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Crise de L'Ancien Régime, Crise des Idéologies : Une Année dans la Vie de Sieyès

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Georges Benrekassa*
Affiliation:
Université de Paris VII

Extract

Sur l'analyse de la crise de l'Ancien Régime, crise économique, crise de l'État, crise de la société, les travaux d'historiens éminents, d'Ernest Labrousse à Pierre Goubert, ne paraissent plus laisser grand-chose à dire. A moins, peutêtre, qu'on ne veuille s'interroger autrement sur le terme de crise, sans se laisser obséder par la séquence crise-révolution, imposée de longue main par Rousseau, et sur la tentative de conceptualisation que ce terme traduit ou peut-être trahit. Cette rupture conjoncturelle due à la résurgence d'une récession de type ancien dans une tendance en général bénéfique, cette fracture dans des structures sociales largement intégrées et capables d'admettre des surgissements nouveaux, même s'il y a des « goulots d'étranglement », et si le système ne peut plus toujours assurer sa propre reproduction et assimiler des éléments novateurs : tout cela renvoie finalement, si on le considère dans son développement « rationnel », à des conceptions qui ne sont pas sans faire problème : une normalité prétendue, qui aurait dû s'épanouir, mais que cet irréel rend étrange, un travail du négatif qui semble sporadique et éclaté.

Summary

Summary

This study concerns a limited field: Sieyès' publications dating from the end of the summer of 1788, the moment of the commencement of the “Etats généraux” from his Essai sur les privilèges to the third edition of Qu'est-ce que le Tiers Etat? More generally, my aim is to understand, in the ideological realm, a form of what Tocqueville calls the radicalism of moderates. I will Show how Sieyès was led, by necessity, to rethink fundamental concepts, rather than simply inheriting them ready made from the Enlightenment philosophers: e.g. “philosopher” versus “administrator”, “nation”/ “contract”, etc. In redefining the philosopher as a man of both the future and the whole, whose horizon is the nation—reconceptualized on the basis of representation—Sieyès lays down an unheralded image of political man which is both a vision of the future and a circumstancial response to the crisis. The goal of this study is also to try to perfect, alongside the notion of revolution, an approach to the difficult notion of crisis in the history of ideology.

Type
La Révolution Française
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1989

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References

Notes

1. De notre point de vue, pour la meilleure mise au point de ces analyses classiques, voir Goubert, P. et Roche, D., Les Français et l'Ancien Régime, 2 vols, Paris, Armand Colin, 1984, en particulier t. II, pp. 291360 Google Scholar, « De la mutation à la crise ». Pour le « passage » Ancien Régime-Révolution, on renverra plus particulièrement aux actes du colloque de Göttingen de mai 1975, Von Ancien Regime zur Französischen Revolution, Göttingen, Max Planck, 1978.

2. Il s'agit naturellement de la fameuse formule de l'Émile, livre III : « Nous approchons de l'état de crise et du siècle des révolutions », J.-J. Rousseau, Œuvres complètes, t. IV, Paris, La Pléiade, 1969, p. 468. Bien que l'état de crise, comme la note le prouve, soit rapporté à la fin d'un cycle, il est difficile de donner à la formule une vague portée restreinte.

3. Œuvres complètes d'A. de Tocqueville, t. II, deuxième partie de l'Ancien Régime et la Révolution. Fragments et notes inédites sur la Révolution, Paris, Gallimard, 1953, p. 104 ss.

4. Ibid., Tocqueville intitule son chapitre : « Comment, aussitôt que le pouvoir absolu fut vaincu, le véritable esprit de la Révolution se montra tout à coup ». Il écrit, page 107 : « La racine de tous les faits qui vont suivre s'implante dans les esprits. Il n'y a presque pas une opinion professée dans le cours de la Révolution qui ne s'aperçoive parfois dans quelques-uns de ces écrits, pas une des œuvres de la Révolution qui ne soit annoncée et souvent dépassée ». La fin du Livre I des Fragments est consacrée à l'analyse de ces écrits, qui ne sont pas tous le fait de « modérés ».

5. Ibid., p. 139.

6. Ibid., p. 131.

7. Les Vues sur les moyens et les Délibérations à prendre (abréviées VM et DP) seront citées d'après une édition de Paris, 1789, où elles sont brochées avec les deux autres oeuvres de Sieyès (chaque texte a sa pagination propre). Qu'est-ce que le tiers état ? (TE) sera cité d'après l'édition critique procurée par R. Zapperi, Genève, Droz, 1970 (Texte de la troisième édition, datant de l'ouverture des États généraux). L'Esai sur les privilèges (EP) sera cité d'après la réédition aux Presses Universitaires de France en 1982 de l'édition critique de E. CHAMPION, avec Qu'est-ce que le tiers état ?, et seule mention de ce titre sur la couverture (collection Quadrige).

8. On se réfère bien entendu aux études de Robert Darnton rassemblées en français sous le titre général Bohème littéraire et Révolution, Paris, Gallimard-Le Seuil, 1983, ainsi qu'à son premier ouvrage sur le mesmérisme traduit sous le titre La fin des Lumières, Paris, Librairie académique Perrin, 1984.

9. A la préface très fouillée et très étendue de l'édition critique citée note 7, on ajoutera le livre qui la reprend et la complète, Per la critica del concetto di rivoluzione borghese, Bari, De Donato, 1974.

10. On renverra à l'ouvrage de P. Bastid, Sieyès et sa pensée, première édition 1939. Une seconde édition, hâtivement mise à jour après l'accès aux archives, a été publiée en 1970.

11. On citera parmi d'autres un extrait du Moniteur, t. II, 1789, p. 481 : « Comme si les peuples les plus éloignés eussent eu à rougir de ne s'être point montrés dans cette crise générale ». Dans la préface d'une édition de son opéra Tarare, Beaumarchais écrit dans son style mesmérienmaçonnique : « L'esprit de la nation semble être dans une crise : une lumière vive et répandue fait sentir à chacun que tout peut être mieux ».

12. TE, p. 212.

13. Ibid.

14. Voir Réfutation d'Hehétius, dans Œuvres complètes, édition du Club Français du Livre, t. XI, 1971, pp. 643-644. Pour les Observations sur le Nakaz, même édition, même tome, pp. 220- 221.

15. TE, p. 158.

16. TE, p. 215.

17. TE, p. 213.

18. Ibid.

19. VM, p. 2.

20. VM, p. 8.

21. VM, p. 26.

22. Est-il nécessaire de rappeler que c'est le titre du célèbre ouvrage de Lemercier de la Rivière, bible des « économistes », publié en 1767 ?

23. VM, p. 36.

24. VM, p. 46.

25. De l'homme, section ix, chapitre vii : « Que la révélation de la vérité ne trouble jamais les empires » ; dans édition de Londres, 1773, t. II, p. 307 ss.

26. Voir TE, p. 213.

27. TE, p. 214.

28. TE, p. 214.

29. Voir l'article « Administration » de Démeunier dans le t. I (1784) de la section « Économie politique » de l'Encyclopédie méthodique. Il y reprend son texte de la Bibliothèque de l'homme d'Etat et du citoyen de 1777.

30. TE, p. 215.

31. TE, p. 215.

32. TE, p. 216.

33. EP, p. 6, note. C'est le texte de la seconde édition qui développe du reste une pensée identique à celui de la première.

34. Ibid.

35. TE, pp. 156-157.

36. Voir Marc Bouloiseau, Cahiers de doléances du tiers état du bailliage de Rouen, Rouen, 1957-1960, la préface de Georges Lefèbvre, et surtout l'Avis aux bons Normands que l'avocat Thouret rédigea en collaboration avec les notabilités rouennaises.

37. TE, p. 122.

38. Voir Archives nationales 284 AP, cartons 1,2 et 3. Le dossier 1 de 284 AP 2 est consacré à des notes sur Condillac ; les dossiers 8 et 10 contiennent des plans et fragments d'ouvrages d'un grand intérêt. C'est 284 AP 3, dossier 1 et 2 qui contient des « extraits » (au sens de l'époque) d'Adam Smith, qui demanderaient un examen plus approfondi. La place faite aux Physiocrates et aux économistes modernes en général incite à beaucoup de prudence dans les appréciations. Ce n'est pas le lieu de discuter ici les affirmations de R. Zapperi, qui impute à Sieyès des positions archaïques néo-mercantilistes.

39. Voir A. Cobban, Le sens de la Révolution française, 1954, trad. frse, Paris, Julliard, 1984, chap. xii et xm et conclusion.

40. Nous nous permettrons de renvoyer à notre livre, La politique et sa mémoire, le politique et l'historique dans les Lumières françaises, Paris, Payot, 1983, en particulier p. 172, n. 206.

41. EP, p. 11. Ce texte apparaît dans la seconde édition.

42. TE, p. 135.

43. TE, p. 136.

44. TE, p. 136 ; pour le problème des fermiers, voir p. 142.

45. TE, p. 136.

46. TE, p. 143, n. 1.

47. TE, pp. 143-144.

48. Voir TE, p. 134, le début du chapitre III.

49. TE, p. 141.

50. TE, p. 157.

51. TE, p. 158.

52. VM, p. 18.

53. EP, pp. 16-17.

54. Introduction à TE, p. 37.

55. TE, p. 121.

56. Guenée, B., « État et nation au Moyen Age », Revue historique, 481, 1967, pp. 1730 Google Scholar.

57. Cité par P. Goubert, dans Y Ancien Régime, t. I, Paris, Armand Colin, 1969, p. 11.

58. Ibid.

59. Turgot, Œuvres, Paris, Ed. Daire, t. II, p. 503.

60. On renverra essentiellement au Livre XIX de l'Esprit des lois.

61. A. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Livre V, chapitres 1 et 2.

62. DP, p. 32.

63. TE, p. 154.

64. Il s'agit des assemblées de notables recrutées dans les ordres privilégiés, notables que Sieyès oppose aux notables des Lumières.

65. TE, p. 172.

66. L'art de constituer les peuples, Paris, 1790. On trouve dans cet ouvrage une très intéressante « contre-déclaration » des droits de l'homme.

67. TE, pp. 177 et 179.

68. TE, p. 126.

69. TE, p. 180.