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Après la production : Travail, nature et capital Franck Fischbach, Paris : Vrin, 2019, pp. 192

Published online by Cambridge University Press:  10 December 2020

Nichola Gendreau Richer*
Affiliation:
Université d'Ottawa (ngend101@uottawa.ca)
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © The Author(s), 2020. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Les différentes transformations du monde du travail ont longuement été analysées dans les sciences sociales. La sociologie est la discipline qui a le plus étudié les conséquences des mutations du travail dans nos sociétés. Dans Après la production : Travail, nature et capital, Franck Fischbach situe ses réflexions à propos du travail sur le terrain de la philosophie sociale. L'auteur essaie de démontrer l'importance de dissocier la production du travail – la production étant la forme qu'a pris le travail dans la modernité capitaliste, donc étant rattaché à la production de survaleur, et le travail étant l'activité générique faisant que les êtres humains entrent en relation les uns avec les autres ainsi qu'avec la nature. Pour bien comprendre l'idée maîtresse de l'ouvrage de Fischbach, il sera indispensable de se pencher sur les trois moments de la construction de la distinction entre la production et le travail, soit sa lecture du rapport Marx-Arendt, ses réflexions sur Heidegger et son analyse des principaux auteurs de l’École de Francfort (Horkheimer et Adorno).

Pour bien distinguer la production du travail, Fischbach entame son analyse avec l’étude de l’œuvre de Arendt La condition de l'homme moderne. L'auteure y développe une thèse sur le travail et la distinction entre l’homo faber – qui est l'individu qui travaille et qui en souffre – et l’animal laborans – comme étant l'humain qui produit et qui crée des œuvres. Sur la base de cette distinction, Arendt affirme que, chez Marx, il y a une confusion quant au travail et au devenir productif de l'homme. Marx voudrait abolir le travail en l'automatisant et en libérant ainsi les êtres humains de l'impératif de travailler tout en soutenant que le travail est ce qu'il y a de plus essentiel. Il semble donc y avoir contradiction. Pour y palier, Fischbach démontre qu'il existe chez Marx deux positions tenues de manière successive. Pour lui, la position de Marx qu'il considère primordiale pour comprendre le travail d'aujourd’hui s’énonce comme suit : « Le procès de travail est une relation métabolique entre l'homme et la nature qui est rompue par l'enrôlement du procès de travail dans le procès productif comme procès de valorisation du capital » (86). Par conséquent, pour Fischbach, l'important ne serait pas d'abolir le travail, mais de le libérer de son caractère productif associé à la nécessité de production de valeur.

Dans le but d'enrichir la distinction entre travail et production, Fischbach passe à l'analyse des thèses d'Heidegger sur le sujet. Il souligne la centralité du concept de travail dans le rapport entre l'existant et la nature. Il écrit : « C'est bien à partir de et de l'intérieur du monde de la préoccupation et du monde de l'ouvrage que s'ouvre la dimension du monde de la nature comme monde de la présence subsistante » (90–91). Si le travail est une partie essentielle de la relation entre l'existant et la nature, il est également déterminant dans la relation de l'existant avec les autres existants. Celui-ci est toujours dans le monde, ce qui ne veut pas dire qu'il est toujours avec d'autres existants, mais bien ensemble. L’être-ensemble est compris comme « un mode déficient de l’être-avec, il est un simple être-les-uns-avec-à-côté-des-autres » (100). Être-ensemble n'est pas engageant, c'est une simple disposition spatiale des existants. Tandis que la modalité propre de l’être-avec se trouve lors d'un « "engagement commun" […] dans une tâche collective qui est clairement identifiée comme un travail dont la modalité ne peut en l'occurrence être que collaborative et coopérative » (102). Le travail de l'existant le mène à entrer en relation pratique avec la nature et les autres existants.

Cette distinction pousse Fischbach à se questionner sur le dépassement de cette forme d'organisation économique et politique destructrice. C'est à ce moment de sa réflexion qu'il se propose de suivre les penseurs de l’École de Francfort. Horkheimer a présenté les lignes directrices de cette école en 1937 dans son essai Théorie traditionnelle et théorie critique. Fischbach mentionne que l'un des objectifs de Horkheimer est de produire une théorie capable de proposer les bases d'une nouvelle société fondée sur la Raison et ce serait « donc bien le travail qui [serait] le lieu où s'enracine la tendance vers une forme supérieure d'organisation sociale et économique » (151). À partir des réflexions ouvertes par Horkheimer et Adorno, Fischbach démontre qu'il est plus que souhaitable de maintenir un horizon utopique ayant en son cœur l'aspect coopératif du travail.

Après la production réussie à clarifier un aspect important de la pensée de Fischbach soit l'importance du travail dans la refondation de la société. L'enjeu du travail a longuement été discuté chez les penseurs critiques. Fischbach a donc jugé judicieux de clarifier son concept central en vue d'affronter certaines objections que l'on pourrait lui faire. L'apport majeur de ce livre est de préciser en quoi une société fondée sur le travail ne serait pas une société productiviste et destructrice des écosystèmes. Bref, les réflexions de Fischbach sur le travail et la nature participent à la refondation d'un projet politique alternatif au capitalisme.