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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  20 September 2024

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l’EHESS

Stéphane Baciocchi, Romain Benoit-Lévy, Simon Castanié, Simona Cerutti, Pierre-Louis Sanchez et Emilia Schijman

Déchiffrer les cahiers de doléances Source, contextes et propositions d’économie politique (département de la Somme, 2018-2019)

Dans un climat de crise manifeste des voies traditionnelles de représentation politique, les formes de communication directe entre gouvernants et gouvernés suscitent de plus en plus l’intérêt des sciences sociales. Partant d’un ensemble de cahiers de doléances ouverts dans la Somme entre fin 2018 et début 2019 dans le contexte de la mobilisation des Gilets jaunes, cet article prend le parti d’interroger ces cahiers comme une source à part entière, et non pas simplement comme un contenant d’informations. Cela implique d’examiner les liens étroits entre le support et le contenu en mobilisant nos différentes compétences disciplinaires (histoire, sociologie, cartographie, statistique). Cette recherche permet de dégager l’autonomie relative de ce corpus à l’égard d’autres formes de mobilisation, d’identifier les contextes de production des doléances ainsi que les contraintes qui sont liées à cette forme spécifique de communication avec les autorités. L’analyse de quelques thèmes centraux – le travail, la pauvreté et l’impôt – nous introduit à des idéaux de redistribution et de justice sociale qui sont au cœur de ces écrits. Nous essayons enfin de décrire les contours de cette communauté que les doléances dessinent, avec ses ayants droit et ses exclus.

Decrypting the Cahiers de doléances: Sources, Contexts, and Political-Economic Proposals (Département de la Somme, 2018-2019)

At a moment of crisis for traditional channels of political representation, direct forms of communication between governors and governed are increasingly attracting the interest of the social sciences. Based on a collection of cahiers de doléances (registers of grievances) opened in the Somme between late 2018 and early 2019 in the context of the Gilets jaunes protests, this article seeks to interrogate such documents as a source in their own right, rather than simply a container for information. A collaboration between six researchers, the article examines the close links between the form and content of these registers by drawing on the authors’ various disciplinary skills (history, sociology, cartography, statistics). This approach makes it possible to identify the relative autonomy of this corpus in relation to other forms of mobilization, as well as the contexts in which it was produced and the constraints associated with this specific form of communication with authorities. The analysis of some central themes—work, poverty, and taxation—brings to light the ideals of redistribution and social justice at the heart of these texts. Finally, we attempt to describe the contours of the community represented in the grievances, from those who are incorporated to those it excludes.

Richard Banégas et Armando Cutolo

« Un container de papiers » Citoyenneté et fabrique des apatrides dans les villages de colonisation du centre de la Côte d’Ivoire

Cet article explore les dynamiques historiques et politiques qui articulent l’identification, l’état civil et la citoyenneté en Côte d’Ivoire. Il s’intéresse à des communautés rurales déplacées de Haute-Volta dans les années 1930 et installées par le gouvernement colonial français dans des « villages coloniaux » autour de Bouaflé. Maintenus jusqu’aux années 1990 dans un statut ambigu d’étrangers immigrés, ces individus rencontrent aujourd’hui encore des difficultés pour obtenir des documents d’identité auprès de l’administration locale et demeurent, malgré leur naturalisation collective, dans un statut liminal d’exception juridique et politique. À la suite de la crise ivoirienne (2002-2011), la vieille question de la citoyenneté s’est vue reformulée en termes de « risque d’apatridie » par le gouvernement et les organisations internationales. L’article reconstitue l’histoire de la discrimination de ces personnes et de leur lutte pour obtenir des « papiers ». Il montre que ni la réforme de l’état civil ni celle de la biométrie n’ont radicalement modifié leur insécurité documentaire ou les vieux stéréotypes qui continuent à structurer les représentations de l’appartenance nationale. Les « autochtones » continuent ainsi de rattacher la citoyenneté des « villages voltaïques » à la mémoire historique de la gouvernance coloniale. Il s’avère finalement que les nouvelles technologies biométriques, bien que visant à dépolitiser la question de l’identification, sont loin de réduire les risques d’apatridie et pourraient même ouvrir la voie à sa consolidation numérique.

“A Container of Papers”: Citizenship and Statelessness in the Colonial Villages of Central Côte d’Ivoire

This article explores the historical and political dynamics connecting identification, registration, and citizenship in Côte d’Ivoire. It focuses on rural communities displaced from Haute-Volta in the 1930s and settled by the French colonial government in “colonial villages” around Bouaflé. These populations held the ambiguous status of foreign immigrants until the 1990s, and still face difficulties in obtaining identity papers from the local administration. Although now legally recognized as citizens, they have thus continued to exist in a liminal status of legal and political exceptionalism. Since the end of the Ivorian crisis (2002-2011), the old issue of citizenship has been recast in terms of the “risk of statelessness” by the government and international organizations. The present article reconstructs the history of discrimination against these populations and their struggle for “papers.” It shows that neither the reform of civil registration nor the introduction of biometric identification has radically altered their documentary insecurity or overturned the old stereotypes that continue to structure notions of national belonging. “Autochthonous” populations still consider the citizenship of the “Voltaic villages” through the prism of historical memories of colonial governance. The article concludes by observing that new biometric technologies, although intended to depoliticize the issue of identification, do little to reduce the risk of statelessness and may even pave the way for its digital consolidation.

Andrea Rapini et Pierre-Édouard Weill

Histoire des savoirs et relations de pouvoir Les métamorphoses de la science administrative italienne (1875-1935)

Cet article apporte une contribution à l’histoire des savoirs fondée sur l’analyse de relations de pouvoir à la croisée des champs académique et politique. Il prend pour objet les métamorphoses de la science administrative (SA) italienne, de son imposition dans le cursus juridique (1875) à sa disparition provisoire des facultés de droit (1935). Il esquisse d’abord les grandes lignes du modèle universitaire italien naissant et ses influences étrangères. Il analyse ensuite la controverse sur les fondements épistémologiques et les frontières d’une SA émergente et contestée, ces débats étant liés à des enjeux politiques sur la souveraineté de l’État et la légitimité de son intervention sociale. Si l’enseignement de la SA connaît un essor jusque dans les années 1880, des transformations réglementaires affectent les rapports de force dans le recrutement professoral et amorcent son déclin. C’est ce qu’objective la reconstitution de la structure des liens de coparticipation aux jurys de recrutement, grâce aux outils de l’analyse de réseaux. Combinant l’exploitation de ces résultats et de données biographiques, l’article montre comment les défenseurs d’une méthode juridique des plus formalistes imposent leurs principes de définition et de classement des disciplines administratives. L’étude de trajectoires exemplaires oppose enfin la perpétuation de la marginalité des promoteurs d’une SA interventionniste à la consécration de ses contempteurs, qui légitiment l’État libéral, mais adoptent des postures contrastées face à l’avènement du fascisme.

The History of Knowledge and Power Relations: Metamorphoses of Administrative Science in Italy (1875-1935)

This article contributes to the history of knowledge by analyzing power relations at the intersection of the academic and political fields. It focuses on the evolution of Italian administrative science (AS) from its introduction into the legal curriculum in 1875 to its temporary removal from law faculties in 1935. The article begins by describing the naissance of the Italian university model and its foreign influences. It then analyzes the controversy surrounding the epistemological foundations and boundaries of an emerging and contested AS, tracing debates linked to political issues of state sovereignty and the legitimacy of welfare policies. The teaching of AS flourished into the 1880s. However, regulatory changes affected the balance of power in the recruitment of professors, and the field began to decline. This is illustrated by a reconstruction of the links between coparticipants in recruitment juries, based on network analysis. Combined with biographical data, these results show how defenders of a highly formalist legal method imposed their vision on the definition and classification of administrative disciplines. Finally, a study of representative individual trajectories contrasts the ongoing marginalization of those who favored an interventionist AS with the legitimation of its detractors: supporters of the liberal state, who nevertheless adopted disparate positions in the face of the rising tide of Fascism.

Antoine Perrier

Qu’est-ce que le Makhzen ? Retour sur l’historiographie marocaine de l’État moderne (XVIe-XIXe siècles) depuis l’indépendance

L’histoire de l’État marocain fut au centre des recherches de la nouvelle école de Rabat des années 1960 aux années 2000. Essentiellement écrit en arabe, cet héritage historiographique est souvent méconnu de la recherche internationale. Il permettrait pourtant de dépasser les lieux communs persistants qui entourent la monarchie marocaine. En reconstituant, depuis les sources nationales, les réalités sociales et culturelles cachées derrière le mot « Makhzen », les historiennes et les historiens marocains ont remis en cause le cliché colonial de relations expéditives et autoritaires que l’État aurait entretenu avec la société. Cet article propose ainsi de revenir d’une manière critique sur cette historiographie en présentant son contexte et les principaux visages qu’elle a donnés à l’État marocain, en repartant des méthodes et des sources déployées par plusieurs générations d’autrices et d’auteurs marocains en dialogue avec les travaux étrangers. Les dimensions économiques, administratives, idéologiques et spirituelles du Makhzen offrent des perspectives originales sur l’histoire de l’État en général. L’article entend ainsi mettre à disposition du public français les lignes fortes de cette école historique, tout en soulignant les chantiers de recherche qu’elle a laissés ouverts. Ce faisant, il propose une définition historiquement informée du Makhzen pour un public non spécialiste. Il souligne enfin et surtout la nécessité, dans la continuité des appels à la parité documentaire en matière de sources, du recours à la bibliographie arabophone pour écrire l’histoire du Maghreb.

What Is the Makhzen? The Historiography of the Modern State (Sixteenth to Nineteenth Centuries) in Post-Independence Morocco

The history of the Moroccan state (Makhzen) was at the center of reflections by scholars linked to the New Rabat School from the 1960s to the 2000s. Essentially written in Arabic, this historiographical heritage is often overlooked by international authors. It is, however, essential to overcoming longstanding preconceptions surrounding the Moroccan monarchy. By reconstructing, from national sources, the social and cultural realities underpinning the word “Makhzen,” Moroccan historians have challenged the colonial cliché of the state’s expeditious and authoritarian relationship to society. This article proposes a critical review of this historiography by presenting its context and the principal ways it has depicted the Moroccan state, based on methodologies and sources deployed by several generations of Moroccan authors in dialogue with foreign scholarship. The economic, administrative, ideological, and spiritual dimensions of the Makhzen offer original perspectives on the broader history of the state in general. The article seeks to present the main lines of this historical school to Francophone readers, and to highlight future avenues of research. In so doing, it proposes a historical definition of the Makhzen for a non-specialist audience. Above all, it emphasizes the need, in line with calls for documentary parity, to take Arabic-language scholarship into account when writing the history of North Africa.