1. Introduction
De nombreuses études se sont consacrées à l’analyse de la référence temporelle au futur (RTF) en français.Footnote 1 Au cours du dernier siècle, des changements linguistiques ont été constatés à l’égard de cette variable en français laurentien, notamment le remplacement graduel du futur fléchi par le futur périphrastique. Il est également établi que la polarité est la contrainte linguistique principale qui influence la variable, et plus particulièrement que le futur fléchi règne en contexte négatif.Footnote 2 Ce changement a été documenté grâce à plusieurs corpus (Corpus Sankoff-Cedergren (Sankoff et Sankoff Reference Sankoff and Sankoff1973); Corpus Montréal 1984 (Thibault et Vincent Reference Thibault and Vincent1990); Corpus Montréal 1995 (Vincent et al. Reference Vincent, Laforest and Martel1995); Corpus de français parlé à Ottawa-Hull 1989 (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999); Corpus Texto4science (Tremblay et al. Reference Tremblay, Blondeau and Labeau2020), entre autres). La plupart de ces données québécoises proviennent du 20e siècle et l’état actuel de la situation au Québec pourrait être différent. Grâce au Corpus de français parlé au Québec (CFPQ), dont les données couvrent la période 2006–2019, il est possible de continuer à documenter ce changement.
Par ailleurs, pour bien comprendre cette variable, il est impératif de tenir compte des trois variantes principales de la référence temporelle au futur, soit le présent du futur, le futur fléchi et le futur périphrastique (désormais PDF, FF et FP, respectivement), présentées en (1)–(3):
(1) Yanick il a son permis dans genre deux mois (D, sous-corpus 3)Footnote 3
(2) Il aura soixante et sept ans (H, sous-corpus 11)
(3) Il va avoir quatre-vingt-un en septembre (N, sous-corpus 6)
La présente étude offre une analyse variationniste de la RTF afin de mieux comprendre le rôle de ces variantes dans le changement, ainsi que l’ensemble des contraintes (linguistiques et sociales) qui conditionnent la variable. En comparant cette analyse avec les résultats des études antérieures, elle permet de mieux cerner l’état actuel de la variable en français québécois (FQ).
2. Quelques constatations passées à propos du futur
Plusieurs constats ressortent des études antérieures sur la RTF. Les prochaines sections en dressent le portrait afin de mieux cerner la variable, plus particulièrement en ce qui a trait au changement et au PDF.
2.1 Inclusion sporadique du présent du futur dans les études antérieures
Il importe de souligner l’inclusion sporadique du PDF dans les études précédentes qui portent sur l’expression de la RTF en français laurentien (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Poplack et Dion Reference Poplack and Dion2009, Grimm Reference Grimm2015), même si la variable est étudiée à l’aide de corpus dont la constitution date des années 1970. Bien que le PDF soit généralement moins représenté que le FP et le FF dans les corpus, il demeure une variante à part entière, et est donc inclus par quelques études (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Poplack et Dion Reference Poplack and Dion2009, Blondeau et al. Reference Blondeau, Dion and Michel2014, Grimm Reference Grimm2015), comme le montre le tableau 1. D’autres l’excluent (Blondeau Reference Blondeau2006, Wagner et Sankoff Reference Wagner and Sankoff2011), justifiant parfois ce choix par le faible taux d’occurrence dans leurs données (King et Nadasdi Reference King and Nadasdi2003). Le tableau 1 présente le taux global obtenu pour les variantes analysées selon chaque étude antérieure consultée sur l’emploi des formes du futur (en gris) et sur l’expression de la RTF (en blanc).Footnote 4 Ces études ne sont pas toutes comparables entre elles, étant donné les différents domaines d’application retenus, les échantillons utilisés (nombre et type de locuteurs), les méthodes employées (étude de cohorte en temps réel ou synchronique en temps apparent), les communautés examinées, etc. Malgré tout, ce tableau permet d’observer les grandes tendances en français laurentien et de constater que le PDF est peu inclus dans les études antérieures. Lorsque cette variante est incluse, elle est souvent la moins représentée des trois (Mougeon et Beniak Reference Mougeon1991, Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Poplack et Dion Reference Poplack and Dion2009, Reference Mougeon1991 Grimm Reference Grimm2015), à l’exception du Corpus Mougeon, Nadasdi et Rehner Reference Mougeon, Nadasdi and Rehner2005 (Mougeon et al. Reference Mougeon, Nadasdi and Rehner2005) dans l’étude de Grimm (Reference Grimm2015). Dans cette dernière étude, le PDF est au moins deux fois plus représenté que le FF, alors que c’est l’inverse dans les autres études qui incluent le PDF.
Tableau 1. Distribution des variantes (taux global) dans les études antérieures sur le français laurentien

Puisque les données de Grimm (Reference Grimm2015) sont les plus récentes, il est légitime de se questionner sur le rôle du PDF au sein de la variable. Par rapport à l’augmentation du PDF en français ontarien (Grimm Reference Grimm2015), il est nécessaire d’examiner si une même tendance se présente en FQ ou s’il s’agit, comme il le rapporte, d’un effet lexical attribuable au verbe aller, qui représente 35,5 % des données du PDF (156/441 occurrences) dans son étude. Plus encore, Grimm (Reference Grimm2015) observe que les taux d’utilisation du PDF en général et ceux du verbe aller au PDF suivent la même courbe. En particulier, dans toutes les communautés qu’il analyse, le PDF est utilisé à une fréquence représentant environ la moitié du taux d’utilisation du verbe aller au PDF. Par conséquent, le taux d’utilisation du PDF dépend de la fréquence d’utilisation du verbe aller au PDF, ce qui mène Grimm (Reference Grimm2015) à conclure que l’augmentation du PDF ne représente pas un changement linguistique.Footnote 10
2.2 Déclin du futur fléchi
Au-delà des taux généraux présentés dans le tableau 1, des études en temps apparent (Labov Reference Labov1963, Reference Labov1966) ont révélé que le FF est en déclin au profit du FP en français laurentien (Emirkanian et Sankoff Reference Emirkanian and Sankoff1985, Zimmer Reference Zimmer1994, Poplack et Tuprin Reference Poplack and Turpin1999, Poplack et Dion Reference Poplack and Dion2009). Dans ce type d’étude, les différences d’utilisation des variantes entre les groupes d’âge permettent de déduire l’éventualité d’un changement. Plus particulièrement, ce sont les jeunes qui mènent le changement: ils utilisent davantage le FP que les personnes plus âgées (Emirkanian et Sankoff Reference Emirkanian and Sankoff1985, Zimmer Reference Zimmer1994). D’autres études en temps réel confirment que ce changement est en cours, par exemple celle de Wagner et Sankoff (Reference Wagner and Sankoff2011) en français montréalais, qui établit que les plus jeunes favorisent le FP et les plus âgés le FF. Par contre, les auteures démontrent également une tendance à se comporter à l’inverse chez certains individus de la communauté (voir section 2.4).
2.3 Progression du futur périphrastique
Le contexte négatif a été établi comme étant le domaine quasi exclusif du FF par plusieurs études en français québécois (Emirkanian et Sankoff Reference Emirkanian and Sankoff1985, Zimmer Reference Zimmer1994), où le FP apparaît très peu dans ce contexte, à des taux inférieurs à 8 % (Deshaies et Laforge Reference Deshaies and Laforge1981, Zimmer Reference Zimmer1994, Wagner et Sankoff Reference Wagner and Sankoff2011), comme le montre le tableau 2.Footnote 11 Ce tableau présente les taux rapportés dans les études antérieures sur le futur et l’expression de la RTF par rapport à la polarité. Bien entendu, les taux qui y sont présentés ne sont pas tout à fait comparables à ceux de la présente étude, pour les raisons mentionnées au tableau 1. Toutefois, ils permettent de dégager les grandes tendances en français laurentien par rapport à la polarité. Le tableau 2 permet également de voir que, selon d’autres études plus récentes en français ontarien (Grimm Reference Grimm2010, Reference Grimm2015; Grimm et Nadasdi Reference Grimm and Nadasdi2011), le FP est davantage présent dans ce même contexte. Il est à noter que les taux rapportés par Grimm et Nadasdi (Reference Grimm and Nadasdi2011) et Grimm (Reference Grimm2015) ne correspondent pas à ceux de Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999) sur le français d’Ottawa-Hull, qui semblent davantage correspondre à ceux du français montréalais (Emirkanian et Sankoff Reference Emirkanian and Sankoff1985, Zimmer Reference Zimmer1994), même si, géographiquement, les populations étudiées par Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999) se situent plus près de celles des études en français ontarien (Grimm Reference Grimm2010, Reference Grimm2015; Grimm et Nadasdi Reference Grimm and Nadasdi2011). Il se peut qu’il s’agisse d’un changement en cours en français laurentien, de manière générale (puisque les données de Grimm Reference Grimm2015 sont plus récentes), ou d’une différence entre les variétés québécoise et ontarienne, où la contrainte du contexte négatif agirait différemment dans les deux variétés. Dans ce dernier cas, l’hypothèse selon laquelle les variétés québécoise et ontarienne fonctionnent de manière similaire sur ce point du système serait invalidée. Autrement, depuis au moins le 19e siècle, le FF est toujours présent à des taux élevés en contexte négatif en FQ, ce qui semble indiquer qu’il n’y a pas de changement en ce qui concerne cette variante selon la contrainte de polarité. Toutefois, on peut se demander si ces taux demeureraient tout aussi élevés si ces études incluaient le PDF.
Tableau 2. Distribution des variantes selon la polarité (affirmatif ou négatif) dans les études antérieures sur le futur et sur l’expression de la RTF en français laurentienFootnote 12

2.4 Augmentation de l’utilisation du futur fléchi
Même si la plupart des études sur le français laurentien suggèrent un changement en cours où le FF est remplacé par le FP, une tendance inverse s’observe en français montréalais: en vieillissant, le taux de FF de certains locuteurs augmente lorsque l’utilisation de l’individu est examinée en suivi de cohorte (Wagner et Sankoff Reference Wagner and Sankoff2011, G. Sankoff Reference Sankoff2019). Ce type d’étude longitudinale permet de suivre les mêmes locuteurs sur une période plus ou moins longue. Selon Wagner et Sankoff (Reference Wagner and Sankoff2011), ce résultat serait attribuable à un phénomène de gradation d’âge, plus particulièrement à l’entrée des locuteurs sur le marché du travail. Toutefois, les auteures avancent que l’effet de ce mouvement, quoiqu’important, est insuffisant pour renverser la tendance communautaire. Il est à noter que la gradation d’âge dont parlent Wagner et Sankoff (Reference Wagner and Sankoff2011) est un phénomène récurrent, qui se répète de génération en génération: il ne s’agit pas d’une tendance communautaire. Il est aussi important de mentionner que Wagner et Sankoff (Reference Wagner and Sankoff2011) ont étudié uniquement les contextes affirmatifs, puisque le taux de FP dans les énoncés à polarité négative était insuffisant (0,3 %, soit 2/588 occurrences) pour que cette contrainte soit incluse dans leur étude. De plus, en disposant de données recueillies à plus d’une reprise pour les mêmes locuteurs, elles sont capables d’évaluer si le changement potentiel identifié par la plupart des études basées sur une interprétation en temps apparent et en temps réel (tendance communautaire) est réellement en cours.
2.5 Contraintes potentielles qui peuvent opérer sur la variable
Par le passé, différentes contraintes jouant un rôle dans la variation de la RTF ont été analysées.
2.5.1 Âge, sexe et scolarité
En FQ, ce sont les plus jeunes qui utilisent le plus le FP dans les études en temps apparent d’Emirkanian et Sankoff (Reference Emirkanian and Sankoff1985) et de Zimmer (Reference Zimmer1994) et dans l’étude longitudinale en suivi de cohorte de Blondeau (Reference Blondeau2006). Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999) montrent qu’en français d’Ottawa-Hull, ce sont aussi les plus jeunes qui favorisent le plus le FP.Footnote 15 Par ailleurs, dans cette dernière étude, l’âge n’a pas d’effet significatif sur le choix du PDF. En ce qui a trait au FF, ce sont les locuteurs plus âgés qui l’utilisent le plus (Emirkanian et Sankoff Reference Emirkanian and Sankoff1985, Zimmer Reference Zimmer1994).Footnote 16 Par rapport au sexe, selon Zimmer (Reference Zimmer1994), les femmes utilisent davantage le FF, alors qu’en français ontarien, ce sont plutôt les hommes (Grimm et Nadasdi Reference Grimm and Nadasdi2011). Toutefois, au-delà des différences de taux d’utilisation, le sexe n’a pas d’effet significatif sur le choix des variantes dans plusieurs études (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Wagner et Sankoff Reference Wagner and Sankoff2011, Grimm Reference Grimm2015), ce qui devrait être également le cas chez les locuteurs du CFPQ. En ce qui concerne le niveau de scolarité des locuteurs, les seules chercheuses qui testent l’influence de cette contrainte sur la variable en français laurentien sont Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999), qui déterminent qu’elle ne joue pas de rôle dans le choix des variantes dans le corpus d’Ottawa-Hull.
2.5.2 Polarité
D’abord, il a été déterminé qu’en FQ, le contexte négatif était le domaine quasi exclusif du FF (Emirkanian et Sankoff Reference Emirkanian and Sankoff1985, Zimmer Reference Zimmer1994, Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999), dont les taux d’utilisation se situent entre 92,2 % et 100 % (Deshaies et Laforge Reference Deshaies and Laforge1981, Zimmer Reference Zimmer1994, Wagner et Sankoff Reference Wagner and Sankoff2011). En français ontarien, chez les locuteurs non restreints, le groupe le plus comparable avec celui de la présente étude, les taux d’utilisation du FF en contexte négatif diminuent entre 1978 (88 %, Corpus Mougeon et Beniak 1978, Grimm et Nadasdi Reference Grimm and Nadasdi2011) et 2005 (80 %, données de Hawkesbury, Corpus Mougeon, Beniak et Rehner 2005, Grimm Reference Grimm2015).Footnote 17 Cependant, Grimm (Reference Grimm2015: 283–284) indique que la restriction linguistique joue un rôle dans l’acquisition de la contrainte. Étant donné que l’étude de Grimm (Reference Grimm2015) est la seule à se consacrer à des données du 21e siècle, il se pourrait que les données du CFPQ correspondent à celles-ci, puisqu’elles sont de la même époque, et qu’un changement soit en cours en ce sens, les variétés québécoise et ontarienne étant toutes les deux laurentiennes.
Par ailleurs, il importe de souligner que Grimm (Reference Grimm2015) ne rapporte aucune occurrence de PDF en contexte négatif. Par rapport aux études de Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999) et Poplack et Dion (Reference Poplack and Dion2009), qui traitent en partie les mêmes données, il est impossible de connaître le taux de PDF en contexte négatif en raison de la manière dont ces auteures présentent leurs résultats. Dans Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999), seuls les poids relatifs sont mentionnés. Il est toutefois certain que le PDF apparaît en contexte négatif dans cette étude (voir Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999: 155, exemple 22.c), même si la polarité ne contribue pas au choix du PDF. Dans Poplack et Dion (Reference Poplack and Dion2009), seuls les résultats en lien avec le FF sont mentionnés (en opposition au FP).Footnote 18 Autrement dit, ces auteures ont choisi d’exclure le PDF de leur analyse, malgré un taux d’utilisation de 7 % dans le Corpus Ottawa-Hull et de 9 % dans le Corpus Récits du français québécois d’autrefois. Ce choix est probablement tributaire de leur question de recherche: qu’est-ce qui mène à la rétention du FF? Puisqu’elles ont constaté une montée du FP et une diminution du PDF entre le 19e et le 20e siècle dans leurs données, elles ont adopté une analyse à deux variantes (FF vs FP).
2.5.3 Effet d’amorce
L’effet d’amorce est une contrainte ni tout à fait linguistique, ni tout à fait sociale: il s’agit plutôt d’une contrainte psychologique. Pour en mesurer l’influence, il convient toutefois de l’adjoindre aux contraintes linguistiques. Roberts (Reference Roberts2010, Reference Roberts2014) est, à ce jour, le seul à inclure ce type de contrainte dans son étude de la RTF en français hexagonal et martiniquais. Ainsi, la présente étude est la première à examiner le rôle de l’effet d’amorce sur la variable en français laurentien. Toutefois, ce n’est pas la définition de l’amorce de Roberts (Reference Roberts2014) qui est retenue. Selon celui-ci, l’amorce concerne le choix d’une variante par un locuteur influencé par le choix de variante d’un autre locuteur. Cette définition convient davantage aux conversations entre deux locuteurs, par exemple lorsqu’un des deux questionne l’autre. Étant donné que les conversations des locuteurs du CFPQ ne suivent pas cette structure, c’est la définition de l’effet d’amorce de Tamminga (Reference Tamminga2014) qui est retenue: l’amorce est intrinsèque au locuteur et elle se définit en tant que persistance dans son propre discours. Par conséquent, cette persistance pourrait avoir un effet sur le choix de la variante, en ce sens qu’il pourrait y avoir une symétrie entre une variante donnée et celles qui la précèdent.
2.5.4 Locution adverbiale temporelle
En français laurentien, plusieurs études (Emirkanian et Sankoff Reference Emirkanian and Sankoff1985, Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Grimm Reference Grimm2015) ont montré que la présence ou l’absence d’une locution adverbiale temporelle, qu’elle soit spécifique (p. ex. mercredi) ou non spécifique (p. ex. bientôt), dans la proposition où une occurrence de la variable a lieu, influence le choix des variantes. En effet, selon Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999) et Grimm (Reference Grimm2015), la présence de locution spécifique favorise le PDF et l’absence de locution adverbiale temporelle favorise le FP. Par ailleurs, dans la première étude, une locution adverbiale temporelle non spécifique favorise le FF, alors que, dans la deuxième, la contrainte n’opère pas sur le choix du FF. À la lumière de ces résultats, il est supposé que les locutions adverbiales temporelles spécifiques favorisent le PDF et leur absence favorise le FP chez les locuteurs du CFPQ.
2.5.5 Verbes de mouvement
Le verbe aller réalisé comme verbe de mouvement semble être un sujet de discorde dans la littérature, étant donné que plusieurs chercheurs l’excluent de leur analyse (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Grimm et Nadasdi Reference Grimm and Nadasdi2011, Wagner et Sankoff Reference Wagner and Sankoff2011, Grimm Reference Grimm2015). Grimm (Reference Grimm2015) souligne que cette absence est due à la difficulté de distinguer les occurrences de mouvements spatiaux de celles qui expriment une RTF. Il semble que cette exclusion soit attribuable au FP, utilisé initialement uniquement comme verbe de mouvement, avant d’être grammaticalisé comme variante du futur, comme le notent certains chercheurs (Italia Reference Italia2011, Roberts Reference Roberts2014, Grimm Reference Grimm2015). Par contre, cette grammaticalisation est attestée depuis au moins le 16e siècle (Roberts Reference Roberts2014). Un mouvement spatial peut tout à fait avoir lieu dans le futur, comme en (4), et ce contexte admet la variation. Étant donné l’origine du FP, il est supposé que les verbes de mouvement favorisent cette variante dans le CFPQ.
(4) Je suis pas certain je pense je vas aller à Sherbrooke après-midi (A, sous-corpus 4)Footnote 19
Le verbe aller, dans l’exemple (4) précédent, indique le mouvement, aller à Sherbrooke, et fait également référence à un évènement futur, après-midi. Ce genre d’occurrence est inclus dans la présente étude puisque la RTF y est présente sans ambiguïté.
2.5.6 Distance de la référence temporelle
Les études antérieures en français laurentien montrent que la distance de la référence temporelle ne joue qu’un rôle mineur sur le choix des variantes (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Poplack et Dion Reference Poplack and Dion2009). Selon les résultats de Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999) en français parlé à Ottawa-Hull, la distance proximale favorise le FP et le FF, alors que la distance non proximale favorise le PDF. Il devrait en être de même pour les données du CFPQ. Il est à noter que la frontière entre distance proximale et non proximale est, dans une certaine mesure, arbitraire, et que la contrainte de la distance de la référence temporelle a beaucoup évolué depuis les premières études sur la référence temporelle. Cette distinction binaire s’est beaucoup affinée au fil du temps (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, King et Nadasdi Reference King and Nadasdi2003, Comeau Reference Comeau2015).
2.5.7 Certitude
Dans l’étude de Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999), les évènements certains défavorisent le PDF. Toutefois, les auteures n’utilisent pas le terme certitude, mais bien imminence, qu’elles distinguent de la distance temporelle. Selon leur définition de la certitude, les occurrences dont la distance temporelle est proximale sont présumées plus certaines, alors que celles dont la distance temporelle est non proximale sont présumées incertaines. Par rapport à cette définition, il paraît important de mentionner que si un évènement dont la réalisation est proche est probablement certain, un évènement dont la réalisation est éloignée n’est pas incertain pour autant.
2.6 Questions de recherche
Plusieurs questions émergent de la revue des études antérieures. La première, qui concerne le PDF, est la question centrale de cet article. Une deuxième se soulève par rapport au changement linguistique en temps apparent. Enfin, de manière plus générale, une troisième question peut être posée en ce qui concerne les contraintes opérant sur la RTF.
1) Quelle place occupe le PDF en FQ, dans les données du CFPQ?
a. Son emploi est-il attribuable à un effet lexical, comme dans les études de Grimm (Reference Grimm2010, Reference Grimm2015)?
b. Participe-t-il au changement?
2) Le FF est-il toujours en déclin au profit du FP (Emirkanian et Sankoff Reference Emirkanian and Sankoff1985, Zimmer Reference Zimmer1994, Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Poplack et Dion Reference Poplack and Dion2009)?
c. Le FP progresse-t-il en contexte négatif, comme en français ontarien (Grimm et Nadasdi Reference Grimm and Nadasdi2011; Grimm Reference Grimm2010, Reference Grimm2015)?
d. Ce contexte est-il toujours le domaine quasi exclusif du FF, comme en français montréalais du siècle dernier (Emirkanian et Sankoff Reference Emirkanian and Sankoff1985, Zimmer Reference Zimmer1994, Wagner et Sankoff Reference Wagner and Sankoff2011)?
3) Quelles sont les contraintes qui jouent un rôle dans la variation de la RTF en FQ?
e. Sont-elles les mêmes que dans les études antérieures?
f. Si oui, dans quelle proportion?
g. Sinon, y en a-t-il d’autres?
3. Méthodologie
Dans la présente étude, des analyses de régression multiple sont réalisées à l’aide du logiciel Goldvarb (D. Sankoff et al. Reference Sankoff, Tagliamonte and Smith2015), qui permet de créer un modèle statistique pour visualiser l’effet de l’ensemble des contraintes linguistiques et sociales qui conditionne la variable.
3.1 Corpus
Les données étudiées proviennent du CFPQ, qui contient à ce jour 31 sous-corpus, dont 16, qui couvrent la période 2006–2012, sont analysés dans la présente étude. Les entrevues contenues dans ces 16 sous-corpus concernent 62 locuteurs natifs du FQ (32 femmes et 30 hommes) âgés de 15 à 95 ans et constituent environ 24 heures d’enregistrement audiovisuel, c’est-à-dire environ 90 minutes par groupe de trois ou quatre locuteurs. Les entrevues ont eu lieu dans cinq régions du Québec: l’Estrie, la Montérégie, la région Chaudière-Appalaches, le Bas-Saint-Laurent et la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean.Footnote 20 Les lieux de rencontre sont au domicile d’un des locuteurs du sous-corpus en question ou, dans les rares cas où cela n’a pas été possible, dans un local de l’Université de Sherbrooke. Un assistant-étudiant natif du FQ et connu des locuteurs a procédé aux enregistrements et cette personne intervient généralement peu. La plupart du temps, les locuteurs discutent spontanément sans l’intervention de l’assistant-étudiant, mais ce dernier peut, au besoin, suggérer des sujets de discussion en début d’entrevue. Les sous-corpus se situent entre l’entrevue semi-dirigée et l’entrevue écologique. Étant donné les interventions de cet assistant-étudiant et pour minimiser l’effet de l’observateur, les 10 premières minutes de chaque entrevue sont exclues des analyses.
3.2 Domaine d’application de la variable
Les trois variantes de la RTF analysées dans la présente étude sont: le FP, une structure avec l’auxiliaire aller suivi d’un verbe à l’infinitif, comme en (5), le FF, qui présente une morphologie flexionnelle du futur, comme en (6), et le PDF, qui présente une morphologie flexionnelle du présent de l’indicatif à valeur de futur, comme en (7).Footnote 21
(5) Je sais ce qu’on va faire euh aux Fêtes (J, sous-corpus 6)
(6) Je t’en ferai à ta fête (A, sous-corpus 3)
(7) On fait un voyage au Mexique en hiver (D, sous-corpus 3)
Il importe de faire une distinction entre la morphologie du futur et la RTF: la première ne concerne que la forme de l’occurrence, alors que la deuxième a trait à la fonction de situer un évènement dans le futur, sans égard à la morphologie de l’occurrence. Cette distinction a d’abord été remarquée par Zimmer (Reference Zimmer1994), puis adoptée pour la première fois dans l’étude de Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999). Pour qu’un énoncé soit considéré comme ayant une temporalité au futur, il doit présenter sans ambiguïté un évènement postérieur au temps d’énonciation. Ainsi, l’exemple (8) montre une morphologie du futur, le FP, qui exprime une RTF. L’exemple (9), quant à lui, montre une morphologie qui n’est pas au futur, celle du présent de l’indicatif, mais qui exprime tout de même une RTF, soit le PDF. C’est le contexte qui détermine si le PDF fait référence au futur. À partir du moment où l’occurrence est située temporellement dans le futur, dans la même proposition ou hors de la proposition où l’occurrence de PDF a lieu, elle est retenue. Toutes les occurrences de FF, FP et PDF qui présentent une RTF sans ambiguïté sont incluses dans les analyses.
(8) La glace va fondre dans quelques euh quelques quelques semaines (B, sous-corpus 23)
(9) Le Canadien ont gagné ils jouent ce soir (D, sous-corpus 3)
Néanmoins, certaines occurrences doivent tout de même être exclues, comme le montre la liste suivante.
3.2.1 Exclusions
Les occurrences présentant une ambiguïté par rapport à la RTF sont exclues, de même que celles qui ne véhiculent pas de valeur du futur et les évènements atemporels. Appelés timeless truth (Wagner et Sankoff Reference Wagner and Sankoff2011), gnomics (Torres Cacoullos et Walker Reference Torres Cacoullos and Walker2009) ou encore présent de vérité générale, par exemple en lien avec l’aspect habituel, comme en (10), ces énoncés concernent ce qu’un locuteur croit être vrai en tout temps.Footnote 22 Par conséquent, ce type d’occurrence présente des évènements atemporels. Donner un exemple ou émettre une hypothèse, comme en (11), est un bon indicateur qu’il s’agit d’un évènement atemporel. Les tautologies, comme « un homme sera toujours un homme », en sont également un bon exemple. Les exemples (10) et (11) montrent également que ce type d’évènement ne se limite pas au présent.
(10) Habituellement ils vont chercher de la peau […] dans le palais pis ils s’en vont faire une greffe (N, sous-corpus 6)
(11) Exemple il va avoir euh je sais pas moi euh un ours avec le poisson dans la bouche (A, sous-corpus 14)
Les évènements en cours, bien qu’ils fassent en partie référence au futur, sont également exclus. Puisque, par définition, ils sont déjà commencés, leur référence temporelle n’est pas entièrement au futur. La dimension gestuelle du CFPQ peut permettre, entre autres, de savoir si un évènement est en cours. Par exemple, lorsqu’un locuteur accomplit une action au même moment où il dit je fais/vais faire/ferai, celle-ci est décrite en détail dans les transcriptions, ce qui permet de conclure que l’évènement n’est pas entièrement situé dans le futur. Dans un cas comme elle vient?/va venir?/viendra?, le contexte pourrait permettre de déterminer si l’évènement est en cours ou dans le futur. Si ce n’est pas clair, l’occurrence est jugée ambiguë et est exclue. En ce qui concerne le discours rapporté, il ne fait pas consensus dans les études antérieures consultées: il est exclu par Grimm et Nadasdi (Reference Grimm and Nadasdi2011), inclus sans distinction par King et Nadasdi (Reference King and Nadasdi2003) et inclus partiellement par Comeau (Reference Comeau2015). Comeau (Reference Comeau2015) l’inclut à la première personne, comme en (12), alors qu’il l’exclut lorsqu’il est rapporté par des tiers, comme en (13). C’est cette distinction qui est adoptée pour la présente analyse. Il est estimé que les locuteurs rapportent leur propre discours fidèlement ou avec des formes qui leur sont propres. Le discours rapporté de tiers, à la troisième personne, est plus incertain.
(12) Hier soir je dis euh « le quatre novembre là j’ai un affaire » (K, sous-corpus 26)
(13) Fait que là T il dit « on réglera ça à la maison » (K, sous-corpus 26)
Les impératifs adoucis, utilisés pour atténuer la portée des impératifs dits véritables (Grimm Reference Grimm2015), sont aussi exclus, étant donné qu’il est impossible de déterminer sans ambiguïté s’ils sont porteurs d’une RTF. Les expressions figées et les énoncés tronqués, reformulés ou incomplets sont exclus et les énoncés des personnes chargées de superviser les rencontres ne sont pas pris en compte.
3.3 Codage des contraintes
Afin de mener à bien la présente étude, un codage systématique a été appliqué aux données.
3.3.1 Âge, sexe et scolarité
Les 62 locuteurs du CFPQ, dont 32 femmes et 30 hommes, sont répartis en trois catégories d’âge: 15–34 ans (n=23), 35–59 ans (n=19) et 60–95 ans (n=20). Le niveau socio-économique des locuteurs n’est pas indiqué dans le CFPQ. Nous avons donc testé le niveau de scolarité pour vérifier si, comme dans les analyses de Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999), cette contrainte influence le choix de la variante ou non. Les locuteurs ont été regroupés en deux catégories: scolarité - (primaire n=7, secondaire n=20 et collégial n=14) et scolarité + (universitaire 1er cycle n=14 et universitaire 2e cycle n=7).
3.3.2 Polarité
Les trois variantes à l’étude se trouvent dans les contextes affirmatif et négatif. L’exemple (14) montre le FF en contexte négatif et l’exemple (15), lui, montre le FP en contexte affirmatif.
(14) Je pense qu’après une heure et demie t’auras pas fini ton affaire encore (M, sous-corpus 12)Footnote 23
(15) Elle va l’avoir dans deux semaines (N, sous-corpus 12)
Si les données du CFPQ se comportent comme celles des autres variétés laurentiennes, on peut prédire que le contexte négatif favorisera le FF et que soit la contrainte de polarité n’aura aucun effet sur le choix du PDF (comme l’ont trouvé Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999), soit le PDF sera absent en contexte négatif (comme l’a trouvé Grimm Reference Grimm2015 en français ontarien).
3.3.3 Effet d’amorce
Pour mesurer l’effet d’amorce, la RTF est notée chaque fois qu’elle apparaît. Ensuite, elle est comparée aux verbes des deux propositions précédentes (celle qui la précède immédiatement et l’avant-précédente) et analysée en termes de symétrie ou d’asymétrie par rapport à la forme et la référence temporelle. Pour être codées comme symétriques, les occurrences analysées doivent à la fois être porteuses de la même référence temporelle (au futur) et apparaître sous la même forme (la même variante). Si un seul des deux critères est respecté, elles sont codées comme asymétriques. Dans l’exemple (16), la première occurrence de va avoir (A) n’est pas soumise à un effet d’amorce, étant donné qu’elle se trouve au début du tour de parole du locuteur: elle est codée proposition précédente absente. Lorsque c’est la deuxième occurrence de va avoir (D) qui est analysée, l’occurrence de la proposition qui la précède immédiatement, va partir (C), est symétrique à celle-ci en termes de forme et de RTF: c’est la même variante qui est utilisée et elle est codée comme symétrique. Ainsi, il est supposé que l’utilisation de va avoir (D) est renforcée par la présence de va partir (C). Par contre, le verbe de la proposition avant-précédente, veut dire (B), est asymétrique par rapport à l’occurrence analysée, va avoir (D), à la fois en termes de forme et de référence temporelle, et est codé comme asymétrique.
(16) Ben là supposément qu’il [A] va avoir ses traitements toutes les trois semaines fait que ça [B] veut dire quand il [C] va partir il [D] va avoir un traitement […] (F, sous-corpus 6)
Il faut comprendre que seule la symétrie est pertinente à l’analyse de l’effet d’amorce. Ainsi, si le temps verbal de la proposition précédente est symétrique à celui de l’occurrence analysée, une persistance peut être déduite (encore plus si le temps verbal de la proposition avant-précédente est aussi symétrique). Le fait de coder pour la proposition avant-précédente permet de vérifier si la persistance potentielle est présente sous forme de gradation: plus forte lorsqu’elle précède immédiatement l’occurrence analysée, et moins forte plus la proposition s’éloigne de celle de l’occurrence analysée. Il est à noter que, pour Tamminga (Reference Tamminga2014), qui étudie des variables phonologiques, l’effet d’amorce est analysé sans égard à la distance (le nombre de propositions précédentes) et l’auteure ne traite que les occurrences de la variable, même si l’apparition de la variante remonte à plusieurs propositions. Dans la présente étude, il est analysé par rapport aux propositions précédentes et avant-précédentes, peu importe le temps verbal de ces dernières, même si la variable n’y apparaît pas. Ce choix est justifié par le fait que la RTF est peu fréquente dans le discours et pour limiter la mesure dans le temps.
3.3.4 Locutions adverbiales temporelles
En raison de la répartition des données, il n’est pas possible de maintenir la distinction entre les locutions adverbiales temporelles spécifiques et non spécifiques mentionnées précédemment. Ainsi, la distinction adoptée ici concerne uniquement la présence d’une locution adverbiale temporelle, comme en (17), ou son absence, comme en (18). Pour que la locution adverbiale temporelle soit notée comme présente, elle doit apparaître dans la même proposition que l’occurrence de la variable.Footnote 24
(17) Ça va ouvrir au printemps (G, sous-corpus 8)
(18) Annette elle vend sa maison pis elle s’en va là (E, sous-corpus 8)
3.3.5 Verbes de mouvement
Dans la présente étude, les occurrences de aller réalisées comme verbe de mouvement sont incluses dans l’analyse, pourvu que la RTF soit sans ambiguïté, comme en (19). Tous les verbes sont codés selon leur identité lexicale, puis selon qu’ils appartiennent aux verbes de mouvement (n=133 de 19 verbes différents) ou aux autres verbes (n=733 de 181 verbes différents). C’est également le contexte qui détermine si un verbe appartient à une catégorie en particulier. Par exemple, le verbe sortir n’est pas automatiquement un verbe de mouvement, comme en (20).
(19) On va aller à la cabane à sucre en fin de semaine prochaine (B, sous-corpus 23)
(20) Yanick pis Lydia vont sortir ensemble [être en couple] (D, sous-corpus 3)
3.3.6 Distance de la référence temporelle
La répartition des données fait en sorte qu’elles doivent être classées selon que la distance temporelle est proximale ou non proximale, à l’instar d’autres chercheurs (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Blondeau Reference Blondeau2006). Ainsi, les évènements qui auront lieu dans moins d’une journée sont codés comme présentant une distance temporelle proximale, alors que les évènements qui auront lieu dans plus d’une journée sont codés comme ayant une référence non proximale (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999). Les cas de distance temporelle continue, comme en (21), et indéterminée, comme en (22), sont exclus des analyses pour cette contrainte.
(21) C’est fini on déménage pas (H, sous-corpus 11)
(22) Ce coffret-là je vas l’acheter c’est aussi simple que ça (J, sous-corpus 6)
3.3.7 Certitude
Enfin, nous mesurons la certitude des locuteurs par rapport à l’issue des évènements. Le locuteur est-il certain, comme en (23), ou incertain, comme en (24), de l’évènement dont il discute? Puisque c’est la chercheuse qui doit déterminer la certitude des locuteurs et qu’elle ne peut se baser que sur les transcriptions de leurs paroles, cette contrainte demeure subjective. Pour ce faire, la méthode de King et Nadasdi (Reference King and Nadasdi2003) est utilisée dans la présente étude: l’expression « sans aucun doute » est ajoutée à la fin de l’occurrence et, si elle renforce sa certitude, l’occurrence est considérée comme incertaine. Si l’expression ne renforce pas la certitude de l’occurrence, elle est considérée comme certaine.
(23) Il va être papa au mois de novembre (E, sous-corpus 16)
(24) Tu te reprendras l’année prochaine (V, sous-corpus 10)
4. Résultats
La prochaine section présente les résultats obtenus chez les locuteurs du CFPQ. Ceux-ci sont mis en contexte par rapport aux études antérieures et visent à répondre aux questions émises à la section 2.6.
4.1 Taux global
Le tableau 3 présente le taux global des variantes pour le CFPQ. Le PDF est près de deux fois plus fréquent (21,4 %) que le FF (11,3 %). Ce résultat va à l’encontre de ceux obtenus par Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999), Poplack et Dion (Reference Poplack and Dion2009) et Grimm (Reference Grimm2015) et correspond davantage à celui du Corpus Mougeon, Nadasdi et Rehner 2005 (Grimm Reference Grimm2015), qui concerne le français ontarien.
Tableau 3. Taux global (distribution des variantes)

Il semble aussi que l’utilisation du PDF ne se fait pas au détriment du FF, puisque cette dernière variante semble se maintenir à un taux semblable aux autres variétés de français laurentien, mais bien au détriment du FP, qui semble présenter un recul, du moins en ce qui concerne les données les plus récentes (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Grimm Reference Grimm2015). Les données de Poplack et Dion (Reference Poplack and Dion2009) montrent que le FF (36 %) était bien plus fréquent au 19e siècle et qu’il a ensuite cédé sa place au FP. La figure 1 montre la distribution des variantes (taux global) dans les études antérieures qui incluent le PDF en français laurentien. Les taux de PDF y sont plutôt stables, à l’exception de l’étude de Grimm (Reference Grimm2015). Toutefois, Grimm (Reference Grimm2015) attribue le taux élevé de PDF qu’il a obtenu à un effet lexical avec les verbes de mouvement (61 %), plus particulièrement avec aller (35 %), ce qui le mène à conclure que le PDF ne participe pas au changement dans les communautés qu’il a étudiées.

Figure 1. Distribution des variantes (taux global) dans les études antérieures sur l’expression de la RTF en français laurentien, selon le corpus auxquels appartiennent les données en comparaison aux données du CFPQ
Contrairement aux études antérieures, à l’exception de celle de Grimm (Reference Grimm2015), le taux de PDF dans le CFPQ est deux fois plus élevé que le taux de FF. À la lumière de cette constatation, les données du CFPQ ont été examinées plus en détail afin de déterminer si un effet lexical pouvait également être décelé, comme dans l’étude de Grimm (Reference Grimm2015). À première vue, il semble y avoir un effet lexical: 40 % des verbes de mouvement sont au PDF, particulièrement chez les 35–59 ans, où 50 % des verbes de mouvement sont au PDF, comme le montre le tableau 4a. Toutefois, lorsque les verbes de mouvement sont observés plus en détail, au tableau 4b, un effet lexical avec aller (88,9 %) ressort seulement chez les 60 ans et plus, comme c’était le cas pour le corpus de français ontarien analysé dans l’étude de Grimm (Reference Grimm2015). Cependant, il faut garder en tête que, dans la présente étude, les 60 ans et plus sont ceux qui utilisent le moins le PDF. L’augmentation du PDF chez les 34 ans et moins et les 35–59 ans ne s’explique pas par un effet lexical, étant donné la diversification des verbes de mouvement. Bien que aller représente 88,9 % des verbes de mouvement chez les 60 ans et plus, on observe une diminution linéaire avec l’âge, où aller représente 40 % chez les 35–59 ans et 27,3 % chez les 34 ans et moins. Contrairement aux locuteurs ontariens de Grimm (Reference Grimm2015), il y a bien une augmentation de l’utilisation du PDF en FQ, mais elle ne peut pas être expliquée par un effet lexical.
Tableau 4a. Distribution des verbes au PDF selon leur type et l’âge

Tableau 4b. Distribution des verbes de mouvement au PDF selon l’âge

4.2 Analyse multivariée des contraintes socialesFootnote 25
Trois séries d’analyses multivariées, présentées au tableau 5, indiquent que l’âge et la scolarité des locuteurs ont un effet significatif sur le choix des variantes, alors que leur sexe n’y joue aucun rôle. Pour obtenir ce tableau, chaque variante est analysée en opposition aux deux autres à l’aide du logiciel Goldvarb, pour un total de trois analyses séparées.Footnote 26
Tableau 5. Analyse multivariée des contraintes sociales favorisant l’utilisation des variantesFootnote 27

4.2.1 Âge
Selon les résultats présentés dans le tableau 5, les 34 ans et moins favorisent le FF (poids relatif de, 60) et le PDF (,55), mais défavorisent le FP (,43). Ce groupe d’âge est le seul à favoriser le FF. Si les 35–59 ans ne démontrent pas de préférence pour le FP ou le PDF, il est clair qu’ils défavorisent le FF. Les 60 ans et plus, soit les plus âgés, utilisent davantage le FP, évitent le PDF et ne démontrent pas de préférence par rapport au FF.
Les études antérieures en français laurentien ont établi que les plus jeunes favorisent le FP et les plus âgés, le FF (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999). Par contre, cette tendance est renversée dans les données du CFPQ, où ce sont les plus jeunes qui favorisent le FF et les plus vieux, le FP. Dans leur étude, Wagner et Sankoff (Reference Wagner and Sankoff2011) soulèvent un modèle de gradation d’âge mesuré à l’aide du statut socio-économique pour expliquer l’augmentation du FF chez certains individus (13 ans plus tard, suivi de cohorte). Chez les locuteurs du CFPQ, le niveau de scolarité n’influence pas le choix du FF, mais une autre mesure (type d’emploi, marché linguistique, etc.) aurait peut-être révélé d’autres résultats en lien avec l’augmentation du FF chez les plus jeunes.
4.2.2 Scolarité
Les locuteurs ayant un niveau de scolarité élevé favorisent le FP et ceux ayant un faible niveau de scolarité favorisent plutôt le PDF. Par contre, le niveau de scolarité n’a pas d’effet sur le choix du FF. Ce résultat ne correspond pas à celui obtenu dans la seule étude antérieure qui teste le niveau de scolarité sur la variable, celle de Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999) en français d’Ottawa-Hull, où le niveau de scolarité n’influence pas le choix des variantes. Dans le CFPQ, on observe une augmentation de l’utilisation du FF dans le temps, peu importe le niveau de scolarité. Cette légère augmentation pourrait être attribuable à un effet de gradation d’âge, comme l’ont soulevé Wagner et Sankoff (Reference Wagner and Sankoff2011) pour le français montréalais. Dans le but d’expliquer l’effet de scolarité pour le FP et le PDF, la figure 2 présente le taux des variantes par groupe d’âge et par niveau de scolarité. Lorsqu’on compare les 34 ans et moins aux 35–59 ans, l’augmentation du PDF dans le temps se remarque surtout chez les plus scolarisés, au détriment du FP, alors que le PDF est plutôt stable chez les moins scolarisés. Chez les 35–59 ans, un écart est visible dans l’utilisation du FP entre les plus scolarisés et les moins scolarisés. Dans le but d’examiner la variation entre les formes je vais, je vas et m’as au FP, nous avons procédé à une observation plus détaillée des données à la 1re personne du singulier dans ce groupe d’âge.Footnote 28 Bien qu’il y ait peu de données (n=83) pour la 1re personne du singulier, chez les 35–59 ans, je vais est utilisé davantage par les plus scolarisés, alors que les moins scolarisés utilisent davantage le PDF. En ce qui concerne les 60 ans et plus, l’utilisation du PDF s’explique par un effet lexical, mentionné précédemment, et, par ailleurs, il n’y a pas de différences notables, chez eux, par rapport au niveau de scolarité.

Figure 2. Taux des variantes par groupe d’âge et par niveaux de scolarité
Ainsi, ces résultats semblent signaler un changement potentiel auquel contribue le PDF, au détriment du FP, mais tous les groupes de locuteurs n’y participent pas au même degré. La figure 2 montre également que le FF demeure plutôt stable et qu’il semble y avoir une stratification sociale chez les moins de 60 ans par rapport au PDF et au FP.
4.3 Analyse multivariée des contraintes linguistiques et psychologiques
Le tableau 6 montre les résultats de trois analyses multivariées des contraintes linguistiques et psychologiques qui favorisent l’utilisation de chacune des variantes. Pour obtenir ce tableau, chaque variante est analysée en opposition aux deux autres, pour un total de trois analyses séparées.
Tableau 6. Analyses multivariées des contraintes linguistiques et psychologiques qui favorisent l’utilisation des variantes

L’hypothèse voulant que les verbes de mouvement favorisent le FP est réfutée, puisqu’ils favorisent plutôt le PDF. En ce qui concerne la distance de la référence temporelle et les locutions adverbiales temporelles, les analyses montrent qu’il n’y a pas de changement important par rapport aux études antérieures. La certitude s’est également révélée non significative. Cependant, il y a des différences intéressantes par rapport à la polarité et le PDF et par rapport à l’effet d’amorce.
4.3.1 Polarité et présent du futur
Comme mentionné précédemment, la polarité est la contrainte exerçant le plus d’influence sur la variable, le contexte négatif demeurant le domaine quasi exclusif du FF (poids relatif de ,98).Footnote 29 Même si le PDF se retrouve également dans ce contexte (20,2 % des occurrences à polarité négative), ce résultat n’est pas significatif et correspond également à celui qu’avaient obtenu Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999) pour le français d’Ottawa-Hull. Autrement, les écarts pour le FP (59) et le FF (61) sont eux aussi similaires à ceux obtenus dans les études antérieures (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Blondeau Reference Blondeau2006, Poplack et Dion Reference Poplack and Dion2009, Grimm Reference Grimm2015). Il faut souligner que Grimm (Reference Grimm2015) n’a relevé aucune occurrence de PDF en contexte négatif, ni dans l’ensemble des données de Hawkesbury de 2005, ni dans ses données de Cornwall et Pembroke pour la même année (à la fois pour les locuteurs non restreints et les semi-restreints).Footnote 30 Toutefois, ce n’est pas le cas pour ses données de 1978: le PDF se retrouve en contexte négatif chez les locuteurs non restreints (2/45 occurrences) et semi-restreints (1/45 occurrences), quoique rarement. Ainsi, sur la base de ses résultats, Grimm (Reference Grimm2015) conclut que la présence du PDF est stable et qu’il est quasi absent en contexte négatif chez les locuteurs non restreints et semi-restreints.Footnote 31 En ce qui concerne le FP, Grimm (Reference Grimm2015) remarque une augmentation de cette variante en contexte négatif avec le temps, sans égard à la restriction linguistique. Le tableau 7 montre que le PDF est présent en contexte négatif dans tous les groupes d’âge du CFPQ et qu’il augmente avec le temps (de 15 % à 24 %). De plus, bien que les taux de FP semblent augmenter en contexte négatif avec le temps chez les locuteurs du CFPQ, le nombre d’occurrences demeure faible.
Tableau 7. Taux d’utilisation du PDF selon la polarité et l’âge

Par ailleurs, il n’est pas surprenant que l’analyse statistique ne se soit pas révélée significative pour le PDF, étant donné sa présence importante dans les deux contextes. Plus les locuteurs sont jeunes, plus leur utilisation du PDF augmente, indépendamment de la polarité, au détriment des deux autres variantes, qui ont chacune leur contexte de prédilection. Autrement dit, le FP a diminué de manière linéaire dans le temps en contexte affirmatif et il en est de même pour le FF en contexte négatif. Contrairement au français ontarien, où la contrainte de polarité influençait fortement le choix du PDF (Grimm Reference Grimm2015), celle-ci n’influence pas le choix du PDF dans les données du CFPQ.
4.3.2 Effet d’amorce et présent du futur
Dans le CFPQ, l’effet d’amorce influence le choix du PDF. Cette influence est plus grande lorsqu’il s’agit de la proposition précédente (écart de 33) que de la proposition avant-précédente (écart de 31). De plus, lorsque les occurrences au PDF soumises à l’effet d’amorce sont observées plus en détail, il semble qu’elles obéissent également à un effet discursif: ces occurrences concernent, pour la plupart, des locuteurs qui discutent de planification et de séries d’évènements, comme le montre l’exemple (25).Footnote 32 Puisque le PDF est associé à la présence d’une locution adverbiale temporelle, comme l’a montré le tableau 6, et que cette locution n’est pas répétée, il est logique que lorsqu’employé, le PDF, lui, le soit et se succède dans un tour de parole.
(25) M: demain matin
F: demain matin
M: je travaille de sept heures à dix heures et demie
N: ah ok
M: pis après ça j’emmène mon bicycle tout mon packsack est d- tout mon stock est dans le char (en pointant derrière lui comme pour désigner l’endroit où se trouve son auto) pour toute la fin de semaine fait que là en finissant de travailler euh j’embarque dans mon char je me change pis je pars en bicycle je monte à Saint-Georges pis je reviens pis après ça dans le milieu de l’après-midi je vas arriver à la shop je vas je recharge mon bicycle dans le char je monte ici (M et F, sous-corpus 6)
Puisqu’un effet discursif n’a pas été testé, il est impossible d’arriver à une conclusion à ce sujet. Toutefois, il est admis que le PDF véhicule un sens d’évènement programmé (voir Grimm Reference Grimm2015: 252–254).
5. Discussion
Les résultats présentés dans cet article démontrent que le PDF joue un rôle clé dans le changement linguistique de la RTF en français. Bien que les études antérieures aient trouvé soit de faibles taux de PDF (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Poplack et Dion Reference Poplack and Dion2009), soit des taux plus élevés, mais en indiquant qu’il n’est pas impliqué dans le changement en raison d’un effet lexical (Grimm Reference Grimm2015), la présente étude montre que le PDF est bien présent: le taux de 21,4 % de PDF obtenu dans le CFPQ est le plus élevé de toutes les études sur la RTF en français laurentien. Bien que l’âge ne joue pas de rôle dans la présence du PDF dans l’étude de Poplack et Turpin (Reference Poplack and Turpin1999), il en joue un dans la présente étude. Même si un effet lexical avec aller au PDF a été trouvé ici chez les 60 ans et plus, ce n’est plus le cas chez les 34 ans et moins et les 35–59 ans. L’augmentation du PDF chez ces deux derniers groupes d’âge ne découle pas d’un effet lexical: notre analyse en temps apparent semble plutôt indiquer que les plus jeunes mènent un changement vers une plus grande utilisation du PDF. Les résultats obtenus démontrent également la relation complexe entre les variantes, l’âge et le niveau de scolarité.
Puisque le PDF intervient dans le remplacement du FF par le FP, les résultats obtenus sont différents de ceux des études antérieures. Le FP est défavorisé par les 34 ans et moins, qui favorisent le FF et le PDF. En ce qui concerne le FF, il se pourrait que sa plus grande utilisation par les 34 ans et moins soit attribuable à un effet de gradation d’âge, comme l’ont identifié Wagner et Sankoff (Reference Wagner and Sankoff2011) en français montréalais. En ce qui concerne le PDF, le niveau de scolarité pourrait expliquer son utilisation. Ainsi, l’analyse démontre que les locuteurs qui ont un faible niveau de scolarité favorisent le PDF et ceux qui ont un niveau de scolarité élevé favorisent plutôt le FP. En intégrant l’âge à la discussion et en le mettant en relation avec le niveau de scolarité, on dévoile une augmentation de l’utilisation du PDF chez les 34 ans et moins et les 35–59 ans par rapport aux 60 ans et plus. Cette augmentation est surtout visible chez les moins scolarisés, et ce, au détriment du FP. Cette augmentation est coordonnée avec la perte de l’effet lexical chez les moins âgés. En ce qui concerne le FF, son rôle dans le changement a été démontré dans de nombreuses études antérieures, mais son rôle dans les données du CFPQ semble masqué par la montée du PDF. Ainsi, contrairement aux études précédentes, le changement semble ne concerner que le FP, dont l’utilisation diminue, et le PDF, dont l’utilisation augmente.
Lorsque les contraintes qui conditionnent la variable sont observées en plus grand détail, les résultats montrent que le rôle de la polarité demeure le même que dans les études antérieures. Ainsi, même si le rôle du FF dans le changement est moins clair dans les données du CFPQ, le contexte négatif sélectionne toujours cette variante et l’utilisation du FP n’y est pas favorisée, comme en français montréalais (Emirkanian et Sankoff Reference Emirkanian and Sankoff1985, Zimmer Reference Zimmer1994, Wagner et Sankoff Reference Wagner and Sankoff2011). Conséquemment, la contrainte de polarité en lien avec le FF demeure inchangée par rapport aux études antérieures. Toutefois, contrairement à l’étude de Grimm (Reference Grimm2015) en français ontarien, où aucune occurrence de PDF n’avait été relevée en contexte négatif, cette variante présente ici un taux d’utilisation de 20,2 % dans ce contexte. Deux possibilités peuvent expliquer ce scénario: 1) il s’agit bel et bien d’une augmentation du PDF dans ce contexte en FQ, ou 2) il s’agit d’une différence entre les variétés laurentiennes. Néanmoins, la présence du PDF en contexte négatif ne semble pas affaiblir la contrainte de la polarité.
La présente étude met également en évidence le rôle de l’effet d’amorce sur le PDF: lorsqu’un locuteur prononce une occurrence au PDF, la probabilité que les occurrences dans les propositions précédentes et avant-précédentes soient également au PDF est plus élevée. Cette influence pourrait être attribuable à l’association entre le PDF et la présence d’une locution adverbiale temporelle, ainsi qu’à un effet discursif (non testé). L’effet du type de discours, par exemple lorsqu’une suite d’évènements programmés est décrite, mériterait d’être analysé dans les prochaines études en lien avec la RTF pour vérifier si cette contrainte conditionne effectivement le PDF et pour voir si son rôle est indépendant de l’effet d’amorce.
6. Conclusion
La RTF est une variable qui a beaucoup été analysée et qui continue de l’être, surtout en français. Elle présente suffisamment de diversité parmi les variétés de français étudiées (acadien, hexagonal, laurentien). Ce sont toujours les mêmes formes qui sont impliquées dans la variation, mais les études sur ces variétés montrent qu’elles ne sont pas soumises aux mêmes contraintes selon le système dont il est question. Il importe de souligner la convergence des résultats obtenus antérieurement en français laurentien, auxquels contribuent également ceux obtenus dans la présente étude, notamment par rapport à la prépondérance de l’effet de polarité.
La présente étude apporte ainsi un nouvel éclairage sur le PDF en français laurentien contemporain. Les données du CFPQ suggèrent que cette variante participe activement au changement. L’étude démontre également qu’un cas de changement qui paraissait si certain par le passé peut être sujet à des bouleversements qui affectent sa trajectoire, comme la montée du PDF. Auparavant, le changement était perçu comme n’impliquant que le FF et le FP. Dans les données du CFPQ, le changement semble impliquer le FP et le PDF, puisque la légère augmentation du FF pourrait être attribuée à un effet de gradation d’âge. Dans l’ensemble, les résultats obtenus jusqu’à présent sur la RTF soulèvent des questions sur la binarité des variables linguistiques dans les cas de changement linguistique en cours, et ce, peu importe le nombre de variantes.
Enfin, compte tenu de son rôle dans le changement linguistique, le PDF devrait cesser d’être laissé pour compte dans l’étude de la RTF. Si son exclusion a été justifiée par sa fréquence négligeable dans d’autres communautés, comme en français acadien (King et Nadasdi Reference King and Nadasdi2003, Comeau Reference Comeau2015), elle n’est plus justifiable pour les données du FQ. Sans mieux cerner son rôle dans le cadre de la RTF, il nous sera impossible de bien comprendre l’évolution globale de cette variable en FQ.


