L’insight et l’empathie sont deux notions fondamentales en psychiatrie. Fondamentales, certes, mais difficiles à étudier lorsqu’on tente de les interroger de façon conjointe. En effet, à première vue, l’empathie et l’insight semblent s’opposer au point de vue phénoménologique mais aussi différer au point de vue neurofonctionnel. L’insight et l’empathie renvoient tout d’abord à des phénomènes, sinon contraires, du moins inverses. L’insight est un terme anglais sans équivalence en français, traduit par le terme d’« introvision » ou « voir à l’intérieur de » (« insight into »). En psychiatrie, il renvoie à la conscience qu’a le patient de son trouble, c’est-à-dire à la conscience qu’a le patient de lui-même comme sujet malade et de cette maladie comme étant la sienne. L’objet intentionnel de l’insight est, donc, le Soi en relation à sa pathologie. L’empathie est la traduction de l’allemand « Einfu - hlung » qui signifie « sentir [fu - hlen] dans [ein] ». L’empathie consiste en un processus mental de décentrement ou de transposition de soi dans autrui par lequel nous pouvons vivre et éprouver ce que l’autre vit et éprouve, comprendre le contenu de son expérience mais tout en maintenant la distinction entre soi et autrui. L’objet intentionnel de l’empathie est, par conséquent, autrui. Ainsi, l’insight et l’empathie semblent-ils renvoyer à deux phénomènes dont le mouvement intentionnel est inverse : « voir à l’intérieur de soi » et « sentir dans autrui ». De la même manière, du point de vue psychobiologique et neurofonctionnel, leurs bases neurales sont aussi distinctes : l’insight ferait plutôt intervenir l’insula alors que l’empathie mettrait en jeu un réseau cérébral très largement distribué au sein duquel la jonction temporopariétale aurait un rôle prépondérant. Mais l’empathie et l’insight sont-ils autant exclusifs l’un de l’autre que ce qu’une première approche pourrait laisser penser ? En effet, si l’empathie repose sur un décentrement de soi dans autrui qui permet d’adopter la perspective d’autrui, l’insight semble aussi reposer sur une forme de décentrement de soi par rapport à soi, permettant de prendre une perspective objective sur soi-même. C’est-à-dire de se voir soi-même comme autrui nous verrait de son point de vue. L’insight, dans sa dimension métacognitive, serait-il possible sans le développement des capacités empathiques de décentrement ? Inversement, comment le décentrement de soi dans autrui dans l’empathie qui repose sur des codages complexes du corps propre dans l’espace serait-il possible sans l’insight somesthésique ? En outre, certaines données de neuro-imagerie récentes montrent l’implication de l’insula dans l’empathie. Et on connaît l’implication de la jonction temporopariétale dans la conscience du Soi corporel. Sommes-nous alors face à des paradoxes ? Comment peut-on aller plus loin dans la compréhension de ces deux concepts ? Ces phénomènes peuvent-ils être étudiés en recherche translationnelle et être modélisés chez l’animal en vue d’une meilleure étude physiopathologique ? Quel serait le comportement empathique d’un animal par rapport à un autre en difficulté ? Que nous disent les premiers résultats en neuroscience psychiatrique (issus d’études réalisées dans le cadre d’un travail collaboratif entre l’unité de recherche clinique au centre hospitalier Henri-Laborit à Poitiers et l’équipe du Pr Alain Berthoz au Collège de France ? Nous espérons que ce symposium et les différents échanges formels et informels que nous y aurons nous permettront de clarifier l’interrelation de ces deux concepts.