Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Il y a un héros négatif dans l'opuscule que Girolamo Tiraboschi, le père fondateur de l'histoire littéraire italienne, rédige à la fin du XVIIIe siècle afin de condamner la manie généalogique qui sévit depuis deux siècles:
« Jusqu'au milieu du seizième siècle, écrit-il, aucun ouvrage de généalogie n'a vu le jour. Mais vers cette époque, l'Italie connut l'un des imposteurs les plus rusés et les plus hardis qu'on ait vus au monde ».
Il s'agit d'Alfonso Ceccarelli, médecin originaire de l'Ombrie qui travailla à Rome comme généalogiste, antiquaire et astrologue dans la seconde moitié du XVIe siècle, et y laissa la vie, à cinquante ans, exécuté en 1583 comme faussaire.
The family histories and genealogies which flourished in 16th century Italy following a practice already common in the Middle Ages, and which would attribute remote and illustrious origins to the nobility of the time, were not only the work of worthless counterfeiters but also of respectable authors. Flattery and self-interest were not the only motives underlying historical writings, which would seem to have been inspired less by specific practical purposes than by idea of the continuity of power and of the existence of a special relation between the nobility and history, an idea typical of traditional, aristocratic Societies.
* Sergio Bertelli, Christiane Klapisch-Zuber, Adriano Prosperi et Maurizio Sciuto ont discuté une première version de cet article.
1. Tiraboschi, G., Riflessioni su gli scrittori genealogici, Padoue, 1789, p. 7 Google Scholar.
2. Cf. l'excellent article d' Petrucci, A., Ceccarelli Alfonso, dans Dizionario biografico degli Italiani, 23, Rome, 1979, pp. 199–202 Google Scholar (abondante bibliographie).
3. L'ordinaire de son activité est mentionné dans sa correspondance, dans Biblioteca ApostolicaVaticana(= BAV), Vat. Lat. 12487-12488.
4. La Serenissima nobiltà dell'alma città di Roma, dans BAV, Vat. Lat. 4909, ff. 96-97.
5. Ibid., f. 106.
6. Ceccarelli, A., Dell'historia di casa Monaldescha, Ascoli, 1580, pp. 2–4 Google Scholar.
7. Cité par G. Sforza, , « Il falsario Alfonso Ceccarelli e Alberico Cybo Malaspina principe di Massa», Archivio Storico Italiano, série 5, 15, 1895, pp. 276–287 Google Scholar (284).
8. G. Tiraboschi, Riflessioni, op. cit., p. 38.
9. Ne pouvant ici faire référence de manière exhaustive à une imposante littérature, je m'appuie sur le dernier ouvrage de C. Klapisch-Zuber, La genèse de l'arbre généalogique, qui paraîtra dans « Les Cahiers du Léopard d'or ». Mais je cite au moins Bloch, H., Etymologies and Généalogies. A Literary Anthropology of the French Middle Ages, Chicago, 1983 Google Scholar (trad. frse: Etymologies et généalogies: une anthropologie littéraire du Moyen Age français, Paris, 1989, 317 p. ).
10. La tradition a été étudiée et réélaborée avec talent par un grand représentant de la littérature italienne du xixe siècle: Carducci, G., «Gli Aleramici. (Leggenda e storia)», dans Opère, Bologne, Edizione Nazionale, 22, 1939, pp.315–350 Google Scholar.
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12. Tradition qui se rattache à la Chronica de le Vite de Pontefici et Imperadori Romani, et largement attestée dans la première édition (Rome, 1506) des Commentari Urbanide Raffaele Maffei, f. CCCXV. Cf. également Biblioteca Nazionale di Firenze, II. VII. 82.
13. D'ailleurs même cette absence de préjugés doit être replacée dans son contexte: cf. Céard, J., « La querelle des géants et la jeunesse du monde », The Journal of Médiéval and Renaissance Studies, 8, 1978, p. 3776 Google Scholar (47-54).
14. Celui du dialogue Il Gentilhuomo delMutio Justinopolitano, Venise, Valvassori, 1571, est très intéressant, en particulier pp. 52-59. L'un, appartenant à la région napolitaine, a été analysé et mis en relief par Croce, B., Uominie cose délia vecchia Italia, première série, Bari, 1927, pp. 26 Google Scholar
45. Cf., depuis, Vitale, G., «Modelli culturali nobiliari a Napoli tra Quattro e Cinquecento », Archivio Storico per le Provincie Napoletane, 105, 1987, pp. 27–103 Google Scholar (70-73).
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21. G. Tiraboschi, Storia ecc, cité à la note 16, p. 239.
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24. Ibid., f. 36 r. Sansovino explique dans une lettre du 30 juillet 1575 à Alberico I Cibo prince de Massa ce qu'il doit également au matériel laissé par Giuseppe Betussi: Archivio di Stato di Massa, Carteggio dei Cibo, busta 290, cartella 1, nc 46. Un article moderne: Grendler, P. F., «Francesco Sansovino and Italian Popular History 1560-1600», Studies in the Renaissance, 16, 1969, pp. 139–180 CrossRefGoogle Scholar.
25. G. Tiraboschi, Storia ecc, op. cit, note 16, p. 182.
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27. Pour Ceccarelli, cf. note 6; et BAV, Vaticano Latino, 4910, ff. 290-292, 307-314 (référence explicite ici à Panvinio). Le traité De Gente Frangepaniade Panvinio se trouve à la BAV, Barberiniano Latino, 2481, cf. particulièrement ff. 55r-58v. Sur Panvinio, D. A. Perini, Onofrio Panvinio e le sue opère, Rome, 1899.
28. A son sujet, le livre récent de Me Cuaig, W., Carlo Sigonio. The Changing World of the Late Renaissance, Princeton, Princeton Univ. Press, 1989 CrossRefGoogle Scholar.
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41. Ibid., p. 828 (Essais, III, 5).
42. Sur ces questions, Moro, R., Il tempo dei signori. Mentalità, idéologie, dottrine délia nobiltà francese di Antico régime, Milan, 1981, Google Scholar en particulier pp. 179-217. Et pour les précédents, Gourevitch, A. J., Les catégories de la culture médiévale (1972), Paris, 1983, Google Scholar en particulier p. 111.
43. Bien que l'on puisse se sentir étranger à sa position, il est juste à ce propos de rendre hommage au livre de Cochrane, E., Historians and Historiography in the Italian Renaissance, Chicago- Londres, 1981 CrossRefGoogle Scholar. Je me suis également servi de la lecture de J. M. Moeglin, Les ancêtres du Prince. Propagande politique et naissance d'une histoire nationale en Bavière au Moyen Age (1180-1500), Genève, 1985.
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46. Orlando Furioso, 31, huitain 33; Bandello, nouvelle II, 27.
47. F. Sansovino, Délia origine ecc., cité à la note 23, ff. 295r-296v. Il manque pour l'Italie une étude comme celle de A. Jouanna , L'idée de race en France au Xvie siècle et au début du XVIIe siècle (1498-1614), Paris, 1976. Pour commencer, Jones, P., Economia e società nell'Italia médiévale, Turin, 1980, pp. 84–93;Google Scholar et dans le livre même de Mme Jouanna, pp. 1176-1183. Cf. Également A. Spagnoletti, Stato, aristocraziee OrdinediMalta nell'Italia moderna, Rome, 1988, p. 139-142.
48. Historia de Principi ecc, op. cit., note 17, pp. 1-2, 5, 24. Pour la tradition concernant la guerre d'Attila, Rajna, P., Lefonti dell'Orlando Furioso, Florence, 1900, pp. 134–137 Google Scholar. Pour l'inscription, E. Corradini, «Le raccolte estensi di antichità», dans J. Bentini et L. Spezzaferro éds, L'impresa di Alfonso II, Ferrare, 1987, pp. 163-187 (167-168).
49. R. Maffei, Commentarii ecc, op. cit., note 44, colonne 666-667; F. Sansovino, L'Historia di casa Orsina, op. cit., note 22, f. 7r.
50. O. Panvinio, De Fabiorum familia, op. cit., note 26, pp. 575-576, 586, 587-588.
51. Je me sers d'une édition en langue vulgaire, très diffusée au xvie siècle, de Lucio Fauno: Roma ristaurata e Italia illustrata di Biondo da Forli, Venise, 1548, f. 64r. Il faut au moins rappeler, pour la vision d'ensemble, le livre de Weiss, R., The Renaissance Discovery of Classical Antiquity, Oxford, 1988, Google Scholar 2° édition.
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54. F. Sansovino, Della origine ecc, op. cit., note 23, préface.
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64. Cf., pour l'Italie, l'étude récente de C. Donati, L'idea di nobiltà in Italia. Secolixiv-xvii, Bari-Rome, 1988.
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