Dans les suites de l’affaire Canarelli qui a ébranlé notre profession au début du XXIe siècle, les condamnations au pénal se sont multipliées contre des psychiatres jugés responsables, indirectement, des actes délictueux ou criminels commis par leurs patients. Notre société aux élans sécuritaires, à la recherche de la responsabilité à tout prix, semble avoir trouvé ses nouveaux boucs émissaires… Et, comme pour l’anesthésie ou la gynécologie obstétrique en leur temps, notre spécialité s’est retrouvée confrontée à une pénurie de nouvelles vocations, les étudiants en médecine craignant de se voir ruiner par des assurances exorbitantes ou, pire même, de risquer d’être incarcérés pour faute(s) professionnelle(s) !
Progressivement, les rares psychiatres osant encore exercer se retrouvent confrontés, au-delà d’une importante surcharge de travail, à la difficulté d’allier primauté du soin et de la réinsertion à la responsabilité juridique. Par conséquent, le recours aux unités pour malades difficiles, qui ont, de nouveau, vu leur nombre doubler en quelques années, s’est généralisé, les demandes d’admission se faisant désormais au moindre risque hétéro-agressif.
Mais qu’en est-il en 2084 ? La carte sanitaire psychiatrique est-elle exclusivement constituée d’unités spécialisées ultra-sécurisées ? La géolocalisation des (rares) patients bénéficiant encore de programmes de soins ambulatoires s’est-elle finalement généralisée et pourrait-elle même être associée à une fonction immobilisante se mettant en action dès que le patient sort du périmètre géographique qui lui est autorisé ? À moins que les experts psychiatres soient enfin parvenus, via des études de cohorte, à prédire le risque hétéro-agressif de chaque patient ? Ou, qui sait, l’histoire, et celle de la psychiatrie ne dérogeant pas à la règle, étant faite de répétitions et de mouvements contraires, une loi d’amnistie généralisée garantissant une immunité totale aux psychiatres a-t-elle été mise en place ? Avec quelles conséquences ?