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La liberté du sacrement Droit canonique et mariage des esclaves dans le Brésil colonial

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Charlotte de Castelnau-L’Estoile*
Affiliation:
Paris Ouest-CNRS-Mascipo/Universidade Federal Fluminense-Faperj, (Rio de Janeiro, Brésil)

Résumé

À partir d’une pétition d’esclaves africains envoyée de Bahia en 1708, demandant au pape l’excommunication de leurs maîtres qui refusent de les laisser se marier, cet article s’intéresse à la question du mariage légitime des esclaves dans le Brésil colonial et se concentre sur l’aspect juridique et donc sur le droit canonique qui régit le mariage dans le monde portugais. La question est fondamentale pour l’étude des sociétés esclavagistes, car elle montre l’ambiguïté du statut de l’esclave comme res humana et se situe à la frontière de la souveraineté domestique et de la reconnaissance de la personne de l’esclave. L’Église coloniale du Brésil a fait de la défense du mariage des esclaves une priorité. Elle obtient une bulle pontificale sur le sujet en 1585 et réaffirme, au début du XVIIIe siècle, la théorie classique du mariage des esclaves qui repose sur la liberté du sacrement. Elle se contente cependant de condamner moralement les maîtres et refuse tout rôle émancipateur au mariage. L’enjeu pour l’Église est d’affirmer qu’un ordre chrétien est possible dans une société esclavagiste, ce qui d’une certaine manière conforte les bases idéologiques de cette société où les esclaves représentent la moitié de la population. Comment les esclaves chrétiens ont-ils pu s’approprier l’idée forte de liberté du sacrement et comment le mariage légitime peut-il entrer dans leurs stratégies pour plus d’autonomie et de dignité au sein du carcan de l’esclavage?

Abstract

Abstract

By closely reading a petition of African slaves sent from Bahia to Rome in 1708, this article discusses the question of the legal marriage of slaves in colonial Brazil. It focuses in particular on juridical aspects and the canon law under which marriage was regulated in the Portuguese world. This question is fundamental for the study of slave societies because it reveals the ambiguous status of slaves as res humana. It also marks the frontier between domestic sovereignty and the recognition of the individuality of slaves. The Brazilian colonial Church defended slave marriage. In 1585, it obtained a Papal bull to this effect, and it reaffirmed, at the beginning of the 18th century, the classical theory of slave marriage based on the freedom of sacrament. However, the Church morally condemned masters but refused any emancipatory role of marriage. At stake for the church the affirmation that a Christian order was possible for a slave society. By doing so, it shored up the ideological basis of a society in which half of the population was enslaved. How did the Christian slaves manage to appropriate the idea of the freedom of sacrament and how did the notion of legal marriage enter into their strategies for acquiring more autonomy and dignity under the yoke of slavery?

Type
Normes juridiques et mariage chrétien
Copyright
Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2010

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References

1 - Rome, Archivio Storico della Sacra Congregazione de Propaganda Fide, désormais noté APF, vol. I (1649-1713), série Congressi, America Meridionale, doc. 164, fol. 467rv Le document 165, fol. 468rv est une deuxième copie de la pétition.

2 - APF, vol. I (1649-1713), série Congressi, America Meridionale, doc. 163, fol. 466rv-470rv.

3 - Les liens entre esclavage et droit constituent un axe central de l’historiographie actuelle sur l’esclavage. Pour le Brésil colonial, voir les travaux de Lara, Silvia Hunold, Campos da violência. Escravos e senhores na capitania do Rio de Janeiro 1750-1808, Rio de Janeiro, Paz e Terra, 1988 Google Scholar; Id., « Legislação sobre escravos africanos na América portuguesa», in J. Andrés-Gallego (dir.), Tres grandes cuestiones de la historia de Iberoamérica, Madrid, Fundación Mapfre Tavera/Fundación Ignacio Larramendí, 2005; Id., Fragmentos setecen-tistas. Escravidão, cultura e poder na América portuguesa, São Paulo, Companhia das Letras, 2007. Pour le cas français, l’historiographie est moins développée, voir le numéro de la revue Genèse, « Esclavage et Droit », 66-1, 2007.

4 - Pour le contexte de Bahia au début du XVIIIe siècle, voir l’étude classique Russell-Wood, d’Antony J. R., Fildalgos and philanthropists: The Santa Casa da Misericordia of Bahia, 1550-1755, Berkeley, University of California Press, 1968 CrossRefGoogle Scholar, ainsi que les travaux de Schwartz, Stuart B., Sovereignty and society in colonial Brazil: The high court of Bahia and its judges 1609-1751, Berkeley, University of California Press, 1973 Google Scholar; Id., « The manumission of slaves in colonial Brazil: Bahia, 1684-1745», The Hispanic American Historical Review, 54-4, 1974, p. 603-635; Id., Sugar plantations in the formation of Brazilian society: Bahia, 1550-1835, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 1985.

5 - Pour les chiffres de population, voir S. B. Schwartz, « The manumission of slaves... », art. cit., p. 608.

6 - L’historiographie brésilienne sur l’esclavage a été considérablement renouvelée ces dernières années. Pour un bon aperçu en français, voir dans le dossier « Brésil colonial. Économie de la traite et résistance servile», Annales HSS, 61-2, 2006, les articles de Reis, João José, «La révolte haoussa de Bahia en 1807. Résistance et contrôle des esclaves au Brésil», p. 383-418 Google Scholar et de de Alencastro, Luiz Felipe «Le versant brésilien de l’Atlantique Sud: 1550-1850», p. 339-382 Google Scholar; dans le dossier « Amériques coloniales. La construction de la société», Annales HSS, 62-3, 2007, l’article de Silvia Hunold Lara, « Marronnage et pouvoir colonial. Palmares, Cucaú et les frontières de la liberté au Pernambouc à la fin du XVIIe siècle », p. 639-662, ainsi que Hebrard, Jean, Chalhoub, Sidney et Lara, Silvia Hunold (dir.), «L’esclavage au Brésil. Retour à l’archive: nouvelles approches de l’historiographie brésilienne», Cahiers du Brésil contemporain, 65/66 et 67/68, 2007 Google Scholar.

7 - Liv. I, « Sur les Sacrements », § 303 & § 304 et liv. V, « Sur les délits et châtiments », § 989 (dans la partie concernant les concubinages): da Vide, Sebastião Monteiro, Constituiço˜es primeiras do Arcebispado da Bahia..., éd. par Feitler, B. et Souza, E. S., São Paulo, Edusp, [1707] 2010 Google Scholar.

8 - Benci, Jorge s.j., Economia cristã dos senhores no governo dos escravos, São Paulo, Éditoral Grijalbo, [1705] 1977 Google Scholar; Andreoni, João A. (Antonil, João André), Cultura e opulência do Brasil por suas drogas e minas, trad. fr. et comm. par Mansuy, A., Paris, IHEAL, [1711] 1968 Google Scholar.

9 - Duby, Georges, Le chevalier, la femme et le prêtre. Le mariage dans la France féodale, Paris, Hachette, 1981, p. 23 Google Scholar.

10 - Sur le lien entre pratiques sociales et vision ecclésiastique du mariage, et de manière générale, sur la richesse des archives ecclésiastiques pour une histoire du mariage dans les pays catholiques, voir les volumes dirigés par Menchi, Silvana Seidel et Quaglioni, Diego (dir.), I processi matrimoniali degli archivi ecclesiastici italiani, Bologne, Il Mulino, 2000-2004Google Scholar.

11 - Cette présentation du mariage s’appuie sur l’ouvrage de Gaudemet, Jean, Le mariage en Occident. Les mœurs et le droit, Paris, Éd. du Cerf, 1987 Google Scholar.

12 - Ibid., p. 30-31.

13 - «Mariage en droit occidental», in Naz, R. (dir.), Dictionnaire de droit canonique, Paris, Letouzey et Ané, 1924, vol. VI, p. 740-787 Google Scholar; Vacant, Alfred et Mangenot, Eugène, «Mariage», Dictionnaire de théologie catholique, Paris, Letouzey et Ané, 1899-1968, t. IX-2, p. 2044-2335 Google Scholar.

14 - Lettre d’Antonio Pires aux frères de Coimbra, 2 août 1551, p. 259: Leite, Serafim, Monumenta Brasiliae, Rome, Monumenta Historica Societatis Jesu, 1956 Google Scholar.

15 - Ibid., lettre de Manuel da Nóbrega à João III, roi du Portugal, 14 septembre 1551, § 7, p. 293.

16 - Ardanaz, Daisy Ripodas, El matrimonio en Indias. Realidad social y regulación jurídica, Buenos Aires, Fundación para la Educación, la Ciencia y la Cultura, 1977, p. 250-257 Google Scholar.

17 - Ibid., une des lois, partida IV, ley 1, titulo 5, précisait que les esclaves pouvaient se marier sans le consentement du maître et l’autre, partida IV, ley 8, titulo 22, stipulait qu’un esclave était libéré quand il se mariait avec une personne libre qui ignorait sa condition d’esclave, en présence de son maître si ce dernier taisait sa condition d’esclave.

18 - Ibid., en 1527, 1538, 1541 et 1553.

19 - Finley, Moses I., Esclavage antique et idéologie moderne, Paris, Éd. de Minuit, 1979 Google Scholar.

20 - Sur la notion de châtiment et de souveraineté domestique dans la société esclavagiste, voir S. Hunold Lara, Campos da violência..., op. cit., ainsi que Rafael de Marquese, Bivar, Feitores do corpo, missionários da mente. Senhores, letrados e o controle dos escravos nas Américas, 1660-1860, São Paulo, Companhia das Letras, 2004 Google Scholar.

21 - Freyre, Gilberto, Casa-Grande & Senzala, éd. par Giucci, G. et al., Madrid, ALLCA XX, [1933] 2002 Google Scholar. Dans cette édition, on trouve un commentaire très intéressant de Schwartz, Stuart B., «Gilberto Freyre e a historia colonial: uma visão otimista do Brasil», p. 908-921 Google Scholar.

22 - Schwartz, Stuart B., Segredos internos. Engenhos e escravos na sociedade colonial, 1550-1835, São Paulo, Companhia das Letras, 1995, chap. 13 et 14 Google Scholar.

23 - Pour une synthèse et un bilan historiographique sur la famille esclave, voir da Silva, Maria Beatriz Nizza, Historia da famı´lia no Brasil colonial, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1998 Google Scholar, chap. 4, et Slenes, Robert W., Na senzala, uma flor. Esperanças e recordaço˜es na formação da famı´lia escrava: Brasil sudeste, século XIX, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1999 Google Scholar, chap. 1.

24 - S. B. Schwartz, Segredos internos..., op. cit., p. 293.

25 - Sheila de Faria, Castro, A colônia em movimento. Fortuna e família no cotidiano colonial, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1998, p. 289-353 Google Scholar.

26 - Mariza de Soares, Carvalho, Devotos da cor. Identidade étnica, religiosidade e escravidão no Rio de Janeiro, século XVII, Rio de Janeiro, Éd. Civilização Brasileira, 2000, chap. 3.Google Scholar

27 - Ramos, Donald, «City and country: The family in Minas Gerais, 1804-1838», Journal of Family History, 3-4, 1978, p. 337-360 CrossRefGoogle Scholar; Paiva, Eduardo França, Escravo e libertos nas Minas Gerais do século XVIII: estratégias de resistência através dos testamentos, São Paulo, Annablume, 2009 Google Scholar.

28 - de Queirós Mattoso, Katia M., Bahia, século XIX: uma província no Império, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1992, p. 166 Google Scholar.

29 - R. W. Slenes, Na senzala..., op. cit., p. 75.

30 - J. A. Andreoni, Cultura e opulência..., op. cit., liv. I, chap. IX, « Comment le maître de l’habitation doit se comporter envers ses esclaves », p. 124-125.

31 - Ibid.

32 - Ibid.

33 - Ibid.

34 - Selon la loi civile (Ordenaço˜es Filipinas, 1604, § 99), les maîtres étaient obligés de faire baptiser leurs esclaves dans un délai de six mois. Le baptême était obligatoire pour les esclaves âgés de moins de dix ans. Pour les esclaves âgés de plus de dix ans, la loi prévoyait qu’ils donnent leur assentiment. Au cas où les esclaves le refusaient, le maître devait en référer aux autorités ecclésiastiques et, seulement ainsi, sa responsabilité était dégagée. Les Constitutions ecclésiastiques avaient les mêmes exigences, mais ramenaient l’âge du baptême obligatoire sans assentiment à sept ans, âge du discernement dans le droit canonique.

35 - Le paragraphe sur le mariage dans les Constitutions synodales de l’archevêché de Lisbonne de 1646 se trouve au liv. I, titulo XIII, decreto VIII « Dos casamentos dos escravos »: da Cunha, Rodrigo, Constituiço˜es synodaes do arcebispado de Lisboa..., Lisboa Oriental, Na Officina de Filippe de Sousa Villela, [1646] 1737 Google Scholar.

36 - Constituiço˜es extrauagantes do arcebispado de Lisboa, tit. V, const. I, fol. 99v. Cette référence se trouve dans Lahon, Didier, «Esclavage et confréries noires au Portugal durant l’Ancien Régime (1441-1830)», thèse, EHESS, Paris, 2001, p. 144 Google Scholar.

37 - Dans l’historiographie, les Constitutions ont habituellement été lues comme des réponses directes et spécifiques aux difficultés de la société coloniale, sans étudier le détour canonique par lequel passent les autorités pour répondre à ces difficultés. S. B. Schwartz, Segredos internos..., op. cit., p. 315; de Alencastro, Luiz Felipe, O trato dos viventes. Formação do Brasil no Atlântico Sul, séculos XVI e XVII, São Paulo, Companhia das Letras, 2000, p. 160-162 Google Scholar.

38 - Voici la note: « Cap. 1. cap. 2. cap. Si quis ingennuus 4. cap. Si foemina 5. 29. q. 2. c. 1. de Conjug. servor. D. Thom. in 4. dist. 36. q. unic. art. 2. in corpore. Sanch. de Matrim. lib. 7. d. 21. à n. 3. ».

39 - La première référence de la note « Cap. 1. cap. 2. cap. Si quis ingennuus 4. cap. Si foemina 5. 29. q. 2. » renvoie au Décret de Gratien (1140), deuxième partie, cause 29, question II; chap. 1, « Licet seruis matrimonia contrahere » (Il est permis aux esclaves de contracter mariage); chap. 2, « Ancillam in matrimonio susceptam uiro dimittere non licet » (Il n’est pas permis à un homme de renvoyer une esclave après le mariage); chap. 4, «De eo, qui ancillam ducit in uxorem, quam putat liberam esse» (À propos de celui qui a épousé une esclave croyant qu’elle était libre); chap. 5, « Non licet mulieri dimittere quem sciens seruum accepit in uirum» (il n’est permis à la femme de renvoyer celui qu’elle a épousé sachant qu’il était esclave).

40 - La deuxième référence, « c. 1. de Conjug. Servor », renvoie à la décrétale De conjugio servorum (Du mariage des esclaves), tit. IX du liv. IV. Voici le début de cette décrétale: « Servus, contradicente domino, matrimonium contrahere potest; sed propter hoc non liberatur a servitiis domino debitis » (Un esclave malgré l’opposition de son maître peut contracter mariage; mais du fait de son mariage, il n’est pas libéré des services dus à son maître).

41 - La référence dit « D. Thom. in 4. dist. 36. q. unic. art. 2. in corpore ». Cela renvoie à la distinction 36, question unique des Sentences de Pierre Lombard (1158-60) qui comporte quatre points sur le mariage des esclaves. Le commentaire de Thomas d’Aquin sur la question de Pierre Lombard présente cinq articles avec à chaque fois l’exposé des difficultés et leur solution. C’est l’article 2, « Utrum servus matrimonium contrahere possit sine consensu domini » (un esclave peut-il contracter un mariage sans le consentement de son maître ?), qui est ici sollicité: d’Aquino, S. Tommaso, Commento alle sentenze di Pietro Lombardo, Bologne, ESD, 2001, vol. 9 Google Scholar.

42 - La dernière référence de cette première note est le livre de Sánchez, R. Patris Thomae, De sancto matrimonii sacramento disputationum tomi tres, Lugduni, sumptibus Societatus typographorum, [1599] 1621 Google Scholar, liv. 7, dist. 21, no 3. Le livre VII de l’ouvrage de Sánchez est consacré à la discussion des empêchements de mariage. La dispute XXI porte sur le point suivant, « An servi possint invitis dominis matrim. Inire nefasque sit impedire: & an conjugi potius quam domino satisfacere teneantur » (Les esclaves peuvent-ils se marier contre l’avis de leur maître ?).

43 - Le décret Tametsi est publié par Alberigo, Giuseppe (dir.), Les conciles œcuméniques, Paris, Éd. du Cerf, 1994, t. II-2, p. 1530 Google Scholar.

44 - J. Benci s.j., Economia cristã..., op. cit. Sur l’influence de Benci dans les Constitutions, voir Torres-Londoño, Fernando, «Igreja e escravidão nas constituiço˜es do arcebispado da Bahia de 1707», Revista Eclesiástica Brasileira, 267, 2007, p. 609-624 Google Scholar.

45 - Les pages qui suivent s’appuient essentiellement sur l’ouvrage de J. Gaudemet, Le mariage en Occident..., op. cit., où la question du mariage des esclaves est traitée pour chaque période (Antiquité, haut Moyen Âge, Moyen Âge central). Pour la période classique, voir p. 215.

46 - Le second argument rappelle que l’esclave est tenu d’obéir à son maître; si le maître lui commande de ne pas consentir au mariage, l’esclave ne peut contracter mariage sans le consentement du patron. Le troisième argument porte sur la contradiction qui peut exister entre le devoir conjugal que l’esclave doit à son conjoint (l’acte charnel) et le service que tout maître est en droit d’exiger de son esclave. Si le maître a besoin de son esclave pendant l’acte charnel, l’esclave est empêché de lui obéir. Le maître serait alors, sans avoir fauté, privé des services de son esclave. Ce point renvoie précisément à la situation où un esclave se rend chez son conjoint la nuit et délaisse la maison de son maître. Le quatrième argument rappelle que le maître a le droit de vendre l’esclave dans une région lointaine où sa femme ne pourrait pas le suivre. Le dernier argument rappelle qu’un esclave ne peut entrer dans les ordres religieux sans le consentement de son maître. Or, le service divin étant par nature supérieur au service dû à l’époux, l’autorisation du maître devrait être nécessaire au mariage.

47 - S. Tommaso d’Aquino, Commento alle sentenze di Pietro Lombardo, op. cit., vol. 9, p. 58.

48 - L’Église a longtemps refusé d’accepter l’idée d’une limitation, par les familles, du libre consentement des époux malgré les pressions des élites de la société et du pouvoir politique Finalement, le concile de Trente, en exprimant sa détestation des mariages clandestins (ceux qui étaient conclus en catimini sans la présence des familles souvent non consentantes) et en imposant des règles strictes pour la célébration des mariages, a fini par reconnaître en partie le droit des familles à limiter le libre choix des époux.

49 - Il n’y a pas de mention du mariage des esclaves dans les Ordonnances manuelines ni dans les Ordonnances philippines: S. HUNOLD LARA, « Legislação sobre escravos... », art. cit.

50 - Metzler, Josef (dir.), America pontificia primi saeculi evangelizationis 1493-1592. Documenta pontificia ex registris et minutis praesertim in Archivo secreto Vaticano existentibus, Cité du Vatican, Libreria ed. vaticana, 1991 Google Scholar, vol. II, doc. 430 « Populis ac Nationibus », p. 1228-1230.

51 - Voir de Castelnau-L’Estoile, Charlotte, «Le mariage des infidèles au XVIe siècle: doutes missionnaires et autorité pontificale», in «Administrer les sacrements en Europe et au Nouveau Monde. La Curie romaine et les dubia circa sacramenta», no spécial, Mélanges de l’École française de Rome Italie-Méditerranée, 121-1, 2009, p. 95-121 Google Scholar.

52 - «Privilège paulin», in R. Naz (dir.), Dictionnaire de droit canonique, op. cit., vol. VII, p. 230-280.

53 - Cette bulle est restée largement méconnue par l’historiographie brésilienne, notamment parce que le grand historien de la Compagnie de Jésus au Brésil, le père Serafim Leite la cite de manière tronquée sans mentionner le fait qu’elle est prononcée pour les esclaves: Antonio Leite, Serafim, História da Companhia de Jesus no Brasil, Lisbonne, Livraria Portugalia, 1938-1950, vol. II (1938), p. 291 Google Scholar. Du point de vue interne à l’Église, elle eut une postérité importante et s’appliqua à tous les infidèles convertis (et pas seulement les esclaves indiens et africains du Brésil). La mention des autres régions des Indes était d’ailleurs déjà dans le texte de 1585. La bulle fut utilisée tout au long de la période moderne par les missionnaires qui désiraient marier des nouveaux convertis sans se soucier des anciens mariages du temps de l’infidélité; elle fut intégrée au Code de droit canonique de 1917 où elle est citée in extenso comme seulement huit autres textes pontificaux: Codex iuris canonici Pii X Pontificis Maximi iussu digestus, Benedicti Papae XV auctoritate promulgatus, praefatione... ab emo, Romae, Typis polyglottis vaticanis, 1919, doc. VIII.

54 - Sur le contexte de l’esclavage et la Compagnie de Jésus au Brésil, voir Carlos Alberto de Zeron, Moura Ribeiro, Ligne de foi. La Compagnie de Jésus et l’esclavage dans le processus de formation de la société coloniale en Amérique portugaise (XVIe-XVIIe siècles), Paris, Honoré Champion, 2009 Google Scholar.

55 - Rome, Archives de la Compagnie de Jésus, Lusitania 68, 337-340v, 25 juillet 1583, de Baya, lettre de Gouveia au Général, § 4 (337v).

56 - Voir C. Zeron, Ligne de foi..., op. cit., p. 187-303.

57 - On peut rapprocher cette démarche des théories du père Antonio Vieira qui, dans le Sermão XIV do Rosário de 1633, justifie la migration des Africains vers l’Amérique comme préfiguration de leur autre migration, après leur mort, vers le paradis: Vainfas, Ronaldo, Ideologia e escravidão. Os letrados e a sociedade escravista no Brasil colonial, Petrópolis, Vozes, 1986, p. 96-98 Google Scholar.

58 - J. Benci s.j., Economia cristã..., op. cit.

59 - Ibid., p. 103.

60 - Ce document apparaît dans un catalogue des archives de la Propaganda Fide comme datant de 1686 et du pontificat d’Innocent X: Spinelli, Giampiero, Regesto del volume 1 (1649-1713) della serie Congressi, America Meridionale, dell’Archivio Storico della Sacra Congregazione « de Propaganda Fide», Rome, Tesi di laurea, 1986-1987Google Scholar. Outre le fait que rien dans le document ne renvoie à cette datation, la lettre de Brandolini indique clairement qu’il date de 1708.

61 - Parmi de multiples travaux sur les confréries noires au Brésil, on peut citer Russell-Wood, Antony J. R., «Black and mulatto brotherhoods in colonial Brazil: A study in collective behavior», The Hispanic American Historical Review, 54-4, 1974, p. 567-602 CrossRefGoogle Scholar, et Reis, João, «Identidade e diversidade étnica nas irmandades negras no tempo da escravidão», Tempo, 2-3, 1996, p. 7-33 Google Scholar.

62 - Rubert, Arlindo, A Igreja no Brasil, Santa Maria, Palloti, 1988 Google Scholar, voir la présentation vol. II, p. 307-308 et le document en annexe D, «Memorial em defesa dos Escravos do ano 1686 », p. 380-382.

63 - Voir l’article précurseur de Gray, Richard, «The papacy and the Atlantic slave trade: Lourenço da Silva, the Capuchins and the decisions of the Holy Office», Past & Present, 115, 1987, p. 52-68 CrossRefGoogle Scholar, ainsi que Mattos, Hebe, «A escravidão moderna nos quadros do Império português: o Antigo Regime em perspectiva atlântica», in Fragoso, J., Bicalho, M. F. et de Fatima Gouvéa, M. (dir.), O antigo regime nos trópicos. A dinâmica imperial Portuguesa (séculos XVI-XVIII), Rio de Janeiro, Éd. Civilização Brasileira, 2001, p. 141-162 Google Scholar.

64 - R. Gray, « The papacy and the Atlantic slave trade... », art. cit.

65 - On dispose aujourd’hui d’éditions critiques des œuvres des deux capucins: de Jaca, Francisco José, Resolución sobre la libertad de los negros y sus originarios, en estado de paganos y después ya cristianos. La primera condena de la esclavitud en el pensamiento hispano, éd. par González, M. A. Pena, Madrid, CSIC, 2002 Google Scholar; de Moirans, Épiphane, Siervos libres, una propuesta antiesclavista a finales del siglo XVII, éd. par González, M. A. Pena, Madrid, CSIC, 2007 Google Scholar.

66 - Rome, Archives de la Congrégation de la Doctrine de la foi, Sant’Offizio, Decreta 1686, fol. 64rv, publié in F. J. de Jaca, Resolución sobre la libertad..., op. cit., p. 365.

67 - H. Mattos, « A escravidão moderna... », art. cit.

68 - Sur cette législation civile, voir S. Hunold Lara, Campos da violência..., op. cit., p. 64; Carlos Alberto de Zeron, Moura Ribeiro, «O governo dos escravos nas Constituiço˜es Primeiras do Arcebispado da Bahia e na legislação portuguesa: separação e complementa-ridade entre pecado e delito», in Feitler, B. et Souza, E. Sales (dir.), A igreja no Brasil colônia. Normas e práticas no tempo do arcebispo d. Sebastião Monteiro da Vide, São Paulo, Ed. UNIFESP, 2010 Google Scholar, sous presse.

69 - Voir Bruno Feitler et Evergton Sales Souza, «Présentation», in S. Monteiro da Vide, Constituições primeiras do Arcebispado da Bahia..., op. cit., p. 15.

70 - APF, vol. I (1649-1713), série Congressi, America Meridionale, doc. 163, fol. 466rv-470rv: « E la ragione si è, non perché di quello [non] possano xxx di verità se si presentano o a vicarj o a curati gli xxx-sano, Ma perche nol [= non lo] vogliano à cagion [à cause de] de supplizi che incorrano coi lor Padroni. » Je remercie Giovanni Pizzorusso de son aide pour la transcription de ce texte.

71 - M. B. Nizza da Silva, Historia da família..., op. cit., p. 191.

72 - Lisbonne, Archivo Torre do Tombo, fonds Sumarios matrimoniais. Pour l’année 1690, D. Lahon, « Esclavage...», op. cit., p. 144-150, a compté 30 dossiers de mariages d’esclaves. 73-APF, vol. I (1649-1713), série Congressi, America Meridionale, doc. 163, fol. 466rv-470rv, « La dignita della causa mi fa xxx ardire in raccomandarla alla sua saggia condotta. La confraternità sopradetta bramarebbe da S. S. tà un benigno rescritto al memoriale qui annesso. In quanto a me bastami di aver rapresentato li mali a Va Sra. »

73 - « Péché», in R. Naz, Dictionnaire de droit canonique, op. cit., t. VI, p. 1284, et « For», ibid., t. V, p. 871-874.

74 - « Excommunication», ibid., t. V, p. 615-617.

75 - C. Zeron, « O governo dos escravos... », art. cit.

76 - APF, vol. I (1649-1713), série Congressi, America Meridionale, f. 88-93v.

77 - Sur cette circulation de l’information en provenance des terres de missions lointaines dans les bureaucraties romaines, voir « Administrer les sacrements en Europe...», op. cit., particulièrement l’article de Broggio, Paolo, de Castelnau-L’Estoile, Charlotte et Pizzorusso, Giovanni, «Le temps des doutes: les sacrements et l’Église romaine aux dimensions du monde», p. 5-22 Google Scholar, ainsi que celui de Pizzorusso, Giovanni, «I dubbi sui sacramenti dalle missioni ‘ad infideles’: percorsi nelle burocrazie di Curia», p. 39-61 Google Scholar.

79 - On sait qu’en 1726, le père Brandolini, dans le contexte de la querelle des rites malabars, fit parvenir au pape une lettre écrite au nom des Indiens du Maduré (una sua scrittura in nome degl’Indiani del Maduré): Augustin et de Backer, Aloïs, Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus ou Notices..., Liège, impr. de L. Grandmont-Donders, 1861, vol. 6, p. 59 Google Scholar.

80 - Goldschmidt, Eliana, «O matrimônio demulheres forras com escravosem S. Paulo: uma estratégia de sobrevivência (1728-1822)», Anais da X Reuniao da SBPH, Curitiba, SBPH, 1991, p. 153-158 Google Scholar; Sheila de Castro Faria, A colônia em movimento..., op. cit., p. 316.

81 - S. B. Schwartz, « The manumission of slaves... », art. cit., p. 610.

82 - Il y a même une ambiguïté dans le droit royal castillan sur le pouvoir libérateur de ce type de mariage, dont on a vu que les jésuites du Brésil dès 1551 avaient tenté de la dissiper en rappelant qu’en aucun cas le mariage ne libérait de l’esclavage.

83 - Dans les statuts de 1686 de la confrérie du Rosaire des Noirs de Salvador, il est prévu que la confrérie puisse accorder des prêts pour aider ses membres à acheter leur liberté: A. J. R. Russell-Wood, « Black and mulatto brotherhoods... », art. cit., p. 595, et J. Reis, « Identidade e diversidade... », art. cit., p. 20.

84 - Russell-Wood, Antony J. R., «Vassalo e soberano: apelos extrajudiciais de africanos e de indivíduos de origem africana na América portuguesa», in da Silva, M. B. Nizza (dir.), Cultura portuguesa na Terra de Santa Cruz, Lisbonne, Estampa, 1995, p. 215-233 Google Scholar. Pour ces exemples, voir la référence archivistique: Arquivo Público da Bahia, Ordens régias, vol. 7, doc. 288-289 et 299, p. 220-221.

85 - M. de Carvalho Soares, Devotos da cor..., op. cit. Le livre analyse des statuts de confréries d’Africains à Rio de Janeiro dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, qui posent comme objectifs explicites de leur confrérie la conversion de leur peuple et l’éradication de toute trace de paganisme.

86 - Arquivo da Cúria Metropolitana de São Paulo, 4-59-388 (1755): Goldschmidt, Eliana, «Matrimônio e escravidão em São Paulo colonial: dificuldades e solidaridades», in da Silva, M. B. Nizza, Brasil colonização e escravidão, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 2000, p. 59-72 Google Scholar.

87 - A. J. R. Russell-Wood, « Black and mulatto brotherhoods... », art. cit., met en doute l’existence d’une telle conscience dans le Brésil du début du XVIIIe siècle.

88 - La dévotion comme symbole d’identité des esclaves commence à être analysée. Pour le cas de Rio de Janeiro et des Minas Gerais, voir de Oliveira, Anderson José Machado, Devoção negra: santos pretos e catequese no Brasil colonial, Rio de Janeiro, Quartet/Faperj, 2008 Google Scholar.

89 - On peut tenter ici un parallèle avec les Indiens dévots de la ville de Lima au XVIIe siècle et l’ambivalence de l’institution ecclésiastique, locale mais aussi romaine, qui incorpore les Indiens tout en les maintenant dans un statut de mineurs sur le plan religieux, voir l’étude magistrale de Fuchs, Juan Carlos Estenssoro, Del paganismo a la santidad. La incorporación de los Indios del Perú al Catolicismo 1532-1750, Lima, Instituto francês de Estudos Andinos, 2003 CrossRefGoogle Scholar, notamment le chap. 6.

90 - S. Hunold Lara, Campos da violência..., op. cit., p. 65.

91 - S. Hunold Lara, « Marronnage et pouvoir colonial... », art. cit.

92 - H. Mattos, « A escravidão moderna... », art. cit.