Jadis il m'eut été difficile d'écrire un article sur lamusique, la poésie, la peinture sans “prendreposition”, c'est-à-dire sans me mêler de cettepolitique profonde qui bouge comme l'autre, maisselon des règies beaucoup plus délicates et plussauvages. Bref, j'eusse situé Markevitch par rapportaux autres musiciens et cherché le pourquoi de saforce et de sa fraîcheur. Aujourd'hui (on se lassedes détails à la longue), je regarde les choses deplus loin, pour ne pas dire de plus haut et,l'avouerai-je, les grands formats, les figuresviolentes, les artistes de haute taille m'émeuventplus que certaines originalités moins éclatantes etd'un ordre complexe. Au reste, l'étrange boucle queboucle 1950 m'amène à mettre au premier plan, àsituer comme un artiste de grand format et dont lapersonnalité s'impose avant même que notre esprit dejugement se mette en branle—un musicien difficile,dont chaque note semble écrite toute seule, entouréede vide, neuve au monde et fraîche en soi–même parla seule vertu de sa naissance.Icare n'est–il pas l'exemple typede l'oeuvre d'Igor Markevitch où cette mystérieuseméthode semble être à la base de l'oeuvre et commele mécanisme qui la met en marche, l'actionne at larestitue au silence. Oeuvre étonnante, muette,tapageuse, vierge, capable de tendre les nėrfs del'auditeur jusqu'au crime, jusqu'à cette gêneterrible qui nous isole dans une salle et nousannonce l'entree en scène de l'ange du nouveau.Icare se raconte mal. Je sais quele jeune Icare observe le vol des colombes, essayesa machine et que ses ailes le précipitent dans lamer. Je sais qu'un ballet (de danses) devait évoluersur cette musique et la traduire en gestes. Mais,moi, je m'en tiens jusqu'à nouvel ordre, à ce quemes oreilles enregistrent: la première oeuvre,depuis le Sacre, qui se pose commeun bloc de délices, qui tombe de la lune, quiapporte d'un monde inconnu des grâcestroublantes.