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La seigneurie lorraine : Critique des témoignages et problèmes d'Évolution

Published online by Cambridge University Press:  25 October 2017

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Dans le développement des études sur la seigneurie rurale, les thèses de Mr CH.-Edmond Perrin marqueront une date décisive. Elles ne se bornent pas, en effet, à apporter un grand nombre de données nouvelles et de pénétrantes observations. Par un mérite plus rare, elles inaugurent une méthode. Plus exactement, adaptant aux fins propres de la recherche cet universel instrument de connaissance qu'est la critique du témoignage, elles en font, pour la première fois, une application véritablement systématique à une catégorie de documents entre tous difficiles et précieux. Depuis le IXe siècle, au plus tard, d'innombrables inventaires de biens et droits seigneuriaux ont été établis, par les soins des intéressés, dans l'Europe presque entière.

Type
Problèmes d'Ensemble
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1935

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References

page 451 note 1. Recherches sur la seigneurie rurale en Lorraine d'après les plus anciens censiers (lXe-XIIe siècles). Paris, Les Belles-Lettres, 1935 ; in-8°, XXII-809 p. (Bibliothèque de la Faculté des Lettres de Strasbourg, t. LXXI), et Essai sur la fortune immobilière de l'abbaye alsacienne de Marmoutier aux Xe et XIe siècles. Strasbourg, Heitz, 1935 ; in-8°, 198 p., 1 carte, 1 pl. (Collection d'études sur l'histoire du droit et des institutions de l'Alsace, t. X). Chacun des volumes s'enrichit d'importantes pièces justificatives. Ce sont, dans la thèse principale, six censiers, dont cinq étaient inédits et le sixième tellement mal publié que l'utilisation en était à peu près impossible ; dans la thèse complémentaire, deux Inventaires ou groupes d'inventaires de Marmoutier. Mais quel dommage que l'auteur n'ait pas cru pouvoir joindre à ces deux derniers textes, enfin correctement donnés, trois documents d'un intérêt capital, qu'il cite constamment et pour lesquels nous en sommes réduits encore à des éditions médiocres et d'accès parfois difficile : la « charte de l'abbé Anselme », le coutumier de Marmoutier et celui de Saint-Quirin I En outre, on trouvera, en appendice à la thèse principale, un « index des termes techniques concernant l'exploitation et l'administration de la seigneurie rurale ». Etabli avec un soin et une intelligence au-dessus de tout éloge, cet instrument de travail rendra, à tous les historiens du régime seigneurial, les plus précieux services.

page 451 note 2. C'est ainsi que, dans un des chapitres les plus vigoureusement menés de sa thèse principale, Mr Perrin a définitivement réduit à néant les conclusions que Lamprecht avait cru tirer de l'examen du censier de Prüm. Même les utiles études d'E. Herr sur Marmoutier n'ont pas résisté à l'épreuve de sa critique.

page 452 note 1. La principale objection que je présenterai à Mr Perrin concerne l'emploi que — dans le corps du livre, à dire vrai, plutôt que dans ses conclusions — il fait parfois du mot de charte-censier (ou notice-censier). Appliquée à une charte ou notice véritable dans laquelle a été incorporé un censier ou fragment de censier, l'expression est excellente : voyez, par exemple, dans les Recherches sur la seigneurie rurale en Lorraine, les nos 8 (Morville-sur-Nied) et 13 (Xanrey). Par contre, des documents comme les nos 14,15 (Chaumoussey) et 17 (Sainte-Marie-aux-Nonnains) me semblent tout bonnement des censiers, du type courant. Un seul détail de rédaction leur confère une certaine originalité : en tête du texte figure un court exposé, qui en indique l'auteur et les raisons d'être. Que ces quelques mots s'inspirent des préambules habituels aux chartes ou notices, d'accord. Mais ce n'est là que l'effet d'une imitation bien naturelle du style diplomatique ; sans doute le rédacteur du censier avait-il établi, dans le cours de sa vie, plus d'une charte et il disposait d'ailleurs, censelon toute apparence, de formulaires notariaux. Le caractère distinctif d'une charte ou d'une notice est d'être destinée à servir soit de preuve, soit de mémento à un acte juridique ; en outre, quand il s'agit d'une charte, de posséder des signes de validation, pour une notice, de fournir une liste de témoins. Les pièces en question ne présentent rien de tel, et, quoique puisse en penser Mr Perrin, je ne vois aucune raison de supposer qu'elles aient jamais été pourvues d'un protocole final. Pour le reste, je ne puis qu'indiquer quelques broutilles. Dans les mansi indominicati de Han-lès-Juvigny (Recherches, p. 565), rien ne nous oblige à voir des manses qui, à une époque donnée, se seraient trouvés « momentanément incorporés à la réserve ». On peut aussi bien les imaginer issus de son morcellement, à une date relativement tardive. Le texte ne permet pas de choisir entre les deux hypothèses. Il ne me parait guère exact de dire (Essai, p. 67) que le service des messages au profit des moines de Marmoutier, après avoir pesé du temps du « censier I sur les manses serviles de Schnersheim, fut, dans l'intervalle entre ce texte et le « censier II », « centralisé » sur des manses spécifiquement désignés et qui avoisinaient l'abbaye. Car les gens de Schnersheim devaient servir comme coureurs à pied ; les possesseurs des manses visés par le censier II servaient à cheval, comme escorte ou estafettes. Ce n'est pas la même chose. La charte de 952 (citée p. 189, n. 2) ne confère pas au seigneur, comme le dit Mr Perrin (Recherches, p. 596), « le droit d'exiger… des services en nombre illimité » ; elle se réfère simplement à la coutume. Je ne suis pas sûr que le passage du coutumier de Marmoutier, cité Essai, p. 109, n. 63, prétende expliquer la constitution des manses que l'on appela proprii, parce qu'ils servirent à établir d'anciens esclaves domestiques (homin.es proprii). Le texte, d'une part, mentionne que les tenanciers des manses serviles, en vue d'obtenir un allégement des redevances, ont cédé au moins quelques fragments de leurs tenures (in proprietatem beato Martino conlradiderunt), de l'autre, interprète, assez exactement, le sens de proprius. L'homophonie de proprietas avec proprii est, bien entendu sans portée. — Enfin, dans un autre ordre d'idées, je rappellerai à Mr Perrin que, si Pierre le Vénérable pensait qu'il fait bon vivre sous la crosse, Abélard était d'un avis diamétralement opposé.

page 454 note 1. On devra se reporter également aux études précédentes de Mr Perrin sur la seigneurie lorraine ou rhénane : Catalogue des chartes de franchise de la Lorraine antérieures à 1350 dans Annuaire de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine, 1924 ; De la condition des terres dites « ancingae » dans Mélanges F. Lot, 1925 ; Sur le sens du mot tcentena » dans les chartes lorraines au moyen âge dans Bulletin Du Cange, t. V (1929-1930) ; enfin l'article paru dans notre revue même (t. VI, 1934, p. 450) sous le titre : Une étape de la seigneurie ; l'exploitation de la réserve, à Priïm, au IXe siècle.

page 454 note 2. Je n'entends nullement affirmer, on voudra bien le croire, que « domaine » ait toujours été rigoureusement employé dans l'acception que j'indique. Après avoir pratiqué, depuis une trentaine d'années, les documents médiévaux, croire à la précision de leur vocabulaire juridique serait faire preuve de beaucoup de naïveté. Mais il ne suffit pas de constater les prétendus caprices de la langue. Car les glissements de sens, si étranges qu'il puissent parfois paraître, ont toujours leur raison d'être dans l'esprit du sujet parlant. Déceler ces causes est l'objet propre de la sémantique : discipline, en ce qui regarde les institutions médiévales, hélas l encore bien peu avancée. L'histoire du mot « domaine », en particulier, n'a jamais été écrite. Comme Mr Perrin le marque lui-même, les termes latins correspondants — tels que le substantif dominicatus — ont servi, durant la première partie du moyen âge, à désigner, selon les cas, deux réalités différentes : la réserve, distinguée des tenures ; l'ensemble des biens et droits seigneuriaux de toutes sortes — y compris les profits des tenures et du « ban » — que le seigneur gardait dans son patrimoine, par antithèse avec ce qu'il devait distribuer à ses vassaux ou principaux précaristes. Ainsi qu'il arrive fréquemment dans toute langue, surtout lorsqu'elle est dépourvue d'une solide armature technique, le lien entre les deux significations était qu'elles exprimaient l'une et l'autre un contraste. On appelait domaine, universellement, la part propre du seigneur. Mais cette part pouvait se définir, soit par opposition avec les tenures (c'était alors la fraction du sol qu'il faisait cultiver directement), soit par opposition avec les terres inféodées. Il y avait, autrement dit, le domaine au sens étroit et le domaine au sens large. Ce dernier emploi a survécu dans l'expression de domaine royal, où l'élargissement s'est fait plus accentué encore, puisque, dans le « domaine » du monarque ainsi entendu, on comprenait volontiers les petits fiefs tenus de lui, pour ne laisser en dehors que les grandes principautés territoriales. Par contre, « domaine », autant que je puis voir, n'a jamais désigné la seigneurie foncière en soi.

page 455 note 1. Indépendamment des corvées des tenanciers, le seigneur employa longtemps, sur la réserve, des valets de ferme. Parmi ces gens-là, Mr Perrin distingue deux catégories : les mancipia, qui vivaient à l'intérieur de la cour domaniale ; les prebendarii qui, nantis d'un lopin de terre, devaient au dominus plusieurs journées de travail par semaine, contre remise d'une allocation en vivres qui constituait la prebenda (p. 152, 632). Que ces deux classes aient coexisté, cela semble évident. Mais est-il sûr que le mot de prebendarii ait exclusivement servi a désigner la seconde ? Le terme, qui se trouve en français sous la forme « provendier », est pour le moins équivoque. Il pouvait fort bien s'appliquer à des personnages qui, dépourvus de toute terre propre, étaient complètement entretenus par le maître ; tels, vraisemblablement, les individus que mentionne le texte cité p. 632, n. 1. J'incline même à croire que cette acception était la plus fréquente. Sur les provendiers, en général, les statuts d'Alard de Corbie fournissent beaucoup de renseignements. Il est caractéristique d'ailleurs qu'à Marmoutier la distribution de lots aux anciens servi proprii, uaguère simples ouvriers domestiques (cf. ci-dessus, p. 452, n. 1 ), ait à peu près exactement coïncidé avec l'abolition du service de trois jours qui, primitivement, avait été exigé des tenanciers. Mr Perrin a parfaitement tiré au clair cette évolution, malgré la confusion des témoignages. Sur ces transformations de la seigneurie, on trouvera de très suggestives indications dans un mémoire de Mr F. L. Ganshof, Une étape de la décomposition de l'organisation domaniale classique àl'abbaye de Saint-Trond dans Fédération arcfcfo” logique et historique de Belgique, XXIXe Session, Congrès de Liège, 1932

page 456 note 1. Aussi bien M. Perrin parle-t-il lui-même (Essai, p. 119) de « revenus qui tirent leur source de la propriété foncière ». Mais, suis-je décidément bien pointilleux ? je n'aime guère non plus, en matière de droits réels médiévaux, le mot de propriété.

page 456 note 2. Voir l'important mémoire de J. H. Gosses, De friesche Hoofdeling dans Mededeelingen der k. Akademie van Wetenschappen, Afd. Letter kunde, 1933, dont on trouvera une excellente analyse, par E. Hrs. dans Zeitschrift der Savigny Sliftung., G. A., 1934, p. 328.

page 457 note 1. Plus précisément, selon Mr Perrin, deux morcellements s'accomplirent parallèlement : les terres cultivées du manse donnèrent le quartier ; les bâtiments et jardins, eux aussi fractionnés, mais à part des terres, lurent divisés en parcelles, auxquelles les textes, par souci de clarté, attribuent les noms savants A'orti ou sedilia, alors que la langue courante semble avoir bien conservé, pour les désigner, le mot même de « meis », dérivé de mansus (dont le sens primitif, on le sait, était habitation). Parfois, d'ailleurs, ces parcelles ne furent pas toutes bâties. Leur nombre — à moins de remembrement postérieur — ne répond généralement pas à celui des quartiers. La démonstration est ingénieuse et semble concluante ; sous cette réserve, cependant, que certains orti n'avaient été, selon toute apparence, dès l'origine, que des logis de manouvriers. Tenures fixes, les quartiers n'en ont pas moins rapidement cessé de coïncider avec l'exploitation individuelle. Par ailleurs, un passage du censier de Sainte-Marie-aux-Nonnains (Recherches, p. 429) nous montre certains d'entre eux soumis à une redevance en nature qui obéit au rythme même de l'assolement triennal : blé d'hiver la première année, avoine la seconde, rien la troisième, qui, dit Mr Perrin, « correspond à la jachère ». Sans doute. Mais toutes les terres du quartier étaientelles donc groupées dans une même sole ? Cela paraît impossible. Je n'ai d'ailleurs pas d'explication à proposer qui me paraisse rendre compte d'une façon satisfaisante de ce texte embarrassant. Je demande simplement la permission de m'étonner.

page 458 note 1. Cf. mon mémoire Liberté et servitude personnelles au moyen âge dans Anuario de historia del derecho español, 1933 et l'analyse qui en a été donnée ici même, t. VI, 1934, p. 274.

page 459 note 1. Mr Perrin semble considérer la charte de coutumes comme propre surtout aux seigneuries laïques ; les seigneuries ecclésiastiques eussent préféré le rapport de droit. Il ne faudrait sans doute pas trop généraliser cette opposition. Voyez la célèbre charte de Beaumont, qui émane d'un archevêque de Reims. Par ailleurs, il convient de noter que, dans certaines régions, comme l'Ile-de-France — où le rapport de droit, conformément à la thèse de Mr Perrin, est inconnu, — ce fut la charte d'affranchissement de serfs qui, se métamorphosant au XIIIe siècle en un véritable petit code local, tint lieu fréquemment de charte de coutumes.

page 459 note 2. La pratique universelle des terriers, p. 61. Mr Perrin signale lui-même (p. 517) un censier de Saint-Maximin de Trêves de 1484. J'ignore si ce recueil comprend les terres lorraines.