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Samuel P. Hanes, The Aquatic Frontier: Oysters and Aquaculture in the Progressive Era, Amherst, University of Massachusetts Press, 2019, 230 p.

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Samuel P. Hanes, The Aquatic Frontier: Oysters and Aquaculture in the Progressive Era, Amherst, University of Massachusetts Press, 2019, 230 p.

Published online by Cambridge University Press:  13 November 2023

Romain Grancher*
Affiliation:
romain.grancher@cnrs.fr
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Histoire des pêches (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Dans cet ouvrage, Samuel P. Hanes propose d’apporter un éclairage inédit sur les États-Unis de l’ère progressiste en revisitant la question classique de la conservation de la nature à partir du littoral et de ses ressources. Explicitement inscrite dans le champ de l’histoire environnementale, son étude porte sur l’huître, un objet a priori mineur, mais dont l’importance historique et l’intérêt heuristique apparaissent évidents dès l’introduction. Au-delà même de son rôle économique et culturel, l’huître permet en effet de faire jouer un ensemble de frontières faussement évidentes, entre pêche et aquaculture, d’une part, mais aussi entre terre et mer, sauvage et domestique ou encore public, commun et privé, d’autre part.

Existant à l’état naturel sous la forme de vastes bancs répartis sur le fond de la mer, cette ressource a fait la fortune des riverains de la côte Est au xixe siècle avant de montrer d’inquiétants signes d’épuisement à partir des années 1880. Dans le sillage des travaux sur le Maryland de l’historienne des sciences Christine Keiner, S. P. Hanes choisit donc de faire de cette décennie la principale charnière chronologique de son enquête, qui se focalise principalement sur ce que les contemporains, notamment les savants, appellent alors « la question de l’huître » − à savoir celle de sa surexploitation ou, en tout cas, de son déclin manifeste et des moyens de l’enrayerFootnote 1. En revanche, pour rompre avec le cadre étatique également privilégié par l’anthropologue des pêches Bonnie J. McCay dans son important Oyster Wars and the Public Trust: Property, Law, and Ecology in New Jersey History Footnote 2, il s’efforce pour sa part de développer une approche comparative et intégrée, à l’échelle d’une vaste région côtière allant du Massachusetts à la Virginie en passant par la fameuse baie de Chesapeake – une région qui englobe donc le Maryland et le New Jersey et compte alors pour près de 96 % de la production nationale d’huîtres.

Faute de carte notamment, le propos n’est pas toujours facile à suivre, d’autant que l’on passe continuellement d’une localité à une autre au sein de chacun des six chapitres, ce qui donne parfois l’impression d’une juxtaposition d’études de cas insuffisamment contextualisées. Néanmoins, le cadrage géographique comme l’approche comparative se justifient au regard de la diversité des modes d’exploitation et de gestion de la ressource en usage à l’intérieur de la région étudiée. À la fin du xixe siècle, l’industrie huitrière repose encore assez largement sur le tonging, une pratique qui tire son nom de la pince (tong) employée par les pêcheurs (tongers) pour décrocher les huîtres des bancs situés dans les eaux peu profondes des baies et des estuaires jalonnant la côte Est. Appartenant au domaine public, ces bancs sont gérés à l’échelle communautaire dans le cadre d’un « système de conservation traditionnel » (p. 43) qui vise à assurer aux habitants du lieu un accès exclusif, mais équitable et durable, à cette ressource commune.

Répondant à « une peur généralisée de l’épuisement » (p. 32), ce système vernaculaire vient conforter la thèse développée par Richard W. Judd dans Common Lands, Common People Footnote 3 sur les origines locales et populaires de la conservation. Néanmoins, S. P. Hanes se dit soucieux de ne pas l’idéaliser et ne manque pas de signaler ses limites. Il montre bien, par ailleurs, comment il est progressivement fragilisé par la diffusion de deux autres modes d’exploitation de la ressource. Bien qu’interdit ou limité dans la plupart des États à l’initiative des tongers (dont les pétitions constituent l’une des principales sources de l’enquête), le recours à la drague à huîtres par certains pêcheurs appelés dredgers tend en effet à se développer au cours du xixe siècle. C’est le cas dans le Connecticut notamment, où l’industrie de la conserverie connaît un essor fulgurant autour de New Haven. Stimulée par la structuration d’un marché national des produits de la mer, la demande est telle qu’elle encourage même les équipages de cet État industrialisé à aller draguer de manière illégale en dehors de leurs eaux territoriales, en particulier sur les riches bancs de la baie de Chesapeake qui devient alors le théâtre d’une véritable « guerre de l’huître ».

Toutefois, l’exploitation et la gestion communautaires des bancs dits « naturels » sont surtout menacées par un phénomène progressif d’enclosure de la mer qui accompagne sa mise en culture à partir du début du xixe siècle. Pratiquée par des planters bénéficiant de concessions étatiques sur le domaine public, cette activité consiste à se procurer du naissain et des petites huîtres sauvages pour les cultiver sur des bancs privés créés de manière artificielle. Il s’agit, en somme, d’une forme d’ostréiculture extensive qui permet d’accélérer significativement la croissance des mollusques (en jouant sur les différences de température, de profondeur, de salinité et de richesse en nutriments des eaux dans lesquelles ils sont successivement transplantés avant de devenir des produits commercialisables), sans cependant s’affranchir complètement de la dépendance aux bancs naturels ni, par conséquent, à ceux qui les exploitent. À cet égard, les relations de concurrence, mais aussi d’interdépendance entre le groupe des tongers et celui des planters auraient mérité d’être exposées plus clairement, car il semblerait, à la lecture de plusieurs passages trop allusifs (par exemple p. 39-40, 139, 145 et 156), que l’ambivalence de ces relations soit un élément absolument crucial pour comprendre les accords autour du partage de l’espace côtier auxquels ces acteurs sont parvenus avant que l’épuisement de la ressource ne finisse par les rendre caduques.

Jusqu’aux années 1880, la mise en culture de la mer est en effet réglementée à l’échelle de chaque État et contenue dans des bornes plus ou moins strictes par la limitation du droit de concession. Avec la création d’agences de conservation étatiques (les Shellfish Commissions) et fédérale (la United States Fish Commission), elle tend cependant à apparaître comme l’une des solutions les plus prometteuses pour remédier au déclin de la ressource. Pénétrés du « dogme de l’efficacité » repéré par Samuel P. Hays chez les premiers acteurs du mouvement conservationniste américain, nombre de commissaires nommés au sein de ces agences entendent alors rationaliser les usages de la merFootnote 4. Pour cela, ils préconisent non seulement de s’appuyer sur les développements de la science pour améliorer la productivité des bancs « naturels », mais également de privatiser ces derniers pour en finir avec des formes de propriété commune qu’ils jugent contraires au progrès. On retrouve donc là, appliqué à l’espace maritime, l’un des principaux arguments avancés par les tenants de la liquidation des communs et des droits collectifs qui vont avec.

L’intérêt de l’ouvrage est de montrer que cette position est toutefois loin de faire l’unanimité au sein des agences de conservation et qu’elle a par ailleurs suscité une résistance opiniâtre de la part des tongers. On le comprend bien à lecture des deux derniers chapitres consacrés à la cartographie des fonds côtiers. Ces opérations de mise en carte des usages de la mer donnent en effet lieu à de multiples conflits de qualification (qu’est-ce qu’un « banc naturel » ?) et de délimitation (comment représenter et matérialiser des limites dans un environnement liquide ?) qui, loin de venir consacrer le principe d’une appropriation privative du rivage et des fonds comme certains l’escomptaient, sont au contraire l’occasion pour nombre de communautés de réaffirmer le caractère commun de la ressource huitrière et, au passage, leur légitimité à se prononcer sur les règles visant à assurer sa conservation.

Dans l’ensemble, la synthèse de S. P. Hanes ne renouvelle pas fondamentalement les analyses de C. Keiner et de B. J. McCay sur le sujet, voire les reprend largement à son compte, mais elle a malgré tout le mérite de les réinscrire dans le cadre d’une histoire environnementale de la mer qui s’est considérablement développée au cours des dix dernières années. De ce point de vue, l’entrée par la problématique de la conservation est tout particulièrement convaincante, car celle-ci a longtemps été abordée exclusivement depuis la terre, à partir du cas paradigmatique de la forêt. Il est toutefois dommage que cette approche environnementale n’ait pas été poussée jusqu’au bout et que de nombreux aspects de la « question de l’huître » aient été laissés dans l’ombre. Ainsi, on termine le livre sans véritablement comprendre la dynamique de la ressource à l’échelle de la période étudiée. Y a-t-il vraiment eu effondrement et, le cas échéant, à quoi faut-il l’attribuer ? À une surexploitation encore accrue par l’essor de la drague, comme le déplorent les tongers ? Ou à d’autres facteurs, comme la prolifération des étoiles de mer, mentionnée à plusieurs reprises comme une donnée importante du problème ? Qu’en est-il, par ailleurs, de la transformation des environnements côtiers entre les xixe et xxe siècles, pourtant bien documentée par toute une série de travaux d’histoire environnementale que l’on s’étonne de ne pas retrouver cités en notesFootnote 5 ? Bref, le livre, intéressant en l’état, aurait bénéficié d’un plus ample développement sur l’écologie historique de l’huître, ses relations avec les autres espèces humaines et non humaines, ou la matérialité de son écosystème – mais sans doute sont-ce là des questions d’histoire environnementale qui requièrent trop de disciplines différentes pour être affrontées dans le cadre d’une recherche individuelle.

References

1 Christine Keiner, « W. K. Brooks and the Oyster Question: Science, Politics, and Resource Management in Maryland, 1880-1930 », Journal of the History of Biology, 31, 1998, p. 383-424 ; ead., The Oyster Question: Scientists, Watermen, and the Maryland Chesapeake Bay since 1880, Athens, University of Georgia Press, 2009.

2 Bonnie J. McCay, Oyster Wars and the Public Trust: Property, Law, and Ecology in New Jersey History, Tucson, University of Arizona Press, 1998.

3 Richard W. Judd, Common Lands, Common People: The Origins of Conservation in Northern New England, Cambridge, Harvard University Press, 1997.

4 Samuel P. Hays, Conservation and the Gospel of Efficiency: The Progressive Conservation Movement, 1890-1920, Pittsburg, University of Pittsburg Press, 1959.

5 Matthew McKenzie, Clearing the Coastline: The Nineteenth-Century Ecological and Cultural Transformation of Cape Cod, Hanover, University Press of New England, 2010 ; John R. Gillis, The Human Shore: Seacoasts in History, Chicago, The University of Chicago Press, 2012 ; Matthew Morse Booker, Down by the Bay: San Francisco’s History between the Tides, Oakland, University of California Press, 2013 ; Christopher L. Pastore, Between Land and Sea: The Atlantic Coast and the Transformation of New England, Cambridge, Harvard University Press, 2014.