Dans l'étude du comportement des groupes d'intérêts, il est courant d'analyser les processus par lesquels les demandes de ces groupes atteignent ceux qui détiennent le pouvoir de décision politique; on tient aussi compte de la formulation de ces demandes et de leur influence sur les actions gouvernementales. Cette perspective d'approche se fonde implicitement sur le postulat suivant: pour tel groupe donné, les demandes les plus importantes expriment les besoins et les aspirations des membres de ce groupe. En d'autres termes, plus telle demande répond essentiellement aux besoins du « membership » d'un groupe, plus on suppose qu'elle constitue une variable importante de l'analyse du comportement de ce groupe d'intérêt.
La présente étude se propose d'examiner si, dans le cas des groupes considérables et bureaucratisés, les pressions qu'ils exercent, en réponse aux besoins de leurs membres, ne sont pas subordonnées aux demandes que font leurs dirigeants relativement à leur organisation. Du moins, aux yeux de ces derniers, les demandes de reconnaissance organisationnelle sont-elles les plus importantes qu'ils tentent d'imposer au gouvernement. Le manque d'unité de la structure du travail organisé au Canada, de même que la compétition active entre les différentes centrales syndicales, nous ont permis de vérifier cette hypothèse.
Les résultats de cette analyse sont les suivants: (1) toute forme de reconnaissance susceptible d'être accordée par le gouvernement suscite une vive compétition entre les centrales établies; (2) celles-ci cherchent à susciter, pour elles-mêmes, de nouvelles occasions où elles seront reconnues par le gouvernement; (3) les plus amères disputes éclatent entre ces groupes et le gouvernement lorsque ce dernier leur refuse la reconnaissance à laquelle, aux yeux de leurs dirigeants, ces groupes auraient droit. Par exemple, le gouvernement Diefenbaker ayant posé un tel geste vis-à-vis du Congrès du travail du Canada, leurs relations se gâtèrent au point d'être décrites, par les dirigeants du CTC, comme « les plus mauvaises qui se puissent trouver entre une centrale nationale et un gouvernement, parmi les nations occidentales hautement industrialisées ».