Published online by Cambridge University Press: 11 October 2017
Je remercie la rédaction des Annales d'avoir consenti à publier cette mise au point faisant suite à une récente note critique consacrée par M. Jean Poncet à ma thèse : La Berbérie Orientale sous les Zîrîdes, soutenue en 1959 et publiée en 1962.
A un réquisitoire tenant de la leçon de morale et de la volée de bois vert, la défense répondra avec sérénité et sans polémique oiseuse. Et qui sait si elle ne conclura pas en remerciant J. Poncet de l'avoir stimulée et incitée à repenser un problème mieux décanté, voire à élever le débat.
Sacrifiant à une « conception catastrophique de l'histoire », au mépris d'une « connaissance scientifique de l'histoire », ce qui revient à « passer près de la vérité sans la voir », je me serais contenté de reprendre sans discernement critique les accusations portées par des compilateurs tardifs contre les tribus bédouines auxquelles le Fâtimide livra la Berbérie orientale au XIe siècle.
page 390 note 1. « Le mythe de la « catastrophe » hilâlienne », Annales, 22e année, n° 5, sept.- oct. 1967, 1099-1120.
page 390 note 2. R. Brunschvig, La Berbérie Orientale sous les Hafsides, II, 159-161 « Le nomadisme n'est pas l'apanage de certaines races humaines. Issu de conditions géographiques déterminées, particulièrement adapté au désert et à la steppe, il est susceptible toutefois d'avance ou de recul selon les contingences historiques. En Afrique du Nord ce ne sont pas les Arabes qui l'ont introduit. Dès une haute antiquité, des tribus entières y nomadisaient pour paître leur cheptel ovin et caprin ; et avec la diffusion du dromadaire qui s'est produite sous l'empire romain, des branches berbères ont pratiqué, bien avant l'arrivée des premiers Arabes, surtout dans l'Algérie actuelle, le grand nomadisme chamelier. Mais, sous l'Islam, c'est aux xie et xne siècles, par la venue massive d'Orient des Arabes B. Hilâl et B. Sulaim, que ce genre de vie a conquis, pour le conserver jusqu'à une date récente, son rôle de premier plan. L'Ifrîqiya hafside se présente ainsi, dans la plupart de ses provinces, comme terre de parcours ou de domination des nomades : ils ont refoulé nombre de sédentaires, ils en recouvrent beaucoup d'autres de leur marée, et l'État même, sédentaire par essence et destination, émerge quelquefois avec peine de ce flot dévastateur et menaçant
C'est en effet leur aspect destructeur qu'il convient avant tout de mettre en lumière, parce qu'il est bien le trait le plus saillant et le plus véridique de leur caractère et de leur activité. Il est indéniable que les bédouins ont fait reculer les cultures, resserrer le peuplement urbain et villageois ; l'aire de leurs déplacements ne souffrait plus qu'une population clairsemée ; eux-mêmes exigeaient beaucoup d'espace pour un nombre d'êtres humains relativement peu élevé. Ils ont donc, bouleversant l'économie du pays, ruiné, au fur et à mesure de leur extension vers l'Ouest, plus d'un centre habité, principalement dans la steppe, et plus d'un district agricole qui dans le haut Moyen Age était florissant. Mais ce qui est sans doute plus grave encore, c'est que leurs ravages ne se sont pas arrêtés le moins du monde au premier stade de leur conquête : ils ont poursuivi et recommencé, au cours des siècles, leurs terribles déprédations. L'insécurité dont pâtissaient les sédentaires et les voyageurs, l'anarchie politique qui s'est étalée trop souvent, proviennent d'eux pour une large part. Auteurs de récits de voyage, géographes et historiens ont insisté à l'envi sur l'effroi semé par les Arabes nomades d'Ifrîqiya. Dans un recueil de biographies tel que les Ma'âlim, dans une vie de saint telle que les Manâqib Sîdl B. ‘Arûs, leur nom revient fréquemment comme synonyme de désordre et de dévastation ; et on les voit à l'oeuvre dans l'existence quotidienne, rebelles envers l'État, irrespectueux des cultures, détrousseurs de caravanes, oppresseurs des campagnes et toujours disposés à donner l'assaut aux cités. Ils font naître et entretiennent de la sorte chez leurs victimes des sentiments de haine et de terreurs ; et l'on a l'impression de deux mondes hostiles, qui parviennent difficilement à se maintenir côte à côte, et dont les divergences fondamentales compromettent sans cesse la tranquillité intérieure du territoire… »
page 395 note 1. La Berbérie Orientale sous les Zârîdes, II, 411-412.
page 395 note 2. « Problématique de l'épopée sanhâdjienne en Berbérie Orientale (xe-xne siècles) », Annales de l'Institut d'Études Orientales d'Alger, XVII, 1959, 243-255.
page 395 note 3. « Les Zîrîdes d'Espagne », Al-Andalus, XXIX, 1964, fasc. I, 39-145 ; « Les Birzâlides de Carmona », ibidem, XXX, 1965, fasc. I, 49-62 ; « Réflexions sur le mâlikisme sous les Umayyades d'Espagne », communication faite au IIIe Congresso di Studi Arabi e Islamici, Ravello, 1-6 septembre 1966, Atti…, Napoli, 1937, 897-414.
page 396 note 1. A propos de la complémentarité possible des deux genres de vie et qui finit par s'établir effectivement, j'ai parlé du « modus vivendi entre nomades et sédentaires » ; La Berbérie orientale sous les Zîrîdes, II, 11 ; « Problématique de l'épopée sanhâdjienne »…, 253.
On pourra consulter : Roger LE Toukneau, a Ibn Khaldun laudateur et contempteur des Arabes », Revue de VOccident Musulman et de la Méditerranée, n° 2, 2e semestre 1966, 155-168 ; idem, compte rendu de l'ouvrage de Yves Lacoste, Ibn Khaldun. Naissance de l'Histoire. Passé du tiers-monde, 1966, dans la même revue, 253-256, ouvrage que je n'ai pas encore consulté mais dont J. Poncet paraît s'être largement inspiré, notamment dans sa diatribe contre feu E. F. Gautier.