Dans cette nouvelle monographie reprenant les réflexions amorcées dans un ouvrage précédent (Payette, Reference Payette2011), Jean-François Payette poursuit un double objectif. D'une part, il présente les résultats d'une enquête historique d'envergure sur les relations extérieures du Québec de la Nouvelle-France aux années du gouvernement libéral de Philippe Couillard (2014–2018), enquête dont l'exhaustivité donne raison à Louise Beaudoin lorsqu'elle affirme en préface de l'ouvrage qu'il constitue désormais un « incontournable » pour quiconque s'intéresse aux relations internationales du Québec (xiv). D'autre part, l'auteur se livre également à une réflexion théorétique procédant d'un aller-retour entre l'empirie et la théorie des relations internationales (RI), laquelle découle du constat que la littérature scientifique portant sur les activités extérieures de gouvernements locaux ou régionaux s'est davantage inscrite jusqu'ici dans le cadre des études fédérales comparées (largement descriptives et empiriques) plutôt qu'au sein du champ disciplinaire des RI. Payette remarque à ce propos une tendance à qualifier certaines de ces relations extérieures de « politique étrangère », en dépit du fait que ce concept (tel que mobilisé en RI) implique habituellement la notion même de souveraineté territoriale. L'auteur propose donc de mettre le cas québécois au service du développement d'une théorie de la « politique étrangère d'un État fédéré » (13). « [À] quelles conditions », demande-t-il, « le Québec peut-il avoir une politique étrangère » (7) ?
Les théories les plus conventionnelles en RI, particulièrement celles découlant du courant réaliste, associent à la « politique étrangère » trois principaux éléments, soit le statut d’État, la qualité de nation et, enfin, la détention de la souveraineté territoriale, laquelle confère à l'entité politique qui en dispose la personnalité juridique en droit international, et, par le fait même, la possibilité d’établir des relations « horizontales » avec des acteurs étrangers ainsi que d’être le destinataire « immédiat » d'obligations et de droits internationaux, sans ingérence d'une autorité supérieure ou d'une tierce partie. Or, ce dernier critère présente un « paradoxe » en ce qui concerne les gouvernements fédérés (43), puisque ceux-ci disposent d'une autonomie politique importante en droit interne, consacrée par le partage constitutionnel des pouvoirs au sein du régime fédéral. Selon le cadre analytique présenté par Payette, seuls les États fédérés dotés de la qualité nationale et d'une reconnaissance constitutionnelle de compétences externes, comme la Flandre, pourraient alors aspirer à l'exercice d'une « véritable » politique étrangère. Ne disposant pas d'une telle « autonomie extérieure constitutionalisée » (48), le Québec se retrouverait par conséquent « confiné » dans l'exercice « d'une politique de relations internationales » subordonnée dans les faits à l'autorité du gouvernement canadien et ne pouvant donc s'exercer sans son intermédiaire ou son « ingérence » ; et ce, malgré la revendication d'une pleine « souveraineté » (externe comme interne) sur ses compétences exclusives que même l’État fédéral ne peut pleinement nier (9).
Cette hypothèse principale est vérifiée et confirmée par l'analyse d'entretiens, de documents d'archives et de sources historiques reconstituant l’évolution historique de la paradiplomatie québécoise. Payette met alors en lumière avec une grande finesse les dynamiques politiques complexes qui sous-tendent la relation entre Québec et Ottawa vis-à-vis l'international, de même que les nombreuses contraintes qu'elles engendrent pour les deux parties dans l'exercice, à la fois « parallèle » et inextricablement imbriqué, de leurs relations extérieures respectives. L'ouvrage effectue ainsi une démonstration fort convaincante de la pertinence analytique et de la persistance empirique de la souveraineté étatique comme principe hiérarchique opérant dans l'ordre international en ce début de 21e siècle.
Cependant, l'entreprise théorique se présente à plusieurs égards comme un exercice essentiellement sémantique, lequel consiste à rétablir la préséance de définitions plutôt conventionnelles de la souveraineté et de la politique étrangère pour réévaluer le phénomène « paradiplomatique » à l'aune de ces dernières. Conséquemment, l'ouvrage ne nous paraît pas apporter la contribution promise au champ des RI. L'analyse prend en effet une tournure pour le moins paradoxale, en exposant d'une part l'instrumentalisation politique de « l'orthodoxie internationale » par le gouvernement canadien afin de justifier son monopole sur les relations internationales, tout en réifiant d'autre part ce discours sur le plan théorique, en prenant l'idéal-type de l’État-nation souverain comme point de départ et d'ancrage analytique. De nombreux auteurs, tant en études « paradiplomatiques » qu'en études européennes ou dans le sous-champ disciplinaire de la gouvernance mondiale, se consacrent pourtant depuis les années 2000 à l'analyse des processus sociopolitiques de reproduction, de contestation et de transformation progressive de cette orthodoxie à travers l'histoire et à l’ère contemporaine (voir notamment Reus-Smit, Reference Reus-Smit1999 ; Avant et al., Reference Avant, Finnemore and Sell2010 ; Cornago, Reference Cornago2010 ; Adler-Nissen, Reference Adler-Nissen and Adler-Nissen2013, Reference Adler-Nissen2014 ; Sending et al., Reference Sending, Pouliot and Neumann2015). Un dialogue avec cette littérature aurait pu grandement enrichir la recherche, en permettant notamment d'appréhender la paradiplomatie comme un phénomène social et politique liminaire, voire une « pratique subversive », dont la visée immédiate ou la conséquence indirecte serait notamment de modifier les institutions, les normes et les pratiques sous-tendant la gouvernance mondiale et la diplomatie afin qu'elles soient mieux à même d'intégrer le principe de partage des pouvoirs et la composition « plurinationale » d’États comme le Canada (Berthelet, Reference Berthelet2019, Reference Berthelet2021 ; Lamontagne, Reference Lamontagne2020, Reference Lamontagne2024 ; Lamontagne et Massie, Reference Lamontagne, Massie, Massie and Lamontagne2019).