Dans le cadre d’une recherche indépendante, à partir de sources oubliées de la littérature psychiatrique classique, nous étudierons comment la psychiatrie a construit son identité par une réflexion sur des entités cliniques nouvellement créées. Elles ont découlé de l’élaboration de nouvelles classifications, qui sont toujours des travaux enracinées dans leur époque et dans les modèles théoriques dominants. D’où vient le fait que le terme de psychose est devenu à lui seul un pan entier de la psychiatrie, dans la diversité de ses expressions symptomatiques et des pathologies variées qui s’y rattachent ? Nos ainés y ont-ils découvert un nouvel état de l’esprit humain ? Comment y ont-ils reconnu une parenté, un processus psychique qui nécessitait la création d’un nouveau mot où viendront se cristalliser les troubles psychotiques ? Nous verrons comment Ernst von Feuchtersleben (1806–1849), personnage haut en couleur, probablement en avance sur son temps, et cela avant la théorie de la Dégénérescence, a repris le terme préexistant de psychose (forgé en 1841 par Canstatt), et a construit une nouvelle espèce de maladie mentale distincte d’une part de l’idiotie, et du délire fixe de l’autre. Le romantisme s’y retrouve probablement par sa manière d’exprimer son intuition de clinicien, en tant que médecin, et d’exposer son programme clinique à l’époque où la psychiatrie, qui s’appelait plus volontiers aliénisme ou « médecine psychique », n’en était qu’à ses débuts. Son œuvre médicale, par la précision de son propos, nous confronte avec un regard qui peut paraître étonnamment moderne, comme un tronc commun des divers courants ultérieurs dépouillé des idéologies plus récentes. Elle nous apprend autant sur la rigueur éthique d’une profession balbutiante que sur la marque, indélébile mais aujourd’hui oubliée, qu’il imprima sur toute la psychiatrie.