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Marina Roggero, Le vie dei libri. Letture, lingua e pubblico nell’Italia moderna, Bologne, Il Mulino, 2021, 294 p.

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Marina Roggero, Le vie dei libri. Letture, lingua e pubblico nell’Italia moderna, Bologne, Il Mulino, 2021, 294 p.

Published online by Cambridge University Press:  12 January 2023

Paul F. Grendler*
Affiliation:
paulgrendler@gmail.com
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Livres et circulation des savoirs (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Voici un livre sur les livres, la lecture et les lecteurs en Italie de la fin du xvie siècle à la fin du xviiie siècle environ, dont les principaux sujets abordés sont les différentes formes de lecture comme passe-temps (le letture di svago) et le lien entre les lecteurs et la littérature populaire. On trouve également des réflexions sur d’autres thèmes comme les conflits entre le latin et la langue vernaculaire et entre l’italien et les dialectes, le fossé entre les lecteurs cultivés et les personnes qui maîtrisaient mal la lecture et l’écriture ainsi que le rôle négatif de l’Église catholique dans l’éducation et la formation de la culture. Tout au long de l’ouvrage, l’autrice met en perspective son étude sur les livres et les lecteurs en Italie en réalisant une comparaison avec l’Espagne et l’Angleterre. Professeure d’histoire moderne à l’université de Turin, Marina Roggero a publié de nombreux ouvrages dans ce domaine, à commencer par Scuola e riforme nello Stato sabaudo (1981), suivi de Insegnar lettere (1992), L’alfabeto conquistato (1999) et Le carte piene di sogni (2006)Footnote 1.

L’ouvrage s’intéresse tout d’abord aux différents types de lecture que l’on peut identifier en Italie au cours de la période considérée, ainsi qu’à la situation très hétérogène en matière d’alphabétisation. On peut citer la lecture des textes latins (Cicéron, notamment, et d’autres textes classiques anciens) et celle d’œuvres en langue littéraire italienne, régies par des règles strictes et revendiquant l’héritage des « trois couronnes » (Dante, Pétrarque et Boccace). L’élite artisanale et commerciale parlait un italien pratique de base. L’apprentissage de la lecture pour la majorité de la population passait par la lecture et la mémorisation des catéchismes et des prières, assurant ainsi une alphabétisation partielle ou catéchétique de celle-ci. Les prières et le matériel catéchétique étant rédigés en latin, et les enfants comme les adultes parlant un dialecte, ces lecteurs ne maîtrisaient quasiment pas l’italien. Autant de raisons qui expliquent qu’une langue italienne parlée dans la vie de tous les jours, et qui aurait pu devenir un italien universel, ait eu beaucoup de difficultés à se développer. Enfin, divers types de littérature imprimée s’adressaient aux différents publics de lecteurs. M. Roggero montre par ailleurs comment, selon elle, la Contre-Réforme de l’Église catholique a mis fin aux tentatives de simplifier l’italien des prières les plus courantes en raison de la menace protestante. L’Église a interdit aux fidèles de lire la Bible, décourageant même la lecture de certains ouvrages de dévotion, en langue vernaculaire. Ainsi, le latin est devenu un obstacle à l’émergence d’une langue vernaculaire commune utilisable au quotidien.

Les parties les plus intéressantes de l’ouvrage sont celles consacrées à la description des types de textes destinés aux différentes catégories de lecteurs. L’autrice les analyse de manière systématique et fournit à chaque fois des informations sur les imprimeurs. Par exemple, le xviie siècle a donné lieu à une production massive de littérature micro-dévotionnelle, qui rassemblait dans des brochures de quelques pages des litanies, des prières, des indulgences et des illustrations se rapportant à tous les saints, vierges et martyrs possibles. Ces brochures étaient remplies de figures héroïques et d’événements dramatiques mettant en scène le sacrifice et le martyre, le tout accompagné d’une narration simplifiée. Les trois quarts de ces textes étaient écrits en rimes plutôt qu’en prose, les rimes étant destinées à être lues, récitées, déclamées ou chantées pour d’autres fidèles.

Le roman de chevalerie en langue vernaculaire constituait une autre forme de lecture populaire. Il s’agissait de livres de divertissement profanes lus aussi bien par les lettrés et que par des lecteurs à la culture plus élémentaire. Beaucoup étaient imprimés en ottava rima (ABABABCC), ce qui permettait aux ménestrels de les réciter ou de les chanter facilement dans les rues. M. Roggero note que les livres de dévotion tout comme les ouvrages de divertissement étaient échangés et empruntés par le biais de réseaux informels. Ils pouvaient être vendus plusieurs fois à des prix décroissants. Les livres de dévotion avaient cependant davantage de chances de survivre dans les bibliothèques que les ouvrages de divertissement, les seconds étant plus susceptibles de souffrir de l’usure faute de posséder le prestige religieux ou artistique des premiers. L’autrice affirme que les censeurs religieux et les moralistes se méfiaient des romances chevaleresques, car ils craignaient que les histoires d’amour et d’aventure ne soient une source de corruption morale.

D’autres pages intéressantes de l’ouvrage se penchent sur les romans (romanzi) écrits en italien, des œuvres de divertissement d’un niveau littéraire plus relevé et d’un contenu plus riche que les romans de chevalerie traditionnels. Ils sont surtout apparus aux xviie et xviiie siècles. Plus ambitieux que les romans de chevalerie, ils étaient parfois écrits dans un style baroque grandiloquent mais indigeste. Le lectorat était composé de personnes de bonne famille et ayant un statut social confortable, comme les personnes ayant reçu une éducation et donc familières des textes latins classiques. Le xviiie siècle voit l’apparition des livres de théâtre, qui étaient des ouvrages modestes proposant les textes ou les grandes lignes d’œuvres théâtrales populaires, notamment des comédies, en langue vernaculaire.

Vers la fin du xviiie siècle, des critiques venant de certains intellectuels influencés par les Lumières se sont élevées contre la position de faiblesse de la littérature italienne. Elles dénonçaient la domination du latin et une culture littéraire italienne aulique trop rigide qui décourageait l’emploi d’une prose italienne sans fioritures et accessible aux personnes peu alphabétisées. Par ailleurs, à la même époque, Ludovico Antonio Muratori prend position en faveur de la célébration de la messe en italien. Les critiques dénonçaient également la quantité excessive d’œuvres en vers frivoles produites pour les gens peu cultivés. Néanmoins, le siècle se termine sans grands changements. Les Italiens du Risorgimento héritent d’un pays faiblement alphabétisé et dont la situation linguistique se caractérise par la persistance d’une mosaïque de dialectes, par une trop grande dépendance à l’égard du latin ecclésiastique et par l’inexistence d’une langue italienne commune et simple.

M. Roggero excelle à retracer la trajectoire des livres et des lecteurs à l’aide de nombreux exemples et d’une abondante bibliographie. Si le tableau général qu’elle dresse est satisfaisant, on peut regretter qu’elle n’ait pas pris davantage en compte certaines réalités éducatives. L’autrice reproche aux écoles en latin parrainées par l’Église la grande importance accordée au latin dans l’éducation de l’élite et la position de faiblesse dans laquelle est maintenu l’italien. Or les étudiants eux-mêmes aspiraient à une éducation en latin puisqu’elle renforçait la position des classes dirigeantes et professionnelles tout en étant le gage d’une ascension sociale pour les étudiants plus modestes. Les parents envoyaient donc leurs fils dans les écoles en latin des jésuites, des pères somasques et des barnabites, ce pour une raison toute simple : ces ordres religieux offraient une éducation en latin gratuite et de bonne qualité – sans mentionner le fait qu’il n’y avait pas d’autres options. Les gouvernements italiens n’offraient que peu ou pas de possibilités d’éducation gratuite en latin ou en italien. La seule contribution publique consistait, dans de nombreuses villes, à apporter un soutien financier aux établissements locaux gérés par les ordres religieux qui dispensaient un enseignement en latin. Cette aide était moins coûteuse que de mettre en place un système d’école publique et de payer des laïcs ou des prêtres séculiers pour y enseigner.

M. Roggero souligne que le développement de l’italien ordinaire courant était étouffé par la haute littérature italienne, d’un côté, et par le latin, de l’autre. On ne peut lui donner tort. Toutefois, elle sous-estime peut-être les possibilités d’enseignement en italien qui étaient disponibles aux xviie et xviiie siècles. Toutes les villes italiennes comptaient ainsi un certain nombre de professeurs hommes indépendants, qui enseignaient les rudiments de la lecture en langue vernaculaire, l’abbaco (arithmétique commerciale) et, parfois, les bases du latin, à un public comprenant de vingt-cinq à quarante garçons. Comme le note M. Roggero, les villes disposaient également d’un très petit nombre d’enseignantes qui se chargeaient d’apprendre les rudiments de la lecture en italien aux jeunes filles. En outre, les frères piaristes des écoles pies, l’ordre religieux qui possédait le deuxième plus grand nombre d’établissements scolaires en Italie (après les jésuites), enseignaient gratuitement un programme d’études en langue vernaculaire ainsi que l’arithmétique.

En dépit de ces quelques réserves, il s’agit d’une excellente étude sur une question complexe et épineuse de l’histoire italienne. Les recherches et les conclusions de M. Roggero méritent donc d’être considérées avec le plus grand sérieux.

References

1 Marina Roggero, Scuola e riforme nello Stato sabaudo. L’istruzione secondaria dalla Ratio studiorum alle costituzioni del 1772, Turin, Deputazione subalpina di storia patria, 1981 ; ead., Insegnar lettere. Ricerche di storia dell’istruzione in età moderna, Turin, Edizioni dell’Orso, 1992 ; ead., L’alfabeto conquistato. Apprendere e insegnare neII’Italia tra Sette e Ottocento, Bologne, Il Mulino, 1999 ; ead., Le carte piene di sogni Testi e lettori in età moderna, Bologne, Il Mulino, 2006.