Published online by Cambridge University Press: 11 October 2017
Le symbolisme de trois, plus tard de quatre couleurs chez divers peuples indo-européens, en liaison avec les trois fonctions et, éventuellement, avec des classes ou types d'hommes assurant ces jonctions, a été déjà bien étudié (J. de Vries « Bood, wit, zwart, Volkskunde (hollandaise), II, 1942, p. 1-10 ; cj. RHR, cxxxI, 1946, pp. 67-60 ; G. Widengren, « Harlekintracht und Mönchskutte, Clownhut und Derwischmütze », Orientalia Suecana, II, 1953, pp. 52-57, 65, 85-87, 92-93, 100, 103 ; G. Dumézil, mAlbati, russati, virides », et « Vexillum caeruleum », Rituels indoeuropéens à Rome, 1954, pp. 45-61 et 63-72). Mais qu'étaient ces couleurs ? Quelle conception les plus anciennes sociétés, les plus anciens spécialistes et usagers de la teinture se faisaient-ils de leurs rapports ? Par une étude originale des techniques, des vocabulaires, de certaines traditions, M. Gerschel montre que, primitivement, et parfois fort avant dans l'histoire, « le coloré » n'était que le rouge, et que le jaune, le noir, par opposition au blanc, était « le non-nettoyé ». Les bases réelles du symbolisme se trouvent ainsi éclairées.
Georges DumézilLes procédés modernes permettent d'obtenir pratiquement tous les coloris, toutes les nuances que nous pouvons souhaiter ; ces facilités nous sont si naturelles qu'il ne nous vient même pas à l'esprit qu'elles aient pu ne pas exister. Et pourtant il faut les oublier pour comprendre l'état ancien de la technique ; pour de nombreux peuples indo-européens de l'antiquité et même encore du Moyen Age, teindre un drap, un vêtement, une laine, se réduisait essentiellement à obtenir ce seul résultat : substituer à la couleur existante une couleur rouge.
page 609 note 1. Ch. Peabody, « Red Paint », Journal de la Société des Américanistes, 1927, pp. 207-244
page 609 note 2. Le drap « escarlate » au Moyen Age… in-8°, 90 pages, Lyon 1905, pp. 22-23. L'auteur de cette étude, neveu du musicologue, était chimiste teinturier et distingué médiéviste, comme il apparaît dans cette monographie, un modèle du genre
page 609 note 3. Mémoires de l'Institut National des Sciences et Arts, Littérature et Beaux-Arts, t. I, thermidor an VI, p. 574
page 610 note 1. Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, IV, 1, p. 769
page 610 note 2. Traduit par Cicéron, Hortensius, chez Nonius Marcellus, p. 886 M. ; l'image a été souvent reprise après Platon et d'après lui ; voir les notes des commentateurs modernes au mot AeuooKoto's des lexiques de Tïmée et de Moeris (respectivement éd. G. A. Koch, Leipzig, 1833, p. 64 et 1830, p. 113)
page 611 note 1. Voir également Hésychius
page 611 note 2. Nous savons d'autre part que le vêtement de la jeune fille était entièrement teint en pourpre grâce au témoignage d'Ach. Tatius I I , 11 ; cf. Wachsmtjth, dos alte Griechenland im neuen, p. 90, n. 43
page 611 note 3. Le port d'une étoffe teinte marque la préfiguration d'une certaine conséquence matérielle, inhérente à l'union des jeunes époux : le scholiaste (cf Suidas, S.V. $axzâ) s'y réfère par l'emploi du terme cpOopâ, qui signifie littéralement « perte » : comprenons dans quel sens précis puisque çOopsiç est le nom du corrupteur, du séducteur, tandis que les glossaires gréco-latins (Loewe-Goetz, Corpus Glossariorum Latinorum, II, 471, 13) traduisent l'expression spécifique 8opa rcapOevou par stuprum, lequel est interprété dans des gloses purement latines (Loewe-Goetz, IV, 176, 17 ; V, 152, 50 ; IV, 571, 58) comme virginitatis perditio.
page 612 note 1. Références chez A. A. Macdonell et A. B. Keith, Vedic Index of Names and Subjects, II, p. 286, s.v. Vadhuya.
page 612 note 2. Dumézil, G., Flamen-Brahman, Paris, 1935 Google Scholar
page 612 note 3. C'est très généralement le cas chez divers peuples anciens et modernes, indoeuropéens et autres : E. Samter, Familienfeste der Griechen und der Rômer, Berlin, 1901, pp. 48-49 et les notes ; Wunderlich, E., Die Bedeutung der roten Farbe im Kultus der Griechen und der Borner, Giessen, 1925, p. 36–38 Google Scholar et les notes
page 612 note 4. A Rome, luteum : Pline, XXI, 46, Lucain, loc. cit. ; pour l'Inde, on a le témoignage de Banabhatta, Harsacarita, p. 206, signalé par G. S. Ghurye, « Some notes on hindu Costume », Bull, of the Deccan Collège Research Institute, VIII, 1947, p. 122 ; on remarquera encore que si luteum se réfère à un rouge orangé qui est au reste chez Virgile, Aen, VII, 26, la couleur des premiers feux de l'aurore, flammeum lui-même indiquerait proprement la couleur de la flamme : or, dans la Grèce moderne, le voile est « feurrot » : E. Wunderlich, op. cit., p. 37 et n. 7
page 612 note 5. 955 e - 956 b. Le passage a été traduit par Cicéron, De legibus, II, 18, 45
page 613 note 1. L'idéologie tripartie des Indo-Européens, Bruxelles, 1958, pp. 25-27, cf. p. 98, les notes des paragraphes 20 et 21 ; Rituels indo-européens à Rome, Paris, 1953, chapitres III et IV
page 613 note 2. « Dénomination et perception des couleurs chez les Grecs », dans Problèmes de la Couleur, exposés… réunis par I. Meyerson, Paris, 1957, p. 320
page 614 note 1. Sur ce « drapeau rouge », cf. G. Dumézil, Rituels indo-européens à Rome, pp. 64-65
page 614 note 2. Lucien, Nigrinus, 14
page 616 note 1. Quand versicolor est employé chez Cicéron de finibus, Iii, v-18, pour décrire le plumage des pigeons ou encore chez Tertullien pour qualifier le paon, le changement de couleur ainsi spécifié ne s'inscrit plus dans le temps (comme c'était le cas pour versicapillus ou pour la teinture), mais il doit se comprendre comme localisé : la queue du paon, la gorge du pigeon, au lieu de présenter une couleur uniforme, changent par place de couleur, offrent une couleur ou une autre selon que le regard se porte à tel ou tel endroit précis ; au lieu d'une couleur changée, c'est une couleur changeante que désigne versicolor, d'où la signification nouvelle, et susceptible d'un emploi plus large parce que non technique, de « bigarré, bariolé, chatoyant »
page 617 note 1. Ce serait le texte même de son discours que nous pourrions lire chez Tite-Live, soutient Ettore Pais dans son mémoire, « L'orazione di Catone a favore délia lex Oppia », publié dans les Atti delV Accademia di Napoli, 1910
page 617 note 2. Tite-Live, XXXIX, 44, 2 sqq., Plutarque, Caton 18, 2 sqq
page 617 note 3. Caton, 8, 6
page 617 note 4. C'est vraisemblablement ce mot que Plutarque rend par âmr|8sô[j.aTa ; il s'agit des occupations, des activités ordinaires de chacun, de ce que l'on fait et à quoi l'on consacre la majeure partie de son temps
page 618 note 1. Avec une seule espèce de pourpre, on pouvait obtenir des nuances variées ; de plus, il y avait diverses pourpres naturelles sans compter les teintures mixtes ; cf. Maurice Besnier, dans son article cité ci-dessus du Daremberg et Saglio, p. 772 b et 773 b- 774 a. Plink, Nat. HisL, IX, 63, cite Cornélius Nepos qui se rappelait la vogue de la pourpre violette en son jeune temps ; puis la pourpre rouge de Tarente, un moment à la mode, fut détrônée par la pourpre tyrienne qui coûtait dix fois plus que la pourpre violette
page 618 note 2. En X, 38, 2, où Tite-Live dit formellement que les Samnites ont eu recours au même appareil et fait encore appel au secours des dieux, il parle d'un certain rite de serment d'une grande antiquité qui faisait de ces soldats comme des initiés ; il y revient d'ailleurs plus explicitement dans les paragraphes qui suivent
page 619 note 1. Cf. Tite-Live, X, 38, 12 et 13 ; pour le terme jurait, X, 41, 10 : « alors fondent les cohortes lintéates, et jurati et injurati (ceux qui ont prêté serment comme le» autres) se mettent à fuir » ; la legio linteata comprenait seize mille hommes ; le reste de l'armée un peu plus de vingt mille
page 619 note 2. Cf. Gustave Blum, article Tunica, dans Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, V, p. 535 a (avec renvoi note 7 à Studniczka, Beitrâge, p. 15), 536 b , 540 ; O. Schrader et A. Nehring, Reallexicon der Indogermanischen Altertumskunde, article Flachs, p. 326, paragraphe 9 ; A. Waide et J. B. Hofmann, Lot. Et. Wôrterbuch s.v. tunica.
page 620 note 1. C'est ce qui ressort des témoignages conjugués de Varron et d'Aulu-Gelle ; nous lisons chez Varron, De lingua latina, VII, 83 : « Ce qui a la couleur de l'or (avec l'adjectif aureus) est en effet d'un rouge ardent (avec l'adjectif rutilus) et de là vient qu'on dit encore des femmes très rousses qu'elles sont rutilae » ; et chez Aulu-Gelle, II,26, 9 : « poeniceus « pourpre » et rutilus « rouge ardent » — ainsi que spadix, synonyme de poeniceus — spécifient un rouge exubérant et brillant »
page 620 note 2. Ameilhon, art. cit., p. 575 : « La première de toutes les opérations nécessaires pour préparer le lin à la teinture, est de le bien blanchir, de lui enlever cette couleur grise et obscure qui le dépare… Les anciens foulons et blanchisseurs se servoient… de lessives de cendre, de dissolution de soude, dans lesquelles ils lavoient, à différentes reprises les toiles. Si l'on en croit Pline, ils achevoient de les blanchir en les faisant bouillir avec une plante que les anciens botanistes… nomment heracleon. » Naturellement les manipulations devaient être un peu plus simples chez les anciens Samnites et la purification moins poussée
page 621 note 1. On teignait même deux fois : en pourpre dit explicitement Horace, Carm., II, 16, 85-36, Epod., XII, 21 ; de même Ovide, Art. ara., I I I , 170 ; Martial, IV, 4, 6 ; quant à Cicéron, il lance une invective, Ep. ad. AU., II, 9 : « et même qu'ils revêtent ce goitreux de Vatinius de la 8i'6 apoç sacerdotale » et pareillement en latinisant le mot Ep. ad Fam., II, 16 : « notre Curtius songe à la dibaphus » ; la « (robe) deux fois teinte », c'était la robe de pourpre : une preuve de plus que la teinture ne s'effectuait qu'en pourpre ; pour Vatinius, c'était la pourpre augurale. Pline, Nat. Hist., IX, 63, mentionne la Dibapha, la pourpre au double bain ; lorsque l'édile curule P. Lentulus Spinther s'en servit pour la première fois, on cria au scandale ; mais du temps de Pline, tout le monde en avait dans sa salle à manger et presque toutes les pourpres de quelque prix comportaient la double teinture
page 621 note 2. Pline, Nat. Hist., IX, 60, parlant de la pourpre écrit : « Devant elle les faisceaux et les haches romaines frayent un chemin… elle donne la lumière à tous les vêtements ; elle se mêle à l'or du triomphateur ; voilà de quoi faire excuser les délires qu'elle suscite.»
page 622 note 1. Voir les textes rassemblés par Weckerlin, op. laud., p. 76, n. 2
page 623 note 1. Les guerriers samnites accompagnaient leurs tuniques « versicolores » de boucliers incrustés d'or. Les Romains avaient fini (après s'en être scandalisés) par adopter l'usage de la pourpre à double bain qui coûtait dix fois plus chère que l'autre. Pour donner encore un exemple du fait — et qui remonte à l'époque homérique, une scène à peine esquissée de VIliade, IV, 141 e t suiv., montre une femme de Méonie ou de Carie en train de peindre en pourpre un ivoire « pièce en réserve au magasin, que plus d'un cavalier appelle de ses voeux, mais qui est le joyau réservé pour le roi… » (trad. Mazon)
page 624 note 1. Delatte, Armand, Herbarius, 3e éd., Bruxelles, 1961, pp. 192–193 Google Scholar
page 624 note 2. Trad. française, Paris, 1960, p. 86, cf. fig. 46 a, p. 85
page 625 note 1. Studniczka, Fr., Beitrege zur Geschichte der altgriechischen Tracht, Wien, 1886, p. 52 Google Scholar
page 625 note 2. M. Ventbis et Chadwick, J., Documents in Mycenaean Oreek, Cambridge, 1956, tablettes 223 et 224, p. 321 Google Scholar
page 626 note 1. Références anciennes chez Theil et Haixez-D'Arros, , Dictionnaire complet d'Homère, Paris, 1841 Google Scholar, s.v
page 626 note 2. Voir Frisk, H., Griech. etym. Wôrterbuch, Heidelberg, II, p. 128 Google Scholar
page 626 note 3. Cf. Chantraine, La formation des noms en grec ancien, 1933, p. 4
page 626 note 4. Cf. Meiluet, , Introduction à Vétude comparative des langues indo-européennes, 8e éd., 1937, p. 258 Google Scholar
page 626 note 5. Loewe-Goetz, Corpus Glossariorum Latinorum, III, 203, 36, et 203, 38 ; 324, 40 et 324, 37 ; 368, 10 et 367, 76
page 626 note 6. Id., ibid., 272, 47 (où antiqua et objecta qui suivent pura sont à rapporter à la traduction du terme de la ligne précédente) ; cf. 193, 3
page 626 note 7. Ventris et Chadwick, op. cit., n° 219, p. 319
page 627 note 1. Ainsi les Lois de Manou, X, 87, interdisent aux deux premières castes le commerce des étoffes rakta- qu'on peut comprendre aussi bien comme « teintes 1 que comme ce rouges »
page 627 note 2. The history, antiquities, topography and statistics of Eastern India, II, 1838, p. 267, district of Bhagulpoo
page 628 note 1. D. Ibbetson, Panjab Castes, Lahore, 1916, p. 321 = Report on the Census of the Panjab, 1883, p. 333 ; cf. H. A. Rose, A glossary of the Tribes and Castes of the Punjab and North-West Frontier Province, II, pp. 33 et 166
page 628 note 2. The Tribes and Castes of the Central Provinces of India, London, 1916, II, p. 431
page 628 note 3. Enthoven, R. E., The Tribes and Castes of Bombay, I, Bombay, 1920, p. 37 Google Scholar
page 628 note 4. Id., ibid.
page 628 note 5. Thurston, E., Castes and Tribes of South India, Madras, 1919, IV, p. 242 Google Scholar
page 628 note 6. Russel, op. cit., II, p. 43
page 629 note 1. Je remercie M. Louis Dumont de me l'avoir signalé et de m'avoir donné de précieuses indications bibliographiques
page 629 note 2. Caste and Kinship in Central India, London, 1960, p. 37
page 629 note 3. Adrian C. Mayer, op. cit., p. 62
page 629 note 4. Op. cit., p. 37, n. 2
page 629 note 5. Op. cit., p. 162
page 629 note 6. H. Hubert, Les Celtes depuis l'époque de la Tène et la civilisation celtique, Paris 1932, p. 255 ; Collinet, « La clientèle en Irlande », Revue historique de droit français et étranger, t. XXI, p. 295 et suiv
page 630 note 1. G. Dumézil, Rituels indo-européens à Rome, p. 56 et n. 49
page 630 note 2. G. P. Majumdar, « Dress and other personal requisites in ancient India », Indian Culture, I, 1934, p. 191, qui renvoie à Sat. Brah., V, 3, 5, 21 ; Ray, J. Ch., « Textile Industry in ancient India », Journal of the Bihar and Orissa Research Society, III, 1917, p. 226 Google Scholar
page 630 note 3. G. Dumézil, L'idéologie tripartie des Indo-Européens, pp. 26 et 98
page 630 note 4. ld., ibid.