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Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Le Sefer Hassidim (ou Livre des Dévots) est l'un des documents religieux, sociaux et littéraires les plus importants que nous aient légués les juifs du Moyen Age. Il apparaît chez les Achkénazes, en Europe centrale, à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle. On le considère généralement comme le fruit d'un courant de pensée connu sous le nom de Hasidout Achkenaz (piétisme achkénaze).
Les quelque quatre cents histoires incorporées dans le Sefer Hassidim sont traditionnellement classées en deux catégories principales : contes démonologiques, généralement longs et relativement élaborés, et exempla, qui sont pour l'essentiel « des instructions morales sous forme d'historiettes », de brèves anecdotes sans structure narrative cristallisée ni intrigue.
Sefer Ḥasidim is one of the most important literary, social and religious documents of mediaeval Jewry. It has been studied from various points of view, including the literary- folkloristic aspect. However, this collection of tales (more than 400 Hebrew stories) has not yet been studied comprehensively. It has not been compared in depth to the vast exemplary literature that flourished in Christian Europe in the same time and place, and no literary analysis has been used in order to understand the complex ideological and social problems reflected in Sefer Ḥasidim.
This study compares the work with the mediaeval exempla in order to point out both the similarity and the uniqueness of the literary phenomenon demonstrated by Sefer Ḥasidim. It is shown that, as in the Christian type, the exemplary stories of Sefer Ḥasidim can be divided into two main categories: the ‘literary exemplum’ and the ‘Personal exemplum’. However in a large number of stories (above one hundred) of Sefer Ḥasidim the leading figure is ‘the Hakham’, a fictional-literary figure similar to that of the implied author in modem literature. This is, we suggest, a personification of the author of Sefer Ḥasidim, R. Judah the Pious himself.
Another aspect examined here is that of folk religion. The mediaeval exemplum in Europe played an essential role in disseminating the concepts of Christian folk religion during that period. Sefer Ḥasidim makes extensive use of the literary techniques of the folktale: its forms, structure and themes. However, the exempla brought here are not folktales. Most of them were composed especially for this work, and they were not subsequently recited as folktales. R. Judah the Pious deliberately used the techniques of folk literature as a popular way of influencing the Jewish community to accept his moral and theological ideals.
In addition to reviewing the comparative and functional aspects of the exempla in Sefer Ḥasidim, our study shows how the tales illuminate Jewish life in twelfththirteenth- century Germany. Each becomes a miniature depicting an episode of everyday life, and demonstrates the author's teachings. The primary purpose of these stories was undoubtedly moral, and that also is why they are so brief and condensed. However, they reveal an art of realistic narrative that was very uncommon in mediaeval literature and anticipated realistic literature by many years.
1. Sur le Sefer Hassidim, voir Marcus, I. G., Piety and Society : The Jewish Pietists of Médiéval Germany, Leyde, 1981, pp. 1–17 Google Scholar ; Marcus, I. G. éd., The Religious and Social Ideas of the Jewish Pietists in Medieval Germany. Collected Essays, Jérusalem, 1986, pp. 279–281 (en hébreu)Google Scholar. Le mémoire de maîtrise de Gutman, R., « L'exemplum dans le Sefer Hassidim », préparé sous la direction de Vajda, G., Université de Paris III, 1978 Google Scholar, est pour l'essentiel une traduction de quelques histoires et reprend des faits déjà bien connus.
2. Dan, J., « Categorization of the Stories of the Jewish Pietists of Medieval Germany », Proceedings of the Fifth World Congress of Jewish Studies, vol. III, Jérusalem, 1972, pp. 111–119 Google Scholar (en hébreu) ; « Daemonological Stories from the Writings of R. Judah the Pious », dans I. G. Marcus, The Religious and Social Ideas…, op. cit., pp. 165-182.
3. J. Dan, « Daemonological Stories…, art. cité. J'ai consulté le manuscrit à la Bodleian, Oxford, Opp. 540 (Or. 1045), et découvert que tous les contes démonologiques apparaissent dans un contexte théologique.
4. J. Dan, op. cit., n. 2 et en particulier dans l'ouvrage de T. Alexander-Frizer, The Pious Sinner. Ethics and Aesthetics in the Medieval Hassidic Narrative, Tübingen, 1991.
5. Toutes les citations proviennent de l'édition classique du Sefer Hassidim : Sefer Hassidim according to Parma Manuscript, présenté par J. Wistinetski et J. Freimann, Francfort-sur-le-Main, 1924. Nous avons également consulté le manuscrit original (Parme H3280). L'édition de Bologne a été citée d'après R. Margoliouth, Jérusalem, 1957. Les références numériques correspondent à la division en paragraphes du Sefer Hassidim dans J. Wistinetski et J. Freimann. NB : Certains extraits du Sefer Hassidim cités par l'auteur ont été tirés de l'édition française présentée par Gourevitch, E., Hassidim, Sefer, le guide des Hassidim : Paris, 1988 Google Scholar. Ils sont signalés par *.
6. Similitude relevée par certains chercheurs ; voir I. G. Marcus, op. cit., n. 1
7. La vaste littérature consacrée à l'histoire de l'exemplum a été répertoriée dans J. Berlioz et M. A. Polo De Beaulieu, Les Exempla médiévaux. Introduction à la recherche suivie de critiques de l'Index exemplorum de Frederic C. Tubach, Carcassonne, 1992. On ne trouvera là que quelques détails peu significatifs (pp. 42-43) sur la littérature juive des exempla au Moyen Age.
8. Selon la classification établie dans l'ouvrage classique de Welter, J. L., L'Exemplum dans la littérature religieuse et didactique du Moyen Age, Paris, 1927, pp. 83–108 Google Scholar, et C. Brémond, J. Le Goff et J.-C. Schmitt, L'Exemplum, Turnhout, « Typologie des sources du Moyen Age », n° 40, 1982, pp. 40-41.
9. Bausinger, H., « “ Exemplum” und “Beispiel” », Hessische Blätter für Volkskunde, 59, 1968, pp. 31–43 Google Scholar ; « Zum Beispiel », Volksüberlieferung. Festchrift für Kurt Ranke, Göttingen, 1968, pp. 9-13 ; Lyons, J. D., Exemplum : The Rhetoric of Example in Early Modem France and Italy, Princeton, 1989 Google Scholar ; C. Brémond, J. Le Goff et J. C. Schmitt, op. cit., p. 54.
10. Mosher, J. A., The Exemplum in the Early Religious and Didactic Literature of England, New York, 1911, p. 5 Google Scholar, et comparer : « Si des malheurs accablent une personne, qu'elle pense comme le font les chevaliers. Ils vont à la guerre pour montrer leur courage, ne fuient pas parce qu'ils ont honte de fuir, et sont tués ou blessés seulement à cause de la honte, et ils ne reçoivent pas de salaire de leurs maîtres quand ils meurent ainsi à la guerre » (# 359).
11. T. Alexander-Frizer, op. cit., a étudié quatre de ces contes: «The Blood Test», (« L'épreuve du sang », # 291), « The Taie of the Herdsman » (« Le conte du bouvier », # 4), « The Pious Sinner » (« Le pécheur pieux », # 58), et « The Three Confessors » (” Les trois confesseurs », # 52-53). Il reste cependant plus de vingt autres contes traditionnels de ce type'à étudier.
12. M. D. Howie, Studies in the Use of Exempla with Special Reference to Middle High Germait Literature, Londres, 1923, pp. 10,15 ; C. Brémond, J. Le Goff et J.-C. Schmitt, op. cit., pp. 82-85 ; J. Matuszak, Das Speculum Exemplorum als Quelle volkstümlicher Glaubensvorstellumg des Spättmittelalters, Sieburg, 1967 ; Edden, V., « Devils, Sermon Stories and the Problem of Popular Belief in the Middle Ages », The Yearbook of English Studies, 22, 1992 CrossRefGoogle Scholar, Medieval Narrative. Spécial Number, sous la direction d'Andrew Gurr, pp. 213-225.
13. Les publications consacrées à « la religion populaire » sont nombreuses et variées. Je signalerai quelques-unes seulement des plus récentes : Isambert, F. A., « Religion populaire, sociologie, histoire et folklore », Archives de Sciences sociales des Religions, 43, 1977, pp. 161–184 Google Scholar ; Le Goff, J., Pour un autre Moyen Age : temps, travail et culture en Occident, Paris, 1977, 3e partie : « Culture savante et culture populaire », pp. 223–331 Google Scholar ; Boglioni, P. éd., La culture populaire au Moyen Age, Montréal, 1979 Google Scholar ; Gurevitch, A., Medieval Popular Culture : Problems of Belief and Perception, Cambridge, 1988.Google Scholar
14. Sur cet aspect social du Sefer Hassidim, voir I. G. Marcus, Piety and Society…, op. cit., p. 5 ss ; The Religious and Social Ideas…, op. cit., p. 16 ss.
15. Soloveichik, H., « Three Thèmes in the Sefer Hassidim », Association of Jewish Studies Review, 1, 1976, pp. 311–358 Google Scholar ; I. G. Marcus, « The Politics and the Fight over Values of the German Pietists », dans The Religious and Social Ideas…, op. cit., pp. 253-278 (en hébreu).
16. Thompson, S., Motif Index of Folk-Literature, Bloomington, 1955-1958 Google Scholar, chap. Q580: Punishment fitted to the Crime ; A. Aarne et Thompson, S., The Types of the Folktale : A Classification and Bibliography, Helsinki, 1961 (FFC n° 184), Types 750–779 Google Scholar : God Repays and Punishes ; Jason, H., Whom Does God Favor : The Wicked or the Righteous ? The Reward-and- Punishment Fairytale, Helsinki, 1988 (FFC n° 240)Google Scholar.
17. N” 238, 240, 242 et autres. Le Sefer Hassidim traite ce thème dans deux passages théoriques : 22, 1512. Sur le motif « mesure pour mesure » dans la littérature rabbinique, voir Urbach, E. E., The Sages. Their Concepts and Beliefs, Jérusalem, 1969, pp. 386–387 (en hébreu)Google Scholar, et sur l'attitude générale de la pensée juive ultérieurement : Scholem, G., « On Sin and Punishment », dans Od Davar, Collected Essays, Tel-Aviv, 1989, pp. 162–175 Google Scholar. L'attitude du Sefer Hassidim ici, comme pour nombre d'autres thèmes, est plus proche de l'attitude populaire que de l'attitude légaliste.
18. S. Thompson, Motif Index…, op. cit., E200-E399 : « Return from the dead ». Sur l'importance de ce thème dans la religion populaire au Moyen Age, voir Tubach, F. C., Index Exemplorum. A Handbook of Médiéval Taies, Helsinki, 1969 Google Scholar (FFC n° 204) : « Dead, return of » ; Petzold, L., Der Tote als Gast : Volkssage und Exempel, Helsinki, 1968.Google Scholar
19. Pour d'autres histoires de ce type, voir # 35, # 63, # 272, # 464, # 591, # 619, # 634, # 1035, édition de Bologne # 93, # 708.
20. C. Brémond, J. Le Goff et J. C. Schmitt, op. cit., p. 80. Voir la thèse de H. Soloveichik, art. cit., p. 354, selon laquelle les piétistes juifs allemands voulaient voir dans le Sefer Hassidim le complément aggadique du « Talmud européen » que concevaient les Tossafistes à la même époque.
21. H. Soloveichik, art. cit., p. 329, n. 51, définit le Sage comme « le mentor hassidique », et il semble lui aussi établir un lien entre celui-ci et rabbi Judah le Pieux. Agus, T. A., « The Use of the Term “Hakham” by the Author of the Sefer Hasidim, and its Historical Implications », Jewish Quarterly Review, 61, 1970, pp. 54–62 CrossRefGoogle Scholar, signale quelque 300 passages dans lesquels le terme apparaît. Il discute la question de savoir s'il s'agissait d'une fonction officielle accordée par la communauté juive. D'autre part il ne fait pas de distinction entre « hakham » et « he-hakham ».
22. Cette histoire a été traitée dans J. Dan, The Hebrew Story in the Middle Ages, Jérusalem, 1974, pp. 176-179 ; T. Alexander-Frizer, op. cit., pp. 123-155. Sur le lien possible entre les exempta et la confession dans la culture chrétienne du début du XIIIe siècle (époque de la rédaction du Sefer Hassidim), voir Le Goff, J., « Le temps de L'exemplum », dans L'imaginaire médiéval, Paris, 1985, pp. 99–103.Google Scholar
23. H. Soloveichik, art. cit., p. 326.
24. Et cela diffère grandement des légendes plus tardives le concernant. Voir, par exemple, Broll, N., « Beitrâge zur judischen Sagen und Spruchkunde im Mittelalter », Jahrbiicher fiir Judische Geschichte und Literatur, 9, 1889, pp. 1–71 Google Scholar ; Maitlis, J., The Exempla of Rabbi Samuel and Rabbi Judah the Pious. A Study in Yiddish Folklore, Londres, 1961 Google Scholar (en yiddish) ; Dan, J., « The Beginnings of Hebrew Hagiographical Literature », Jerusalem Studies in Jewish Folklore, 1, 1981, pp. 82–100 Google Scholar. Des documents montrent que déjà de son vivant et peu après sa mort de telles légendes circulaient à son sujet.
25. Dan, J., « On the Historical Personality of R. Judah Hasid », Culture and Society in Medieval Jewry. Studies Dedicated to the Memory of Haim Hillel Ben-Sasson, Jérusalem, 1989, pp. 389–398 Google Scholar (en hébreu), parvient également, à partir d'autres éléments, à la conclusion que rabbi Judah était un chef religieux très puissant.
26. Toutes les études citées plus haut (n. 13) sur la religion populaire traitent également du culte des reliques comme l'une des composantes essentielles de la religion populaire au Moyen Age en Europe. Voir également l'importante bibliographie sur ce thème dans Wilson, S. éd., Saints and Their Cuits, Cambridge, 1983, pp. 338–344 Google Scholar ; Stock, B., The Implications of Literacy, Princeton, 1983, p. 244 Google Scholar ss, analyse la critique du culte des reliques par Guibert de Nogent (1053- 1125), et cite des cas similaires à celui rapporté dans le Sefer Hassidim.
27. Le principe fut formulé par J. Dan, « Daemonological Stories… », art. cit. ; The Hebrew Story…, op. cit., p. 166 ss ; H. Soloveichik, art. cit., p. 316, signale le lien entre ce principe de la culture européenne de l'époque.
28. Voir Talmud de Babylone, Berakhot 54a, et Rachi, ad. loc, et l'importante discussion dans T. B. Temourah 14b, Gittin 60a.
29. # 776, # 1227, # 1551. Quelquefois le principe est formulé selon l'affirmation de Reich Laqich : « Il est des fois où le non-respect de la Torah est sa propre essence », Talmud de Babylone, Menahot 99a-b, # 774, # 1657, # 1924 et al.
30. Sur la tension dialectique dans l'exemplum, voir C. Brémond, J. Le Goff et J.-C. Schmitt, op. cit., pp. 80-81 ; Tubach, F. C., « Strukturanalytische Problème des mittelalterlichen, Exemplum », Hessische Blätter für Volkskunde, 59, 1968, pp. 31–43 Google Scholar. Dans le Sefer Hassidim la question morale est légèrement différente, étant donné que l'opposition se situe essentiellement entre un principe religieux et un autre principe humain normatif qui lui est antagoniste.
31. Dundes, A., « Structuralism and Folklore », Studia Fenica, 20, 1976, pp. 75–93 Google Scholar ; Holbeck, B., « Epische Gesetze », Enzyklopädie des Märchens, vol. IV, Berlin, 1982, col. 58-69Google Scholar ; Holbeck, B., « Formai and Structural Studies of Oral Narrative », Unifol, Copenhague, 1978, pp. 149–194.Google Scholar
32. Sur l'élément de tension dans l'exemplum comparer avec C. Brémond, J. Le Goff et J.-C. Schmitt, op. cit., p. 127 ; Assion, P., « Das Exemplum als agitarotische Gatung », Fabula, 19, 1978, pp. 225–240.CrossRefGoogle Scholar
33. Abrahams, I., Jewish Life in the Middle Ages, New York, 1973 Google Scholar, et Katz, J., Between Jews and Gentils, Jérusalem, 1961, pp. 98–108 (en hébreu)Google Scholar.
34. H. Soloveichik, art. cit., p. 315 ss. Comparer par exemple l'opinion de A. Gurevitch : « Les maîtres médiévaux — écrivains et peintres —, méprisant la configuration visible du monde qui les entoure, ont les yeux fixés sur l'autre monde… Poètes et peintres font presque abstraction de la nature réelle… Plutôt que de chercher à pénétrer la diversité des phénomènes quotidiens, ils se basent sur l'irréductible opposition entre le sublime (haut) et le vil (bas) », Gurevitch, A. J., Les catégories de la culture médiévale, Paris, 1983, pp. 8–9 Google Scholar.
35. « Les événements ne sont pas la matière première brute à partir de laquelle les récits se construisent, bien au contraire : ce sont des abstractions de la narration. Ce sont les structures de la signification dans le récit qui donnent leur cohérence aux événements dans notre compréhension, qui nous permettent de construire, dans le processus interdépendant de narration et d'interprétation, un ensemble cohérent de corrélations que nous désignons par le terme “événement” », Bauman, R., Story, Performance and Event, Cambridge, 1986, p. 5 CrossRefGoogle Scholar. Ainsi, les événements de rabbi Judah, ou ceux dont il avait entendu parler, étaient dépourvus en fait de toute signification jusqu'au moment où il les formulait en histoires exemplaires, les transformant ainsi en « événements cohérents ».