Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Le mouvement ouvrier du XIXe siècle est né dans l'atelier artisanal et non pas à l'usine. Bien que cette constatation ne soit plus sujette à controverse, elle implique une révision fondamentale de l'histoire de la classe ouvrière. Depuis Marx, les historiens ont interprété le mouvement ouvrier et son idéologie de classe comme issus d'hommes nouveaux dans une situation nouvelle ; ils n'ont pas tenu compte des pratiques et de la mentalité des artisans de l'ère pré-industrielle. Or la conscience de classe est apparue et s'est développée chez les artisans des villes — dont les conditions de travail auraient paru familières à leurs ancêtres du XVIIe ou du XVIIIe siècle — ce qui pose inévitablement le problème de la continuité.
Before the Revolution of 1830, the discourse and practice of French workers was derived essentially from the pre-industrial corporate tradition. But when workers were thrown into the political arena by the July Revolution, they had to formulate their demands within the political vocabulary of the new regime—a revived version of the liberal discourse of 1789. This required them to reconcile the revolutions individualistic language with the collectivist corporate traditions of the artisan trades. They solved this problem by elaborating a new idiom of “association”, which not only enabled them to reformulate their longstanding demands for corporate regulation of their trades, but transcended narrow corporate loyalties and provided the conceptual foundations of a class-conscious outlook. Working-class solidarity, when it first appeared in France, was a transformation and enlargement of the corporate solidarity of the artisan trades.
1. A propos de la prédominance des artisans dans le mouvement ouvrier français du XIXe siècle, voir Moss, Bernard H., The origins qfthe French labor movement : the socialism ofskilled workers, 1830-1914, Berkeley et Los Angeles, 1976 Google Scholar ; George Duveau, 1848, Paris, 1965 ; Rémi Gossez, Les ouvriers de Paris, t. I : L'organisation, 1848-1851, vol. 24 de la Bibliothèque de la Révolution de 1848, La Roche-sur-Yon, 1967 ; Faure, Alain, « Mouvements populaires et mouvement ouvrier à Paris ». Le Mouvement social, 88, juil.-sept. 1974, pp. 51–92 Google Scholar ; Rougerie, Jacques, « Composition d'une population insurgée : l'exemple de la Commune », Le Mouvement social, 48, juil.-sept. 1964, pp. 31–48 Google Scholar et Procès des Communards, Paris 1964 ; Charles Tiu Y et Lynn Lees, « Le peuple de juin 1848 », Annales ESC, n° 5, sept.-oct. 1974, pp. 1061-1091 ; Bezucha, Robert, The Lyon uprising of 1834 : social andpolitical conftict in a nineteenth century city, Cambridge, Mass., 1974 Google Scholar ; Lequin, Yves, Les ouvriers de la région lyonnaise, 1848-1914, 2 vols, Lyon, 1977 Google Scholar ; J.-P. Aguet, Les grèves sous la monarchie de juillet (1830-1847) contribution à l'étude du mouvement ouvrier français, Genève, 1954 ; Peter N. Stearns, « Patterns of industrial strike activity in France during the July Monarchy », 77ie American historical Review, 70, janv. 1965, pp. 371-394 ; Shorter, Edward et Tilly, Charles, Strikes in France, 1830-1968, Londres, 1974 Google Scholar ; Johnson, Christopher H., Utopian Communism in France: Cahet and the Icarians, 1839-1851, Ithaca, N.Y., 1974 Google Scholar; Scott, Joan Wallach, The glassworkers of Carmaux : French craftsmen and political action in a nineteenth century city, Cambridge, Mass., 1974 Google Scholar. On peut constater le rôle de leaders qu'ont joué les artisans dans le mouvement ouvrier anglais dans The making of the English working class de E. P. Thompson, Londres, 1963. Pour les États-Unis, voir Gutman, Herbert, Work, culture and society in industrializing America, New York, 1976.Google Scholar
2. Parmi les historiens qui font commencer le mouvement ouvrier en 1830, notons les noms d'Edouard Dom.éans, Histoire du mouvement ouvrier, 3 vols, Paris, 1936-1953 ; de Moss, Origins of the French labor movement ; d'Alain Faure et de Jacques Rancière, La parole ouvrière, 1830-1851, Paris 1976. Plusieurs études importantes ont été consacrées à la période 1830-1834. Le mouvement ouvrier au début de la Monarchie de Juillet (1830-1834), Paris, 1908, d'Octave Festy, est un classique dans ce domaine. A propos du mouvement ouvrier à Lyon pendant ces années, voir Fernand Rude, Le mouvement ouvrier à Lyon de 1827 à 1832, Paris, 1944 (nouvelle édition, Paris 1969) et Bezucha, op. cit. A propos des ouvriers parisiens, voir Faure, op. cit.
3. Pour la Restauration, voir en particulier. Les patrons, les ouvriers et l'État. Le régime de l'industrie en France de 1814 à 1830, 3 vols, publiés sous la direction de Georges Bourgin et Hubert Bourgin. Paris, 1912-1941. A propos de l'Ancien Régime, voir Martin, Germain, Les associations ouvrières au XVIIIe siècle (1700-1792), Paris, 1900 Google Scholar, et Steven Kaplan, « Réflexions sur la police du monde du travail, 1700-1815 », Revue historique, 261, 1979.
4. Faure et Rancière, op. cit.
5. Sur le compagnonnage, voir Saint-léon, Etienne Martin, Le compagnonnage, Paris, 1901 Google Scholar ; Coornaert, Emile, Les compagnonnages en France du Moyen Age à nos jours, Paris, 1966 Google Scholar ; et Hauskk, Henri, Les compagnonnages d'arts et métiers à Dijon aux XVIIe et XVIIIesiècles, Paris, 1907 Google Scholar. Pour trouver une documentation antérieure sur l'existence des compagnonnages, voir Paul Labai., « Notes sur les compagnons migrateurs et les sociétés de compagnons à Dijon à la fin du xvc et au début du XVIe siècle », Annales de Bourgogne, 22, 1950. Il existe un ouvrage récent qui souligne l'importance du mythe et du rituel dans le compagnonnage, « Compagnonnage : symbolic action and the défense of workers’ rights in France, 1700-1848 », de Cynthia Truant, Thèse de Ph. D., Université de Chicago, 1978. Voir aussi Cynthia Truant, « Solidarity and symbolism among journeymen artisans : the case of compagnonnage », Comparative Studies in Society and History, 21, 1979.
6. Il n'existe pas d'étude générale satisfaisante sur les sociétés d'aide mutuelle dans la France du XIXe siècle. Voir cependant E. Labrousse, Le mouvement ouvrier et les théories sociales en France de 1815 à 1848, Paris, Cours de Sorbonne, 1948, pp. 79-84 ; Agulhon, Maurice, Une ville ouvrière au temps du socialisme utopique : Toulon de 1815 à 1851, Paris, 1970 Google Scholar, cité à plusieurs reprises ; Robert J. Bezucha, op. cit., pp. 100-1 12 ; et William H. Sewell, Jr., Work and Révolution in France : the language of labor from the Old Régime to 1848, Cambridge, 1980, chapitre 8.
7. Pour les descriptions des cérémonies d'initiation, voir Coornaert, Les compagnonnages. Pour une analyse approfondie de ces cérémonies, voir Truant, « Compagnonnage ».
8. Ces généralisations sont essentiellement fondées sur mes propres recherches sur les sociétés d'aide mutuelle à Marseille. Les statuts de nombreuses sociétés, ainsi que les listes de membres, se trouvent dans les Archives départementales des Bouches-du-Rhône, M6/1045-1050.
9. Sur les corporations de l'Ancien Régime, voir Olivier-martin, François, L'organisation corporative de la France d'ancien régime, Paris, 1938 Google Scholar ; Saint-léon, Etienne Martin, Histoire des corporations de métiers, depuis leurs origines jusqu ‘à leur suppression en 1791, Paris, 1899 Google Scholar ; et Coornaert, Emile, Les corporations en France avant 1789, Paris, 1941.Google Scholar
10. Le meilleur compte rendu de ce problème se trouve dans « Economie change and artisan discontent : the tailors’ history, 1800-1848 », de Christopher H. Johnson, publié sous la direction de Roger Price dans Révolution and reaction : 1848 and the Second French Republic, Londres, 1975, pp. 87-1 14. Voir aussi Moss, op. cit., chapitre I.
11. Pour trouver des documents sur les conflits ouvriers pendant la Restauration, voir G. Bourgin et H. Bourgin, Le régime de l'industrie ; voir aussi Sewell, Work and Révolution, chapitre 8.
12. Festy, op. cit., pp. 27-46. Edgar Léon Newman, « What the crowd wanted in the French Révolution of 1830 », dans 1830 in France, publié sous la direction de John M. Merriman, New York, 1975, pp. 23-71.
13. Cité dans Festy, op. cit., p. 61.
14. Ordonnance du 25 août 1830, Ibid., 44.
15. A propos de la crise économique de 1830, voir Labrousse, Ernest : « 1848,1830,1789 : comment naissent les révolutions ? », dans les Actes du congrès historique du centenaire de la révolution de 1848, Paris, 1948 Google Scholar. En ce qui concerne le rythme de l'agitation ouvrière et son rapport avec le chômage, voir Faure, « Mouvement populaire et mouvement ouvrier », pp. 52-57.
16. Ces journaux furent fondés respectivement les 19, 22 et 30 septembre.
17. L'Artisan, 22 septembre 1830. Une grande partie du prospectus est réimprimée dans Faure et Ranctère, op. cit., pp. 214-218.
18. L'Artisan, 22 septembre 1830.
19. Dans son numéro du 26 septembre 1830, L'Artisan déclarait : « Selon nous, le peuple n'est autre que la classe ouvrière. »
20. Festy, op. cit., p. 78.
21. Ibid. pp. 263-264.
22. Ibid., pp. 138, 254-256. 294.
23. Cuvhlier, Armand, P.-J.-B. Bûchez et les origines du socialisme chrétien, Paris, 1948 Google Scholar, surtout pp. 41-45. Voir aussi Bernard H. Moss, « Parisian workers and the origins of Republican Socialism, 1830-1833, » dans Merriman, 1830 in France, pp. 203-221.
24. Faure et Ranctère, op. cit., p. 89.
25. Ibid., p. 94.
26. Cité dans Bezucha, op. cit., p. 105.
27. Faure, op. cit., pp. 52-58.
28. Edward Shorter et Charles Tir.t.y, op. cit., p. 360.
29. Le récit de l'insurrection a été fait à de nombreuses reprises. L'ouvrage définitif est celui de Rude, cité à la note 2.
30. A propos du mouvement des ouvriers lyonnais pendant ces années-là, voir Bezucha, op. cit. En ce qui concerne la presse de la classe ouvrière, voir spécialement les pages 61,122-128.
31. Aguet, op. cit., pp. 1-125. Le nombre officiel des poursuites pour cause de coalition paraît beaucoup moins important en 1833, qui est pourtant de loin l'année la plus active de toute la décennie. Ibid., xxn. Voir aussi Shorter et TH.LY, op. cit., p. 360.
32. Ibid., pp. 123-125, Festy, op. cit. p. 237.
33. Festy, op. cit., p. 269.
34. Alain Faure a analysé une liste de quelque 685 membres, représentant entre un et deux cinquièmes de la totalité des membres parisiens. Elle fut dressée en janvier 1834 et, par la suite, saisie par la police. Trois quarts des membres figurant sur cette liste étaient des ouvriers. Faure, « Mouvements populaires et mouvement ouvrier », pp. 79-81.
35. Ibid., p. 85.
36. Ibid., p. 85-87.
37. Les deux pamphlets sont réimprimés dans La parole ouvrière de Faure et Rancière, pp. 74- 81, 159-168.
38. Voir l'excellente analyse du républicanisme à Lyon dans Bezucha, op. cit., pp. 73-95.
39. Dans Faure et Rancière, op. cit., p. 160.
40. Voir par exemple Festy, op. cit., pp. 77-254.
41. C'est une citation tirée d'une déclaration d'une association de cordonniers parisiens à l'automne 1833, ibid., p. 254.
42. lbid., pp. 240-248, 256,258 ; Faure, op. cit., pp. 87-89.
43. Sur l'association des tailleurs, voir Faure, op. cit., p. 88 et Aguet, op. cit., pp. 75-87.
44. Cité dans Faure et Rancière, op. cit., p. 161.
45. Ici mon interprétation rejoint celle de Faure, op. cit., pp. 88-89.
46. Cité dans Festy, op. cit., p. 181.
47. Ibid., p. 294.
48. Dans Faure et Rancière, op. cit., pp. 162-167.
49. Ibid, p. 163.
50. Utopian communism in France, de Johnson, est une excellente étude de ce problème.
51. Johnson, «Economie change and artisan discontent»; Moss, Origins of French labor movement ; et Ronald Aminzade, « The transformation of social solidarities in nineteenth-century Toulouse ». dans Consciousness and class expérience, publié sous la direction de John M. Merriman, New York, 1979.
52. Voir, par exemple, Charles Tilly, From mobilization to Révolution, Reading, Mass., 1978 et Merriman, John , The agony of the Republic: the repression of the left in revolutionnary France, 1848-1851, New Haven, 1978.Google Scholar