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Erika Graham-Goering, Princely Power in Late Medieval France: Jeanne de Penthièvre and the War for Brittany, Cambridge, Cambridge University Press, 2020, 302 p.

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Erika Graham-Goering, Princely Power in Late Medieval France: Jeanne de Penthièvre and the War for Brittany, Cambridge, Cambridge University Press, 2020, 302 p.

Published online by Cambridge University Press:  26 April 2023

Murielle Gaude-Ferragu*
Affiliation:
murielle.gaude-ferragu@univ-paris13.fr
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Guerre et violences politiques (de l’Antiquité à l’âge des Révolutions) (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

L’excellent ouvrage d’Erika Graham-Goering sur Jeanne de Penthièvre pose dans son titre même la problématique essentielle suivie par l’autrice : loin d’une simple biographie sur la prétendante au « trône » de Bretagne, E. Graham-Goering s’interroge sur le pouvoir princier, que celui-ci se conjugue au masculin ou au féminin. Elle utilise Jeanne de Penthièvre comme un cas d’école, disséquant dans le moindre détail tous les aspects de sa longue carrière, pour proposer une réflexion sur l’agir politique dans la France du xive siècle. L’ouvrage est issu de sa thèse de doctorat, soutenue à l’université de York en 2016. Avant la parution de Princely Power, l’autrice avait déjà codirigé, en 2019, une édition critique de sources sur la guerre de succession bretonneFootnote 1.

Le choix d’étudier Jeanne de Penthièvre s’explique aisément tant la comtesse joua un rôle déterminant dans la guerre de Succession de Bretagne. Certes, au Moyen Âge, une femme est avant tout épouse et mère. Jeanne de Penthièvre remplit sa « mission » : elle épousa Charles de Blois en 1337 et eut six enfants (dont Marie, femme de Louis Ier, duc d’Anjou, et Jean Ier de Châtillon, comte de Penthièvre). Mais, loin d’être cantonnée à la seule sphère privée, elle fut une femme « au cœur d’hommes » – selon la terminologie des chroniqueurs médiévaux (notons que ces permutations de circonstance permettaient de ne pas remettre en cause le paradigme de la supériorité masculine). À la mort sans héritiers directs de Jean III, duc de Bretagne, en 1341, Jeanne de Penthièvre revendiqua la succession ducale contre Jean de Montfort, son oncle, époux de Jeanne de Flandre. La guerre des deux Jeanne se prolongea jusqu’en 1364 (bataille d’Auray, où Charles de Blois trouva la mort).

E. Graham-Gœring déploie avec brio toute la panoplie du pouvoir, réel et symbolique, détenu par Jeanne de Penthièvre. Car c’est elle, et non son époux, qui fut héritière du duché. C’est elle qui eut à se battre pour faire valoir ses droits, refusant, au début de son principat, tout compromis. Elle déploya tous les domaines d’action politique que détenaient les princes, y compris le champ guerrier. Cet aspect du pouvoir au féminin est particulièrement riche d’enseignements. Le renouvellement de l’histoire militaire comme de l’histoire du genre a permis d’élargir la notion de commandement, libérée de l’étroite association avec le combat sur le champ de bataille. Dans cette perspective, la « princesse » (terme générique désignant aussi bien les reines, les duchesses, les comtesses ou les « seigneuresses ») peut donc assumer des fonctions militaires a priori masculines en préparant une campagne, en convoquant des vassaux, en réunissant les fonds nécessaires pour une expédition, en organisant le ravitaillement des troupes ainsi qu’en s’occupant de la mise en état des places fortes.

Loin d’être dévolue à un simple rôle procréateur ou à l’image stéréotypée de la femme pacificatrice – à l’image de la Vierge Marie –, Jeanne de Penthièvre agit militairement et diplomatiquement « comme un seigneur » (chap. 5, p. 156-189). Sa grande rivale, Jeanne de Flandre, comtesse de Montfort, fit de même, selon Jean Froissart qui décrit son intervention guerrière lors du siège d’Hennebont en 1342 par les troupes de Philippe VI : à cheval, elle admonestait chacun dans les rues, appelant hommes et femmes à défendre la ville. Montée à la tour de guet, et voyant le camp français vide, elle aurait conduit elle-même une sortie pour y mettre le feu. Si Jeanne de Penthièvre confia à son époux, Charles de Blois, la tête de l’armée sur le champ de bataille (il trouva la mort en combattant), elle joua un rôle dans la préparation des campagnes et la mise en état des places fortes.

E. Graham-Gœring montre que son action fut aussi diplomatique. Héritière en titre de la principauté, elle eut une correspondance politique fournie, siégea lors de rencontres diplomatiques et négocia des traités de paix et des alliances. Elle refusa, entre autres, le compromis qui lui était proposé au début de la guerre de Succession, préférant réclamer l’ensemble de ses droits. Après la défaite d’Auray, en 1364, et la mort de son mari, elle dut renoncer par le traité de Guérande à sa souveraineté sur la Bretagne tout en conservant le titre ducal sa vie durant. Par le second traité de Guérande (15 janvier 1381), elle obtint une rente substantielle et la possibilité pour ses héritiers de récupérer le duché si Jean IV, alors duc de Bretagne, n’avait pas de descendance.

L’autrice s’interroge aussi sur la liberté laissée à l’héritière dans le gouvernement de sa principauté. Jeanne de Penthièvre était « chef » au féminin d’un territoire, mais pouvait-elle réellement le gérer ? E. Graham-Gœring distingue avec beaucoup de finesse plusieurs périodes dans la longue carrière de la comtesse, d’abord épouse puis veuve. Une femme devait en théorie soumission et obéissance à son époux. En droit, le mari était ainsi maître des biens de sa femme. Il avait le gouvernement des propres de celle-ci, dont il était, d’après le Grand Coutumier, « administrateur et usufruitier ». Comme toutes les femmes héritières, Jeanne de Penthièvre demeurait en revanche « seigneur naturel » des terres (chap. 3 et 4). À ce titre, elle intervint fréquemment aux côtés de Charles de Blois pour administrer les terres en sa possession. Le décès de son époux en 1364 modifia sa position : elle put dès lors gouverner seule, disposant de la pleine autorité et de l’entière administration de ses terres.

Si l’ouvrage permet d’entrer avec minutie dans toutes les sphères du gouvernement au féminin, il serait intéressant de replacer le « cas Jeanne de Penthièvre » dans une plus large perspective, en le comparant à celui d’autres femmes de pouvoir. On peut penser à Mahaut, héritière du comté d’Artois, ou à Jeanne de Navarre, épouse de Philippe IV le Bel, héritière du royaume de Navarre et du comté de Champagne. Ainsi, si la principauté de Champagne demeurait sa propriété, la gestion en était commune : Philippe IV assuma une grande partie de l’administration du comté, mais la reine, comme « seigneur naturel », intervint à ses côtés, approuvant et scellant de son propre sceau – en sus du grand sceau royal – un certain nombre d’actes, notamment ceux à valeur perpétuelle, chartes ou lettres patentes. Elle donna notamment son accord aux dons et échanges de terres ou de rentes et confirma les octrois de franchises et de privilèges aux villes.

E. Graham-Gœring montre ainsi de façon subtile que le pouvoir se conjugue au masculin comme au féminin. Pénétrant dans l’écheveau complexe de l’autorité par une étude de cas, elle souligne par maints exemples l’extrême variabilité de la gouvernance, les permutations de pouvoir étant nombreuses, sans que se pose la question du genre. L’attention aux expériences individuelles témoigne que, loin d’une concurrence entre les sexes, il faut évoquer une complémentarité des fonctions et des pouvoirs.

References

1 Michael Jones, Bertrand Yeurc’h et Erika Graham-Gœring (dir.), Aux origines de la guerre de succession de Bretagne. Documents (1341-1342), Rennes, PUR, 2019.