IE THéÂTRE DE JEAN GENET, qui ne comprend que cinq pièces,1 frappe d'emblée parson caractère agonistique. Alors que les dramaturges contemporains les plus illustres, Ionesco, Arrabal et surtout Beckett nous présentent des personnages égarés ou hagards, incapables de lutter contre un destin dont ils ne conçoivent clairement que l'absurdité, Genet semble savoir où il va. Animés d'une cruauté lucide et efficace, ses personnages ont entrepris d'un cœur allègre la démolition de leur société, de notre société, au nom de l'idée de Révolution. Nous entendrons ce dernier mot au sens qu'on lui accorde généralement dans le vocabulaire politique, en l'opposant au simple coup d‘état, dépourvu de tout idéalisme et qui ne vise au pouvoir que pour satisfaire une cynique volonté de puissance. L'activité révolutionnaire, elle, cherche à opérer un changement de gouvernement afin de favoriser l‘épanouissement des citoyens dans une liberté plus grande. Obéissant au mouvement dialectique qui va de l'analyse de la Babylone à détruire aux exigences de la cité nouvelle à édifier, nous commencerons par la critique de cette société sclérosée, que Genet affirme être la nôtre et qui ne tient plus debout que par habitude, grâce aux lois de la pesanteur et de l'inertie sociologiques. Contre elle se tendront toutes les forces des principaux personnages et, par derrière eux, de Genet. Telle qu'elle est décrite dans Le Balcon et dans Les Nègres, la société à renverser nous apparaît d'abord sous des espèces féodales. En effet l'autorité s'y incarne en ce que Genet appelle “les Trois Figures fondamentales.” Il désigne par là l'Evêque. le Juge et le Général du Balcon. On les reconnaîtra à leur stature surhumaine, à leurs épaules artificiellement élargies et à l'espèce de cothurne qu'ils doivent chausser: