Cet article porte sur une source exceptionnelle – près de 80 lettres jamais lues, comme en attestent les enveloppes toujours scellées, envoyées à l’équipage d’un seul bateau français capturé pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763). Les lettres aux marins, qui aident à entretenir des relations mises en danger par la distance et l’incertitude du retour, offrent des clefs d’analyse pour comprendre la résilience des liens familiaux en temps de guerre. Contre une approche qui verrait dans ces documents une trace de l’émergence de la famille nucléaire ou de l’intimité moderne, c’est bien comme vecteur d’une histoire sociale qu’ils sont ici saisis. Ces correspondances jouent un rôle essentiel dans la circulation de l’information et la survie de l’unité familiale. Il ne s’agit pas d’envisager celles-ci en tant que marqueur d’échanges personnels, privés et intimes. Au contraire, ces lettres doivent être appréhendées comme le tissu de relations sociales multiples et complexes, à la fois familiales et de voisinage. Leur écriture comme leur lecture engagent de multiples individus, bien au-delà des simples signataire et destinataire. Il s’agit, fondamentalement, de traquer les dynamiques sociales, dans leur matérialité même, qui formalisent l’expression des émotions.