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Une justice impossible. L'épuration et la politique antijuive de Vichy

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Henry Rousso*
Affiliation:
CNRS — IHTP

Extract

Il a fallu longtemps pour que la spécificité de la politique antijuive de Vichy émerge dans la conscience collective. Marginale au lendemain de la guerre, occultée dans les années 1950-1960, cette dimension de l'histoire a constitué au contraire un élément essentiel dans la remise en mémoire de l'épisode de Vichy à partir de 1967, et surtout dans les années 1970-1980. Depuis quelques années enfin, elle en est devenu l'élément central, voire exclusif. En vingt ans, le souvenir de l'antisémitisme français des années noires nourrit un débat récurrent d'envergure nationale. Il touche désormais l'ensemble des Français, qu'ils approuvent ou non ces rappels incessants.

Summary

Summary

With the indictment of several former high civil servants for crimes against humanity, the French have recently refocused their attention on Vichy's policy towards Jews. They may have forgotten, the author argues, the violent postwar purges in which most of the visible war criminals, be they officials or intellectuals, were tried, and many sentenced to death. The issue remains of wether and to what extent the legal system could directly adress antisemitic attitudes, ideology and action.

Type
Construction de la Mémoire
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1993

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References

1. Voir la chronologie du souvenir présentée dans ce même numéro.

2. Sur l'évolution historiographique du sujet, voir Renée Poznanski, « Vichy et les Juifs. Des marges de l'histoire au coeur de son écriture », dans Le Régime de Vichy et les Français sous la direction de Jean-Pierre AZÉMA et François Bédarida, avec la collaboration de Denis Peschanski et Henry Rousso, Paris, Fayard/IHTP, 1992, pp. 57-67. Sur l'histoire du CDJC, voir Annette Wieviorka, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l'oubli, Paris, Plon, 1992, pp. 415-423.

3. C'est le sens d'une pétition lancée par le « Comité Vel d'Hiv 42 » en juin 1992 (cf. Le Monde, 17 juin 1992) et d'une autre de l'Union des étudiants juifs de France, en novembre 1992, après l'affaire de la gerbe présidentielle sur la tombe de Pétain.

4. Cf. Henry Rousso, « L'épuration, une histoire inachevée » et François Rouquet, « L'épuration administrative en France après la Libération. Une analyse statistique et géographique », Vingtième siècle. Revue d'histoire, 33, janvier-mars 1992, dossier « L'épuration en France à la Libération », pp. 78-105 et 106-117.

5. « Histoire et justice. Débat entre Serge Klarsfeld et Henry Rousso », dans dossier « Que faire de Vichy ? » Esprit, n° 181, mai 1992, p. 33.

6. Simone Veil, « Une difficile réflexion », dans le n° spécial « Les Juifs de France dans la seconde guerre mondiale » s.l.d. André Kaspi, Annie Kriegel, Annette Wieviorka, Pardès, n° 16, 1992, p. 272.

7. Pierre Truche, « La notion de crimes contre l'humanité. Bilan et propositions », Esprit, n° cité, p. 74.

8. Bien que la question posée ici soit au coeur de l'argumentaire utilisé aujourd'hui pour justifier ou récuser la nécessité de nouveaux procès contre d'anciens responsables de Vichy, elle n'a jamais fait l'objet d'une étude systématique. La plupart des ouvrages sur la politique antijuive de Vichy ou sur l'épuration ont tendance à considérer a priori que la question juive a été évacuée des procès de la Libération (on signalera toutefois que Katy Hazan a entrepris un mémoire de DEA sur ce sujet).

9. Pour une approche comparée des épurations en Europe, Klaus-Dietmar Henke, cf. & Woller, Hans (dir), Politische Saûberung in Europa : die Abrechnung mit Faschismus und Kollaboration nach dem Zweiten Weltkrieg, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1991.Google Scholar

10. Article premier, Ordonnance du 26 août 1944, Journal officiel de la République française, 28 août 1944.

11. Jacques Isorni, Cf., Le procès de Robert Brasillach (19 janvier 1945), Paris, Flammarion, 1946, p. 39.Google Scholar

12. Ibidem, pp. 99-101.

13. Robert Brasillach, « Les sept internationales contre la Patrie », Je suis partout, 25 septembre 1942.

14. Jacques Isorni, Le procès de Robert Brasillach, op. cit., p. 162.

15. Ibidem, p. 137.

16. Le procès de Charles Maurras. Compte rendu sténographique, Paris, Albin Michel, 1946, pp. 9-10.

17. Ibidem, p. 44

18. Ibid., p. 243.

19. Comment reconnaître un juif, par le Dr. Montandon, La Médecine et les juifs, par le Dr. Querrioux, La Presse et les juifs, par L. Pemjean et Les Tribus du cinéma et du théâtre, de Rebatet.

20. Cité par Aron, Robert, Histoire de l'épuration, tome II, Des prisons clandestines aux tribunaux d'exception. Septembre 1944-juin 1949, Paris, Fayard, 1969, pp. 246247.Google Scholar R. Aron, qui ne mentionne pas ses sources, cite apparemment le dossier d'instruction

21. Arrêt publié dans Pascal Fouché, L'édition française sous l'Occupation. 1940-1944, vol. II, Paris, Bibliothèque de Littérature française contemporaine, Université Paris VII, pp. 345-349. Voir également, Céline & les Éditions Denoël, 1932-1948, Correspondances et documents présentés et annotés par Pierre-Edmond Robert, Paris, IMEC Editions, 1991.

22. Audience du 23 juillet 1945, Procès du Maréchal Pétain. Compte rendu officiel in extenso des audiences de la Haute Cour de justice, Paris, Éd. L. Pariente, 1976, p. 13.

23. Ibid., p. 14.

24. Audience du 3 août 1945, ibid., p. 241.

25. Audience du 4 août 1945, ibid., p. 261.

26. Audience du 11 août 1945, ibidem, p. 421.

27. Audience du 14 août 1945, ibidem, p. 469-470.

28. Cité par Jacques Isorni, Le condamné de la citadelle, Paris, Flammarion, 1982, p. 39. Voir également Marc Ferro, Pétain, Paris, Fayard, 1987, p. 631

29. Jacques Isorni, Le condamné de la citadelle, op. cit., p. 91.

30. Réquisitoire définitif, audience du 4 octobre 1945, Le Procès Laval. Compte rendu sténographique, Paris, Albin Michel, 1946, p. 28.

31. Ibidem, p. 49.

32. Audience du 8 octobre 1945, ibid., p. 251. A noter que le juge d'instruction fait référence à la rafle du Vel d'Hiv du 16 et 17 juillet, en se trompant sur la date et sur le nombre d'arrestations, et en ne précisant pas qu'il s'agit de juifs.

33. Ibidem, p. 253.

34. Audience du 9 octobre 1945, ibid., p. 275.

35. Un article paru le 6 décembre 1946, dans Action, un hebdomadaire proche du parti communiste, rappelle que du Paty de Clam est l'un des quatre fils du célèbre protagoniste de l'affaire Dreyfus. Étalant une grande érudition, son auteur, Albert Réville, rappelle que l'un des aïeuls, juge de son état, s'est distingué en 1768 pour avoir rédigé un mémoire récusant la condamnation de sept sujets “ allemands ”, pendus pour avoir pillé une maison appartenant à des Juifs sur la foi de leur seul témoignage. “ Sa thèse, écrit Réville, étayée par un édit de saint Louis, était qu'un Juif ne pouvait être témoin. Elle fut dépassée par son arrière petit-fils qui, lui, estimait qu'un Juif ne pouvait être innocent. Plus nette encore fut la position du fils du bourreau de Dreyfus. Pour ce triste personnage un Juif devait être rayé tout simplement du nombre des vivants. Il devait, à cette fin, être livré à la Gestapo et dirigé sur les fours d'Auschwitz ”. Cf. archives du CDJC, XCVI-83.

36. Haute Cour, Procès Darquier de Pellepoix, 9-10 décembre 1947, Sténographie du Cabinet Bluet, p. 24. (Ces sténographies se trouvent aux Archives nationales. Quelques-unes, dont celles des procès de Vallat, Darquier, etc. se trouvent également au CDJC).

37. Ibidem, p. 6.

38. Sur le fond du problème, voir Klarsfeld, Serge, Vichy-Auschwitz : le rôle de Vichy dans la Solution finale de la question juive en France 2 vols, Paris, Fayard, 1983 et 1985.Google Scholar

39. Je renvoie sur ce point à mon ouvrage, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil (2’ édition), 1990, pp. 163 ss.

40. Le procès de Xavier Vallat présenté par ses amis, Paris, Le Conquistador, 1948, p. 8.

41. Ibidem, p. 76.

42. Ibidem, pp. 107-109.

43. Ibidem, p. 89.

44. « Minutes du procès de la SEC », juillet-août 1949, archives du CDJC, LXXIV-15, « Exposé des motifs », pp. 4-5. Je remercie Vidar Jacobsen, et Marc Knobel du CDJC, pour leur aide et leur accueil.

45. Ibidem, p. 14.

46. Idem.

47. Extraits du mémoire en défense de Jean Sevey, par Me Rémond, CDJC-LXXIV-15, pp. 11-12.

48. Certains procès-verbaux des interrogatoires des policiers de la SEC sont aux archives du CDJC, XCVI 1-93.

49. Idem, CDJC, LXXIV-16.

50. L'Humanité, 6 août 1949.

51. On lui doit le seul compte rendu quasi exhaustif du procès, sur lequel je m'appuie ici : « Notes prises sur le “ procès de Drancy ” à la cour de justice de la Seine (mars 1947) », par Me Henri Blaustin, avocat à la cour, 121 p., manuscrit, archives de l'IHTP. Le document reproduit intégralement l'acte d'accusation, quelques auditions de témoins, le réquisitoire et un certain nombre de plaidoiries, ainsi que l'arrêt. Il comporte, en outre, nombre d'annotations et de réflexions personnelles. Cf. également Maurice Rajsfus, Drancy. Un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944, Paris, Manya, 1991, pp. 98-103.

52. Audition du 21 mars 1947, Blaustin, doc. cit., p. 34.

53. Ibidem, pp. 40-41.

54. Réquisitoire, 22 mars 1947, Blaustin, doc. cit., pp. 39-40.

55. Ibidem, p. 45.

56. Henri Blaustin, doc. cit., p. 68.

57. Il est aujourd'hui encore difficile d'apprécier le rôle des instances policières sous Vichy et d'évaluer l'ampleur de l'épuration pénale et professionnelle de la Préfecture de Police et de l'Intérieur qui arrivent en tête du bilan de l'épuration administrative (Cf. François Rouquet, art. cit.). S'amorce toutefois une ouverture des archives du ministère de l'Intérieur, qui ont été jusqu'ici à contre-courant de la politique libérale des Archives nationales, un cas particulier qui explique les anathèmes infondés dont les Archives nationales sont régulièrement la cible de la part d'” historiens “ ou de journalistes peu informés de ces sujets. Dans le sillage notamment de la thèse pionnière de Jean-Marc Beruère (L'institution policière en France sous la IIIe République, thèse, Université de Dijon, 1991) s'amorce également une ouverture en direction de la recherche.

58. Le — les ? — procès Bousquet constitueront sans nul doute un sujet de recherche fort intéressant dans les années à venir. Je remercie ici Serge Klarsfeld de m'avoir permis de voir quelques pièces du dossier. On peut ne pas être en accord avec toutes ses prises de position (cf. notre dialogue dans Esprit, art. cit.), il a pu commettre comme tout le monde des erreurs, en particulier dans l'affaire des « fichiers juifs ». Il n'en reste pas moins que son rôle dans la mise à jour de l'histoire des persécutions antijuives de Vichy a été fondamental. Plus fondamental que certains de ceux qui l'attaquent aujourd'hui, avec des arguments certes fondés, mais avec une virulence qui ne peut masquer l'indigence de l'Université française en la matière jusque dans le milieu des années 1970.

59. Rapport du commissaire de police R., direction des services de la police judiciaire (Sûreté nationale) au commissaire divisionnaire, chef du service des délégations judiciaires, 28 juin 1945. Ce rapport fait suite à la commission rogatoire du juge Bouchardon, du 28 février 1945 (document chez Serge Klarsfeld).

60. Rapport du Commissaire divisionnaire B. direction des Renseignements généraux au président Mitton, commission d'instruction de la Haute Cour, 13 février 1948. Ce rapport fait suite à une autre commission rogatoire, celle du président Mitton, en date du 19 juin 1947 (document chez Serge Klarsfeld).

61. C'est encore l'enjeu des procédures en cours. Cf. toutefois Serge Klarsfeld, op. cit., tome 1.

62. Interrogé sur ce point, Serge Klarsfeld a partagé cette analyse (entretien du 9 mars 1992).

63. Acte d'accusation, p. 4. Le procès a fait l'objet d'une sténographie par le cabinet Bluet (document fourni par Serge Klarsfeld).

64. Ibidem, p. 12.

65. Idem.

66. Ibidem, p. 93.

67. Idem.

68. Cité par Jean-Marc Theolleyre, Procès d'après-guerre : Je suis partout, René Hardy, Oradour-sur-Glane, Oberg et Knochen, Paris, La Découverte/Le Monde, 1986, p. 217.

69. Cf. Robert Aron, op. cit., pp. 208 ss et Lottman, Herbert, L'épuration, 1943-1953, Paris, Fayard, 1986, pp. 264267.Google Scholar

70. Cf. la communication présentée par Alain Bancaud et Henry Rousso au colloque organisé à la Sorbonne, en décembre 1992, par l'Association française pour l'histoire de la justice, sous la responsabilité de Robert Badinter : « Les épurations dans la magistrature, xixe et xxc siècles », dont les actes doivent être publiés en 1993.

71. Jean Cassou, La Mémoire courte, Paris, Éd. de Minuit, 1953, pp. 33-34.

72. Pierre Hugueney, dans un article de la Revue de science criminelle de 1940 cité par Emile Garçon, Code pénal annoté, nouvelle édition refondue et mise à jour par Marcel Rousselet, Maurice Patin et Marc Ancel, Paris, Recueil Sirey, 1952, tome 1, Art. 83, 1952, p. 396.

73. Hertz, Henri, « Le drame juif à Nuremberg », Le Monde juif, n° 3, novembre 1946, repris dans Mémoire du Génocide, Paris, CDJC/FFDJF, 1987, p. 348.Google Scholar Le texte transmis aux jurés de la Haute Cour, le 10 août 1945, « Le procès Pétain. Les Juifs à la barre », a été publié dans La Terre retrouvée, 25 août 1945, et repris récemment dans Le Monde juif, avril-septembre 1992, pp. 236-241. Sur Henri Hertz, voir Renée Poznanski, « Des Juifs parlent aux Français : 1942 — Le document vert », dans Esther Benbassa (dir), Transmission et passages en monde juif (sous presse).