Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Déconsidérer les lignages au profit des structures : subvertir les notions de filiation, de patrimoine génétique, de fonds culturel, au nom d'un égalitarisme synchronique — ce n'est pas seulement, en notre temps, un des pôles de l'idéologie sociale dans le traitement des individus, mais aussi un des pôles vers lesquels tendent les recherches sémiohistoriques dans le traitement des cultures. On met celles-ci côte à côte, on les compare, on les classe, on croit les sauver des « inégalités de milieu familial » en les coupant de leurs « liens de sang »… mais patatras ! à un moment ou à un autre, celui qui s'est passionné pour la « comparaison » ne peut éviter de conclure à la « parenté », au lien familial… Alors le lecteur grimace, se sentant renvoyé à cette vieille « philologie » qu'il croyait pouvoir reléguer au grenier, et qui lui paraît contraire à l'esprit « structural ».
1. Grisward, Joël, Archéologie de l'épopée médiévale, structures trifonctionnelles et mythes indo-européens dans le cycle des Narbonnais, Paris, Payot, 1981, 342 p.Google Scholar (version abrégée d'une thèse d'État soutenue à la Sorbonne en 1979). Sauf exception, je ne redonnerai pas ici les références déjà fourmes dans cet ouvrage.
2. Sur cette légende, outre les études de Georges DUMÉZIL auxquelles renvoie Joël Grisward, il faut signaler l'ouvrage de Defourny, Michel, Le mythe de Yayati dans la littérature épique et purûnique, Paris, Belles-Lettres, 1978:CrossRefGoogle Scholar cette étude a l'avantage de n'être que marginalement « dumézilienne », et de donner une synthèse d'ensemble objective sur le mythe.
3. Cette dernière légende étant peu utilisée par Joël Grisward, je rappelle qu'on peut en trouver une analyse dans plusieurs ouvrages de Dumézil, G., comme Mythe et épopée II, Types épiques indo-européens, Paris, Gallimard, 1971, pp. 345–350.Google Scholar On y trouve en particulier le « combat des fils et du père » (comme dans INerbonesî) et la dispersion des fils dans trois directions.
4. Grisward, Joël, « Épopée indo-européenne et épopée médiévale : histoire ou histoires ? », Perspectives médiévales, n° 8, juin 1982, pp. 125–133.Google Scholar
5. Voir par exemple Mythe et épopée I, Paris, Gallimard, 1968, p. 323 : « … Properce comprenait pleinement… », et p. 433.
6. Le classement patres/'équités/plebs, mis en valeur par nos manuels d'histoire, ne fait pas l'objet d'une doctrine explicite développée dans les textes conservés de l'époque classique ; et, d'après G. DUMÉZIL, il n'aurait rien à voir avec le schéma trifonctionnel (?). En fait, il ne paraît pas impossible que cette triade ait contribué à la conservation du vieux schéma dans un milieu scolaire étroit. Son rapprochement avec les « trois tribus » primitives (chères, elles, à G. DUMÉZIL) ne se trouve pas dans ce qui nous reste du De lingua latina de Varron, mais il a pu figurer, comme justification pseudo-étymologique du mot tribus, dans un de ces traités De etymologia perdus, dont s'inspirerait Isidore de Séville d'après J. Fontaine. En effet, Isidore explique tribus « ab eo quod in principio Romani trifarie fuerunt a Romulo dispertiti, in senatoribus, militibus, et plebibus » (Étym. IX, 4, 7 ; PL 82, 349 B). Or, ce texte (où les milites remplacent déjà les équités, confirmant que l'image de ceux-ci était restée pseudo-militaire et non « capitaliste », cf. les travaux de C. Nicolet et P. Veyne) est très probablement la source du thème médiéval des « trois ordres », par l'intermédiaire d'Haymon d'Auxerre et d'Aelfric (je ne peux développer ici ce problème : voir, pour le texte d'Haymon, G. DUMÉZIL, Apollon sonore, Paris, Gallimard, 1982, pp. 238-240, se référant gentiment à mes recherches à la suite de ma soutenance, et appelant ainsi la présente mise au point). Mais ce cheminement suit un canal scolaire étroit, ne débouchant vraiment qu'après 1150 sur une théorie notoire.
7. Il est à peine besoin de renvoyer à Duby, G., Les trois ordres…, Paris, Gallimard, 1978,CrossRefGoogle Scholar et à J. le Goff, « Les trois fonctions indo-européennes, l'historien et l'Europe féodale », Annales E.S.C., novembre-décembre 1979, pp. 1187-1215.
8. Voir Les chansons de geste du cycle de Guillaume d'Orange, III : les Moniages, Guibourc, Hommage à Jean Frappier, S.E.D.E.S., 1983 : le thème du « moniage » paraît tout à fait indépendant des rémanences trifonctionnelles trouvées par J. Grisward dans les oeuvres narratives.
9. Le Trésor amoureux, dans Scheler, œuvres de Froissart, Poésies, t. III, Bruxelles, 1872, v. 1421-1478, pp. 140-141. Je remercie Pierre Badel de m'avoir fait connaître ce texte, qui paraît interpréter maladroitement une source inconnue.
10. Par ex. le fabliau de Richeut, ou l'histoire des « trois bienfaits du duc Robert » (voir mon article du Colloque Histoire et historiographie Clio, éd. par R. Chevallier, Belles-Lettres, 1980, pp. 263-272), ou le fabliau « Dui chevalier vont chevauchant… » (voir mon étude « L'apologue social des strates libidinales », dans Le récit bref au Moyen Age, par D. Buschinoer, Amiens, 1980, pp. 133-151).
11. Voir ci-dessus note 4.
12. La chanson de geste et le mythe carolingien, Mélanges René Louis, Saint-Père-sous- Vézelay, 1982,1.1, pp. cvm-cix.
13. Il ne me semble pas qu'il y ait contradiction entre mes exposés mettant successivement en valeur ces deux aspects aux « colloques renardiens » d'Amsterdam et de Munster. J'évoque le vieux mythe (sans doute pas indo-européen, il est vrai !) dans « La cour du Lion : autour du Pantchatantra et du Roman de Renart », dans Epopée animale, fable et fabliau, Marche romane, XXVIII, 3-4, Liège, 1979, pp. 17-25 ; et les pesanteurs de l'Histoire (les comtes Renart de Sens) dans « Renart et les modèles historiques de la duplicité vers l'an mille », Third International Beast Epie, Fable and Fabliau Colloquium, J. Goossens and T. Sodman, éds, Cologne-Vienne, 1981, pp. 1-24.
14. Dans une communication présentée au Congrès international d'études byzantines de 1953, sur « l'épisode des larmes dans le roman d'Erec et Enide ». Voir les Mélanges René Louis (cf. supra note 12), tome I, p. XC.
15. Chronica Albricimonachi TriumFontium, anno 779, dans MGH, Scriptores, série in-folio t. XXIII p. 716. Joël Grisward pourrait signaler (par ex. p. 257, en même temps qu'il parle d'Aye d'Avignon) que la liste des fils d'Aimery (” Nemericus ») donnée par Aubry joint curieusement par et le « couple gémellaire » Hernaut-Garin, ce qui confirme sa théorie sur ces personnages.
16. Je ne sais pas si ce fait curieux a été déjà relevé explicitement ; mais il me semble qu'il est implicitement à l'arrière-plan de l'atmosphère tendue qui régnait aux États Généraux de 1614 et de l'apologue des « trois fils » qui y a déclenché les bagarres (l'idée du parricide devait être sousjacente…), le tout finissant par le rideau sèchement tiré sur le système des « trois états », à la séance de clôture, par le futur cardinal de Richelieu.
17. La « thèse arctique » repose sur des arguments bien discutables, comme l'homologie établie dans les mythes entre l'aurore et le printemps : un climat tempéré suffit à expliquer l'assimilation du cycle annuel et du cycle diurne, sans faire appel à la nuit polaire. Notons cependant, à ce propos, que la théorie de l'origine nordique des Indo-Européens n'est pas une invention des nazis, mais qu'elle avait été déjà soutenue au début du xx° siècle par un écrivain indien.
18. Bernard Sergent, « Penser — et mal penser — les Indo-Européens », Annales E.S.C., juillet-août 1982, pp. 669-681. Le titre de cet article est un aveu : Jean Haudry y est condamné comme « mal-pensant », tout son livre est critiqué à partir d'un procès d'intention rageur et injuste (ceux qui le connaissent savent qu'il n'a rien d'un nazi). J'ai été consterné de cet accès de délire, car j'estime beaucoup les travaux de B. Sergent, qui, par ailleurs, a défendu courageusement les études indo-européennes contre les attaques auxquelles je fais allusion ensuite.
19. « Les lundis de l'Histoire », 23 novembre 1981. Georges DUMÉZIL me pardonnera de respecter le texte improvisé de sa phrase : je ne pense pas qu'il l'aurait beaucoup modifiée pour l'écrire.
20. Étude esquissée sur des points précis dans quelques articles de Joël Grisward, « Le motif de l'épée jetée au lac : la mort d'Artur et la mort de Batradz », Romania, 90, 1969, pp. 289-340 et pp. 473-514 ; « Ider et le tricéphale : d'une aventure arthurienne à un mythe indien », Annales E.S.C., mars-avril 1978, pp. 279-293 ; « Uter Pendragon, Artur et l'idéologie royale des Indo- Européens », Europe, nc 654, octobre 1983, pp. 111-120.