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Richard Foltz, Les religions de la Route de lasoie. Les chemins d’une mondialisation prémoderne, trad. par B. Léger,Montréal, Presses de l’universitéMontréal, [1999] 2020,258 p.

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Richard Foltz, Les religions de la Route de lasoie. Les chemins d’une mondialisation prémoderne, trad. par B. Léger,Montréal, Presses de l’universitéMontréal, [1999] 2020,258 p.

Published online by Cambridge University Press:  01 August 2023

Thomas Tanase*
Affiliation:
Thomas.Tanase@univ-paris1.fr
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Histoire religieuse (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

D’abord publié en anglais en 1999, cet ouvrage est la traduction en français de la deuxième édition d’un court essai qui a rencontré son public. Il avait en effet le mérite de proposer une synthèse sur le thème, peu étudié dans sa globalité, des échanges religieux le long des routes de la soie sur deux millénaires. Dès sa préface, l’auteur rappelle d’ailleurs que « le livre a été écrit d’abord et avant tout en ayant à l’esprit les étudiants et le grand public » (p. xii). C’est chose faite : l’ouvrage se lit aisément, a le mérite de la clarté et peut stimuler un spécialiste sur des thèmes qui lui sont relativement mal connus (dans notre cas, par exemple, le manichéisme ou le bouddhisme).

Le livre, après un chapitre de considérations générales sur les modes de diffusion de la foi un peu court, aligne une suite d’études par religions qui permettent d’esquisser une évolution chronologique : zoroastrisme, bouddhisme, manichéisme, chrétiens nestoriens, islam et, pour finir, l’époque de l’Eurasie mongole. Ce plan, qui joint différentes études précédemment publiées, s’il a l’avantage de la commodité, finit par donner une vision assez statique des « routes de la soie ». L’ouvrage rappelle à juste titre que la route de la soie, définie comme « le réseau transasiatique qui reliait la Méditerranée à l’Asie de l’Est », était plurielle, faite d’un tissu de routes qui pouvaient varier et qu’aucun marchand ne parcourait d’une traite (p. 3 et 7) ; mais le phénomène reste globalement perçu comme un donné, qui n’évolue guère à travers le temps. Les routes de la soie, définies par la seule activité d’intermédiation économique et plus ou moins identifiées à l’Asie centrale, se développent dès la préhistoire. Elles permettent les échanges commerciaux à travers les millénaires jusqu’à l’ouverture des routes atlantiques par les Européens au xvie siècle ; fin de l’histoire – l’ouvrage s’arrête avec la disparition de l’Eurasie mongole et l’achèvement de l’islamisation de l’Asie centrale.

Au-delà de la question des coquilles et des erreurs qu’il est possible de relever, notamment pour la partie que nous maîtrisons le mieux (la période mongole), il faut remercier l’auteur d’avoir entrepris une telle synthèse, avec les inexactitudes inévitables que comporte ce genre d’exercice. Au demeurant, Richard Foltz, comme il le reconnaît dans sa préface, a revu son texte pour tenir compte des critiques faites à la première édition. On passera donc sur le caractère un peu daté de la retranscription de certains noms mongols. D’une manière générale, l’auteur n’est pas un spécialiste de la question des missions catholiques en terre mongole. Les Franciscains ne sont ainsi pas tout à fait des « moines » (comme on le trouve p. 155 et 170). Ce n’est pas pour « l’arrogance qui lui fait affirmer que le catholicisme est la seule forme de christianisme » que Güyük semonce le pape Innocent IV (p. 161), mais parce que ce dernier avait demandé sa conversion et son baptême. Guillaume Adam (plutôt que le « William Adam » de la traduction) n’appelle pas à développer les missions dans la région de la Volga, mais, au contraire, à combattre les Mongols de la Horde d’Or. Il n’y a pas de raison de considérer qu’André de Pérouse se serait opposé à Jean de Montecorvino parce qu’il aurait été un frère spirituel, comme beaucoup d’autres missionnaires d’ailleurs, comme l’affirme R. Folz en citant le vingtième tome de l’Histoire ecclésiastique de R.-F. Rohrbacher publié en 1858, mais qui, vérification faite, ne dit pas cela. Enfin, il y eut encore des missionnaires envoyés en Asie après Jean de Marignolli.

À plusieurs endroits, l’ouvrage souffre d’un manque de relecture. L’auteur évoque par exemple la mort du khan Abaqa et, à la page suivante, des difficultés rencontrées par le moine chrétien Raban Bar Sauma dénoncé auprès de ce même Abaqa – il s’agit en fait de Aḥmad Tegüder. On ne comprend pas pourquoi le livre renvoie pour un même texte, le Voyage dans l’empire mongol de Rubrouck, tantôt à la traduction française de Claude-Claire et René Kappler, tantôt à celle de Peter Jackson, citée deux fois en bibliographie : aux entrées Jackson, Peter et Morgan, David, avec la date de 1900 (une confusion avec la traduction de William Rockhill ?) – c’est avec cette référence que sont donnés les renvois en note – et Rubrouck, William, avec la date de 1990. Pour justifier son expression selon laquelle les missionnaires latins travaillaient à ce « qu’Owen Lattimore appelle avec justesse la CIA de l’époque, ‘Christian Intelligence Agency’ », R. Foltz renvoie en note à… Rashīd ad-Dīn. Enfin, l’auteur parle des Slaves, « du latin sclav, ‘esclave’», une erreur (ou un raccourci ?) qui indique un manque de familiarité avec un latin élémentaire (car outre le fait que sclavus serait le cas échéant du latin médiéval, sclav étant en fait du roumain).

Le plus discutable est de voir l’auteur expliquer que l’attitude des chrétiens, qui n’auraient rien compris aux Mongols, Rubrouck excepté, et dont les textes ne comportaient que « des rêves et de la propagande », s’opposait à celle de musulmans, « qui cherchaient à plaire aux maîtres mongols et à les flatter » : la seule preuve apportée à l’appui de cette affirmation est le témoignage de Rashīd ad-Dīn selon lequel « les Mongols attribuaient aux musulmans une ‘grande puissance sexuelle’ » (p. 159). Les récits des missionnaires latins montrent pourtant que ces derniers étaient parfaitement capables de s’attirer les faveurs des khans grâce à des guérisons miraculeuses. Naturellement, on retrouvera dès l’ouverture du livre le cliché, totalement faux, d’un Marco Polo que ses contemporains n’auraient pas cru. Cette vision, qui finit par devenir très déformante, peut s’expliquer de deux façons. Il s’agit d’abord d’un ouvrage écrit pour l’essentiel en 1999, quand la bibliographie sur les questions mongoles a été considérablement renouvelée depuis. Se pose ensuite la question du point de vue, qui reprend assez mécaniquement un certain nombre de stéréotypes. On ne peut que remercier R. Foltz lorsqu’il rappelle l’aventure des chrétiens nestoriens, et qu’il montre comment elle a trop souvent été dévalorisée sur la base des témoignages négatifs des missionnaires latins. Il faudrait cependant porter l’effort jusqu’à notre propre histoire, parvenir à sortir de nos préjugés sur le Moyen Âge occidental ecclésial ou intolérant et admettre que les hommes de cette époque ont été eux aussi capables de comprendre et rencontrer les mondes asiatiques.

L’ouvrage aime en effet recourir à des affirmations générales expéditives. À partir du massacre des missionnaires latins à Almaliq vers 1339, R. Foltz conclut que l’attitude d’ouverture des Mongols aurait précipité les affrontements religieux, et que « la situation rappelle le verset du Coran au sujet de la difficulté d’accorder un traitement équitable aux multiples épouses » (p. 182) – en oubliant que les martyrs franciscains les plus célèbres de l’époque furent ceux du Maroc ou de Thana en Inde, où l’on peut difficilement incriminer la politique mongole. Pour expliquer la manière dont l’islam s’est imposé en Asie centrale, R. Foltz se contente d’affirmer « qu’aucune tradition religieuse n’a autant encouragé et favorisé le commerce que l’islam » (p. 125) : sa victoire en Asie centrale serait ainsi due aux seuls marchands. L’auteur a certainement raison de vouloir sortir d’une vision traditionnelle qui insisterait principalement sur les conquêtes militaires de l’islam ; mais le curseur finit par se déplacer vers une autre généralité, également simplificatrice, lorsqu’il conclut que l’Asie centrale s’est convertie parce que ses populations « étaient pour ainsi dire directement dépendantes du commerce musulman » alors qu’« [E]n Inde ou en Espagne, au contraire, où a subsisté une majorité non convertie, l’économie locale dépendait bien moins du commerce international » (p. 194) – ce qui renvoie à des notions datées sur la marginalité d’al-Andalus dans le monde musulman.

L’ouvrage se conclut par un épilogue sur la « religion du marché », qui fait passer sans transition de la fin du Moyen Âge à l’époque contemporaine, et la religion du capitalisme triomphant. Pourquoi pas, quand nous admettons partager le postulat de l’auteur, à savoir que le discours économiciste actuel est une forme de pensée religieuse qui ne dit pas son nom et qui sera un jour remplacée à son tour. Mais faute d’expliquer le développement d’une telle vision, ce qui demanderait de revenir à cette histoire du monde occidental traitée avec une certaine rapidité par l’auteur, la fin de l’ouvrage finit par passer pour une pièce rapportée, une leçon de morale sans véritable rapport avec la démonstration historique. Or quand R. Foltz argumente d’emblée que « la Route de la soie, à l’instar de toute autre belle formule plus ou moins précise, sera ce que nous voulons qu’elle soit, l’écran sur lequel nous projetons nos rêves » (p. 4) et la définit exclusivement par l’activité économique, unique facteur expliquant la conversion religieuse – indépendamment de toute histoire des pouvoirs, des empires, des transformations de ces routes –, ne reprend-il pas très exactement la vulgate actuelle limitant l’activité humaine à l’économie, au multiculturalisme et au relativisme des notions, ce qui permet à chacun de lire le réel à l’aune de ses propres projections ?