3) un isomorphisme
et montre que $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{i}(\mathfrak{a}^{\otimes n},\mathfrak{a}^{\otimes d})$ est nul en degré $i\neq d-n$ ; elle identifie de plus (Proposition 2.5) l’action induite par le groupe symétrique $\mathfrak{S}_{n}$ sur le membre de gauche comme l’action tautologique sur le membre de droite (induite par la post-composition sur l’ensemble $\unicode[STIX]{x1D6FA}(\mathbf{d},\mathbf{n})$ ), à un signe (explicite) près. Comme $\unicode[STIX]{x1D6FA}(\mathbf{d},\mathbf{n})$ est un $\mathfrak{S}_{n}$ -ensemble libre, il s’ensuit que $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{d-n}(\mathfrak{a}^{\otimes n},\mathfrak{a}^{\otimes d})$ est un $\mathbb{Z}[\mathfrak{S}_{n}]$ -module libre, de sorte que le corollaire précédent fournit le théorème 2 de l’introduction, sous la forme plus précise suivante :
Théorème 4.6. Soit $d\in \mathbb{N}$ . Le $H_{st}^{\ast }(\mathbb{Z})$ -module gradué $H_{st}^{\ast }(\mathfrak{a}^{\otimes d})$ est libre sur des générateurs de degré $d$ en nombre égal à celui des partitions d’un ensemble à $d$ éléments.
Là encore, on peut préciser la structure multiplicative : en utilisant [Reference VespaVes18, Proposition 3.1 (2)], on obtient l’énoncé suivant, où l’on note $\text{Part}(E)$ l’ensemble des partitions d’un ensemble $E$ :
Théorème 4.7. Soient $i$ et $j$ des entiers naturels. Le diagramme suivant commute
où les flèches horizontales sont les isomorphismes donnés par le théorème 4.6, la flèche verticale de gauche est le produit externe et la flèche verticale de droite est induite par le produit de $H_{st}^{\ast }(\mathbb{Z})$ et la fonction $\text{Part}(\mathbf{i})\times \text{Part}(\mathbf{j})\rightarrow \text{Part}(\mathbf{i + j})$ induite par la réunion disjointe.
Un autre calcul sur $\mathbb{Z}$
Nous terminons cette partie en montrant comment déterminer, à partir de la cohomologie de groupes symétriques, la cohomologie stable des groupes d’automorphismes des groupes libres à coefficients dans certains foncteurs qui apparaissent naturellement dans l’étude de la filtration polynomiale de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ .
Soit $d\in \mathbb{N}$ . Notons, comme dans [Reference Djament, Pirashvili and VespaDPV16, page 217], $\unicode[STIX]{x1D6FD}_{d}$ le foncteur des modules sur $\mathbb{Z}[\mathfrak{S}_{d}]$ vers la sous-catégorie pleine de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ des foncteurs polynomiaux de degré au plus $d$ qui est adjoint à droite au foncteur $\text{cr}_{d}$ associant à un foncteur $F$ l’effet croisé (au sens d’Eilenberg and Mac Lane [Reference Eilenberg and Mac LaneEM54]) $cr_{d}(F)(\mathbb{Z},\ldots ,\mathbb{Z})$ . (Le lecteur prendra garde à ne pas confondre ce foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FD}_{d}$ , qui ne sera plus utilisé dans le reste de cet article, avec le foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FD}$ introduit dans la section 2.)
Lemme 4.8. Soient $i$ , $d$ et $n$ des entiers naturels et $M$ un $\mathbb{Z}[\mathfrak{S}_{d}]$ -module. Alors le groupe d’extensions $\text{Ext}_{\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}}^{i}(\mathfrak{a}^{\otimes n},\unicode[STIX]{x1D6FD}_{d}(M))$ est nul sauf si $i=0$ et $d=n$ , auquel cas il est naturellement isomorphe à $M$ , de manière $\mathfrak{S}_{d}$ -équivariante, où l’action sur $\text{Hom}(\mathfrak{a}^{\otimes d},\unicode[STIX]{x1D6FD}_{d}(M))$ est celle qu’induit la permutation des facteurs du produit tensoriel $\mathfrak{a}^{\otimes d}$ .
Démonstration.
L’annulation pour $n>d$ résulte de [Reference Djament, Pirashvili and VespaDPV16, corollaire 3.3 et proposition 3.5]. Pour $n\leqslant d$ , par [Reference Djament, Pirashvili and VespaDPV16, proposition 4.4], on dispose d’un isomorphisme naturel
Si $n<d$ , $\text{cr}_{\text{d}}(\mathfrak{a}^{\otimes n})$ est nul puisque $\mathfrak{a}^{\otimes n}$ est alors de degré strictement inférieur à $d$ . Si $n=d$ , alors $\text{cr}_{\text{d}}(\mathfrak{a}^{\otimes d})\simeq \mathbb{Z}[\mathfrak{S}_{d}]$ de manière $\mathfrak{S}_{d}$ -équivariante, d’où le lemme.◻
Ce lemme et le théorème 3.3 entraînent aussitôt :
Théorème 4.9. Soient $d$ et $n$ des entiers naturels et $M$ un $\mathbb{Z}[\mathfrak{S}_{d}]$ -module. Il existe un isomorphisme naturel en $M$ ,
où $\mathfrak{S}_{\infty }$ opère trivialement et l’indice $\unicode[STIX]{x1D716}$ indique que l’action initiale de $\mathfrak{S}_{d}$ sur $M$ est tordue par la signature.
Partie II. Homologie des foncteurs polynomiaux
5 Un critère d’annulation à la Scorichenko
Convention 5.1. Dans toute cette section, ${\mathcal{T}}$ désigne une petite catégorie possédant un objet nul et des coproduits finis, qu’on note $\ast$ .
L’outil crucial pour démontrer le théorème de comparaison homologique 2.3 est un critère d’annulation à la Scorichenko [Reference ScorichenkoSco00], analogue à celui utilisé dans [Reference DjamentDja12] pour établir un résultat de comparaison homologique similaire dans un contexte abélien. Pour cela, donnons quelques notations. Si $E$ est un ensemble fini et $I$ une partie de $E$ , notons $t_{E}$ l’endofoncteur de ${\mathcal{T}}\text{-}\mathbf{Mod}$ de précomposition par $a\mapsto a^{\ast E}$ et $u_{E}^{I}:t_{E}\rightarrow \text{Id}$ la transformation naturelle donnée par la précomposition par le morphisme naturel $a^{\ast E}\rightarrow a$ dont la composante $a\rightarrow a$ correspondant au facteur étiqueté par $e\in E$ est l’identité si $e\in I$ et $0$ sinon. Si $(E,e)$ est un ensemble fini pointé, on définit l’effet croisé $cr_{(E,e)}$ comme la transformation naturelle
Un foncteur $F$ de ${\mathcal{T}}\text{-}\mathbf{Mod}$ est polynomial de degré au plus $d$ si et seulement si $cr_{(E,e)}(F)=0$ , où $E$ est un ensemble de cardinal $d+2$ .
Définition 5.2.
(1) On note $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ la sous-catégorie de ${\mathcal{T}}$ image essentielle du foncteur canonique $\mathbf{S}_{c}({\mathcal{T}})^{\text{op}}\rightarrow {\mathcal{T}}$ . Autrement dit, $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ a les mêmes objets que ${\mathcal{T}}$ et un morphisme $v:H\rightarrow G$ de ${\mathcal{T}}$ appartient à $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ si et seulement s’il existe un objet $T$ de ${\mathcal{T}}$ et un isomorphisme $H\simeq G\ast T$ faisant commuter le diagramme
(2) Si $F$ et $G$ sont des foncteurs définis sur ${\mathcal{T}}$ , on dira qu’une collection de morphismes $F(a)\rightarrow G(a)$ définis pour $a\in \text{Ob}\,{\mathcal{T}}$ est faiblement naturelle si elle est naturelle relativement aux morphismes de $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ .
(3) Nous dirons que ${\mathcal{T}}$ vérifie l’hypothèse (H) si, pour tout objet $a$ de ${\mathcal{T}}$ , le morphisme de somme $a\,\ast \,a\rightarrow a$ appartient à $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ .
Ainsi, $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ est constituée d’épimorphismes scindés de ${\mathcal{T}}$ . L’indice $c$ de la notation sert à rappeler qu’on ne considère que les épimorphismes scindés possédant un complément pour le coproduit. Si ${\mathcal{T}}$ est additive et que ses idempotents se scindent, alors tout épimorphisme scindé de ${\mathcal{T}}$ appartient à $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ . Mais dans la catégorie $\mathbf{gr}$ , tout épimorphisme scindé n’appartient pas à $\mathbf{E}_{c}(\mathbf{gr})$ .
On rappelle qu’une structure de cogroupe sur un objet $a$ de ${\mathcal{T}}$ est la donnée d’un morphisme $c:a\rightarrow a\,\ast \,a$ coassociatif, dont la composée avec chacune des deux projections canoniques $a\,\ast \,a\rightarrow a$ est l’identité, pour lequel il existe une « coïnversion » $a\rightarrow a$ . Il revient au même de se donner une structure de groupe sur chaque ensemble ${\mathcal{T}}(a,x)$ naturellement en $x\in \text{Ob}\,{\mathcal{T}}$ . Le lemme élémentaire suivant montre comment construire des « ‘automorphismes triangulaires » à l’aide d’une structure de cogroupe.
Lemme 5.3. Si $c\in {\mathcal{T}}(a,a\,\ast \,a)$ est une structure de cogroupe sur un objet $a$ de ${\mathcal{T}}$ , alors, pour tout objet $x$ de ${\mathcal{T}}$ , la fonction $\unicode[STIX]{x1D711}:{\mathcal{T}}(a,x)\rightarrow {\mathcal{T}}(a\ast x,a\ast x)$
où $\unicode[STIX]{x1D70E}:x\ast x\rightarrow x$ désigne la somme, induit un morphisme de groupes ${\mathcal{T}}(a,x)\rightarrow \text{Aut}_{{\mathcal{T}}}(a\ast x)$ .
Démonstration.
Il suffit de vérifier que $\unicode[STIX]{x1D711}(f\,\Box \,g)=\unicode[STIX]{x1D711}(f)\circ \unicode[STIX]{x1D711}(g)$ , où $\Box$ est le produit sur ${\mathcal{T}}(a,x)$ induit par la structure de cogroupe sur $a$ – autrement dit,
Cela provient de ce que le diagramme
commute (le rectangle en haut à gauche commute par coassociativité de $c$ , celui en bas à droite par associativité de $\unicode[STIX]{x1D70E}$ , et les autres parties commutent par naturalité de $\ast$ ou par définition de $f\,\Box \,g$ ).◻
Proposition 5.4. Si tout objet de ${\mathcal{T}}$ possède une structure de cogroupe, alors ${\mathcal{T}}$ vérifie l’hypothèse $\text{(H)}$ .
Démonstration.
Si l’on se donne une structure de cogroupe sur un objet $a$ de ${\mathcal{T}}$ , l’image $f$ de $\text{Id}_{a}$ par le morphisme de groupes ${\mathcal{T}}(a,a)\rightarrow \text{Aut}_{{\mathcal{T}}}(a\,\ast \,a)$ fourni par le lemme précédent fait commuter le diagramme
où $\unicode[STIX]{x1D70E}$ est la somme et $p_{2}$ la deuxième projection, ce qui montre que $\unicode[STIX]{x1D70E}$ appartient à $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ , comme souhaité.◻
Comme tout groupe libre possède une structure de cogroupe, on en déduit :
Corollaire 5.5. La catégorie $\mathbf{gr}$ des groupes libres de rang fini vérifie l’hypothèse $\text{(H)}$ .
Remarque 5.6. En revanche, la petite catégorie avec objet nul et coproduits finis $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ des ensembles finis avec applications partiellement définies ne vérifie pas l’hypothèse (H). En effet, les morphismes de $\mathbf{E}_{c}(\unicode[STIX]{x1D6E4})$ sont ceux isomorphes à des flèches du type $E\sqcup E^{\prime }\rightarrow E$ (égale à l’identité sur $E$ et non définie sur $E^{\prime }$ ), ce qui n’est pas le cas de la codiagonale $E\sqcup E\rightarrow E$ (qui est partout définie) dès lors que l’ensemble fini $E$ est non vide.
Proposition 5.7. On suppose que ${\mathcal{T}}$ vérifie l’hypothèse $\text{(H)}$ .
Soient $T$ un foncteur de ${\mathcal{T}}\text{-}\mathbf{Mod}$ , $d\in \mathbb{N}$ et $(E,e)$ un ensemble pointé de cardinal $d+2$ . Supposons que la transformation naturelle $cr_{(E,e)}(T):t_{E}(T)\rightarrow T$ est un épimorphisme possédant un scindement faiblement naturel. Alors $\text{Tor}_{\ast }^{{\mathcal{T}}}(F,T)=0$ pour tout foncteur $F$ de $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{T}}$ polynomial de degré au plus $d$ .
Démonstration.
Le foncteur de coproduit itéré $\ast ^{E}:{\mathcal{T}}^{E}\rightarrow {\mathcal{T}}$ est adjoint à gauche au foncteur de diagonale itérée $\unicode[STIX]{x1D6FF}_{E}:{\mathcal{T}}\rightarrow {\mathcal{T}}^{E}$ . Par conséquent, on dispose d’un isomorphisme naturel de $\Bbbk$ -modules gradués
pour tous objets $F$ et $X$ de $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{T}}$ et ${\mathcal{T}}^{E}\text{-}\mathbf{Mod}$ respectivement. En particulier, comme $t_{E}$ est la précomposition par l’endofoncteur $\ast ^{E}\circ \unicode[STIX]{x1D6FF}_{E}$ de ${\mathcal{T}}$ , on a un isomorphisme naturel
pour $F$ dans $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{T}}$ et $Y$ dans ${\mathcal{T}}\text{-}\mathbf{Mod}$ . Il s’ensuit que, si $F$ est polynomial de degré au plus $d$ , le morphisme naturel $\text{Tor}_{\ast }^{{\mathcal{T}}}(F,t_{E}(Y))\rightarrow \text{Tor}_{\ast }^{{\mathcal{T}}}(F,Y)$ induit par $cr_{(E,e)}(Y)$ est nul pour tout $Y$ dans ${\mathcal{T}}\text{-}\mathbf{Mod}$ . En effet, via l’isomorphisme précédent, le morphisme induit par $cr_{(E,e)}(Y)$ est la composée de l’endomorphisme de $\text{Tor}_{\ast }^{{\mathcal{T}}^{E}}(F\circ \ast ^{E},Y\circ \ast ^{E})$ induit par l’endomorphisme $\sum _{e\in I\subset E}(-1)^{\text{Card}(I)-1}\unicode[STIX]{x1D702}_{E}^{I}$ de $F\circ \ast ^{E}$ (où $\unicode[STIX]{x1D702}_{E}^{I}$ est la précomposition par la transformation naturelle idempotente $\ast ^{E}\rightarrow \ast ^{E}$ dont la composante est l’identité sur les facteurs dans $I$ et $0$ sur les autres facteurs), endomorphisme qui est nul si $F$ est polynomial de degré au plus $d$ , et du morphisme induit par le foncteur $\ast ^{E}:{\mathcal{T}}^{E}\rightarrow {\mathcal{T}}$ .
Notons $U$ le noyau du morphisme $cr_{(E,e)}(T)$ , qui est un épimorphisme par hypothèse. Ce qui précède montre que la suite exacte longue pour $\text{Tor}_{\ast }^{{\mathcal{T}}}(F,-)$ associée à la suite exacte courte $0\rightarrow U\rightarrow t_{E}(T)\xrightarrow[{}]{cr_{(E,e)}(T)}T\rightarrow 0$ se réduit à des suites exactes courtes
ce qui établit déjà la nullité de $\text{Tor}_{0}^{{\mathcal{T}}}(F,T)$ . Pour démontrer le cas général par récurrence sur le degré homologique, il suffit de prouver que l’effet croisé $cr_{(E,e)}(U)$ est un épimorphisme faiblement scindé, ce qu’établit le lemme 5.8 ci-après.◻
Le lemme suivant constitue une généralisation directe dans le cadre non additif qui est le nôtre de [Reference DjamentDja12, § 2.1], qui reprend les résultats non publiés de Scorichenko [Reference ScorichenkoSco00].
Lemme 5.8. Sous les hypothèses de la proposition précédente :
(1) l’automorphisme $\unicode[STIX]{x1D709}$ du foncteur $t_{E}\circ t_{E}\simeq t_{E\times E}$ donné par l’échange des deux facteurs du produit cartésien $E\times E$ fait commuter le diagramme
(2) l’endofoncteur exact $t_{E}$ de ${\mathcal{T}}\text{-}\mathbf{Mod}$ induit un endofoncteur exact de $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})\text{-}\mathbf{Mod}$ : il existe un endofoncteur exact de $\tilde{t}_{E}$ de $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})\text{-}\mathbf{Mod}$ faisant commuter le diagramme
(3) le noyau $U$ de l’épimorphisme $cr_{(E,e)}(T)$ est tel que $cr_{(E,e)}(U)$ est un épimorphisme possédant un scindement faiblement naturel.
Démonstration.
La première assertion est une conséquence formelle directe de ce que le coproduit $\ast$ définit une structure monoïdale symétrique sur ${\mathcal{T}}$ .
Le fait que l’endofoncteur $a\mapsto a^{\ast E}$ de ${\mathcal{T}}$ induit un endofoncteur de $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ découle de ce que cette sous-catégorie de ${\mathcal{T}}$ est monoïdale, ce qui par précomposition fournit l’endofoncteur exact $\tilde{t}_{E}$ de $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})\text{-}\mathbf{Mod}$ . Le fait que les transformations naturelles $u_{E}^{I}:t_{E}\rightarrow \text{Id}$ (pour $I$ partie non vide de $E$ ) induisent des transformations naturelles $\tilde{t}_{E}\rightarrow \text{Id}$ provient de l’hypothèse (H), qui implique (en raisonnant par récurrence sur le cardinal de $I$ ) que les morphismes naturels $a^{\ast E}\rightarrow a$ de ${\mathcal{T}}$ dont les composantes $a\rightarrow a$ sont l’identité (pour au moins l’une d’entre elle) ou $0$ appartiennent à $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ .
Pour établir le dernier point, considérons une section faiblement naturelle de $t_{E}(T)$ : c’est un morphisme $s:\tilde{T}\rightarrow \tilde{t}_{E}(\tilde{T})$ de $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})\text{-}\mathbf{Mod}$ qui est une section de $cr_{(E,e)}(\tilde{T})$ , où $\tilde{T}$ désigne la restriction de $T$ à $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ . Le morphisme $s^{\prime }:\tilde{t}_{E}(\tilde{T})\rightarrow \tilde{t}_{E}(\tilde{t}_{E}(\tilde{T}))=(\tilde{t}_{E}\circ \tilde{t}_{E})(\tilde{T})$ composé de $\tilde{t}_{E}(s)$ et de l’automorphisme involutif $\tilde{\unicode[STIX]{x1D709}}$ induit par $\unicode[STIX]{x1D709}$ ( $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ et ${\mathcal{T}}$ ont les mêmes automorphismes) constitue une section de $cr_{(E,e)}(\tilde{t}_{E}(\tilde{T}))$ , en vertu du diagramme commutatif
dont la partie droite est induite par le premier point du lemme.
De surcroît, le diagramme
commute, parce que c’est le cas de
(la partie supérieure commute par naturalité de $cr_{(E,e)}$ , la partie inférieure par la première partie du lemme). Cela entraîne que $s^{\prime }$ induit une section $\tilde{U} \rightarrow \tilde{t}_{E}(\tilde{U} )$ du morphisme $cr_{(E,e)}(\tilde{U} )$ (où $\tilde{U}$ désigne la restriction de $U$ à $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ , qui n’est autre que le noyau de $cr_{(E,e)}(\tilde{T})$ ) et achève la démonstration.◻
6 Comparaison homologique des catégories $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ et $\mathbf{gr}^{\text{op}}$
Nous sommes maintenant en mesure d’établir le résultat suivant, dont le théorème 2.3 est un cas particulier, grâce au corollaire 5.5. On y fait usage des catégories $\mathbf{S}({\mathcal{T}})$ et $\mathbf{S}_{c}({\mathcal{T}})$ introduites dans la notation 2.2 (lorsque ${\mathcal{T}}$ est une catégorie monoïdale symétrique dont l’unité est objet nul) ; la structure monoïdale sur ${\mathcal{T}}$ induit une structure monoïdale symétrique sur $\mathbf{S}({\mathcal{T}})$ et $\mathbf{S}_{c}({\mathcal{T}})$ et les foncteurs canoniques reliant ces trois catégories (qui sont l’identité sur les objets) sont monoïdaux (au sens fort).
Théorème 6.1. Soit ${\mathcal{C}}$ une sous-catégorie monoïdale de $\mathbf{S}({\mathcal{T}})$ contenant $\mathbf{S}_{c}({\mathcal{T}})$ , où ${\mathcal{T}}$ est une petite catégorie possédant un objet nul et des coproduits finis et vérifiant l’hypothèse (H). Notons $\unicode[STIX]{x1D6FD}$ la restriction à ${\mathcal{C}}$ du foncteur canonique $\mathbf{S}({\mathcal{T}})\rightarrow {\mathcal{T}}^{\text{op}}$ . Si $F$ est un foncteur analytique de $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{T}}$ et $G$ un foncteur arbitraire de ${\mathcal{T}}\text{-}\mathbf{Mod}$ , alors le morphisme naturel
qu’induit le foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FD}$ est un isomorphisme.
Démonstration.
Posons $Y_{i}=\mathbf{L}_{i}(\unicode[STIX]{x1D6FD}_{!})(\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }G)$ pour $i>0$ et notons $Y_{0}$ le noyau de la coünité $\unicode[STIX]{x1D6FD}_{!}\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }G\rightarrow G$ . Comme $\unicode[STIX]{x1D6FD}$ est essentiellement surjectif, $\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }$ est fidèle, ce qui implique que cette coünité est surjective. Grâce à la proposition 1.1, il suffit de démontrer l’annulation $\text{Tor}_{\ast }^{{\mathcal{T}}}(F,Y_{i})=0$ pour tout $i\in \mathbb{N}$ et tout $F$ polynomial dans $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{T}}$ . Cette annulation se propage en effet au cas analytique par passage à la colimite. On va l’établir en utilisant la proposition 5.7 et le lemme ci-dessous.
Soit $(E,e)$ un ensemble fini pointé. Le morphisme
fourni par le lemme 6.2 est une section de l’effet croisé $cr_{(E,e)}(Y_{i})(a)$ grâce à la première propriété, qui montre que la composée $u_{E}^{I}(Y_{i})(a)\circ \unicode[STIX]{x1D709}_{a,a^{\ast E\setminus e}}$ est égale à l’identité pour $I=\{e\}$ et à $0$ lorsque $I\subset E$ contient strictement $\{e\}$ , et à l’hypothèse (H), qui montre que la deuxième composante du morphisme $a^{\ast E}\simeq a\,\ast \,a^{\ast (E\setminus \{e\})}\rightarrow a$ qui induit $u_{E}^{I}$ appartient alors à $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ . La seconde propriété du lemme montre que cette section possède la naturalité faible qui permet d’appliquer la proposition 5.7, ce qui achève la démonstration.◻
Lemme 6.2. Pour tout entier naturel $i$ et tous objets $a$ et $b$ de ${\mathcal{T}}$ , il existe une application linéaire $\unicode[STIX]{x1D709}_{a,b}:Y_{i}(a)\rightarrow Y_{i}(a\ast b)$ de sorte que les propriétés suivantes soient vérifiées.
(1) Soit $f:b\rightarrow a$ un morphisme de ${\mathcal{T}}$ et $\unicode[STIX]{x1D719}:a\ast b\rightarrow a$ le morphisme de composantes $\text{Id}_{a}$ et $f$ . Alors la composée
$$\begin{eqnarray}c(\unicode[STIX]{x1D719}):Y_{i}(a)\xrightarrow[{}]{\unicode[STIX]{x1D709}_{a,b}}Y_{i}(a\ast b)\xrightarrow[{}]{Y_{i}(\unicode[STIX]{x1D719})}Y_{i}(a)\end{eqnarray}$$est égale à l’identité si $f=0$ et à $0$ si $f$ appartient à la catégorie $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ .(2) Le morphisme $\unicode[STIX]{x1D709}_{a,b}$ est naturel en $a\in \text{Ob}\,{\mathcal{T}}$ et en $b\in \text{Ob}\,\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ .
Démonstration.
La construction repose sur le caractère (fortement) monoïdal du foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FD}$ (cf. [Reference DjamentDja12, § 2.3]). Celui-ci permet de considérer le foncteur $\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}$ de translation par $b$ (i.e. la précomposition par $-\ast b$ , qu’on peut considérer à la fois dans ${\mathcal{C}}$ et ${\mathcal{T}}$ ), qui constitue un endofoncteur de ${\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ , ${\mathcal{T}}\text{-}\mathbf{Mod}$ , $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}}$ ou $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{T}}$ , et ce naturellement en $b$ , et qui commute à isomorphisme naturel près à $\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }$ , en raison du caractère monoïdal de $\unicode[STIX]{x1D6FD}$ .
On définit, pour $i>0$ ,
(on fait usage de l’isomorphisme naturel (7) de la proposition 1.1) comme la composée suivante :
où la première flèche est induite par les morphismes obtenus en appliquant $\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }$ aux morphismes $u:G\rightarrow \unicode[STIX]{x1D70F}_{b}G$ provenant du morphisme $b\rightarrow 0$ de ${\mathcal{T}}$ et $v:P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}\rightarrow \unicode[STIX]{x1D70F}_{b}P_{a\ast b}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}$ induit par l’endofoncteur $-\ast b$ de ${\mathcal{T}}$ , et la deuxième flèche est la flèche induite en homologie par le foncteur $-\ast b:{\mathcal{C}}\rightarrow {\mathcal{C}}$ , comme rappelé en (2). Pour $i=0$ , on utilise la même construction, en constatant que ces flèches passent bien au noyau définissant $Y_{0}$ , en raison du diagramme commutatif
dont les flèches horizontales sont définies comme précédemment et les flèches verticales sont induites par le foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FD}:{\mathcal{C}}\rightarrow {\mathcal{T}}^{\text{op}}$ .
Pour démontrer la première propriété, on forme le diagramme commutatif
où les flèches verticales inférieures sont induites par le foncteur $-\ast b:{\mathcal{C}}\rightarrow {\mathcal{C}}$ . La ligne du milieu est induite par la composée $\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}\xrightarrow[{}]{v_{\ast }}\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a\ast b}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}\xrightarrow[{}]{\unicode[STIX]{x1D719}_{\ast }}\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}$ .
Pour $f=0$ , celle-ci est induite par la transformation naturelle $\text{Id}=\unicode[STIX]{x1D70F}_{0}\rightarrow \unicode[STIX]{x1D70F}_{b}$ (venant de ce que 0 est objet initial de ${\mathcal{C}}$ ). Le diagramme commutatif
dont la flèche horizontale (resp. oblique, verticale) est induite par cette transformation naturelle $\text{Id}\rightarrow \unicode[STIX]{x1D70F}_{b}$ (resp. par la version contravariante de cette transformation naturelle, par le foncteur $-\ast b:{\mathcal{C}}\rightarrow {\mathcal{C}}$ ) et le fait que la composée $\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }G\xrightarrow[{}]{u_{\ast }}\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }G\rightarrow \unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }G$ égale l’identité montrent que $c(\unicode[STIX]{x1D719})$ est, dans ce cas, l’identité, comme souhaité.
Pour $f\in \mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ , la composée $\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}\xrightarrow[{}]{v_{\ast }}\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a\ast b}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}\xrightarrow[{}]{\unicode[STIX]{x1D719}_{\ast }}\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}$ se factorise par $\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}P_{a}^{{\mathcal{C}}}$ . En effet, par hypothèse, $f$ est du type $b\simeq a\,\ast \,a^{\prime }{\twoheadrightarrow}a$ , notons $h$ le morphisme canonique $a{\hookrightarrow}a\,\ast \,a^{\prime }\simeq b$ . Si $g$ est un objet de ${\mathcal{C}}$ , on dispose d’une fonction naturelle en $g$ ,
dont la composée avec la fonction ${\mathcal{C}}(a,g\ast b)\rightarrow {\mathcal{T}}(\unicode[STIX]{x1D6FD}(g)\ast b,a)$ induite par le foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FD}:{\mathcal{C}}\rightarrow {\mathcal{T}}^{\text{op}}$ induit, après linéarisation, le morphisme $\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}\xrightarrow[{}]{v_{\ast }}\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a\ast b}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}\xrightarrow[{}]{\unicode[STIX]{x1D719}_{\ast }}\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}$ . La nullité de $c(\unicode[STIX]{x1D719})$ se déduit de cette factorisation, en l’utilisant pour former un diagramme commutatif
et en utilisant que $P_{a}^{{\mathcal{C}}}$ est projectif.
Montrons maintenant la deuxième assertion. La naturalité en $a$ de $\unicode[STIX]{x1D709}_{a,b}$ découle de ce que $a\mapsto P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}$ et $a\mapsto P_{a\ast b}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}$ définissent des foncteurs sur ${\mathcal{T}}$ . Celle en $b$ s’obtient comme suit. Soit $\unicode[STIX]{x1D712}:b\rightarrow b^{\prime }$ un morphisme de $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ . On dispose d’un diagramme commutatif
dont les flèches $P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}\rightarrow \unicode[STIX]{x1D70F}_{b}P_{a\ast b}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}$ et $P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}\rightarrow \unicode[STIX]{x1D70F}_{b^{\prime }}P_{a\ast b^{\prime }}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}}$ sont induites par les endofoncteurs respectifs $-\ast b$ et $-\ast b^{\prime }$ de ${\mathcal{T}}$ et les autres flèches sont induites par $\unicode[STIX]{x1D712}:b\rightarrow b^{\prime }$ . Comme $\unicode[STIX]{x1D712}$ appartient à $\mathbf{E}_{c}({\mathcal{T}})$ , qui est l’image essentielle du foncteur canonique $\mathbf{S}_{c}({\mathcal{T}})^{\text{op}}\rightarrow {\mathcal{T}}$ , ce morphisme est l’image par $\unicode[STIX]{x1D6FD}$ d’un morphisme $\unicode[STIX]{x1D70C}:b^{\prime }\rightarrow b$ de ${\mathcal{C}}$ .
Cela permet de former un diagramme commutatif
dans lequel la composée $\text{Tor}_{i}^{{\mathcal{C}}}(\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }G,\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}})\rightarrow \text{Tor}_{i}^{{\mathcal{C}}}(\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }G,\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a\ast b}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}})$ est $\unicode[STIX]{x1D709}_{a,b}$ et $\text{Tor}_{i}^{{\mathcal{C}}}(\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }G,\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}})\rightarrow \text{Tor}_{i}^{{\mathcal{C}}}(\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }G,\unicode[STIX]{x1D70F}_{b}\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }P_{a\ast b^{\prime }}^{{\mathcal{T}}^{\text{op}}})$ est $\unicode[STIX]{x1D709}_{a,b^{\prime }}$ ; le carré de droite est déduit de la transformation naturelle $-\ast \unicode[STIX]{x1D70C}:-\ast b^{\prime }\rightarrow -\ast b$ entre endofoncteurs de ${\mathcal{C}}$ et celui de gauche du carré commutatif ci-dessus, tandis que le triangle en haut à droite provient de ce que le morphisme canonique $G\rightarrow \unicode[STIX]{x1D70F}_{t}G$ est fonctoriel en l’objet $t$ de ${\mathcal{T}}$ . Cela montre la naturalité souhaitée.◻
L’énoncé suivant constitue une variante du théorème 6.1. Elle s’établit de la même façon, en utilisant la suite spectrale d’hypercohomologie (en Ext) induite par l’adjonction entre $\unicode[STIX]{x1D6FD}_{!}$ et $\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }$ plutôt que la suite spectrale d’hyperhomologie (en Tor) employée pour le théorème 6.1.
Corollaire 6.3. Sous les mêmes hypothèses, si $X$ et $Y$ sont des foncteurs de ${\mathcal{T}}\text{-}\mathbf{Mod}$ , avec $Y$ polynomial, alors le morphisme naturel
induit par $\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }$ est un isomorphisme.
7 Conjecture pour les coefficients bivariants
Nous allons maintenant énoncer une conjecture de pure homologie des foncteurs qui permettrait de généraliser à la fois les résultats principaux du présent article et ceux de [Reference Djament and VespaDV15].
Si ${\mathcal{C}}$ est une catégorie, on note $\mathbf{F}({\mathcal{C}})$ la catégorie des factorisations de Quillen [Reference QuillenQui73] associée à ${\mathcal{C}}$ : ses objets sont les flèches de ${\mathcal{C}}$ , et un morphisme dans $\mathbf{F}({\mathcal{C}})$ de $a\xrightarrow[{}]{u}b$ vers $c\xrightarrow[{}]{v}d$ dans $\mathbf{F}({\mathcal{C}})$ est un couple $(f,g)$ constitué de flèches $f\in {\mathcal{C}}(a,c)$ et $g\in {\mathcal{C}}(d,b)$ telles que le diagramme
de ${\mathcal{C}}$ commute ; la composition des morphismes dans $\mathbf{F}({\mathcal{C}})$ est induite par celle de ${\mathcal{C}}$ . On dispose d’un foncteur pleinement fidèle $\mathbf{S}({\mathcal{C}})\rightarrow \mathbf{F}({\mathcal{C}})$ associant à un objet de ${\mathcal{C}}$ l’identité de celui-ci et à une flèche $(f,g)\in \mathbf{S}({\mathcal{C}})(x,y)$ (c’est-à-dire des flèches $f:x\rightarrow y$ et $g:y\rightarrow x$ de ${\mathcal{C}}$ telles que $gf=\text{Id}_{x}$ ) le morphisme $(f,g)$ de $\text{Id}_{x}$ dans $\text{Id}_{y}$ . On a également des foncteurs canoniques $\mathbf{F}({\mathcal{C}})\rightarrow {\mathcal{C}}$ et $\mathbf{F}({\mathcal{C}})\rightarrow {\mathcal{C}}^{\text{op}}$ – et donc un foncteur canonique $\mathbf{F}({\mathcal{C}})\rightarrow {\mathcal{C}}^{\text{op}}\times {\mathcal{C}}$ – donnés sur les objets par la source et le but respectivement et associant à un morphisme sa première et deuxième composantes respectivement.
Notation 7.1. On désigne par $\unicode[STIX]{x1D708}:\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})\rightarrow \mathbf{F}(\mathbf{gr})$ la restriction à $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ du foncteur canonique $\mathbf{S}(\mathbf{gr})\rightarrow \mathbf{F}(\mathbf{gr})$ précédent.
Conjecture 7.2. Soient $F:\mathbf{gr}^{\text{op}}\times \mathbf{gr}\rightarrow \mathbf{Ab}$ un foncteur analytique et $G:\mathbf{gr}\rightarrow \mathbf{Ab}$ un foncteur arbitraire. Notons $X$ (resp. $Y$ ) la composée de $F$ (resp. $G$ ) avec le foncteur canonique $\mathbf{F}(\mathbf{gr})\rightarrow \mathbf{gr}^{\text{op}}\times \mathbf{gr}$ (resp. $\mathbf{F}(\mathbf{gr})^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{gr}$ ).
Alors l’application
qu’induit le foncteur $\unicode[STIX]{x1D708}$ (cf. (2)) est un isomorphisme.
Une catégorie du type $\mathbf{F}({\mathcal{C}})$ est beaucoup plus facile à étudier à partir de ${\mathcal{C}}$ du point de vue homologique que la catégorie $\mathbf{S}({\mathcal{C}})$ ou une variante comme $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ , car $\mathbf{F}({\mathcal{C}})$ s’identifie à la catégorie opposée de la catégorie d’éléments associée au foncteur $\text{Hom}_{{\mathcal{C}}}:{\mathcal{C}}^{\text{op}}\times {\mathcal{C}}\rightarrow \mathbf{Ens}$ . Par exemple, le cas où le bifoncteur $F$ est séparable (c’est-à-dire produit tensoriel extérieur d’un foncteur de $\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ et d’un foncteur de $\mathbf{gr}\text{-}\mathbf{Mod}$ ) se ramène à des groupes de torsion sur $\mathbf{gr}$ en vertu du lemme suivant.
Lemme 7.3. Soient ${\mathcal{C}}$ une petite catégorie, $A$ et $B$ des foncteurs de ${\mathcal{C}}\text{-}\mathbf{Mod}$ et $C$ un foncteur de $\mathbf{Mod}\text{-}{\mathcal{C}}$ . On suppose que les valeurs de $A$ et de $C$ sont des groupes abéliens sans torsion. Notons $X$ (resp. $Y$ ) la composée de $C\boxtimes B$ (resp. $A$ ) avec le foncteur canonique $\mathbf{F}({\mathcal{C}})\rightarrow {\mathcal{C}}^{\text{op}}\times {\mathcal{C}}$ (resp. $\mathbf{F}({\mathcal{C}})^{\text{op}}\rightarrow {\mathcal{C}}$ ).
On dispose d’un isomorphisme naturel
Démonstration.
L’observation précédente sur la description de $\mathbf{F}({\mathcal{C}})$ comme catégorie d’éléments et l’isomorphisme général d’adjonction (3) fournissent un isomorphisme naturel
Par ailleurs, si $t$ est un objet de ${\mathcal{C}}$ et $T$ un objet de $({\mathcal{C}}^{\text{op}}\times {\mathcal{C}})\text{-}\mathbf{Mod}$ , on dispose d’un isomorphisme naturel
(qui peut se déduire également de l’isomorphisme (3), appliqué cette fois à la catégorie d’éléments ${\mathcal{C}}_{{\mathcal{C}}(t,-)}$ ). Cela implique en particulier
ce qui, combiné à (9), est exactement l’isomorphisme souhaité pour $B=\mathbb{Z}[{\mathcal{C}}(t,-)]$ . Le cas général s’en déduit par des arguments formels de comparaison de foncteurs homologiques.◻
En combinant ce lemme au corollaire 2.8, on obtient :
Théorème 7.4. Supposons la conjecture 7.2 vérifiée. Soient $F$ et $G$ des foncteurs analytiques de $_{\mathbb{Q}}\mathbf{Mod}\text{-}\mathbf{gr}$ et $\mathbf{gr}\text{-}\,_{\mathbb{Q}}\mathbf{Mod}$ respectivement.
Pour tout $n\in \mathbb{N}$ , il existe un isomorphisme
naturel en $F$ et $G$ .
En toute rigueur, le membre de gauche de l’isomorphisme devrait être noté $H_{n}^{st}(\unicode[STIX]{x1D6FD}^{\ast }(F)\otimes \unicode[STIX]{x1D6FC}^{\ast }(G))$ .
En utilisant ce résultat et les travaux de Vespa [Reference VespaVes18], de manière analogue à ce qu’on a fait dans la section 4, on voit que la conjecture 7.2 permettrait de déterminer entièrement la (co)homologie de $\text{Aut}(T)$ , pour un groupe libre de rang fini assez grand $T$ , à coefficients dans $\text{Hom}(T_{ab}^{\otimes i},T_{ab}^{\otimes j})\otimes \mathbb{Q}$ , avec les actions des groupes symétriques $\mathfrak{S}_{i}$ et $\mathfrak{S}_{j}$ . Cela permettrait en particulier de clarifier le rôle des classes de cohomologiee $h_{p}$ de Kawazumi [Reference KawazumiKaw06, § 4], dont les classes $\bar{h}_{p}$ brièvement discutées dans la remarque 4.3 ne constituent qu’une version « réduite ».
Partie III. Homotopie des petites catégories
L’objectif de cette partie est d’établir le théorème 2.5. Les méthodes, assez largement indépendantes de celles utilisées dans les parties précédentes, sont de nature plus topologique, avec une coloration $K$ -théorique ; elles reposent sur l’étude du type d’homotopie de plusieurs petites catégories, domaine général inauguré par Quillen [Reference QuillenQui73]. De fait, pour déterminer le type d’homotopie des catégories $\text{C}(A)$ introduites dans la notation 2.4, nous devrons examiner celui de plusieurs catégories auxiliaires. Notre stratégie consiste à remplacer, à l’aide d’une construction de Grothendieck appropriée, les catégories $\text{C}(A)$ par d’autres catégories, plus maniables grâce à la machinerie de Segal [Reference SegalSeg74] associant un spectre à une catégorie monoïdale symétrique. Cela sera fait dans la section 9, dont le point de départ consiste à interpréter les objets de $\text{C}(A)$ comme des $A$ -groupes libres. La section 8, auto-suffisante, s’attache à des constructions homotopico-catégoriques sur les $A$ -groupes libres dont on se servira de façon cruciale à la fin de la section 9, où la catégorie $\mathfrak{D}_{A}(G)$ qu’on montre contractile dans la section 8 permettra de mener à bien l’argument de construction de Grothendieck susmentionné.
8 La catégorie contractile $\mathfrak{D}_{A}(G)$
Toute la partie III reposant sur l’étude homotopique de catégories liées à des $A$ -groupes libres ( $A$ étant un groupe fixé, qui sera libre de rang fini dans les cas qui nous intéressent), nous commençons par rappeler cette notion classique.
Notation 8.1. Soit $A$ un groupe. On note $\mathbf{Grp}_{A}$ la catégorie des groupes munis d’une action (à gauche) du groupe $A$ , les morphismes étant les morphismes de groupes $A$ -équivariants. Si $G$ est un objet de $\mathbf{Grp}_{A}$ , $g$ un élément de $G$ et $a$ un élément de $A$ , on notera $^{a}\!g$ l’action de $a$ sur $g$ .
On note ${\mathcal{L}}_{A}:\mathbf{Grp}\rightarrow \mathbf{Grp}_{A}$ l’adjoint à gauche au foncteur d’oubli, de sorte que ${\mathcal{L}}_{A}(G)$ est le groupe $G^{\ast A}$ avec l’action tautologique de $A$ . On notera $\star _{a\in A}\,\text{}^{a}G$ ce produit libre et $^{a}\!h$ l’image canonique d’un élément $h$ de $G$ dans le facteur correspondant à $a\in A$ (ce qui est cohérent avec la convention précédente). Un $A$ -groupe (i.e. un objet de $\mathbf{Grp}_{A}$ ) est dit $A$ -libre (ou simplement libre) s’il est isomorphe à ${\mathcal{L}}_{A}(G)$ pour un groupe libre $G$ ; il revient au même de demander qu’il appartienne à l’image essentielle de l’adjoint à gauche au foncteur d’oubli $\mathbf{Grp}_{A}\rightarrow \mathbf{Ens}$ .
On note $\mathbf{gr}_{A}$ la sous-catégorie pleine de $\mathbf{Grp}_{A}$ dont les objets sont les $A$ -groupes libresFootnote 3 de type fini ${\mathcal{L}}_{A}(\mathbb{Z}^{\ast n})$ (pour $n\in \mathbb{N}$ ).
Au paragraphe 8.1, nous établirons un énoncé sur les $A$ -groupes libres (qui revient essentiellement à donner des générateurs explicites de leurs groupes d’automorphismes, analogues à ceux de Nielsen pour les automorphismes des groupes libres) qui nous servira à montrer (§ 8.3) qu’une certaine petite catégorie $\mathfrak{D}_{A}(G)$ (introduite dans la notation 8.11) associée à un $A$ -groupe libre de type fini $G$ est contractile.
8.1 Transformations de Nielsen des $A$ -groupes libres
Définition 8.2. Soient $A$ un groupe et $G$ un $A$ -groupe. On note $\mathfrak{B}_{A}(G)$ l’ensemble des sous-groupes $H$ de $G$ tels que $G$ soit le produit libre (interne) des $^{a}\!H$ pour $a\in A$ (il revient au même de demander que le morphisme ${\mathcal{L}}_{A}(H)\rightarrow G$ de $\mathbf{Grp}_{A}$ adjoint à l’inclusion de groupes $H{\hookrightarrow}G$ soit un isomorphisme).
On appelle $A$ -base (ou simplement base) de $G$ toute partie génératrice libre d’un sous-groupe de $G$ appartenant à $\mathfrak{B}_{A}(G)$ . On note ${\mathcal{B}}_{A}(G)$ l’ensemble de ces bases, qui est donc non vide si et seulement si $G$ est $A$ -libre.
Un élément de $G$ est dit unimodulaire s’il appartient à une $A$ -base de $G$ .
(Cette dernière terminologie est inspirée de l’algèbre linéaire.)
On introduit maintenant une généralisation aux $A$ -groupes des opérations de réduction de Nielsen pour les groupes, que ce dernier utilisa dans [Reference NielsenNie18] pour montrer que le groupe des automorphismes d’un groupe libre de rang fini est engendré par les automorphimes élémentaires usuels (une bonne référence plus récente sur le sujet est [Reference Lyndon and SchuppLS77, ch. I, § 2]). Dans le cas où $A$ est le groupe trivial, tous les résultats de ce paragraphe sont très classiques ; il se peut qu’ils soient bien connus, dans toute leur généralité, des experts de la théorie combinatoire des groupes libres, mais l’auteur n’a trouvé aucune référence à ce sujet.
Définition 8.3. Une $A$ -transformation de Nielsen élémentaire d’une partie $E$ d’un $A$ -groupe $G$ est une opération consistant soit à transformer l’un des éléments de $E$ en son inverse (et laisser les autres éléments de $E$ inchangés), soit à transformer l’un des éléments $h$ de $E$ en $^{a}\!h$ , pour un $a\in A$ , soit à transformer l’un des éléments de $E$ en son produit (à gauche ou à droite) par un autre élément de $E$ .
Une $A$ -transformation de Nielsen est une suite finie de $A$ -transformations de Nielsen élémentaires.
Deux parties de $G$ sont dites équivalentes à la Nielsen s’il existe une $A$ -transformation de Nielsen envoyant l’une sur l’autre.
L’objectif de ce paragraphe consiste à établir le résultat suivant, dont un corollaire immédiat (qui possède un intérêt intrinsèque mais ne sera pas utile dans le présent travail) est la description de générateurs élémentaires explicites du groupe $\text{Aut}_{\mathbf{Grp}_{A}}(G)$ , lorsque $G$ est un $A$ -groupe libre ( $A$ étant un groupe quelconque) de type fini (i.e. possédant une $A$ -base finie).
Théorème 8.4. Soient $A$ un groupe et $G$ un $A$ -groupe libre de type fini. Toutes les $A$ -bases de $G$ sont équivalentes à la Nielsen.
Pour le voir, on adapte la méthode suivie par Hoare [Reference HoareHoa76], elle-même inspirée d’un travail beaucoup plus ancien de Petresco [Reference PetrescoPet56] et reposant sur le formalisme des fonctions longueurs introduit par Lyndon [Reference LyndonLyn63].
Fixons-nous un élément $\mathbf{e}=\{e_{1},\ldots ,e_{n}\}$ (où les $e_{i}$ sont deux à deux distincts) de ${\mathcal{B}}_{A}(G)$ et considérons la fonction longueur associée sur $G$ , notée $x\mapsto |x|$ (ou $|x|_{\mathbf{e}}$ lorsqu’une ambiguïté est possible), c’est-à-dire la fonction longueur sur le groupe libre $G$ provenant de sa « base » constituée des $^{a}\!e_{i}$ pour $a\in A$ et $i\in \{1,\ldots ,n\}$ . On note également $d(x,y)=\frac{1}{2}(|x|+|y|-|xy^{-1}|)$ pour $(x,y)\in G^{2}$ . Ces fonctions vérifient les propriétés suivantes.
- (C0)
$|.|$ et $d$ prennent leurs valeurs dans les entiers.
- (A0 $^{\prime }$ )
Pour $x\in G$ et $a\in A$ , on a $|x|<|x.\,^{a}\!x|$ , sauf si $x$ est de la forme $t.\,^{a}\!t^{-1}$ pour un $t\in G$ .
- (A1)
$|x|\geqslant 0$ pour tout $x\in G$ , et $|x|=0$ si et seulement si $x=1$ .
- (A2)
$|x^{-1}|=|x|$ .
- (A2 $^{\prime }$ )
Pour tous $x\in G$ et $a\in A$ , $|^{a}\!x|=|x|$ .
- (A $^{\prime }$ )
Pour $x\in G$ et $a\in A$ , si $a\neq 1$ , alors $|x.\,^{a}\!x^{-1}|=2|x|$ (ce qui équivaut à $d(x,\,^{a}\!x)=0$ compte-tenu de (A2 $^{\prime }$ )).
- (A3)
$d(x,y)\geqslant 0$ .
- (A4)
$d(x,y)<d(x,z)$ implique $d(y,z)=d(x,y)$ (souvent utilisé sous la forme : $d(x,y)\geqslant m$ et $d(y,z)\geqslant m$ impliquent $d(x,z)\geqslant m$ ).
- (A5 $^{\prime }$ )
Pour $(x,y)\in G^{2}$ et $a\in A$ tels que $d(x,y)+d(\text{}^{a}\!x^{-1},y^{-1})\geqslant |x|=|y|$ , il existe $(r,s)\in G^{2}$ tel que $x=rs$ et $y=\,^{a}\!r.s$ .
Les propriétés numérotées sans prime ne dépendent pas de l’action de $A$ et sont établies dans [Reference LyndonLyn63]. La propriété (A2 $^{\prime }$ ) est évidente ; montrons (A0 $^{\prime }$ ), (A $^{\prime }$ ) et (A5 $^{\prime }$ ).
(A0 $^{\prime }$ ) : Écrivons $x$ sous la forme d’un mot réduit
où $b_{i}\in \mathbf{e}\cup \mathbf{e}^{-1}$ et $^{\unicode[STIX]{x1D6FC}_{i}}\!b_{i}.\,^{\unicode[STIX]{x1D6FC}_{i+1}}\!b_{i+1}\neq 1$ . Alors $|x|=j$ , et $|x.\,^{a}\!x|=2(j-k)$ où $k$ est le plus grand entier tel que $^{\unicode[STIX]{x1D6FC}_{j-i+1}}\!b_{j-i+1}.\,^{a\unicode[STIX]{x1D6FC}_{i}}\!b_{i}=1$ pour $1\leqslant i\leqslant k$ . On en déduit que $x$ s’écrit (de façon unique) sous la forme d’un mot réduit $t.u.\,^{a}\!t^{-1}$ avec $|t|=k$ et $|u.\,^{a}\!u|=2|u|$ . On a $|x|=2|t|+|u|<2|t|+2|u|=|t.u.\,^{a}\!u.\,^{a^{2}}\!t^{-1}|=|x.\,^{a}\!x|$ , sauf si $u=1$ , i.e. $x=t.\,^{a}\!t^{-1}$ .
(A $^{\prime }$ ) : Dans l’écriture de $x$ sous forme de mot réduit, la première lettre de $^{a}\,x^{-1}$ est égale à $^{a}\!y^{-1}$ , où $y$ est la dernière lettre de $x$ . Comme $y.^{a}\!y^{-1}\neq 1$ (pour $a\neq 1$ ), il n’y a pas de simplification possible, d’où le résultat.
Une conséquence de (A $^{\prime }$ ) est la suivante.
Proposition 8.5. Soient $x\in G$ et $a\in A$ . Alors l’élément $x.\,^{a}\!x^{-1}$ de $G$ n’est jamais unimodulaire.
Démonstration.
Si $a=1$ , c’est évident (l’élément est le neutre). Sinon, par (A $^{\prime }$ ), $|x.\,^{a}\!x^{-1}|_{\mathbf{e}}\neq 1$ pour tout élément $\mathbf{e}$ de ${\mathcal{B}}_{A}(G)$ , ce qui interdit que $x$ soit un terme de $\mathbf{e}$ .◻
(A5 $^{\prime }$ ) : Écrivons $x=rs$ et $y=ts$ de sorte que les mots $rs$ , $ts$ et $rt^{-1}$ soient réduits – ainsi, $|s|=d(x,y)$ . On a $^{a}\!x^{-1}=\,^{a}\!s^{-1}.\,^{a}\!r^{-1}$ et $y^{-1}=s^{-1}t^{-1}$ ; ces écritures sont réduites et par hypothèse $d(\text{}^{a}\!x^{-1},y^{-1})\geqslant |x|-d(x,y)=|r|$ . Comme $|r|=|t|$ (car $|x|=|y|$ ), on en déduit $^{a}\!r^{-1}=t^{-1}$ , i.e. $t=\,^{a}\!r$ , d’où la conclusion.
Pour démontrer le théorème 8.4, utilisons la terminologie suivante, tirée de [Reference PetrescoPet56]. Tout d’abord, si $E$ est un sous-ensemble de $G$ , on note $\bar{E}$ l’ensemble des éléments de $G$ de la forme $^{a}\!x$ ou $^{a}\!x^{-1}$ pour un $x\in E$ et un $a\in A$ . Soit $\mathbf{e}$ un élément de ${\mathcal{B}}_{A}(G)$ . On dit qu’un sous-ensemble $E$ de $G$ est $\mathbf{e}$ -progressif (ou simplement progressif s’il n’y a pas d’ambiguïté sur $\mathbf{e}$ ) si pour toute suite finie non vide $(u_{0},\ldots ,u_{n})$ d’éléments de $\bar{E}$ , on a
dès lors que $u_{i-1}.u_{i}\neq 1$ pour tout $1\leqslant i\leqslant n$ . Si c’est le cas, sous la même hypothèse, on a aussi $|u_{0}.u_{1}\ldots u_{n}|\geqslant |u_{i}\ldots u_{j}|$ pour tous entiers $0\leqslant i\leqslant j\leqslant n$ .
Disons par ailleurs qu’un sous-ensemble de $G$ en est une $A$ -base partielle si c’est une partie d’une $A$ -base. Le théorème 8.4 se déduira aisément de la proposition suivante, qui adapte le Theorem de [Reference HoareHoa76].
Proposition 8.6. Soient $G$ un $A$ -groupe libre de type fini muni d’une $A$ -base, $X$ une $A$ -base partielle progressive de $G$ , $x^{\prime }$ un élément de $G$ tel que $|x^{\prime }|\geqslant |x|$ pour tout $x\in X$ et $X^{\prime }:=X\cup \{x^{\prime }\}$ . On suppose également que $X^{\prime }$ est encore une $A$ -base partielle de $G$ . Si $X^{\prime }$ n’est pas progressif, alors il existe une transformation de Nielsen de $X^{\prime }$ qui laisse invariant $X$ et réduit strictement la longueur de $x^{\prime }$ .
Démonstration.
Supposons que $X^{\prime }$ n’est pas progressif : il existe alors des éléments $b_{0},\ldots ,b_{n}$ de $\overline{X^{\prime }}$ tels que $|b_{0}b_{1}\ldots b_{n}|<|b_{1}\ldots b_{n}|$ . On peut supposer que $n$ est minimal parmi les entiers pour lesquels existe un tel phénomène. Pour $0\leqslant i\leqslant n$ , posons $c_{i}=b_{i+1}\ldots b_{n}$ (de sorte que $c_{n-1}=b_{n}$ et $c_{n}=1$ ). Comme dans la démonstration du Theorem de [Reference HoareHoa76], en appliquant son Lemma, on voit que $|c_{0}|=|c_{1}|=\cdots =|c_{n-1}|$ .
Comme $X$ est progressif, il existe $i$ tel que $b_{i}$ soit de la forme $^{a}\!x^{\prime }$ ou $^{a}\!x^{\prime -1}$ pour un $a\in A$ ; soit $i$ le plus petit tel entier. S’il existe au moins deux tels entiers, nous noterons $j$ le plus petit strictement supérieur à $i$ .
On va voir qu’il ne peut pas exister deux tels entiers. Cela permettra de conclure, car l’unicité de l’occurrence de $x^{\prime }$ dans le mot $w=b_{0}\ldots b_{n}$ montre qu’il existe une transformation de Nielsen qui laisse invariant $X$ et transforme $x^{\prime }$ en $w$ , qui est de longueur strictement inférieure à la longueur de $x$ (car $|w|<|c_{0}|$ par hypothèse, et $|c_{0}|=|c_{n-1}|=|b_{n}|$ , or $b_{n}$ appartient à $\overline{X^{\prime }}$ , donc est de longueur au plus égale à celle de $x^{\prime }$ ).
On cherche donc à établir une contradiction, en supposant que $i$ et $j$ existent. On va distinguer à cet effet plusieurs cas, en notant qu’on a soit $b_{j}=\,^{a}\!b_{i}$ pour un $a\in A$ , soit $b_{j}=\,^{a}\!b_{i}^{-1}$ . Mais on fait tout d’abord quelques remarques préliminaires.
Pour $1\leqslant k\leqslant n-1$ , on a
puisque $|b_{i}|=|x^{\prime }|\geqslant |b_{k}|$ pour tout $k$ par hypothèse. En utilisant (A4), on en déduit
On a également
Supposons d’abord $b_{j}=\,^{a}\!b_{i}$ ( $a\in A$ ) et $j\leqslant n-1$ . Par (11), on a $d(c_{j}^{-1},\text{}^{a}\!b_{i})=d(c_{j}^{-1},b_{j})=\frac{1}{2}|b_{j}|=\frac{1}{2}|b_{i}|$ et $d(\text{}^{a}\!c_{i}^{-1},\text{}^{a}\!b_{i})=d(c_{i}^{-1},b_{i})=\frac{1}{2}|b_{i}|$ , d’où par (A4) $d(\text{}^{a}\!c_{i}^{-1},c_{j}^{-1})\geqslant \frac{1}{2}|b_{i}|$ . Utilisant (10) pour $l=i$ et $k=j$ , on en déduit
Par (A5 $^{\prime }$ ), on en déduit qu’il existe $r\in G$ tel que $c_{i}c_{j}^{-1}=r.^{a}\!r^{-1}$ . Or $c_{i}c_{j}^{-1}=b_{i+1}\ldots b_{j}$ est unimodulaire, car $b_{j}$ est de la forme $^{\unicode[STIX]{x1D6FC}}\!x^{\prime }$ ou $^{\unicode[STIX]{x1D6FC}}\!x^{\prime -1}$ avec $\unicode[STIX]{x1D6FC}\in A$ , tandis que $b_{i+1},\ldots ,b_{j-1}$ appartiennent à $\bar{X}$ (par définition de $i$ et $j$ ), de sorte qu’il existe une transformation de Nielsen qui change $x^{\prime }$ en $c_{i}c_{j}^{-1}$ et laisse $X$ invariant ; comme par hypothèse $X^{\prime }$ est une $A$ -base partielle de $G$ , notion préservée par transformation de Nielsen, on voit que $c_{i}c_{j}^{-1}$ appartient à une $A$ -base partielle, i.e. est unimodulaire, de sorte que la proposition 8.5 fournit une contradiction.
Supposons maintenant $b_{j}=\,^{a}\!b_{i}$ ( $a\in A$ ) et $j=n$ . Comme $b_{n}=c_{n-1}$ , par (10) on a $d(c_{i},b_{n})\geqslant |c_{0}|-|b_{i}|/2=|c_{n-1}|-\frac{1}{2}|b_{n}|=\frac{1}{2}|b_{n}|$ . Par (11) on a d’autre part $d(\text{}^{a}c_{i}^{-1},b_{n})=d(\text{}^{a}c_{i}^{-1},^{a}b_{i})=d(c_{i}^{-1},b_{i})=\frac{1}{2}|b_{i}|=\frac{1}{2}|b_{n}|$ . Par (A4), on en tire $d(c_{i},^{a}\!c_{i}^{-1})\geqslant \frac{1}{2}|b_{n}|=\frac{1}{2}|c_{n-1}|=\frac{1}{2}|c_{i}|$ . Comme $d(c_{i},^{a}\!c_{i}^{-1})=|c_{i}|-\frac{1}{2}|c_{i}.^{a}\!c_{i}|$ , il vient $|c_{i}.^{a}\!c_{i}|\leqslant |c_{i}|$ puis, par (A0 $^{\prime }$ ) que $c_{i}$ est de la forme $t.^{a}\!t^{-1}$ , donc non unimodulaire (proposition 8.5). Comme $c_{i}=c_{i}c_{n}^{-1}$ , on en tire une contradiction comme précédemment.
Supposons enfin $b_{j}=\,^{a}\!b_{i}^{-1}$ ( $a\in A$ ). On a
(en effet, si $j<n$ , alors $|c_{j-1}|=|c_{j}|$ , et si $j=n$ , alors $|c_{n}|=0$ ). On a également $|b_{i}c_{i}|\leqslant |c_{i}|$ : pour $i>0$ , on a égalité car $b_{i}c_{i}=c_{i-1}$ (et $i<n$ ) ; pour $i=0$ , on a une inégalité stricte par l’hypothèse initiale. En conséquence, on a
Les deux inégalités qu’on a établies impliquent, par (A4) : $d(\text{}^{a}\!c_{i}^{-1}c_{j-1}^{-1})\geqslant \frac{1}{2}|b_{i}|$ . Si l’on suppose de plus $i<j-1$ , par (10), comme on a $d(c_{i},c_{j-1})\geqslant |c_{0}|-\frac{1}{2}|b_{i}|$ , il vient
On en déduit une contradiction par le même argument que plus haut.
Reste à exclure le cas $b_{j}=\,^{a}\!b_{i}^{-1}$ et $j=i+1$ . On a alors forcément $a\neq 1$ , car sinon on pourrait simplifier $b_{i}.b_{i+1}=1$ , contredisant la minimalité de $n$ . Par (A $^{\prime }$ ), $|b_{i}b_{i+1}|=2|b_{i}|$ , donc $d(b_{i}b_{i+1},b_{i+1})=\frac{1}{2}(2|b_{i}|+|b_{i+1}|-|b_{i}|)=|b_{i}|$ . Par ailleurs, si $i<n-1$ , alors $|b_{i}b_{i+1}c_{i+1}|\leqslant |c_{i+1}|$ (inégalité stricte si $i=0$ , égalité sinon, car $|c_{i-1}|=|c_{i+1}|$ pour $i+1<n$ ). Mais $i=n-1$ est exclu, car $|b_{i}.b_{i+1}|>|b_{i+1}|$ , ce qui contredit l’hypothèse si $n=1$ et l’égalité $|c_{n-1}|=|c_{n-2}|$ si $n\geqslant 2$ . De $|b_{i}b_{i+1}c_{i+1}|\leqslant |c_{i+1}|$ on tire $d(b_{i}b_{i+1},c_{i+1}^{-1})\geqslant \frac{1}{2}|b_{i}b_{i+1}|=|b_{i}|$ . Par (A4) (et l’égalité $d(b_{i}b_{i+1},b_{i+1})=|b_{i}|$ ), on en déduit $|b_{i}|\leqslant d(b_{i+1},c_{i+1}^{-1})=\frac{1}{2}(|b_{i+1}|+|c_{i+1}|-|b_{i+1}c_{i+1}|)=\frac{1}{2}(|b_{i}|+|c_{i+1}|-|c_{i}|)=\frac{1}{2}|b_{i}|$ puisque $i+1\leqslant n-1$ . C’est manifestement absurde ( $b_{i}\neq 1$ ), d’où la conclusion.◻
Démonstration du théorème 8.4.
Soit $\mathbf{e}$ une $A$ -base de $G$ . Appelons longueur de $\mathbf{e}$ la suite ordonnée des longueurs des éléments de $\mathbf{e}$ (avec ses éventuelles répétitions), classées par ordre croissant. Supposons que $\mathbf{e}$ n’est équivalente à la Nielsen à aucune $A$ -base progressive de $G$ . On peut supposer que, parmi ces bases, $\mathbf{e}$ est de longueur minimale, pour l’ordre lexicographique sur les suites finies d’entiers naturels. Si $\mathbf{e}=\{e_{1},\ldots ,e_{n}\}$ avec $|e_{1}|\leqslant \cdots \leqslant |e_{n}|$ , notons $i$ le plus grand entier naturel (éventuellement nul) tel que $\{e_{1},\ldots ,e_{i}\}$ soit progressive : on a par hypothèse $i<n$ . Appliquant la proposition 8.6, on voit que $\{e_{1},\ldots ,e_{i+1}\}$ est équivalente à la Nielsen à une suite $\{e_{1},\ldots ,e_{i},e_{i+1}^{\prime }\}$ où $|e_{i+1}^{\prime }|<|e_{i+1}|$ ; $\mathbf{e}$ est alors équivalente à la Nielsen à $\{e_{1},\ldots ,e_{i},e_{i+1}^{\prime },e_{i+2},\ldots ,e_{n}\}$ , ce qui contredit la minimalité de la longueur de $\mathbf{e}$ .
Il suffit donc, pour conclure, de voir qu’une base progressive est équivalente à la Nielsen à la base $\mathbf{b}$ fixée depuis le début sur $G$ (celle relativement à laquelle on prend la longueur). En effet, pour tout $i$ , $b_{i}$ , qui est de longueur 1, s’écrit comme un produit $x_{1}\ldots x_{t}$ d’éléments non triviaux de $\bar{\mathbf{e}}$ , puisque $\mathbf{e}$ est une $A$ -base de $G$ . Mais l’hypothèse de progressivité implique que chaque $x_{j}$ est de longueur 1, et aussi les $x_{j}x_{j+1}$ (on suppose le mot réduit). Mais $|x_{j}|=|x_{j+1}|=|x_{j}x_{j+1}|=1$ est impossible, donc $t=1$ et $b_{i}\in \bar{\mathbf{e}}$ pour tout $i$ , ce qui montre que notre base $\mathbf{e}$ est équivalente à $\mathbf{b}$ . ◻
8.2 Un critère abstrait de discrétion
Donnons d’abord une notation : si $E$ est un ensemble préordonné (qu’on voit aussi bien, comme d’habitude, comme une petite catégorie ou un ensemble simplicial via le foncteur nerf, ce qui permet de parler de son type d’homotopie) et $x$ un élément de $E$ , on note $[\!x,\rightarrow \![_{E}$ , ou simplement $[\!x,\rightarrow \![$ , l’ensemble $\{t\in E\mid x\leqslant t\}$ .
On commence par un lemme général, classique et élémentaire.
Lemme 8.7. Soit $E$ un ensemble préordonné. On suppose que tout élément de $E$ est supérieur ou égal à un élément minimal et que les deux conditions suivantes sont vérifiées :
(1) pour tout ensemble fini non vide $X$ d’éléments minimaux de $E$ , le sous-ensemble préordonné $\bigcap _{x\in X} [\!x,\rightarrow \![$ de $E$ est vide ou contractile ;
(2) pour tout ensemble fini non vide $X$ d’éléments minimaux de $E$ , si les intersections $[\!x,\rightarrow \![\cap [\!y,\rightarrow \![$ sont non vides pour tous éléments $x$ et $y$ de $X$ , alors $\bigcap _{x\in X} [\!x,\rightarrow \![$ est non vide.
Alors $E$ a un type d’homotopie discret.
Démonstration.
L’ensemble des parties $P$ de $E$ telles que $x\in P$ et $x\leqslant y$ implique $y\in P$ est stable par intersection et réunion, il contient les parties de la forme $[\!x,\rightarrow \![$ et la restriction du foncteur nerf à ces parties de $E$ commute aux réunions (elle commute aussi, toujours, aux intersections).
Par conséquent, l’hypothèse 1 montre que l’ensemble simplicial ${\mathcal{N}}(E)$ a le même type d’homotopie que le nerf du recouvement de $E$ par les $[\!x,\rightarrow \![$ pour $x$ minimal. La dernière hypothèse implique que chaque composante connexe de ce nerf est contractile, d’où le lemme.◻
Considérons maintenant la situation suivante : $A$ est un groupe, $X$ un ensemble muni d’une action (à gauche) de $A$ . On suppose données deux opérations sur les familles (finies ou non) d’éléments de $X$ :
(1) une opération (partout définie), notée $\bigwedge$ , compatible à l’action de $A$ , c’est-à-dire telle que
$$\begin{eqnarray}a.\Bigl(\underset{i\in I}{\bigwedge }x_{i}\Bigr)=\underset{i\in I}{\bigwedge }a.x_{i}\end{eqnarray}$$pour tout $a\in A$ et toute famille $(x_{i})_{i\in I}$ d’éléments de $X$ , envoyant une famille réduite à un élément sur cet élément et vérifiant la propriété d’associativité usuelle$$\begin{eqnarray}\underset{i\in I}{\bigwedge }x_{i}=\underset{J\in {\mathcal{J}}}{\bigwedge }\Bigl(\underset{j\in J}{\bigwedge }x_{j}\Bigr)\end{eqnarray}$$si l’ensemble $I$ est la réunion disjointe de l’ensemble ${\mathcal{J}}$ et de commutativité : si $\unicode[STIX]{x1D719}:I\rightarrow I$ est une bijection, alors $\bigwedge _{i\in I}x_{\unicode[STIX]{x1D719}(i)}=\bigwedge _{i\in I}x_{i}$ ;(2) une opération partiellement définie, appelée somme et notée $\sum$ , compatible à l’action de $A$ (c’est-à-dire que, si $(x_{i})_{i\in I}$ est une famille d’éléments de $X$ et $a$ un élément de $A$ , $\sum _{i\in I}a.x_{i}$ est défini si et seulement si $\sum _{i\in I}x_{i}$ l’est, auquel cas on a $\sum _{i\in I}a.x_{i}=a.(\sum _{i\in I}x_{i})$ ), associative et commutative (au même sens que précédemment, avec l’adaptation évidente liée au caractère partiellement défini de l’opération), telle que la somme de la famille réduite à un élément $x$ soit définie et égale à $x$ . On note 0 la somme de la famille vide.Footnote 4 On suppose également que $x+x$ n’est défini que si $x=0$ , et que la somme est régulière au sens où $x+y=x$ entraîne $y=0$ .
On suppose que nos deux opérations vérifient les propriétés de compatibilité suivantes.
(P0) si $(x_{i})_{i\in I}$ est une famille d’éléments de $X$ telle que $\sum _{i\in I}x_{i}$ est définie, alors, pour toute famille $(J_{t})_{t\in T}$ de parties de $I$ , on a
(P1) Si $x$ est un élément de $X$ et $(t_{i})_{i\in I}$ , $(u_{j})_{j\in J}$ sont des familles d’éléments de $X$ telles que $x=\sum _{i\in I}t_{i}=\sum _{j\in J}u_{j}$ , alors il y a équivalence entre :
(1) $x=\sum _{(i,j)\in I\times J}t_{i}\wedge u_{j}$ ;
(2) pour tout $i\in I$ , $t_{i}=\sum _{j\in J}t_{i}\wedge u_{j}$ ;
(3) pour tout $j\in J$ , $u_{j}=\sum _{i\in I}t_{i}\wedge u_{j}$ .
(Noter que (2) ou (3). implique automatiquement (1).)
(P2) Si $u$ , $v$ et $t_{i}$ ( $i\in I$ ) sont des éléments de $X$ tels que $\sum _{i\in I}t_{i}$ est définie, $u=\sum _{i\in I}u\wedge t_{i}$ et $v=\sum _{i\in I}v\wedge t_{i}$ , alors $u\wedge v=\sum _{i\in I}u\wedge v\wedge t_{i}$ .
On se fixe un élément $s$ de $X$ invariant par $A$ et on note ${\mathcal{B}}$ l’ensemble des $x\in X$ tels que $\sum _{a\in A}a.x=s$ . On fait enfin l’hypothèse de finitude suivante.
(PF) Si $\sum _{i\in I}x_{i}\in {\mathcal{B}}$ , alors $x_{i}=0$ sauf pour un nombre fini de $i\in I$ .
Définition 8.8. On appelle catégorie des décompositions associée aux données précédentes la catégorie, notée ${\mathcal{D}}$ , dont :
(1) les objets sont les familles finies $(x_{1},\ldots ,x_{n})$ (où $n\in \mathbb{N}$ est quelconque) d’éléments de $X\setminus \{0\}$ telles que $\sum _{1\leqslant i\leqslant n}x_{i}\in {\mathcal{B}}$ ;
(2) les morphismes $(x_{1},\ldots ,x_{n})\rightarrow (y_{1},\ldots ,y_{m})$ sont les couples $(\unicode[STIX]{x1D711};a_{1},\ldots ,a_{m})$ constitués d’une fonction surjective $\unicode[STIX]{x1D711}:\mathbf{m}\rightarrow \mathbf{n}$ et d’un élément $(a_{1},\ldots ,a_{m})$ de $A^{m}$ tels que
$$\begin{eqnarray}x_{i}=\underset{\unicode[STIX]{x1D711}(j)=i}{\sum }a_{j}.y_{j}\end{eqnarray}$$pour tout $i\in \mathbf{n}$ ;(3) la composition de
$$\begin{eqnarray}(x_{1},\ldots ,x_{n})\xrightarrow[{}]{(\unicode[STIX]{x1D711};a_{1},\ldots ,a_{m})}(y_{1},\ldots ,y_{m})\xrightarrow[{}]{(\unicode[STIX]{x1D713};b_{1},\ldots ,b_{l})}(z_{1},\ldots ,z_{l})\end{eqnarray}$$est le morphisme$$\begin{eqnarray}(\unicode[STIX]{x1D711}\circ \unicode[STIX]{x1D713},(a_{\unicode[STIX]{x1D713}(k)}b_{k})_{1\leqslant k\leqslant l}):(x_{1},\ldots ,x_{n})\rightarrow (z_{1},\ldots ,z_{l}).\end{eqnarray}$$
On dispose ainsi d’un foncteur canonique ${\mathcal{D}}^{\text{op}}\rightarrow \unicode[STIX]{x1D6FA}$ , qui sur les objets s’obtient par la longueur des familles finies.
Proposition 8.9. Si $s\neq 0$ , alors la catégorie ${\mathcal{D}}$ est un ensemble préordonné dont le type d’homotopie est discret.
Démonstration.
On commence par vérifier que ${\mathcal{D}}$ est un ensemble préordonné, c’est-à-dire qu’il y a au plus un morphisme entre deux de ses objets. Supposons en effet que $(\unicode[STIX]{x1D711};a_{1},\ldots ,a_{m})$ et $(\unicode[STIX]{x1D711}^{\prime };a_{1}^{\prime },\ldots ,a_{m}^{\prime })$ sont des éléments de ${\mathcal{D}}((x_{1},\ldots ,x_{n}),(y_{1},\ldots ,y_{m}))$ . Par définition de ${\mathcal{D}}$ et ${\mathcal{B}}$ , la somme $\sum _{{a\in A\atop i\in \mathbf{n}}}a.x_{i}$ est définie. Soit $j\in \mathbf{m}$ ; posons $i:=\unicode[STIX]{x1D711}(j)$ et $i^{\prime }:=\unicode[STIX]{x1D711}^{\prime }(j)$ . Si $i\neq i^{\prime }$ ou $a_{j}\neq a_{j}^{\prime }$ , la somme $x_{i}+a_{j}{a_{j}^{\prime }}^{-1}.x_{i^{\prime }}$ est définie. Cela implique, puisque $x_{i}$ (resp. $x_{i^{\prime }}$ ) est la somme de $a_{j}.y_{j}$ (resp. $a_{j}^{\prime }.y_{j}$ ) et d’autres termes, que $a_{j}.y_{j}+a_{j}.y_{j}$ , donc $y_{j}+y_{j}$ , est définie, donc, par hypothèse, que $y_{j}=0$ , ce qui contredit la définition des objets de ${\mathcal{D}}$ et établit que $\unicode[STIX]{x1D711}^{\prime }(j)=\unicode[STIX]{x1D711}(j)$ et $a_{j}=a_{j}^{\prime }$ pour tout $j$ .
Avant de terminer la démonstration, on donne un résultat intermédiaire qui nous permettra d’appliquer le lemme 8.7. ◻
Dans ce qui suit, on note de la même façon un élément de ${\mathcal{B}}$ et l’objet de ${\mathcal{D}}$ (qui est donc une famille à un objet) qu’il définit. Noter qu’on obtient ainsi exactement tous les élément minimaux de l’ensemble préordonné ${\mathcal{D}}$ .
Lemme 8.10. Soit $\mathfrak{X}$ une partie finie non vide de ${\mathcal{B}}$ . Les assertions suivantes sont équivalentes.
(1) Le sous-ensemble $\bigcap _{x\in \mathfrak{X}} [\!x,\rightarrow \![$ de ${\mathcal{D}}$ est non vide.
(2) Pour toute partie non vide $\mathfrak{X}^{\prime }$ de $\mathfrak{X}$ , on a $s=\sum \bigwedge _{x\in \mathfrak{X}^{\prime }}a(x).x$ , où la somme est prise sur toutes les fonctions $a:\mathfrak{X}^{\prime }\rightarrow A$ .
(3) Pour tous éléments $x$ et $y$ de $\mathfrak{X}$ , on a $y=\sum _{a\in A}y\wedge a.x$ .
De plus, lorsqu’elles sont vérifiées, il existe un élément $T$ de ${\mathcal{D}}$ tel que $\bigcap _{x\in \mathfrak{X}} [\!x,\rightarrow \![= [\!T,\rightarrow \![$ .
Démonstration.
Supposons (1) vérifié. Il suffit de montrer (2) pour $\mathfrak{X}^{\prime }=\mathfrak{X}$ , puisqu’on a a fortiori $\bigcap _{x\in \mathfrak{X}^{\prime }}[\!x,\rightarrow \![\neq \emptyset$ , ce qu’on suppose désormais.
Soit $Y=(y_{1},\ldots ,y_{n})$ un élément de l’intersection $\bigcap _{x\in \mathfrak{X}} [\!x,\rightarrow \! [_{{\mathcal{D}}}$ . Pour tout $x\in \mathfrak{X}$ , la relation $x\leqslant Y$ signifie qu’il existe des éléments $\unicode[STIX]{x1D6FC}_{i}(x)$ de $A$ tels que $x=\sum _{i\in \mathbf{n}}\unicode[STIX]{x1D6FC}_{i}(x).y_{i}$ . Comme la somme $\sum _{(i,a)\in \mathbf{n}\times A}a.y_{i}$ est définie, l’hypothèse (P0) appliquée aux parties $J_{x}^{a}(Y):=\{(i,a(x)\unicode[STIX]{x1D6FC}_{i}(x))\mid i\in \mathbf{n}\}$ (notées simplement $J_{x}^{a}$ s’il n’y a pas d’ambiguïté) de $\mathbf{n}\times A$ , pour $x\in \mathfrak{X}$ , où $a\in A^{\mathfrak{X}}$ , montre que
$\bigcap _{x\in \mathfrak{X}}J_{x}^{a}$ est constituée des $(i,c_{i})$ pour lesquels la fonction $\mathfrak{X}\rightarrow A,~x\mapsto a(x)\unicode[STIX]{x1D6FC}_{i}(x)$ est constante en $c_{i}$ . Étant donné un élément $(i,c_{i})$ de $\mathbf{n}\times A$ , il existe un et un seul élément $a$ de $A^{\mathfrak{X}}$ tel que $(i,c_{i})$ appartienne à $\bigcap _{x\in \mathfrak{X}}J_{x}^{a}$ , qui est donné par $a(x)=c_{i}\unicode[STIX]{x1D6FC}_{i}(x)^{-1}$ . On en déduit
de sorte que (1) implique (2).
Montrons également la dernière assertion : considérons un élément $T=(t_{1},\ldots ,t_{r})$ de longueur $r$ minimale dans $\bigcap _{x\in \mathfrak{X}} [\!x,\rightarrow \![_{{\mathcal{D}}}$ . Cela implique que $\bigcap _{x\in \mathfrak{X}}J_{x}^{a}(T)$ possède au plus un élément – si $(i,c_{i})$ et $(j,c_{j})$ appartiennent à cet ensemble, on a $\unicode[STIX]{x1D6FC}_{i}=\unicode[STIX]{x1D6FC}_{j}$ (avec les notations précédentes) : si $i\neq j$ , on peut alors remplacer $t_{i}$ et $t_{j}$ par $t_{i}+t_{j}$ dans $T$ pour obtenir une famille $T^{\prime }$ de longueur $n-1$ qui sera encore supérieure à tous les éléments de $x$ . Par conséquent, chaque terme $t_{i}$ de $T$ peut s’écrire sous la forme $\bigwedge _{x\in \mathfrak{X}}a(x).x$ pour un $a\in A^{\mathfrak{X}}$ . Si $Y=(y_{1},\ldots ,y_{n})$ est un élément de $\bigcap _{x\in \mathfrak{X}} [\!x,\rightarrow \![$ , ce qui précède donne des éléments $c_{j}$ de $A$ et des sous-ensembles $E_{i}$ , pour $i\in \mathbf{r}$ , de $\mathbf{n}$ tels que $t_{i}=\sum _{j\in E_{i}}c_{j}.y_{j}$ . Les $E_{i}$ forment nécessairement une partition de $\mathbf{n}$ : ils sont non vides car $t_{i}\neq 0$ , disjoints parce que la somme $\sum _{(i,a)\in \mathbf{r}\times A}a.t_{i}$ est définie (utiliser, comme dans le début de la démonstration de la proposition 8.9, le fait que $x+x$ n’est pas défini pour $x\neq 0$ ), et ils recouvrent $\mathbf{r}$ en raison de la relation
et de la régularité de la somme.
Montrons que (2) implique (3) : si l’on applique l’hypothèse (2) à $\mathfrak{X}^{\prime }=\{x,y\}$ , on obtient
de sorte que l’hypothèse (P1) donne la conclusion.
(3) $\Rightarrow$ (1) : L’application itérative de la propriété (P2) montre que, sous l’hypothèse (3), si $n\geqslant 1$ est un entier, $(x_{0},\ldots ,x_{n})$ une famille d’éléments de $\mathfrak{X}$ et $(a_{1},\ldots ,a_{n})$ une famille d’éléments de $A$ , on a
On en déduit également (encore par récurrence sur $n$ ) que
Fixons-nous un élément $y$ de $\mathfrak{X}$ et considérons la famille (ordonnée arbitrairement) des éléments non nuls de $X$ de la forme $\bigwedge _{x\in \mathfrak{X}}a(x).x$ , où $a$ parcourt l’ensemble des fonctions $\mathfrak{X}\rightarrow A$ telles que $a(y)=1$ . La somme de cette famille égale $y\in {\mathcal{B}}$ (par (12)), elle est donc finie grâce à l’hypothèse (PF), et définit un élément $T$ de ${\mathcal{D}}$ . La relation (12) montre également que, pour tout $t\in \mathfrak{X}$ , on a
d’où l’on déduit $x\leqslant T$ (dans ${\mathcal{D}}$ ). Ainsi $T$ appartient à $\bigcap _{x\in \mathfrak{X}} [\!x,\rightarrow \![$ , ce qui achève la démonstration.◻
Fin de la démonstration de la proposition 8.9.
Dans l’ensemble préordonné ${\mathcal{D}}$ , tout élément $(x_{1},\ldots ,x_{n})$ est supérieur à l’élément (de longueur 1) $x_{1}+\cdots +x_{n}$ , qui est minimal (en effet, on a supposé $s\neq 0$ ). La dernière assertion du lemme 8.10 montre que l’intersection d’une famille finie non vide de sous-ensembles de ${\mathcal{D}}$ du type $\bigcap _{x\in \mathfrak{X}} [\!x,\rightarrow \![$ , où les éléments de $\mathfrak{X}$ sont minimaux dans ${\mathcal{D}}$ , c’est-à-dire appartiennent à ${\mathcal{B}}$ , est vide ou contractile. L’équivalence (1) $\Leftrightarrow$ (3) de ce même lemme montre que la dernière condition du lemme 8.7 est satisfaite, de sorte que celui-ci donne la conclusion recherchée. ◻
8.3 Application : la catégorie $\mathfrak{D}_{A}(G)$ des décompositions d’un $A$ -groupe libre $G$
Soient $G$ un groupe et $X$ l’ensemble des sous-groupes de $G$ . On va appliquer les résultats du paragraphe 8.2 avec pour opération partiellement définie de « somme » le produit libre interne (noté $\star$ ), l’opération (partout définie) $\bigwedge$ étant l’intersection. Ces opérations sont bien associatives et commutatives ; le produit libre interne est une opération régulière ( $H\ast K=H$ implique $K=\{1\}$ , où $H$ et $K$ sont des sous-groupes de $G$ ) et le produit libre interne d’un sous-groupe $H$ de $G$ avec lui-même n’est défini que si $H$ est trivial.
Vérifions les propriétés (P0), (P1) et (P2).
(P0) : Soient $(H_{i})_{i\in I}$ une famille de sous-groupes de $G$ et $(J_{t})_{t\in T}$ une famille de parties de $I$ . On a toujours
l’inclusion inverse est vraie lorsque $\star _{i\in I}H_{i}$ est défini, comme on le voit en examinant l’unique écriture réduite dans cette décomposition en produit libre d’un élément du terme de droite.
(P1) : Si $(H_{i})_{i\in I}$ et $(K_{j})_{j\in J}$ sont des familles de sous-groupes de $G$ telles que
considérons la décomposition réduite dans le produit libre de droite d’un élément de $H_{t}$ , pour un $t\in I$ fixé. Cette décomposition ne fait intervenir que des éléments d’intersections de la forme $T_{t}\cap U_{j}$ car, quitte à regrouper certains termes (les termes consécutifs pour lesquels la valeur de l’indice $i$ est constante), elle fournit une décomposition de notre élément de $H_{t}$ dans le produit libre $\star _{i\in I}T_{i}$ , puisque $T_{i}\cap U_{j}\subset T_{i}$ . On a donc $T_{t}=\star _{j\in J}T_{t}\cap U_{j}$ comme souhaité.
(P2) : Si $H$ , $K$ et les $L_{i}$ sont des sous-groupes de $G$ tels que $\star _{i\in I}L_{i}$ est défini, la relation $H=\star _{i\in I}H\cap L_{i}$ signifie exactement que $H\subset \star _{i\in I}L_{i}$ et que, dans l’écriture réduite d’un élément de $H$ dans cette décomposition en produit libre, tous les termes appartiennent à $H$ . Si l’on fait la même hypothèse pour $K$ , on voit que, dans l’écriture réduite d’un élément de $H\cap K$ dans le produit libre $\star _{i\in I}L_{i}$ , tous les termes appartiennent à $H$ , et à $K$ , donc à $H\cap K$ comme souhaité.
Supposons maintenant que $G$ est muni d’une action d’un groupe $A$ : l’action induite sur l’ensemble $X$ des sous-groupes de $G$ est compatible aux opérations d’intersection et de produit libre interne. Si l’on prend pour $s\in X$ le sous-groupe $G$ de $G$ , cet élément est invariant par l’action de $A$ , et l’ensemble noté ${\mathcal{B}}$ dans le paragraphe précédent est exactement l’ensemble $\mathfrak{B}_{A}(G)$ introduit dans la définition 8.2. Si $G$ est de type fini comme $A$ -groupe, tous les éléments de cet ensemble sont de type fini, de sorte qu’un produit libre interne de sous-groupes de $G$ ne peut lui appartenir que s’ils sont tous triviaux, sauf un nombre fini d’entre eux : l’hypothèse (PF) est bien vérifiée.
Notation 8.11. Soient $A$ un groupe et $G$ un $A$ -groupe de type fini. On note $\mathfrak{D}_{A}(G)$ la catégorie des décompositions (notée ${\mathcal{D}}$ au paragraphe 8.2) associée aux données précédentes.
Théorème 8.12. Soient $A$ un groupe et $G$ un $A$ -groupe libre de type fini. La catégorie $\mathfrak{D}_{A}(G)$ est un ensemble préordonné dont le nerf est contractile.
Démonstration.
Le cas où $G$ est le $A$ -groupe trivial est immédiat, car $\mathfrak{D}_{A}(G)$ est alors réduite à la famille vide.
Si $G$ n’est pas trivial, d’après la proposition 8.9, il suffit de vérifier que $\mathfrak{D}_{A}(G)$ est connexe (cette catégorie est non vide puisque $G$ est $A$ -libre de type fini). Cela découle du théorème 8.4, car toute transformation de Nielsen entre deux éléments de $\mathfrak{B}_{A}(G)$ (dont on choisit des bases pour le produit libre) fournit un chemin entre eux dans $\mathfrak{D}_{A}(G)$ . Supposons en effet que deux éléments $H$ et $K$ de $\mathfrak{B}_{A}(G)$ sont reliés par une transformation de Nielsen élémentaire : cela signifie qu’il existe une base $(e_{1},\ldots ,e_{n})$ de $H$ , un indice $i\in \mathbf{n}$ et un élément $a$ de $A$ tels que $(e_{1},\ldots ,e_{i-1},\,^{a}\!e_{i},e_{i+1},\ldots ,e_{n})$ soit une base de $K$ (les transformations de Nielsen élémentaires sur une base de $H$ autres que l’application d’un élément de $A$ sur l’un d’entre eux ne changent pas le sous-groupe engendré, on peut donc les négliger). On a alors, dans $\mathfrak{D}_{A}(G)$ , $H\leqslant (T,U)$ et $K\leqslant (T,U)$ , où $T$ (resp. $U$ ) désigne le sous-groupe de $G$ engendré par les $e_{t}$ pour $t\neq i$ (resp. par $e_{i}$ ), d’où le théorème.◻
9 Type d’homotopie de la catégorie $\text{C}(A)$
9.1 La catégorie ${\mathcal{G}}_{A}$ et le foncteur faible ${\mathcal{G}}_{A}\rightarrow \mathbf{Cat}$
Le groupe $A$ étant (provisoirement) fixé, nous avons besoin d’une fonctorialité de l’association $G\mapsto \mathfrak{D}_{A}(G)$ . La catégorie usuelle des $A$ -groupes libres de rang fini $\mathbf{gr}_{A}$ n’est pas adaptée à cela ; nous en modifierons donc les flèches (de façon analogue à celle dont on obtient ${\mathcal{G}}$ à partir de $\mathbf{gr}$ ).
Notation 9.1. On désigne par ${\mathcal{G}}_{A}$ la catégorie ayant les mêmes objets que $\mathbf{gr}_{A}$ et dont les morphismes $G\rightarrow H$ sont les couples $(u,T)$ constitués d’un monomorphisme de $A$ -groupes $u:G\rightarrow H$ et d’un sous-groupe $T$ de $H$ (qu’on ne suppose pas stable par l’action de $A$ ) tel que $H$ soit le produit libre interne de l’image de $u$ et des $^{a}\!T$ pour $a\in A$ .
La composée $G\xrightarrow[{}]{(u,T)}H\xrightarrow[{}]{(v,S)}K$ est le couple constitué du monomorphisme $v\circ u:G\rightarrow K$ de $A$ -groupes et du sous-groupe $S\ast v(T)$ de $K$ .
On note d’abord qu’on dispose d’un foncteur $\mathfrak{B}_{A}:{\mathcal{G}}_{A}\rightarrow \mathbf{Ens}$ (donné sur les objets par la définition 8.2) dont l’effet sur les morphismes est le suivant. Si $(u,T):G\rightarrow H$ est un morphisme de ${\mathcal{G}}_{A}$ , $\mathfrak{B}_{A}(u,T)$ associe à un sous-groupe $K$ de $G$ appartenant à $\mathfrak{B}_{A}(G)$ le sous-groupe $u(K)\ast T$ de $H$ , qui appartient manifestement à $\mathfrak{B}_{A}(H)$ .
Si ${\mathcal{C}}$ est une catégorie, on rappelle qu’un foncteur faible (la terminologie anglaise usuelle est op-lax functor [Reference ThomasonTho79, § 3]) $F:{\mathcal{C}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ consiste en la donnée, pour tout objet $c$ de ${\mathcal{C}}$ , d’une petite catégorie $F(c)$ , d’un foncteur $F(\unicode[STIX]{x1D719}):F(c)\rightarrow F(d)$ pour tout $\unicode[STIX]{x1D719}\in {\mathcal{C}}(c,d)$ et de transformations naturelles $F(\text{Id}_{c})\Rightarrow \text{Id}_{F(c)}$ pour tout $c\in \text{Ob}\,{\mathcal{C}}$ et $F(\unicode[STIX]{x1D719}\circ \unicode[STIX]{x1D713})\Rightarrow F(\unicode[STIX]{x1D719})\circ F(\unicode[STIX]{x1D713})$ pour tout couple $(\unicode[STIX]{x1D719},\unicode[STIX]{x1D713})$ de flèches composables de ${\mathcal{C}}$ , assujettis à vérifier les conditions de cohérence usuelles (qu’on pourra trouver dans [Reference ThomasonTho79, 3.1.1]).
Proposition 9.2. $\mathfrak{D}_{A}:{\mathcal{G}}_{A}\rightarrow \mathbf{Cat}$ définit un foncteur faible.
Démonstration.
Soit $(u,T):G\rightarrow H$ un morphisme de ${\mathcal{G}}_{A}$ . Si $T$ est le groupe trivial (c’est-à-dire que $u$ , ou $(u,T)$ , est un isomorphisme), $\mathfrak{D}_{A}(u,T)$ associe à un objet $(K_{1},\ldots ,K_{n})$ de $\mathfrak{D}_{A}(G)$ l’objet $(u(K_{1}),\ldots ,u(K_{n}))$ de $\mathfrak{D}_{A}(H)$ et a l’effet évident sur les morphismes (qui restent inchangés). Lorsque $T$ est non trivial, $\mathfrak{D}_{A}(u,T)$ associe à $(K_{1},\ldots ,K_{n})\in \mathfrak{D}_{A}(G)$ l’objet $(u(K_{1}),\ldots ,u(K_{n}),T)$ de $\mathfrak{D}_{A}(H)$ . Si $(\unicode[STIX]{x1D711};a_{1},\ldots ,a_{m}):(K_{1},\ldots ,K_{n})\rightarrow (K_{1}^{\prime },\ldots ,K_{m}^{\prime })$ est un morphisme de $\mathfrak{D}_{A}(G)$ (on a donc $\unicode[STIX]{x1D711}\in \unicode[STIX]{x1D6FA}(\mathbf{m},\mathbf{n})$ et $a_{i}\in A$ pour tout $i\in \mathbf{m}$ ), $\mathfrak{D}_{A}(u,T)$ lui associe le morphisme $(\unicode[STIX]{x1D711}_{+};a_{1},\ldots ,a_{m},1):(u(K_{1}),\ldots ,u(K_{n}),T)\rightarrow (u(K_{1}^{\prime }),\ldots ,u(K_{m}^{\prime }),T)$ de $\mathfrak{D}_{A}(H)$ , où $\unicode[STIX]{x1D711}_{+}\in \unicode[STIX]{x1D6FA}(\mathbf{m + 1},\mathbf{n + 1})$ est la fonction coïncidant avec $\unicode[STIX]{x1D711}$ sur $\mathbf{m}$ et envoyant $m+1$ sur $n+1$ . La compatibilité de $\mathfrak{D}_{A}(u,T)$ à la composition (et aux identités) est automatique puisque les catégories $\mathfrak{D}_{A}(G)$ et $\mathfrak{D}_{A}(H)$ sont des ensembles préordonnés.
De plus, $\mathfrak{D}_{A}$ envoie les identités sur les identités, et l’on a $\mathfrak{D}_{A}(\text{v}\circ \text{u})\leqslant \mathfrak{D}_{A}(\text{v})\circ \mathfrak{D}_{A}(\text{u})$ lorsque u et v sont des flèches composables de ${\mathcal{G}}_{A}$ – avec égalité si et seulement si u ou v est un isomorphisme. En effet, si par exemple ni $\text{u}=(u,T)$ ni $\text{v}=(v,S)$ ne sont des isomorphismes, on a
tandis que
Cela montre que $\mathfrak{D}_{A}$ est bien un foncteur faible – comme $\mathfrak{D}_{A}$ prend ses valeurs dans les ensembles préordonnés, les conditions de cohérence sont automatiques.◻
9.2 Le foncteur $\unicode[STIX]{x1D705}:\text{C}(A)\rightarrow {\mathcal{G}}_{A}$
On rappelle que, lorsque $A$ est un groupe libre de type fini, $\text{C}(A)$ désigne la catégorie d’éléments ${\mathcal{G}}_{\unicode[STIX]{x1D6FE}^{\ast }\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})(A,-)}$ (cf. section 2).
Soit $\text{}\underline{G}:=(G,A\xrightarrow[{}]{i}G\xrightarrow[{}]{p}A)$ un objet de $\text{C}(A)$ , où $G$ est un objet de ${\mathcal{G}}$ et $i$ , $p$ sont des morphismes de groupes tels que $p\circ i=\text{Id}_{A}$ et qu’il existe un sous-groupe $T$ de $G$ et un diagramme commutatif
(où les flèches obliques sont l’inclusion et la projection canoniques). On note $\unicode[STIX]{x1D705}(\text{}\underline{G})$ le sous-groupe $\text{Ker}\,p$ de $G$ , qu’on munit de l’action de $A$ donnée par $^{a}\!x=i(a).x.i(a)^{-1}$ . Le diagramme commutatif précédent détermine un isomorphisme ${\mathcal{L}}_{A}(T)\simeq \unicode[STIX]{x1D705}(\text{}\underline{G})$ de $A$ -groupes (mais cet isomorphisme n’est pas canonique), de sorte que $\unicode[STIX]{x1D705}(\text{}\underline{G})$ est un $A$ -groupe libre de type fini.
Soit $(u,T):\text{}\underline{G}:=(G,A\xrightarrow[{}]{i}G\xrightarrow[{}]{p}A)\rightarrow \text{}\underline{H}:=(H,A\xrightarrow[{}]{j}H\xrightarrow[{}]{q}A)$ un morphisme de $\text{C}(A)$ . Autrement dit, $(u,T):G\rightarrow H$ est un morphisme de ${\mathcal{G}}$ tel que les diagrammes
et
commutent. Le monomorphisme de groupes $u:G\rightarrow H$ induit un monomorphisme de groupes $A$ -équivariant $\bar{u}:\unicode[STIX]{x1D705}(\text{}\underline{G})\rightarrow \unicode[STIX]{x1D705}(\text{}\underline{H})$ ; de plus, $\unicode[STIX]{x1D705}(\text{}\underline{H})$ est le produit libre interne de l’image de $\bar{u}$ et des $^{a}\!T=aTa^{-1}$ pour $a\in A$ . Ainsi, $(\bar{u},T)$ définit un morphisme $\unicode[STIX]{x1D705}(u,T):\unicode[STIX]{x1D705}(\text{}\underline{G})\rightarrow \unicode[STIX]{x1D705}(\text{}\underline{H})$ . On obtient de la sorte un foncteur $\unicode[STIX]{x1D705}:\text{C}(A)\rightarrow {\mathcal{G}}_{A}$ .
Par conséquent, grâce à la proposition 9.2, on dispose d’un foncteur faible $\unicode[STIX]{x1D705}^{\ast }\mathfrak{D}_{A}:\text{C}(A)\rightarrow \mathbf{Cat}$ .
9.3 Constructions de Grothendieck
Soient ${\mathcal{C}}$ une catégorie et $\unicode[STIX]{x1D6F7}:{\mathcal{C}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ un foncteur faible. On rappelle que la construction de Grothendieck ${\mathcal{C}}\int \unicode[STIX]{x1D6F7}$ est la catégorie dont les objets sont les couples $(c,x)$ constitués d’un objet $c$ de ${\mathcal{C}}$ et d’un objet $x$ de $\unicode[STIX]{x1D6F7}(x)$ , les morphismes $(c,x)\rightarrow (d,y)$ étant les couples constitués d’un morphisme $f:c\rightarrow d$ de ${\mathcal{C}}$ et d’un morphisme $u:\unicode[STIX]{x1D6F7}(f)(x)\rightarrow y$ de $\unicode[STIX]{x1D6F7}(d)$ , la composition étant définie de la façon usuelle [Reference ThomasonTho79, 3.1.2]. Si $\unicode[STIX]{x1D6F9}:{\mathcal{C}}^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ est un foncteur faible, on notera $\unicode[STIX]{x1D6F9}\int {\mathcal{C}}$ la catégorie $({\mathcal{C}}^{\text{op}}\int \unicode[STIX]{x1D6F9})^{\text{op}}$ .
On définit de manière évidente la catégorie $\unicode[STIX]{x1D6F9}\int {\mathcal{C}}\int \unicode[STIX]{x1D6F7}$ , lorsque $\unicode[STIX]{x1D6F7}:{\mathcal{C}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ et $\unicode[STIX]{x1D6F9}:{\mathcal{C}}^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ sont des foncteurs faibles, catégorie dont les objets sont les triplets $(c,x,t)$ constitués d’un objet $c$ de ${\mathcal{C}}$ , d’un objet $x$ de $\unicode[STIX]{x1D6F7}(c)$ et d’un objet $t$ de $\unicode[STIX]{x1D6F9}(x)$ , qu’on peut voir indifféremment comme $\unicode[STIX]{x1D6F9}\int ({\mathcal{C}}\int \unicode[STIX]{x1D6F7})$ (avec l’abus consistant à noter encore $\unicode[STIX]{x1D6F9}$ la composée de ce foncteur avec le foncteur canonique ${\mathcal{C}}\int \unicode[STIX]{x1D6F7}\rightarrow {\mathcal{C}}$ ) ou comme $(\unicode[STIX]{x1D6F9}\int {\mathcal{C}})\int \unicode[STIX]{x1D6F7}$ (avec un abus similaire pour $\unicode[STIX]{x1D6F7}$ ).
Si ${\mathcal{T}}$ est une petite catégorie, on dispose d’un foncteur (strict) $\mathbf{ens}^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ associant à l’ensemble $E$ la catégorie ${\mathcal{T}}^{E}:=\mathbf{Fct}(E,{\mathcal{T}})$ (où $E$ est vu comme une catégorie discrète). Si ${\mathcal{T}}$ est munie d’un objet $t$ , on a même un foncteurFootnote 5 $\unicode[STIX]{x1D6E4}^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ associant à l’ensemble $E$ la catégorie ${\mathcal{T}}^{E}$ : si $f:X\rightarrow Y$ est une fonction partiellement définie, le foncteur ${\mathcal{T}}^{Y}\rightarrow {\mathcal{T}}^{X}$ envoie $(c_{y})_{y\in Y}$ sur la famille $(c_{x}^{\prime })_{x\in X}$ où $c_{x}^{\prime }=c_{f(x)}$ si $x\in \text{Def}(f)$ et $c_{x}^{\prime }=t$ sinon, avec l’effet évident sur les morphismes. On notera $\unicode[STIX]{x1D702}({\mathcal{T}},t):\unicode[STIX]{x1D6F1}^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ , ou simplement $\unicode[STIX]{x1D702}({\mathcal{T}})$ si le choix de $t$ est clair, la restriction à $\unicode[STIX]{x1D6F1}^{\text{op}}$ du foncteur précédent. Les cas qui nous intéresseront seront ceux où ${\mathcal{T}}$ est un groupe (vu comme catégorie à un objet) ou un ensemble (vu comme catégorie discrète) pointé.
Si $({\mathcal{C}},+,0)$ est une petite catégorie monoïdale symétrique, on dispose d’un foncteur faible $\unicode[STIX]{x1D6E4}\rightarrow \mathbf{Cat}$ associant à un ensemble fini $X$ la catégorie ${\mathcal{C}}^{X}$ et à un morphisme $f:X\rightarrow Y$ de $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ le foncteur ${\mathcal{C}}^{X}\rightarrow {\mathcal{C}}^{Y}$ dont la composante ${\mathcal{C}}^{X}\rightarrow {\mathcal{C}}$ indicée par $y\in Y$ est donnée par la composée du foncteur de projection ${\mathcal{C}}^{X}{\twoheadrightarrow}{\mathcal{C}}^{f^{-1}(y)}$ et du foncteur ${\mathcal{C}}^{f^{-1}(y)}\rightarrow {\mathcal{C}}$ obtenu par la somme (au sens de la structure monoïdale $+$ ) itérée (c’est la définition 4.1.2 de Thomason [Reference ThomasonTho79]). Si $({\mathcal{C}},+)$ est une catégorie monoïdale symétrique sans unité, on dispose d’une variante du foncteur précédent, notée $\unicode[STIX]{x1D700}({\mathcal{C}},+)$ , définie de la même façon, mais seulement sur $\unicode[STIX]{x1D6F1}$ . Autrement dit, ce foncteur associe ${\mathcal{C}}^{X}$ à $X$ , et à la surjection partiellement définie $f:X\rightarrow Y$ le foncteur donné (sur les objets) par
Notation 9.3. Dans ce qui suit, $gr$ désigne le groupoïde sous-jacent à $\mathbf{gr}$ et $gr^{\prime }$ désigne la sous-catégorie pleine de $gr$ des groupes libres de rang fini strictement positif. Munie du produit libre, c’est donc une catégorie monoïdale symétrique sans unité.
La vérification de la propriété suivante, qui est un jeu formel d’écriture entre produits libres internes et externes, est immédiate.
Proposition 9.4. Soit $A$ un groupe libre de rang fini. Il existe une équivalence de catégories
Plus précisément, les deux foncteurs définis ci-après sont des équivalences quasi-inverses l’une de l’autre.
– Le foncteur $\text{C}(A)\int \unicode[STIX]{x1D705}^{\ast }\mathfrak{D}_{A}\rightarrow \unicode[STIX]{x1D700}(gr^{\prime },\ast )\int \unicode[STIX]{x1D6F1}^{\text{op}}\int \unicode[STIX]{x1D702}(A)$ associe à un objet $(\text{}\underline{G},H_{1},\ldots ,H_{r})$ l’objet $(\mathbf{r},H_{1},\ldots ,H_{r})$ .
– Si $(u,T):\text{}\underline{G}\rightarrow \text{}\underline{G}^{\prime }$ est un morphisme de $\text{C}(A)$ et
$$\begin{eqnarray}\displaystyle & (\unicode[STIX]{x1D711};a_{1},\ldots ,a_{s}):(H_{1},\ldots ,H_{r},T)\rightarrow (K_{1},\ldots ,K_{s})\quad (\text{pour}~T\neq \{1\}) & \displaystyle \nonumber\\ \displaystyle & \text{ou}\quad (\unicode[STIX]{x1D711};a_{1},\ldots ,a_{s}):(H_{1},\ldots ,H_{r})\rightarrow (K_{1},\ldots ,K_{s})\quad (\text{pour}~T=\{1\}) & \displaystyle \nonumber\end{eqnarray}$$un morphisme de $\mathfrak{D}_{A}(\unicode[STIX]{x1D705}(\text{}\underline{G}^{\prime }))$ , où $\unicode[STIX]{x1D711}:\mathbf{s}\rightarrow \mathbf{r}+\mathbf{1}$ (ou $\unicode[STIX]{x1D711}:\mathbf{s}\rightarrow \mathbf{r}$ si $T=\{1\}$ ) est un morphisme de $\unicode[STIX]{x1D6FA}$ et les $a_{j}$ sont des éléments de $A$ , de sorte que $u(H_{i})=\star _{\unicode[STIX]{x1D711}(j)=i}\,\text{}^{a_{j}}\!K_{j}$ , et $T=\star _{\unicode[STIX]{x1D711}(j)=r+1}\,\text{}^{a_{j}}\!K_{j}$ si $T\neq \{1\}$ , le morphisme $(\mathbf{s},K_{1},\ldots ,K_{s})\rightarrow (\mathbf{r},H_{1},\ldots ,H_{r})$ associé de $\unicode[STIX]{x1D700}(gr^{\prime },\ast )\int \unicode[STIX]{x1D6F1}^{\text{op}}\int \unicode[STIX]{x1D702}(A)$ est donné par le morphisme $\mathbf{s}\rightarrow \mathbf{r}$ de $\unicode[STIX]{x1D6F1}$ défini sur le complémentaire de la préimage de $r+1$ par $\unicode[STIX]{x1D711}$ et coïncidant dessus avec $\unicode[STIX]{x1D711}$ (pour $T\neq \{1\}$ ; c’est simplement $\unicode[STIX]{x1D711}$ si $T=\{1\}$ ), la famille $(a_{j})_{1\leqslant j\leqslant s}$ d’éléments de $A$ et la collection d’isomorphismes$$\begin{eqnarray}H_{i}\simeq u(H_{i})=\underset{\unicode[STIX]{x1D711}(j)=i}{\star }\,\text{}^{a_{j}}\!K_{j}\simeq \underset{\unicode[STIX]{x1D711}(j)=i}{\star }K_{j}\end{eqnarray}$$(le premier produit libre est interne, le second externe) et, si $T\neq \{1\}$ ,$$\begin{eqnarray}T=\underset{\unicode[STIX]{x1D711}(j)=r+1}{\star }\,\text{}^{a_{j}}\!K_{j}\simeq \underset{\unicode[STIX]{x1D711}(j)=r+1}{\star }K_{j}.\end{eqnarray}$$– Le foncteur $\unicode[STIX]{x1D700}(gr^{\prime },\ast )\int \unicode[STIX]{x1D6F1}^{\text{op}}\int \unicode[STIX]{x1D702}(A)\rightarrow \text{C}(A)\int \unicode[STIX]{x1D705}^{\ast }\mathfrak{D}_{A}$ associe à un objet $(H_{1},\ldots ,H_{n})$ (où les $H_{i}$ sont des groupes libres de rangs finis non nuls) l’objet $\text{}\underline{G}=(G,A\rightarrow A\ast G\rightarrow A)$ (avec les morphismes canoniques) de $\text{C}(A)$ , où $G$ est le produit libre des $H_{i}$ , muni de la famille de sous-groupes $(H_{1},\ldots ,H_{n})$ (qui appartient à $\mathfrak{D}_{A}(\unicode[STIX]{x1D705}(\text{}\underline{G}))\simeq \mathfrak{D}_{A}({\mathcal{L}}_{A}(G))$ ).
– À un morphisme $(\unicode[STIX]{x1D711};a_{1},\ldots ,a_{m};\unicode[STIX]{x1D713}_{1},\ldots ,\unicode[STIX]{x1D713}_{n}):(H_{1},\ldots ,H_{n})\rightarrow (K_{1},\ldots ,K_{m})$ de $\unicode[STIX]{x1D700}(gr^{\prime },\ast )\int \unicode[STIX]{x1D6F1}^{\text{op}}\int \unicode[STIX]{x1D702}(A)$ , où $\unicode[STIX]{x1D711}:\mathbf{m}\rightarrow \mathbf{n}$ est un morphisme de $\unicode[STIX]{x1D6F1}$ , les $a_{j}$ sont des éléments de $A$ et les $\unicode[STIX]{x1D713}_{i}$ des isomorphismes de groupes $H_{i}\simeq \star _{\unicode[STIX]{x1D711}(j)=i}K_{j}$ , on associe le morphisme
$$\begin{eqnarray}(\underset{i\in \mathbf{n}}{\star }H_{i},A\rightarrow A\ast \underset{i\in \mathbf{n}}{\star }H_{i}\rightarrow A,(H_{i}))\rightarrow (\underset{j\in \mathbf{m}}{\star }K_{j},A\rightarrow A\ast \underset{j\in \mathbf{m}}{\star }K_{j}\rightarrow A,(K_{j}))\end{eqnarray}$$de $\text{C}(A)\int \unicode[STIX]{x1D705}^{\ast }\mathfrak{D}_{A}$ donné par le monomorphisme de groupes$$\begin{eqnarray}A\ast \underset{i\in \mathbf{n}}{\star }H_{i}\simeq A\ast \underset{i\in \mathbf{n}}{\star }\,\underset{\unicode[STIX]{x1D711}(j)=i}{\star }K_{j}\simeq A\ast \underset{j\in \text{Def}(\unicode[STIX]{x1D711})}{\star }K_{j}\simeq A\ast \underset{j\in \text{Def}(\unicode[STIX]{x1D711})}{\star }\,\text{}^{a_{j}}\!K_{j}{\hookrightarrow}A\ast \underset{j\in \mathbf{m}}{\star }K_{j}\end{eqnarray}$$(le premier isomorphisme est induit par les $\unicode[STIX]{x1D713}_{i}$ , le second par la structure monoïdale symétrique du produit libre, le troisième par la conjugaison partielle sur les $K_{j}$ par les $a_{j}$ ), le sous-groupe $\star _{j\in \mathbf{m}\setminus \text{Def}(\unicode[STIX]{x1D711})}\,\text{}^{a_{j}}\!K_{j}$ de $A\ast \star _{j\in \mathbf{m}}K_{j}$ , et le morphisme de $\mathfrak{D}_{A}(\unicode[STIX]{x1D705}(\star _{j\in \mathbf{m}}K_{j},A\rightarrow A\ast \star _{j\in \mathbf{m}}K_{j}\rightarrow A))\simeq \mathfrak{D}_{A}({\mathcal{L}}_{A}(\star _{j\in \mathbf{m}}K_{j}))$ dont le morphisme de $\unicode[STIX]{x1D6FA}$ sous-jacent est $\unicode[STIX]{x1D711}$ si cette fonction est partout définie, et sinon la fonction surjective partout définie $f:\mathbf{m}\rightarrow \mathbf{n + 1}$ associée (égale à $\unicode[STIX]{x1D711}$ sur $\text{Def}(\unicode[STIX]{x1D711})$ et à $n+1$ ailleurs), et donnée par les éléments $a_{j}$ de $A$ . (C’est licite parce que $H_{i}\subset A\ast \star _{t\in \mathbf{n}}H_{t}$ est envoyé par notre morphisme de groupes sur le sous-groupe $\star _{f(j)=i}\,\text{}^{a_{j}}\!K_{j}$ de $A\ast \star _{j\in \mathbf{m}}K_{j}$ et que $\star _{j\in \mathbf{m}\setminus \text{Def}(\unicode[STIX]{x1D711})}\,\text{}^{a_{j}}\!K_{j}$ (lorsqu’il est non trivial) est égal à $\star _{f(j)=n+1}\,\text{}^{a_{j}}\!K_{j}$ .)
9.4 L’espace de lacets infinis ${\mathcal{N}}(\text{C}(A))$
Pour démontrer le théorème 2.5, on utilise la construction classique de Segal [Reference SegalSeg74], en suivant également la présentation de Bousfield–Friedlander [Reference Bousfield and FriedlanderBF78]. Rappelons ces constructions (attention, nos notations ne concordent pas exactement avec celles des références précédentes). Un $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ -espace est un foncteur $F$ de $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ vers la catégorie $\mathbf{Fct}(\boldsymbol{\unicode[STIX]{x1D6E5}}^{\text{op}},\mathbf{Ens}_{\bullet })$ des ensembles simpliciaux pointés qui préserve les objets nuls ; il est dit spécial si l’application canonique $F(X\sqcup Y)\rightarrow F(X)\times F(Y)$ est une équivalence faible pour tous ensembles finis $X$ et $Y$ . Un $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ -espace $F$ détermine un spectre connectif $\text{Sp}(F)$ (en fait, la catégorie des $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ -espaces peut être prise comme modèle des spectres connectifs) de façon fonctorielle.
Un $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ -espace $F$ se prolonge en un foncteur $\bar{F}:\mathbf{Ens}_{\bullet }\rightarrow \mathbf{Fct}(\boldsymbol{\unicode[STIX]{x1D6E5}}^{\text{op}},\mathbf{Ens}_{\bullet })$ par extension de Kan à gauche le long du foncteur $\unicode[STIX]{x1D6E4}\rightarrow \mathbf{Ens}_{\bullet }$ composé de l’équivalence de $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ avec la catégorie $\mathbf{ens}_{\bullet }$ des ensembles finis pointés (qui sur les objets s’obtient par ajout d’un point de base externe, et sur les morphismes envoie une fonction partiellement définie sur l’application coïncidant avec elle là où elle est définie et envoyant sur le point de base les éléments sur lesquels la fonction de départ n’était pas définie) et de l’inclusion $\mathbf{ens}_{\bullet }\rightarrow \mathbf{Ens}_{\bullet }$ . On peut ensuite prolonger $\bar{F}$ en un endofoncteur de $\mathbf{Fct}(\boldsymbol{\unicode[STIX]{x1D6E5}}^{\text{op}},\mathbf{Ens}_{\bullet })$ en considérant
puis en précomposant par la diagonale $\boldsymbol{\unicode[STIX]{x1D6E5}}^{\text{op}}\rightarrow \boldsymbol{\unicode[STIX]{x1D6E5}}^{\text{op}}\times \boldsymbol{\unicode[STIX]{x1D6E5}}^{\text{op}}$ . Ce prolongement sera encore noté $\bar{F}$ ; il est muni d’applications structurales canoniques $X\wedge \bar{F}(Y)\rightarrow \bar{F}(X\wedge Y)$ . Avec le modèle classique des spectres [Reference Bousfield and FriedlanderBF78], le spectre $\text{Sp}(F)$ peut se voir comme la suite $(\bar{F}(\mathbb{S}^{n}))_{n}$ (où l’on se fixe un modèle simplicial pointé $\mathbb{S}^{1}$ du cercle et $\mathbb{S}^{n}:=(\mathbb{S}^{1})^{\wedge n}$ ) munie des morphismes déduits des applications structurales précédentes. Pour tout ensemble simplicial pointé $X$ , on dispose d’un morphisme canonique de spectres $\text{Sp}(F)\wedge X\rightarrow \unicode[STIX]{x1D6F4}^{\infty }(\bar{F}(X))$ qui est une équivalence faible [Reference Bousfield and FriedlanderBF78, Lemma 4.1].
Soit $({\mathcal{C}},+,0)$ une catégorie monoïdale symétrique ; comme nous n’aurons besoin que des isomorphismes dans cette catégorie, nous supposerons d’emblée que c’est un groupoïde. Nous supposerons également que ${\mathcal{C}}$ est régulière au sens où $a+b$ ne peut être isomorphe à 0 que si c’est le cas de $a$ et $b$ et où 0 n’a pas d’endomorphisme non trivial. Nous noterons ${\mathcal{C}}^{\prime }$ la sous-catégorie pleine des objets non isomorphes à l’unité 0 (qui monoïdale sans unité par régularité ; cette notation concorde avec celles employées précédemment, $gr$ et $gr^{\prime }$ , pour les groupes libres).
Soit $X$ un ensemble pointé : on a défini au § 9.3 un foncteur $\unicode[STIX]{x1D702}(X):\unicode[STIX]{x1D6F1}^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ (dont les valeurs $\unicode[STIX]{x1D702}(X)(E)=X^{E}$ sont discrètes) ; on remarque que $X\mapsto \unicode[STIX]{x1D702}(X)$ définit même un foncteur $\mathbf{Ens}_{\bullet }\rightarrow \mathbf{Fct}(\unicode[STIX]{x1D6F1}^{\text{op}},\mathbf{Cat})$ , avec un effet évident sur les morphismes.
On définit un foncteur $\mathfrak{C}({\mathcal{C}},-):\mathbf{Ens}_{\bullet }\rightarrow \mathbf{Cat}$ par
sur les objets, l’effet sur les morphismes provenant de la fonctorialité de $\unicode[STIX]{x1D702}$ .
Soit $X$ un ensemble pointé fini, notons $x_{0}$ son point de base et posons $X_{-}:=X\setminus \{x_{0}\}$ . On dispose d’un foncteur $F_{X}:{\mathcal{C}}^{X_{-}}\rightarrow \mathfrak{C}({\mathcal{C}},X)$ associant à une famille $(c_{x})_{x\in X_{-}}$ d’objets de ${\mathcal{C}}$ la famille finie $(c_{x},x)_{x\in E}$ , où $E$ est l’ensemble des $x$ tels que $c_{x}$ ne soit pas isomorphe à $0$ (avec l’effet évident sur les morphismes – on rappelle que ${\mathcal{C}}$ ne contient que des isomorphismes). On dispose également d’un foncteur $G_{X}:\mathfrak{C}({\mathcal{C}},X)\rightarrow {\mathcal{C}}^{X_{-}}$ associant à une famille finie $(c_{t},a_{t})_{t\in E}$ de $\text{Ob}\,{\mathcal{C}}^{\prime }\times X$ l’objet $(\sum _{a_{t}=x}c_{t})_{x\in X_{-}}$ de ${\mathcal{C}}^{X_{-}}$ (avec encore un effet clair sur les morphismes).
Lemme 9.5. Le foncteur $G_{X}$ est adjoint à droite à $F_{X}$ .
Démonstration.
Soient $\text{d}:=(d_{x})_{x\in X_{-}}$ un objet de ${\mathcal{C}}^{X_{-}}$ et $\text{c}:=(c_{t},a_{t})_{t\in E}$ (où $E$ est un ensemble fini, les $a_{t}$ sont des éléments de $X$ et les $c_{t}$ des objets de ${\mathcal{C}}^{\prime }$ ) un objet de $\mathfrak{C}({\mathcal{C}},X)$ . On définit une fonction
comme suit. Un élément $f$ de ${\mathcal{C}}^{X_{-}}(\text{d},G_{X}(\text{c}))$ est une collection de morphismes $\unicode[STIX]{x1D6FC}_{x}:d_{x}\rightarrow \sum _{a_{t}=x}c_{t}$ de ${\mathcal{C}}$ pour $x\in X_{-}$ ; on lui associe une fonction $E\rightarrow X$ qui envoie $t$ sur $a_{t}$ . Celle-ci se restreint en une fonction partiellement définie $\unicode[STIX]{x1D711}$ de $E$ sur l’ensemble $Y$ des $x$ de $X_{-}$ tels que $d_{x}$ n’est pas isomorphe à 0. La surjectivité provient de ce que $d_{x}\simeq \sum _{a_{t}=x}c_{t}$ , puisque toutes les flèches de ${\mathcal{C}}$ sont des isomorphismes.
Le morphisme $\unicode[STIX]{x1D711}\in \unicode[STIX]{x1D6F1}(E,Y)$ et le morphisme
de $\unicode[STIX]{x1D700}(Y)={{\mathcal{C}}^{\prime }}^{Y}$ dont les composantes sont les $\unicode[STIX]{x1D6FC}_{x}$ forment un morphisme $F_{X}(\text{d})\rightarrow \text{c}$ dans $\mathfrak{C}({\mathcal{C}},X)$ . En effet, la condition de compatibilité à $\unicode[STIX]{x1D702}(X)$ s’écrit $a_{t}=\unicode[STIX]{x1D711}(t)$ si $\unicode[STIX]{x1D711}(t)$ est défini et $a_{t}=x_{0}$ sinon ; elle résulte de la définition de $\unicode[STIX]{x1D711}$ et de ce que $\unicode[STIX]{x1D711}(t)$ est toujours défini sauf si $a_{t}=x_{0}$ ou si $d_{a_{t}}$ est isomorphe à 0, mais cette dernière condition est impossible puisque ${\mathcal{C}}$ est supposé régulier et que $d_{a_{t}}\simeq \sum _{a_{u}=a_{t}}c_{u}$ est une somme non vide d’éléments de ${\mathcal{C}}$ non isomorphes à 0.
Le fait que la fonction ${\mathcal{C}}^{X_{-}}(\text{d},G_{X}(\text{c}))\rightarrow \mathfrak{C}({\mathcal{C}},X)(F_{X}(\text{d}),\text{c})$ qu’on vient de définir est une bijection résulte de ce que les morphismes $\unicode[STIX]{x1D6FC}_{x}$ sont uniquement déterminés pour $x\notin Y$ , puisqu’on a fait l’hypothèse de régularité que 0 n’a pas d’endomorphisme non trivial. Sa naturalité en $\text{c}$ et en $\text{d}$ est immédiate, d’où le lemme.◻
En particulier, $F_{X}$ et $G_{X}$ induisent des équivalences d’homotopie mutuellement quasi-inverses entre les ensembles simpliciaux ${\mathcal{N}}({\mathcal{C}}^{X_{-}})$ et ${\mathcal{N}}(\mathfrak{C}({\mathcal{C}},X))$ . De plus, ces foncteurs respectent les points de base canoniques de ces catégories (la famille constante en l’objet unité $0$ dans ${\mathcal{C}}^{X_{-}}$ , et la famille vide dans $\mathfrak{C}({\mathcal{C}},X)$ ), de sorte qu’il s’agit d’équivalences d’homotopie d’ensembles simpliciaux pointés. En fait, le foncteur $G_{X}:\mathfrak{C}({\mathcal{C}},X)\rightarrow {\mathcal{C}}^{X_{-}}$ est monoïdal (au sens fort), où la catégorie source est munie de la structure monoïdale symétrique donnée par la concaténation des objets et la catégorie but de la structure monoïdale symétrique produit induite par celle de ${\mathcal{C}}$ . De surcroît, si $Y$ est un autre ensemble pointé fini (on notera de même $Y_{-}$ le complémentaire du point de base de $Y$ ), le diagramme
(dont les flèches verticales sont les foncteurs canoniques ; $\vee$ désigne la somme catégorie de $\mathbf{Ens}_{\bullet }$ ) commute à isomorphisme près. On en déduit que le $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ -espace obtenu en composant le foncteur canonique $\unicode[STIX]{x1D6E4}\rightarrow \mathbf{Ens}_{\bullet }$ , le foncteur $\mathfrak{C}({\mathcal{C}},-):\mathbf{Ens}_{\bullet }\rightarrow \mathbf{Cat}$ et le foncteur nerf (dont on a vu qu’il se factorisait naturellement par les ensembles simpliciaux pointés) est spécial et a le même type d’homotopie que le $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ -espace associé à la petite catégorie monoïdale symétrique $({\mathcal{C}},+,0)$ par la machinerie de Segal [Reference SegalSeg74, § 2] (voir aussi [Reference ThomasonTho79, § 4]), que nous noterons $\unicode[STIX]{x1D70E}({\mathcal{C}},+,0)$ , ou simplement $\unicode[STIX]{x1D70E}({\mathcal{C}})$ .
Proposition 9.6. Il existe une équivalence d’homotopie d’ensembles simpliciaux pointés
naturelle en la petite catégorie ${\mathcal{T}}$ munie d’un objet $t$ .
Démonstration.
Lorsque la catégorie ${\mathcal{T}}$ est discrète et finie, le résultat découle du lemme 9.5 et de la discussion précédente. Il s’étend aussitôt au cas où ${\mathcal{T}}$ est discrète et infinie, en écrivant une telle catégorie comme la colimite filtrante de ses sous-catégories finies.
Le cas général s’en déduit par un argument formel de colimite homotopique : si $X$ est un ensemble simplicial (pointé), on dispose d’une équivalence d’homotopie naturelle
où $X_{n}$ est vu comme comme ensemble (pointé) discret, et si $F$ est un $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ -espace, le prolongement $\bar{F}$ de $F$ aux ensembles simpliciaux pointés donne lieu par construction à une équivalence d’homotopie naturelle d’ensembles simpliciaux pointés
Comme le théorème de la colimite homotopique [Reference ThomasonTho79, Theorem 1.2] fournit une équivalence d’homotopie naturelle
les observations précédentes permettent d’étendre l’équivalence naturelle obtenue pour une petite catégorie discrète ${\mathcal{T}}$ à une petite catégorie quelconque ${\mathcal{T}}$ .◻
En utilisant [Reference Bousfield and FriedlanderBF78, Theorem 4.4], on en déduit :
Corollaire 9.7. Si ${\mathcal{T}}$ est une petite catégorie connexe munie d’un objet $t$ , il existe une équivalence d’homotopie naturelle d’ensembles simpliciaux pointés
Le lemme classique suivant se déduit du théorème A de Quillen [Reference QuillenQui73] ; c’est également un cas particulier de la forme générale (i.e. pour des foncteurs faibles) du théorème de la colimite homotopique de Thomason [Reference ThomasonTho79, Theorem 3.3].
Lemme 9.8 (Quillen, Thomason).
Soient ${\mathcal{D}}$ une petite catégorie et $\unicode[STIX]{x1D6F7}:{\mathcal{D}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ un foncteur faible tel que, pour tout objet $d$ de ${\mathcal{D}}$ , le nerf de la catégorie $\unicode[STIX]{x1D6F7}(d)$ est contractile. Alors le foncteur d’oubli ${\mathcal{D}}\int \unicode[STIX]{x1D6F7}\rightarrow {\mathcal{D}}$ induit une équivalence d’homotopie entre les nerfs de ces catégories.
Proposition 9.9. Soit $A$ un groupe libre de rang fini. Il existe une équivalence d’homotopie d’ensembles simpliciaux pointés
qui est équivariante par rapport aux actions tautologiques du groupe $\text{Aut}(A)$ .
Démonstration.
Le théorème 8.12 et le lemme 9.8 montrent que le foncteur canonique $\text{C}(A)\int \unicode[STIX]{x1D705}^{\ast }\mathfrak{D}_{A}\rightarrow \text{C}(A)$ , qui est $\text{Aut}(A)$ -équivariant, induit une équivalence d’homotopie d’ensembles simpliciaux pointés (toutes les flèches préservent les points de base canoniques)
La proposition 9.4 fournit par ailleurs une équivalence d’homotopie
qui est manifestement pointée et $\text{Aut}(A)$ -équivariante.
On dispose enfin d’équivalence d’homotopie pointées
grâce au corollaire 9.7 et au théorème de Galatius [Reference GalatiusGal11] montrant que le foncteur monoïdal canonique $\unicode[STIX]{x1D6F4}\rightarrow gr$ (où $\unicode[STIX]{x1D6F4}$ désigne le groupoïde sous-jacent à la catégorie monoïdale symétrique $\mathbf{ens}$ ) induit une équivalence $\text{Sp}(\unicode[STIX]{x1D70E}(\unicode[STIX]{x1D6F4}))\rightarrow \text{Sp}(\unicode[STIX]{x1D70E}(gr))$ , le spectre source étant, classiquement [Reference SegalSeg74, proposition 3.5], équivalent au spectre des sphères. La naturalité en ${\mathcal{T}}$ dans le corollaire 9.7 montre l’équivariance requise, d’où la proposition.◻
Pour terminer la démonstration du théorème 2.5, il reste à montrer que l’équivalence d’homotopie de la proposition 9.9 est fonctorielle en $A$ , non seulement par rapport aux isomorphismes (ce qu’indique la propriété d’équivariance), mais aussi relativement à toutes les flèches de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ , ce qui nécessite un petit plus de travail et sera effectué dans la section 9.5.
Remarque 9.10. L’équivalence de la proposition 9.9 est une équivalence d’espaces de lacets infinis. En effet, la catégorie $\text{C}(A)$ est munie d’une structure monoïdale symétrique donnée par la somme (ou produit libre) amalgamée au-dessus de $A$ . Cette structure se relève à $\text{C}(A)\int \unicode[STIX]{x1D705}^{\ast }\mathfrak{D}_{A}$ (en utilisant la concaténation des suites de groupes libres), ce qui fait du foncteur canonique $\text{C}(A)\int \unicode[STIX]{x1D705}^{\ast }\mathfrak{D}_{A}\rightarrow \text{C}(A)$ un foncteur monoïdal (au sens fort), de sorte que l’équivalence d’homotopie qu’il induit entre les nerfs de ces catégories est une équivalence d’espaces de lacets infinis. Il en est de même pour les autres équivalences d’homotopie utilisées dans la démonstration de la proposition 9.9. Cela provient de ce que l’équivalence de catégories de la proposition 9.4 est monoïdale (où $\unicode[STIX]{x1D700}(gr^{\prime },\ast )\int \unicode[STIX]{x1D6F1}^{\text{op}}\int \unicode[STIX]{x1D702}(A)$ est munie de la structure monoïdale donnée par la concaténation des suites de groupes libres) et, pour les dernières utilisées, c’est une conséquence formelle du travail de Segal [Reference SegalSeg74].
En revanche, si $A\rightarrow B$ est un morphisme de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ , le foncteur $\text{C}(B)\rightarrow \text{C}(A)$ qu’il induit n’est pas monoïdal, de sorte qu’il n’est pas clair a priori que l’application ${\mathcal{N}}(\text{C}(B))\rightarrow {\mathcal{N}}(\text{C}(A))$ est un morphisme d’espaces de lacets infinis. C’est en fait le cas, comme nous allons le voir.
Ces structures d’espaces de lacets infinis ne sont pas nécessaires à l’établissement des résultats du présent article, mais elles procèdent des mêmes idées que celles que nous allons maintenant mettre en œuvre pour établir la fonctorialité de l’équivalence du théorème 2.5.
9.5 Structure monoïdale du foncteur $\text{C}:\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ et fin de la démonstration du théorème 2.5
On rappelle que, si $A$ est un groupe libre de rang fini, $\text{C}(A)$ est la catégorie d’éléments ${\mathcal{G}}_{\unicode[STIX]{x1D6FE}^{\ast }\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})(A,-)}$ ; la fonctorialité du foncteur Hom fait de $\text{C}$ un foncteur $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})^{\text{op}}\rightarrow \mathbf{Cat}$ .
Nous établirons la fonctorialité de l’équivalence du théorème 2.5 (construite dans la section 9.4) à l’aide du lemme immédiat qui suit.
Lemme 9.11. La catégorie $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ est engendrée par les automorphismes et les morphismes canoniques $A\rightarrow A\ast B$ déduits de ce que l’unité de la structure monoïdale symétrique $\ast$ de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ en est un objet initial.
Par conséquent, si ${\mathcal{D}}$ est une catégorie quelconque et que $X,Y:\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})\rightarrow {\mathcal{D}}$ sont des foncteurs, toute collection de morphismes $f_{A}:X(A)\rightarrow Y(A)$ de ${\mathcal{D}}$ équivariants pour l’action de $\text{Aut}(A)$ , pour $A\in \text{Ob}\,\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ , définit une transformation naturelle de $X$ vers $Y$ si le diagramme
dont les flèches horizontales sont induites par le morphisme canonique commute pour tous objets $A$ et $B$ de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ .
On dispose par ailleurs d’une structure monoïdale symétrique sur le foncteur $\text{C}$ obtenue comme suit. Soient $A$ et $B$ deux objets de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ . Le produit libre induit un foncteur $\text{C}(A)\times \text{C}(B)\rightarrow \text{C}(A\ast B)$ naturel en $A$ et $B$ et vérifiant les conditions de cohérence monoïdales symétriques usuelles. De plus, la composée de ce foncteur avec le foncteur $\text{C}(A\ast B)\rightarrow \text{C}(A)\times \text{C}(B)$ induit par les morphismes canoniques $A\rightarrow A\ast B$ et $B\rightarrow A\ast B$ de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ est homotope à l’identité. En effet, il existe une transformation naturelle de l’identité de $\text{C}(A)\times \text{C}(B)$ vers cette composée, donnée sur l’objet $(\text{}\underline{G},\text{}\underline{H})$ , où $\text{}\underline{G}=(G,A\rightarrow G\rightarrow A)$ et $\text{}\underline{H}=(H,B\rightarrow H\rightarrow B)$ , par les morphismes canoniques $G\rightarrow G\ast H$ et $H\rightarrow G\ast H$ de ${\mathcal{G}}$ .
Proposition 9.12. Soient $A$ et $B$ des objets de $\mathbf{S}_{c}(\mathbf{gr})$ . Le diagramme suivant de la catégorie homotopique des ensembles simpliciaux pointés commute
où l’on note $Q$ le foncteur $\unicode[STIX]{x1D6FA}^{\infty }\unicode[STIX]{x1D6F4}^{\infty }$ , les isomorphismes verticaux sont ceux de la proposition 9.9, les flèches horizontales inférieures sont les isomorphismes canoniques et les flèches horizontales supérieures sont obtenues en appliquant le foncteur ${\mathcal{N}}$ (qui commute aux produits) aux foncteurs qu’on vient de discuter entre $\text{C}(A)\times \text{C}(B)$ et $\text{C}(A\ast B)$ .
Démonstration.
Les composées horizontales supérieure et inférieure de ce diagramme sont les identités. Il suffit donc d’établir que le carré de gauche est commutatif. Cela se voit en reprenant la définition de l’équivalence de la proposition 9.9 et en notant que chacune des équivalences qui la composent est monoïdale.
En effet, la structure monoïdale $\text{C}(A)\times \text{C}(B)\rightarrow \text{C}(A\ast B)$ sur $\text{C}$ se relève (en utilisant la concaténation des suites de groupes libres) en une structure monoïdale $\text{C}(A)\int \unicode[STIX]{x1D705}^{\ast }\mathfrak{D}_{A}\times \text{C}(B)\int \unicode[STIX]{x1D705}^{\ast }\mathfrak{D}_{B}\rightarrow \text{C}(A\ast B)\int \unicode[STIX]{x1D705}^{\ast }\mathfrak{D}_{A\ast B}$ , de sorte que le diagramme
dont les flèches verticales sont les foncteurs canoniques commute à isomorphisme canonique près.
De plus, on peut également former un diagramme commutatif (à isomorphisme canonique près)
où les flèches verticales sont les équivalences de la proposition 9.4 et la structure monoïdale donnée par la flèche horizontale inférieure est toujours donnée par la concaténation des suites de groupes libres.
Quant aux équivalences d’homotopie
données par le corollaire 9.7 et [Reference GalatiusGal11], elles sont monoïdales en $A$ , car $\unicode[STIX]{x1D70E}(gr)$ est un $\unicode[STIX]{x1D6E4}$ -espace spécial. Cela termine la démonstration.◻
Remerciements
L’auteur est reconnaissant envers les collègues suivants pour des discussions ou encouragements utiles à la réalisation de ce travail : Gregory Arone, Vincent Franjou, Camille Horbez, Nariya Kawazumi, Teimuraz Pirashvili, Lionel Schwartz et Christine Vespa.
Il remercie Oscar Randal-Williams de lui avoir communiqué des versions préliminaires de [Reference Randal-WilliamsRan18] et pour les échanges y afférents, qui ont contribué au renforcement des premières versions du présent travail (qui ne donnaient la décomposition à la Hodge que rationnellement).
Il sait gré enfin au rapporteur anonyme dont la relecture attentive a permis de substantielles améliorations de la version d’origine.